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LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL

Arrivons au troisième grand groupe de météorites, celui des sporadosidères, caractérisées par l’existence de grenailles métalliques disséminées dans une gangue pierreuse. Ce qui frappe tout de suite, quand on examine ces météorites, c’est que la proportion relative de la pierre et du fer est extrêmement variable, et à ce point de vue on peut les subdiviser en polysidères, en oligosidères et en kryptosidères, suivant que le fer est abondant, rare ou caché à la vue. Dans la première subdivision, nous trouvons la très-intéressante météorite représentée dans la figure ci-contre. Elle provient de la sierra de Chaco en Bolivie, où elle constitue, à la surface du sol un très-grand nombre de blocs de toutes grosseurs. Cette météorite est remarquable par les traces qu’elle a conservées d’actions géologiques très-complexes. Une section polie, comme celle que la figure reproduit, montre les grosses grenailles métalliques, de forme tuberculeuse et donnant des figures régulières par l’action des acides, associés à des gros grains pierreux, de composition variée et reliées entre elles et avec ceux-ci par un fin réseau de fer, rappelant, dans certaines parties, celui des masses syssidères. Un fait important est que ce type de météorite s’est trouvé reproduit avec la plus scrupuleuse précision par la masse tombée, le 4 juillet 1842, à Barea, près de Logrono, en Espagne.

C’est aux oligosidères que l’on donne d’ordinaire le nom de pierres météoriques. Leur portion prédominante est, en effet, de nature lithoïde et consiste le plus souvent en silicates magnésiens. Le nombre de types que conduit à y distinguer l’étude minéralogique est très-considérable, et nous ne pouvons songer à les énumérer ici. Il suffira de citer rapidement ceux qui sont les plus remarquables, ceux surtout dont l’examen est de nature à nous éclairer sur l’origine des pierres qui tombent du ciel.

On ne peut examiner une série nombreuse d’oligosidères, comme celle qui est exposée au Muséum, sans être frappé des différences qui séparent certains types de tous les autres. En première ligne, à cause de son étrangeté, il faut signaler la météorite tombée à Igast, en Livonie, le 17 mai 1855, et qui a été étudiée par le professeur Grenwinck, de Dorpat. Elle se montra sous un aspect exceptionnel au moment même de son arrivée, car le bolide qui la fournit, au lieu d’éclater dans les hautes régions de l’atmosphère, vint faire explosion tout près du sol en heurtant contre le tronc d’un tilleul. Son aspect, absolument analogue à celui de certaines pierres ponces, n’est reproduit par aucune autre météorite, et sa composition, consistant surtout en feldspath orthose et en quartz, est également inaccoutumée. Elle ne diffère de certaines roches feldspathiques terrestres que par la présence d’une très-faible quantité de fer métallique qui la rend fortement magnétique.

D’autres météorites se distinguent par la couleur noire de leur masse qui contraste avec la nuance grise des masses nombreuses de même origine. L’une des mieux caractérisées est la météorite tombée le 9 juin 1867 à Tadjera, près de Sétif, en Algérie. Son arrivée fut aussi accompagnée d’un phénomène non ordinaire. Son bolide fit explosion à la surface même du sol, sur lequel il creusa un sillon de plus d’un kilomètre de longueur. On verra combien cette météorite, par l’analogie de sa composition avec les pierres les plus communes et par l’étrangeté de sa couleur noire, est riche en enseignements. Comme pierres noires, on peut mentionner aussi celle de Stawropol, Caucase (21 mars 1857), dont la structure est entièrement oolithique, c’est-à-dire composée de petites boules juxtaposées, et celle de Renazzo, près de Florence (15 janvier 1824), qui rappelle par son apparence vitreuse, et malgré de très-grandes différences de composition, certaines obsidiennes terrestres.

Sporadosidère découverte en 1863 dans la Sierra de Chaco (Bolivie) et consistant en une gangue pierreuse, dans laquelle sont disséminées de grosses grenailles métalliques, formées de fer nickelé et des fragments arrondis de gros cristaux noirs de nature péridotique et pyroxénique.
(Grandeur naturelle.)

On connaît des météorites qui sans être noires comme les précédentes sont néanmoins de teinte beaucoup plus foncée que l’on ne le voit d’ordinaire ; telles sont entre autres la pierre d’Ornans (Doubs, 11 juillet 1868), qui est si friable qu’elle tache les doigts qui la touchent, et celle de Lancé (Loir-et-Cher, 21 juillet 1872), qui représente jusqu’ici la dernière masse météoritique tombée sur le sol de la France.

Les couleurs sombres, sous forme de marbrures, se retrouvent dans certaines pierres dont le type est tombé à Chantonnay, en Vendée, le 5 août 1812, et nous en parlons parce que les marbrures offriront, au point de vue géologique, un très-sérieux intérêt.

Ceci nous amène insensiblement aux pierres grises qui sont si fréquentes qu’on les a réunies sous le nom aujourd’hui abandonné de type commun. Sur dix chutes de météorites que l’on observe, il y en a peut-être neuf qui appartiennent à cette catégorie.

