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LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL.

(Suite. — Voy. première partie.)

On a admis, pendant fort longtemps, que les météorites des diverses chutes étaient identiques entre elles, sous tous les rapports, ou au moins fort peu différentes les unes des autres. Cette opinion, pour le dire en passant, a même été fort utile, pour amener les savants à reconnaître la réalité du phénomène qui nous occupe : de ce que les pierres étaient toutes semblables entre elles, on concluait plus aisément que leur origine était commune. Aujourd’hui, au contraire, on a reconnu qu’il existe autant de variétés entre les météorites qu’entre les roches terrestres, et on en est même arrivé à ce point que leurs caractères communs se bornent à fort peu de chose. Ce qui frappe tout d’abord, quand on regarde une série de météorites, c’est l’irrégularité de leur forme extérieure. Leurs angles, sans doute vifs à l’origine, sont émoussés comme par l’effet d’un frottement énergique ou longtemps continué : il suffit, en effet, de les comparer aux blocs de roches terrestres, ayant subi l’exercice d’actions analogues pour reconnaître une identité dans les formes générales. Un second caractère général des météorites est l’existence, à leur surface, d’une écorce noire extrêmement mince et tout à fait caractéristique. Toutefois, elle n’est pas identique chez les diverses météorites. Ordinairement d’un noir mat, elle est, au contraire, très-luisante chez certaines pierres que nous citerons tout à l’heure ; et même une météorite tombée, en 1843, à Bishopville, aux États-Unis, offre une croûte luisante qui est presque blanche. À part ces deux caractères de forme fragmentaire et de surface vernissée, les masses qui tombent du ciel ne nous offrent rien de général à noter ; en les examinant nous verrons surgir entre elles de profondes différences.

Lorsqu’on passe en revue une collection de ces corps, ce qui attire nécessairement l’attention, c’est l’existence, parmi elles, de masses n’ayant aucuns analogues parmi les roches terrestres : elles sont composées de fer métallique compacte. On les désigne depuis très-longtemps sous le nom de fers météoriques, et, par opposition, d’autres sont appelées pierres météoriques. Entre ces deux termes extrêmes on trouve des masses qui établissent des transitions presque insensibles.

Ce fait de la présence ou de l’absence du fer métallique paraît être le meilleur caractère pour faire les grandes divisions parmi les météorites. Mais, en examinant les choses de plus près, on reconnaît que les pierres absolument dépourvues de ce métal sont extraordinairement rares. La plupart des météorites contiennent à la fois, et, même quand la première apparence ne le ferait pas croire, du fer et de la pierre en proportion d’ailleurs extrêmement variable. Mais la situation relative de ces minéraux est loin d’être toujours la même. Tantôt la pierre est à l’état de grains englobés dans le fer, tantôt, au contraire, le métal est en grenailles disséminées dans la pierre. C’est d’après de pareilles considérations que M. Daubrée a établi chez les météorites les quatre grandes divisions que représente le tableau ci-dessous :

Météorites 
Contenant du fer métallique 
Ne contenant pas de pierre 
Holosidères.
Contenant à la fois du fer et des matières pierreuses. 
Le fer constituant un réseau où sont englobés des grains pierreux. 
Syssidères.
Le fer constituant des grenailles disséminées au milieu d’une gangue pierreuse. 
Sporadosidères.
Ne contenant pas de fer métallique
Asidères.

Les holosidères, ou fers météoriques, constituent des roches très-singulières, non-seulement si on les compare aux roches terrestres, mais même si on les compare aux autres météorites. Ils sont formés d’un métal compacte tout à fait pareil, pour l’aspect et les principales propriétés physiques, à l’acier le mieux fabriqué. La chute de ces fers est beaucoup plus rare que celle des météorites des autres groupes. Ainsi, depuis plus de 120 années, on n’a observé dans l’Europe entière que quatre chutes d’holosidères, et même l’une de ces chutes est douteuse. Elles ont eu lieu à Hraschina, près d’Agram, en Croatie, le 26 mai 1751 ; à Eaufromont, dans les Vosges, en décembre 1842 (c’est celle-ci qui est douteuse) ; à Braunau, en Bohême, le 14 juillet 1847 ; enfin à Tabarz, en Thuringe, le 18 octobre 1854. Cette rareté contraste avec le nombre relativement très-grand des chutes de pierres. Pendant ces mêmes 120 ans, qui n’ont fourni que 4 fers, le ciel a laissé tomber sur l’Europe plus de 190 pluies de pierres, dont plusieurs se composaient de milliers de météorites distinctes les unes des autres.

Quoi qu’il en soit, on connaît, à la surface du globe un nombre considérable de blocs métalliques qui sont évidemment d’origine météorique, quoique leur chute n’ait pas eu de témoins. Malgré cette circonstance, on les reconnaît comme météoriques, avec autant de certitude que si on les avait vus tomber et cela, parce qu’ils présentent toute une série de caractères qu’aucune roche terrestre ne peut nous offrir et qu’on retrouve dans les masses fournies par les chutes observées. Disons un mot des principaux de ces caractères.

