Les Quatre livres/Entretiens de Confucius/16

(attribué à)
Traduction par Séraphin Couvreur.
Imprimerie de la mission catholique (p. 249-258).
ENTRETIENS DE CONFUCIUS


CHAPITRE XVI. KI CHEU.


1. Le chef de la famille Ki se préparait à envahir Tchouen iu (Petite principauté qui dépendait de celle de Lou, à présent dans le district de Pi hien). Jen Iou et Tzeu lou (qui étaient au service de Ki), allèrent voir Confucius et lui dirent : « Ki prépare une expédition contre Tchouen iu. » « K’iou (Jen lou), répondit Confucius, n’avez vous pas quelque part à ce crime ? Tchouen iu a été choisi par les anciens empereurs (de la dynastie des Tcheou) pour être le lieu ordinaire des sacrifices, au pied du mont Moung oriental. De plus, il fait partie de la principauté de Lou et relève de l’autorité de notre prince. De quel droit Ki irait il l’attaquer ? »

« Notre maître le veut, répondit Jen Iou ; nous, ses ministres, nous ne le voulons ni l’un ni l’autre. » Confucius dit : « K’iou, (l’ancien historien) Tcheou jenn répétait souvent : « Que celui qui peut se dépenser pour le bien du peuple entre dans les rangs de la magistrature ; que celui qui ne peut rendre un vrai service n’accepte pas de charge. A quoi servira ce conducteur d’aveugles, qui ne saura ni affermir celui qui est ébranlé, ni soutenir celui qui tombe  ? » (Si vous ne pouvez pas travailler pour le bien public, quittez votre charge). De plus, votre réponse est blâmable. Si un tigre ou un bœuf sauvage s’échappe de sa cage ou de son enclos, si une écaille de tortue ou une pierre précieuse est endommagée dans le coffre, à qui en est la faute ? (La faute en est à celui qui est chargé de garder ces bêtes féroces ou ces objets). »

Jen Iou répliqua : « Tchouen iu est bien fortifié et proche de la ville de Pi (qui appartient à Ki). Si Ki ne s’empare pas à présent de Tchouen iu, dans les temps à venir ses descendants seront dans l’embarras. » « Kiou, répondit Confucius, le sage déteste ces hommes qui ne veulent pas avouer leur cupidité et inventent des prétextes pour l’excuser. J’ai entendu dire que ce qui doit faire le souci des tchou heou et des tai fou, ce n’est pas le petit nombre de leurs sujets, mais le défaut de justice ; ce n’est pas le manque de ressources, mais le manque d’union et de concorde. La pauvreté n’est pas à craindre, où la justice est observée ; ni le défaut de sujets, où règne la concorde ; ni le bouleversement de l’État, où règne la tranquillité. Si les habitants des contrées éloignées ne reconnaissent pas l’autorité du prince, qu’il fasse fleurir les vertus civiles (l’urbanité, l’harmonie, la pureté des mœurs), afin de les attirer ; après les avoir attirés, qu’il les fasse jouir de la tranquillité. Vous, Iou et K’iou, vous êtes les ministres de Ki. Les habitants des contrées éloignées ne se soumettent pas, et vous ne savez pas les attirer. La principauté de Lou penche vers sa ruine et se divise en plusieurs parties. Vous ne savez pas lui conserver son intégrité ; et vous pensez à exciter une levée de boucliers dans son sein. Je crains bien que la famille de Ki ne rencontre de grands embarras, non pas à Tchouen iu, mais dans l’intérieur même de sa maison, (parce que l’injustice trouble la paix des citoyens, et amène la discorde intestine). Sian, respectueux. Ts’iang, cloison ou petit mur élevé devant la porte d’une habitation pour dérober aux passants la vue de la maison. Dans les visites entre un prince et son sujet, les témoignages de respect commencent auprès de cette cloison. C’est pourquoi elle s’appelle cloison du respect.

