(3/5)

(4/5)

(5/5)

LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL

Jusqu’ici on ne connaît que quatre chutes bien constatées de météorites charbonneuses. Chronologiquement, ce sont celles d’Alais (Gard) le 15 mars 1806 ; de Cold-Bokkeweld, cap de Bonne-Espérance, le 13 octobre 1838 ; de Kaba, Hongrie, le 15 avril 1857, et d’Orgueil (Tarn-et-Garonne), le 14 mai 1864. Cette dernière, dont un échantillon est représenté dans la figure ci-dessous, a été spécialement étudiée. M. Cloëz a pu en isoler la matière organique pour la soumettre à l’analyse, et lui a trouvé une composition qui la rapproche tout à fait de la matière humique que l’on trouve dans les tourbes et les lignites et des substances dites résines fossiles, comme l’ozokérite et la scheerérite.

Dans les météorites charbonneuses, le charbon libre et les matières organiques sont mélangées à des particules pierreuses dont les plus abondantes consistent en silicates magnésiens hydratés voisins de la serpentine. On y trouve aussi de la pyrite magnétique, des cristaux de breunérite ou carbonate double de fer et de magnésie, et enfin des sels solubles tels que le chlorhydrate d’ammoniaque, le chlorure de sodium, le sulfate de soude, etc., etc. C’est une composition qui, comme on le voit, diffère profondément de celle de toutes les autres météorites. Une propriété très-remarquable des pierres charbonneuses est de se désagréger complètement sous l’influence de l’eau, pour reprendre d’ailleurs leur cohésion première sous l’action de la dessiccation. Il résulte de là que si le bolide d’Orgueil, par exemple, au lieu d’arriver par un jour serein, avait traversé des couches d’air chargées d’humidité ou des nuages, au lieu de donner des pierres, il aurait fourni une poudre et peut-être même une boue. Or, ce cas s’est nécessairement réalisé dans une foule de circonstances, et c’est ainsi que s’expliquent les chutes de poussières observées fréquemment après l’explosion de bolides. Un des exemples les plus nets à cet égard se produisit à Montréal, au Canada, les 3 et 4 juillet 1814 et en novembre 1819. Les poussières tombées dans ces deux circonstances étaient semblables et caractérisées par leur couleur noire. La pluie de 1819 est la mieux étudiée, et il est probable, d’après la description qui en a été donnée, que sa composition était fort voisine de celle des météorites charbonneuses. Le phénomène fut surtout sensible à Montréal même ; le ciel s’obscurcit de plus en plus jusqu’à ce que les ténèbres fussent complètes. On entendit dans les airs des détonations formidables accompagnées de lueurs intenses que l’on prit pour des éclairs. L’opinion générale fut qu’un orage remarquable par sa violence coïncidait avec l’incendie d’une forêt voisine qui donnait naissance à la suie qui tombait. Ce n’est que plus tard, en discutant les circonstances du phénomène, que l’on arriva à reconnaître sa nature météorique.

Beaucoup d’autres exemples pourraient être énumérés ; il suffira de rappeler le suivant. Le 14 mars 1813, il tomba à Cutro, en Calabre, des météorites accompagnées des phénomènes de lumière et de bruit que nous avons décrits et qui ne manquent jamais en pareille circonstance. Mais, chose remarquable, en même temps que ces pierres, il tomba une grande quantité de poussière. De plus, cette poudre ne tomba pas seulement à l’endroit où l’on recueillit des pierres ; elle couvrit la Calabre, la Toscane et le Frioul. Le vent, qui depuis deux jours avait soufflé de l’est, se renforça le 14 mars, et une nuée dense qu’on voyait sur la mer parut s’approcher du continent. Vers deux heures un quart après midi, le vent se calma un peu ; mais la nuée qui avait couvert toutes les montagnes commença à obscurcir la lumière du jour et à prendre un aspect menaçant. Sa teinte n’était plus rougeâtre comme on l’avait vu de loin, mais véritablement de couleur de feu, ou plutôt comme du fer rouge. À quatre heures et demie, les ténèbres furent complètes et l’on fut obligé d’allumer les lumières dans les maisons ; le peuple effrayé courut en foule dans la cathédrale, où il força le prêtre qui prêchait le carême et le vicaire capitulaire lui-même à monter en chaire pour se mettre en prières. À peine le sous-préfet en eut-il connaissance qu’il se rendit à l’église pour tâcher de calmer le peuple, mais réfléchissant au danger qu’il courait en se mettant en opposition avec une impulsion populaire aussi prononcée ; il se fit remplacer par quelques prêtres. La précaution fut inutile. Vers cinq heures, les clameurs redoublèrent. Le ciel était rouge jaunâtre, la lumière du soleil presque totalement obscurcie, et le côté du nord offrait déjà d’épaisses ténèbres. Quoique la mer soit éloignée de près de six milles, ses mugissements profonds arrivaient presque dans la ville ; on entendit des bruits sourds dans l’air sillonné par des éclairs. Alors commencèrent à tomber de grosses gouttes d’eau chargées d’une poudre rougeâtre qu’on prit pour du sang, et que d’autres crurent être une pluie de feu. Dans cet état de choses, une circonstance extraordinaire mit le comble à la terreur. Le feu prit à une maison de la ville, et le spectacle en devint bien plus imposant encore ; alors la populace ne connut plus de frein ; elle crut à la fin du monde, l’incendie étant à ses yeux le commencement de la déflagration universelle. Le peuple courait çà et là en poussant des cris et des hurlements lamentables. Les uns tendaient les bras aux prêtres en les suppliant de les confesser sur l’heure ; ceux qui n’en avaient pas à leur portée se confessaient en public et à haute voix, d’autres se donnaient la discipline, d’autres se frappaient le visage et la poitrine et s’arrachaient les cheveux en attribuant à leurs péchés le fléau qui allait punir la race entière. On demanda à grands cris de porter en procession les images des saints, ce qui fut accordé de suite comme le seul moyen de prévenir les désordres inévitables dans un rassemblement pareil. On sortit donc les statues, et le peuple se mit jusqu’au soir autour d’elles en faisant retentir l’air de ses prières et de ses cris. Vers la nuit, le ciel commença à s’éclaircir, les éclairs cessèrent ainsi que la pluie, et le peuple se rassura, surtout lorsque la cause de l’incendie fut connue et que ses progrès furent arrêtés.