Souvent les fers météoriques sont ductiles et malléables. La collection du Muséum contient plusieurs barreaux forgés avec le métal céleste. Il suit de là que certains sauvages utilisent le fer météorique à la fabrication d’ustensiles qu’ils seraient contraints, sans cela, de façonner avec de la pierre, et la collection renferme, par exemple, une petite hachette de ce genre, provenant des Esquimaux. De même, les peuples civilisés utilisent aussi le fer météorique, mais plutôt pour le convertir en objets d’ornement qu’en ustensiles ou en outils. Un des derniers empereurs de Russie avait une épée faite du métal extra-terrestre, et M. Boussingault raconte que Bolivar en avait une de même nature. Parfois cependant le fer météorique est trop cassant pour se prêter aux usages ordinaires de ce métal. C’est, par exemple, ce qui se présenta pour le fer tombé, en 1620, devant D’Geban Guir, l’empereur du Mogol, qui ne put en obtenir des armes qu’après y avoir fait ajouter une forte proportion de fer doux. La collection du Jardin des plantes, renferme plusieurs fers qui se pulvérisent sous le choc du marteau.

Fig. 1. — Holosidère découvert à Caille (Alpes-Maritimes), en 1828, et montrant à la fois les figures de Widmannsætten et un rognon cylindroïde de sulfure de fer, appelé troïlite. (Grandeur naturelle)

Quant à la composition des holosidères, elle n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire et contraste avec celle de l’acier. Cependant l’analyse chimique donne des résultats, en général peu compliqués, mais qui, comme on va le voir, ne rendent pas compte de la nature spéciale de chaque fer. Ainsi, M. Rivot, analysant le célèbre fer de Caille, sur lequel nous reviendrons dans un moment, y a trouvé :

Fer 
93,3
Nickel 
6,2
Silicium 
0,9
Cobalt, chrome 
traces
  100.4

Ces nombres fournissent évidemment des notions très-utiles, mais ces notions sont très-incomplètes. Un coup d’œil suffit, en effet, pour montrer que le fer analysé n’est pas un minéral défini, semblable à lui-même dans toutes ses parties, mais que, comme la plupart des roches, il consiste dans le mélange de plusieurs minéraux différents. Outre le fer nickelé, qui constitue la masse principale, on y voit de gros rognons cylindroïdes, d’une matière spéciale appelée troïlite, que l’on observe très-bien sur notre figure 1, et qui est formée d’un sulfure particulier de fer et de nickel. Sous l’influence des agents atmosphériques, ce sulfure, très-attaquable, disparaît peu à peu et laisse vide la place qu’il occupait ; c’est par cela que le gros échantillon de Caille est tout lardé de cavités cylindroïdes, que pendant longtemps on a cru forées artificiellement. Autour de la troïlite on reconnaît des couches concentriques de graphite tout à fait analogue à la mine de plomb et qui pourrait, comme elle, servir à la fabrication des crayons. Enfin, dans certaines régions du fer, on reconnaît des amas d’une matière métallique spéciale, appelée schreibersite, et qui est formée par la combinaison du phosphore avec le fer, le nickel et le magnésium.

Mais ceci n’est pas encore tout. Le fer nickelé, que nous considérons comme simple, est lui-même très-complexe. Une expérience très-ingénieuse, imaginée par le physicien Widmannstætten, montre qu’il consiste dans l’assemblage de lamelles formées d’alliages définis mais différents les uns des autres.

Pour faire l’expérience de Widmannsætten, on produit sur un fer une surface plane, puis on la polit avec soin et, cela fait, on la soumet à l’action d’un acide, de l’acide chlorhydrique par exemple. Au lieu de s’attaquer uniformément, comme ferait du fer terrestre, le métal céleste laissa apparaître un réseau admirablement dessiné, que l’habile crayon de M. Jahandier a su reproduire figure 1, et qui doit son origine à ce que divers alliages, inégalement attaquables, occupent les uns vis-à-vis des autres des situations très-régulières. En poussant l’attaque à un degré convenable, la surface primitivement lisse du fer se transforme en un véritable cliché d’où l’on peut tirer des épreuves comme d’une planche gravée. Les divers alliages qui sont associés dans la figure de Widmannstætten sont, comme nous l’avons dit, parfaitement définis ; on a pu les isoler, les purifier, les analyser, et c’est alors seulement qu’il a été possible de classer les holosidères, c’est-à-dire de séparer ceux qui sont réellement différents les uns des autres et de rapprocher ceux qui sont analogues. En opérant ainsi, on a vu, par exemple, les 70 chutes de fer météorique, que possède le Muséum, se répartir entre 11 types parfaitement définis, dont chacun a pu se présenter à diverses reprises.