2. Le Maître dit : « Quand l’empire est bien gouverné, l’empereur règle lui-même les cérémonies (les rites, l’urbanité, ...), la musique, les expéditions militaires pour soumettre les feudataires désobéissants. Quand l’empire n’est pas bien gouverné, les tchou heou règlent les cérémonies, la musique, les expéditions militaires. Alors (la justice est violée, les lois ne sont plus observées, le trouble est dans l’État), les familles des tchou heou conservent rarement leur autorité au delà de dix générations (Elle leur est enlevée par les tai fou). Lorsque les tai fou s’emparent du pouvoir, ils le conservent rarement plus de cinq générations. Les intendants des princes ou des grands préfets, devenus à leur tour maîtres du pouvoir, le conservent rarement plus de trois générations. Quand l’empire est bien réglé, la haute administration n’est pas entre les mains des tai fou ; les particuliers ne sont pas admis à délibérer sur les affaires d’État. »

3. Confucius dit : « Les revenus publics ont passé de la maison du prince de Lou aux maisons des trois puissants tai fou Meng Suenn, Chou suenn et Ki Suenn, qui descendent de Houan, prince de Lou, cela depuis cinq générations. La haute administration est entre les mains des tai fou depuis quatre générations. Aussi, (parce que les tai fou ne peuvent la conserver au delà de cinq générations), la puissance de ces trois grands seigneurs touche à son terme. » Parce que les tai fou ne peuvent la conserver au delà de cinq générations. A la mort de Wenn, prince de Lou (609 avant notre ère), ses fils avaient mis à mort l’héritier présomptif Tch’eu, et lui avaient substitué le prince Siuen. Celui-ci n’eut qu’une ombre de pouvoir (l’autorité souveraine fut usurpée par Ki Ou, chef de la famille Ki suenn). Siuen, Tch’eng, Siang, Tchao, Ting, en tout cinq princes, s’étaient succédé. Le tai fou Ki Ou, qui avait usurpé le pouvoir, avait eu pour successeurs Tao, Ping et Houan. En tout, quatre tai fou s’étaient succédé l’un à l’autre, et l’autorité passa de leurs mains entre celles de Iang Hou, intendant de leur famille.

4. Confucius dit : « Trois sortes d’amitié sont avantageuses, et trois sortes d’amitié sont nuisibles. L’amitié avec un homme qui parle sans détours, l’amitié avec un homme sincère, l’amitié avec un homme de grand savoir, ces trois sortes d’amitié sont utiles. L’amitié avec un homme habitué à tromper par une fausse apparence d’honnêteté, l’amitié avec un homme habile à flatter, l’amitié avec un homme qui est grand parleur, ces trois sortes d’amitié sont nuisibles. »

5. Confucius dit : « Il y a trois choses qu’il est utile d’aimer, et trois choses qu’il est nuisible d’aimer. Aimer à étudier les cérémonies et la musique, aimer à dire le bien qu’on a observé dans les autres, aimer à se lier d’amitié avec beaucoup d’hommes sages et vertueux, ces trois choses sont utiles. Aimer à donner libre cours à ses convoitises, aimer à perdre son temps et à courir çà et là, aimer les festins et les plaisirs déshonnêtes, ces trois passions sont nuisibles. »

6. Confucius dit : « Quand vous êtes en présence d’un homme distingué par son rang et sa vertu, vous avez trois défauts à éviter. Si vous lui adressez la parole avant qu’il vous interroge, c’est précipitation. Si, interrogé par lui, vous ne lui répondez pas, c’est dissimulation. Si vous lui parler avant d’avoir vu, à l’air de son visage, qu’il vous prête une oreille attentive, c’est aveuglement. »

7. Confucius dit : « Celui qui s’applique à pratiquer la vertu se tient en garde contre trois choses. Dans la jeunesse, lorsque le sang et les esprits vitaux sont toujours en mouvement, il se tient en garde contre les plaisirs des sens. Dans l’âge mûr, lorsque le sang et les esprits vitaux sont dans toute leur vigueur, il évite les querelles. Dans la vieillesse, lorsque le sang et les esprits vitaux ont perdu leur énergie, il se tient en garde contre la passion d’acquérir. »