Le fait observé à Cutro que des pierres sont accompagnées de poussière est sans doute très-fréquent, mais d’ordinaire, il passe inaperçu. Il a été revu le 1er janvier 1869, lors de la chute de Hessle, en Suède, et cela grâce au tapis de neige qui couvrait la campagne et sur lequel apparaissait facilement la poudre charbonneuse qui entourait chaque météorite.

Il est probable que cette poudre joue un grand rôle dans la formation et la persistance des traînées des bolides ; puis elle doit se mêler souvent à l’air d’une manière intime et retomber très-lentement. Ce qui le prouve, ce sont les récentes observations faites par M. Nordenskiold sur la neige, recueillie dans plusieurs régions septentrionales. À la suite d’une neige extraordinairement abondante qui eut lieu aux environs de Stockholm, il en recueillit la portion la plus superficielle, c’est-à-dire la plus propre, et, l’ayant faite fondre, il en isola à son grand étonnement une poudre noire consistant en matière organique riche en carbone et en paillettes de fer métallique, c’est-à-dire ressemblant tout à fait à la poussière qui accompagnait les pierres de Hessle. L’expérience, répétée loin des lieux habités qui pouvaient introduire et causer des erreurs, c’est-à-dire dans l’intérieur de la Finlande et au Spitzberg, donna les mêmes résultats. La neige et la pluie amènent donc des poussières cosmiques en petite quantité.

Ce fait est à rapprocher de la curieuse découverte faite par Reichenbach de la présence constante dans la terre végétale de substances telles que le nickel et le phosphore, qui sont les plus caractéristiques des météorites et qui doivent également être apportées à l’état de poudre impalpable. Il monta sur le Lahisberg, en Autriche, qui est une montagne conique haute de 300 à 400 mètres, couverte à son sommet d’un bois de hêtre. Il pénétra dans le taillis, y choisit un endroit que probablement le pied de l’homme n’avait jamais foulé, et ramassa quelques poignées de terre qu’il soumit à l’analyse. Il y trouva des traces de cobalt et de nickel. Des échantillons pris sur le Haindelberg, sur le Kallenberg et sur le Dreymarckstinberg, montagnes voisines de la première, conduisirent aux mêmes résultats, et l’analyse du sol de la plaine appelée le Marchfeld révéla également les traces du nickel. Ces faits sont d’autant plus significatifs que le massif de montagnes qui vient d’être cité est composé de grès et de calcaire où l’on n’a jamais trouvé le moindre filon métallique.
Asidère, ou météorite charbonneuse, tombée le 14 mai 1864 à Orgueil (Tarn-et-Garonne), et consistant en une matière de composition analogue à celle des substances ligniteuses et tourbeuses. (Demi-grandeur naturelle.)

Il résulte de ces intéressantes remarques que la matière météorique est appelée à entrer dans le cycle de la vie organique terrestre ; l’altération des matières métalliques fournit aux plantes une certaine quantité d’éléments assimilables qui parcourent dès lors la série si variée des transformations que l’on connaît. Ce que nous avons dit de l’origine des poussières fait comprendre qu’il peut aussi tomber des boues météoriques. À un certain degré d’humidité, la pierre d’Orgueil prend les caractères d’une pâte plastique et rappelle à tous égards les substances visqueuses dont la chute a été enregistrée à maintes reprises comme suivant l’explosion de certains bolides. Ces substances ont été quelquefois signalées comme répandant une odeur fétide, ce qui doit porter à les considérer comme étant de nature organique et comme se rapprochant par conséquent des météorites charbonneuses. C’est par une transition insensible que nous sommes amenés à nous demander s’il n’arrive pas quelquefois des liquides et des gaz météoriques. On peut croire que ce sont de pareilles matières qui entrent dans l’atmosphère sous la forme de ces bolides dont l’explosion ne paraît rien fournir. D’ailleurs on connaît des liquides et des gaz météoriques à l’état de gouttelettes emprisonnées dans les cristaux de certaines météorites pierreuses ; M. Sorby l’a démontré dans une foule de circonstances. De même les fers météoriques contiennent souvent des gaz retenus par occlusion et qui doivent éclairer sur les conditions dans lesquelles ces fers se sont produits, exactement comme les gaz de fer terrestre pourraient renseigner, s’il en était besoin, sur l’allure du fourneau qui les produit.

Stanislas Meunier.

La suite prochainement.