Nous insistons sur cette dernière remarque qui reviendra pour d’autres météorites et qui sera fertile en enseignements. Pour montrer comment des fers de chutes différentes peuvent être rigoureusement identiques, il suffira de dire que précisément les trois plus gros blocs de notre grande collection nationale appartiennent à un même type. Le moins volumineux, pesant 104 kilogrammes, et remarquable par sa forme conique, a été découvert au Chili en 1866, par don Lisara Fonseca, propriétaire dans les Andes, qui voyageait dans le but de découvrir des filons métallifères. Il avait avec lui plusieurs mineurs et 25 mules. Après trois mois des recherches les plus pénibles et d’ailleurs complètement infructueuses, il ne lui restait plus, le 15 novembre 1866, que 14 mules qui pouvaient à peine marcher, quand, traversant un endroit sablonneux et aride, dans la région la plus élevée des Andes, entre Pœdernal et le Rio Juncal, son attention fut attirée par un gros bloc, qu’il ne se décida à emporter que parce qu’il le crut d’argent natif. Ce n’est qu’à très-grand’ peine qu’il parvint à l’amener à Nantoco, dans la vallée de Copiapo, où l’on reconnut sa véritable nature.

Fig. 2. — Syssidère découvert en 1776, à Krasnojarsk (Sibérie), par le naturaliste russe Pallas. Cette météorite consiste en une éponge de fer métallique englobant de petits cristaux de péridot. On l’appelle souvent fer de Pallas. (Demi-grandeur naturelle).

La seconde masse en poids de fer météorique du Muséum est célèbre dans la science pour avoir été découverte en 1828, par Brard, à la porte de l’église du petit village de Caille (alors Var, aujourd’hui Alpes-Maritimes). On la connaissait, dans le pays, sous le nom de la pierre de fer, et on prétendait qu’elle avait été trouvée 200 ans auparavant sur la montagne voisine d’Audibert, à la suite d’un violent orage. Elle pèse 540 kilogrammes. C’est un petit fragment de ce fer que représente notre figure 1. Enfin la plus grosse de toutes, du poids de 780 kilogrammes, a été rapportée de Charcas, Mexique, en 1866, par l’armée expéditionnaire. Ce fer était enchâssé dans le mur de l’église, où on lui vouait un culte particulier ; les femmes surtout lui étaient dévotes, croyant fermement qu’il pouvait, en échange d’offrandes, les soustraire à l’horreur de la stérilité. Nos soldats ont pris le fétiche, on l’a placé au Muséum sur un socle avec une étiquette, on l’a scié, poli, analysé, — et l’on ne dit pas que le chiffre de la population mexicaine ait sensiblement baissé.

On a vu, tout à l’heure, que la seconde division des météorites consiste en fer, renfermant çà et là des grains pierreux : ce sont les syssidères. Or certains fers proprement dits, renfermant à l’état microscopiques des cristaux de nature pierreuse, établissent, entre les deux premières divisions, une transition insensible. Du nombre peut être cité le fer trouvé à Tuczon, au Mexique, en 1846, et qui contient plus de 5 % de petits cristaux de péridot disséminés dans sa masse. Les véritables syssidères sont beaucoup moins nombreux que les fers proprement dits. Pour les étudier, la méthode décrite pour ces derniers est applicable. Leur portion métallique se prête à l’expérience de Widmannstætten, et l’on reconnaît souvent alors qu’elle consiste en divers alliages, qui se sont concrétés autour des grains pierreux. Ce point est très-important, en ce qui concerne l’origine de ces curieuses masses. La nature des grains pierreux est variable suivant les cas et leur étude est très-instructive.

L’un des syssidères le plus célèbre est celui qu’on appelle le fer de Pallas, et dont la figure 2 donne la représentation. C’est comme une éponge de fer dont les vacuoles sont remplies de cristaux parfaitement nets du minéral appelé péridot. Il fut trouvé, en 1776, par l’illustre naturaliste russe Pallas, à Krasnojarsk, en Sibérie, où l’avait apporté peu de temps avant un cosaque forgeron. Celui-ci l’avait trouvé sur une haute montagne voisine de l’Iénisséi, et son aspect, absolument différent de toutes les roches du pays, avait conduit les habitants à lui attribuer des vertus surnaturelles. La masse pesait 700 kilogrammes, et l’on peut voir, au Muséum, un moulage en carton qui reproduit sa forme originelle ; mais elle a été débitée en un nombre immense d’échantillons, répartis entre les diverses collections du monde.

Parmi les autres masses, faisant partie du groupe des syssidères, nous devons en citer deux dont la nature est particulièrement significative en ce qui concerne l’origine des météorites. L’une d’elles provient du désert d’Atacama, au Chili. À première vue, elle ressemble beaucoup au fer de Pallas, et sa partie métallique est même identique à celle de celui-ci, mais sa portion pierreuse en diffère tout à fait. Au lieu d’être formée par des cristaux de péridot, elle consiste en fragments anguleux d’une roche appelée dunite, et qui se compose de péridot granulaire associé à du fer chromé. La seconde masse, vient aussi du Chili, de la cordillère de Deesa, près de Santiago, et présente des caractères tout à fait exceptionnels ; sa portion métallique, quoique de même composition que le fer de Caille, ne donne pas par les acides les figures de Widmannstætten, et sa portion pierreuse consiste en fragments irréguliers d’une roche noire, très-dure et très-complexe elle-même de composition. Le fer de Deesa joue un très-grand rôle dans ce que nous appellerons la géologie des météorites.

Stanislas Meunier.

La suite prochainement.