8. Confucius dit : « Le sage respecte trois choses. Il respecte la volonté du Ciel (la loi naturelle) ; il respecte les hommes éminents en vertu et en dignité ; il respecte les maximes des sages. L’homme vulgaire ne connaît pas la loi naturelle et ne la respecte pas ; il traite sans respect les hommes éminents ; il tourne en dérision les maximes des sages. »

9. Confucius dit : « Ceux en qui la connaissance des principes de la sagesse est innée sont des hommes tout à fait supérieurs. Au second rang viennent ceux qui acquièrent cette connaissance par l’étude ; et, au troisième rang, ceux qui, malgré leur peu d’intelligence, travaillent à l’acquérir. Ceux qui n’ont ni intelligence ni volonté d’apprendre forment la dernière classe d’hommes. »

10. Confucius dit : « Le sage donne une attention spéciale à neuf choses. Il s’applique à bien voir ce qu’il regarde, à bien entendre ce qu’il écoute ; il a soin d’avoir un air affable, d’avoir une tenue irréprochable, d’être sincère dans ses paroles, d’être diligent dans ses actions ; dans ses doutes, il a soin d’interroger ; lorsqu’il est mécontent, il pense aux suites fâcheuses de la colère ; en face d’un bien à obtenir, il consulte la justice. »

11. Confucius dit : « A la vue d’un bien à faire, déployer toute son énergie, comme si l’on craignait de ne pouvoir y parvenir ; à la vue d’un mal à éviter, se retirer comme si l’on avait mis la main dans l’eau bouillante ; c’est un principe que j’ai vu mettre en pratique, et que j’ai appris des anciens. Se préparer dans la retraite (par l’étude et la pratique de la vertu) à servir son prince et son pays, (et dans la vie publique) pratiquer la justice, afin d’étendre au loin l’influence de sa vertu, c’est un principe que j’ai appris des anciens, mais que je n’ai encore vu suivi par personne. »

12. King, prince de Ts’i, avait mille attelages de quatre chevaux. A sa mort, le peuple ne trouva aucune vertu à louer en lui. Pe i et Chou ts’i moururent de faim au pied du mont Cheou iang (Cf C. VII. 14). Le peuple n’a pas encore cessé de célébrer leurs louanges, « non à cause de leurs richesses, mais seulement à cause de leur rare vertu. » Ces deux vers du Cheu king ne peuvent ils pas leur être appliqués justement ?

13. Tch’enn Kang demanda à Pe iu (fils de Confucius, aussi appelé Li) si son père lui avait donné des enseignements particuliers qu’il ne communiquait pas à ses disciples. Pe iu répondit : « Aucun jusqu’à présent. Un jour qu’il se trouvait seul, comme je traversais la salle d’un pas rapide, il me dit : Avez-vous étudié le Cheu king ? Pas encore, lui dis je. Si vous n’étudiez le Cheu king, me répondit il, vous n’aurez pas de sujets de conversation. « Je me retirai et me mis à étudier le Cheu king. Un autre jour qu’il était encore seul, comme je traversais la salle d’un pas rapide, il me dit : Avez vous étudié le Li ki ? Pas encore, lui répondis-je. Si vous n’étudiez pas le Li ki, dit il, votre vertu n’aura pas de fondement solide. « Je me retirai et me mis à étudier le Livre des Devoirs. Voilà les deux enseignements que j’ai reçus. » Tch’enn Kang se retira satisfait et dit : « J’ai demandé une chose, et j’en ai appris trois ; dont l’une concerne le Cheu king, l’autre concerne le Livre des Devoirs ; et la troisième, c’est que le sage ne donne pas d’enseignements secrets et particuliers à son fils. »

14. Un prince (tchou heou) appelle sa femme fou jenn, son aide. La femme d’un prince, en parlant d’elle même, s’appelle petite fille. Les habitants de la principauté la désignent sous le nom de Dame qui aide le prince. Quand ils parlent d’elle devant un étranger, ils l’appellent leur petite Dame. Les étrangers lui donnent le nom de Dame qui aide le prince.