Cependant, en les examinant de plus près, on reconnaît qu’elles se répartissent entre divers types distincts qui, au point de vue de la structure, se groupent en trois catégories. Ce sont d’abord des roches compactes à grains plus ou moins serrés, extrêmement fréquentes et composant surtout les deux types que nous aurons plus loin à désigner sous les noms d’aumalite [à cause de la chute d’Aumale (Algérie) 25 août 1865] et de lucéite [à cause de la chute déjà citée de Lucé (Sarthe) 13 septembre 1768]. En second lieu, il y en a qui sont entièrement oolithiques, comme par exemple la météorite tombée le 9 décembre 1858 à Montréjeau (Haute-Garonne), et celle tombée à Quenngouck, dans l’Inde, à la suite du bolide dont nous avons précédemment reproduit l’apparence. (Voy. première partie.) Enfin certaines pierres grises, des plus intéressantes comme on verra, sont bréchoïdes, c’est-à-dire résultent de la réunion de fragments distincts de roches reliés entre eux par un ciment. C’est exactement la structure que nous offrent beaucoup de roches terrestres, telles que les brèches de froissement de beaucoup de filons et les pépérinos de nos volcans.

Parmi ces brèches extra-terrestres sur lesquelles il nous faudra revenir, la pierre de Saint-Mesmin (Aube), tombée le 30 mai 1866, présente des fragments blancs empâtés dans une substance foncée, et la météorite tombée le 28 février 1857 à Parnallee, dans l’Inde, étudiée lithologiquement, a révélé l’existence de fragments appartenant à douze espèces différentes de roches.

La troisième division des sporadosidères, celle qu’on appelle des kryptosidères, parce que le fer s’y dérobe à la vue et ne devient sensible qu’à la faveur de certaines expériences, est beaucoup moins nombreuse que les précédentes. Elle renferme des masses dont plusieurs sont intéressantes par leur comparaison avec diverses roches terrestres. En tête figurent les météorites alumiueuses appelées eukrites par Gustave Rose, et qui sont remarquables par l’éclat de leur croûte rappelant un vernis, caractère dû à leur grande fusibilité relative. Pendant le passage de la pierre au travers de l’atmosphère, la couche superficielle a ruisselé dans certains cas et produit des bourrelets dont la disposition permet de retrouver la situation du projectile. C’est par l’étude de ces bourrelets que l’on arrive à distinguer chez les météorites le côté d’avant du côté d’arrière. Les eukrites sont essentiellement formées par le mélange cristallin et grenu d’un feldspath (anorthite ou labrador) avec le pyroxène augite. Or c’est rigoureusement la composition de certaines laves volcaniques terrestres et spécialement de celles du volcan islandais appelé Thjorza. La chute de ces météorites est rare, et les collections n’en représentent guère que cinq. Deux ont eu lieu en France, à Jonzac (Charente-Inférieure), le 13 juin 1819, et à Juvinas (Ardèche), le 15 juin 1821.

Au nombre des kryptosidères se trouve un autre type remarquable par le même genre d’intérêt, c’est-à-dire reproduisant une roche terrestre. C’est celui qui a fourni la chute observée à Chassigny, dans la Haute-Marne, le 3 octobre 1815. Cette pierre est formée du mélange de péridot granulaire avec le fer chromé, exactement comme les fragments cités tout à l’heure dans le fer d’Atacama. C’est une roche qu’on retrouve sur la terre, sous le nom de dunite, à la Nouvelle-Zélande, où elle constitue de hautes montagnes d’après M. de Hochstetter, ainsi qu’à Bourbon et en France, dans l’Ardèche, où elle se trouve en fragments empâtés dans certains basaltes.

Enfin nous mentionnerons comme kryptosidère la météorite si singulière tombée le 25 mars 1843 à Bishopville, Caroline du Sud. Elle se distingue à première vue par la blancheur de lait de sa substance, qui est constituée par le minéral magnésien que les minéralogistes appellent eustatite, et par sa croûte que nous avons déjà mentionnée comme étant presque blanche, au lieu d’être noire comme à l’ordinaire.

Nous aurons terminé la longue revue des types de météorites quand nous aurons dit quelques mots des étranges masses de la section des asidères, plus connues sous le nom de météorites charbonneuses. Ces météorites renferment, outre du charbon libre, des composés hydroxycarbonés analogues à ceux de la chimie organique. Aussi ont-elles arrêté l’attention des physiologistes en même temps que celle des minéralogistes. Il y avait lieu, en effet, de se demander si ces composés remarquables, analogues à ceux qui dérivent par altération de nos matières végétales, avaient pu se produire sans le concours des vivants, et l’on comprend les conséquences auxquelles cette découverte aurait conduit. Mais, d’après les expériences synthétiques de M. Berthelot, il ne semble pas que la collaboration de la vie soit indispensable à la formation des corps dont il s’agit, et ceux-ci peuvent être comparés jusqu’à un certain point aux bitumes de nos volcans.

Stanislas Meunier.

La suite prochainement.