Les Merveilles de la science/L’art de l’Éclairage - Supplément

Furne, Jouvet et Cie (Tome 2 des Supplémentsp. 385-520).
SUPPLÉMENT
à
L’ART DE L’ÉCLAIRAGE

L’art de l’éclairage, public ou privé, comprend :

1° L’éclairage par les corps gras liquides (huiles) ;

2° L’éclairage par les corps gras solides (chandelle et bougie stéarique) ;

3° L’éclairage par le gaz ;

4° L’éclairage électrique ;

5° Enfin, l’éclairage par les hydro-carbures (huile de schiste et pétrole).

Dans les Merveilles de la science[1], nous avons étudié ces divers modes d’éclairage, au point de vue historique et technique. Nous avons, dans ce Supplément, à faire connaître les perfectionnements qui leur ont été apportés depuis l’année 1870 jusqu’à ce jour.

Des différents procédés d’éclairage énoncés plus haut, les deux premiers sont restés stationnaires. Les appareils d’éclairage par les huiles, c’est-à-dire les lampes à modérateur et les lampes Carcel, ne diffèrent point de ceux que nous avons décrits ; et d’autre part, les procédés d’extraction et de préparation des huiles et de la stéarine n’ont subi aucune modification digne d’être signalée. On voyait, dans les galeries de l’Exposition universelle de 1889, les produits de la stéarinerie des principales nations des deux mondes, et sauf quelques modifications, d’importance secondaire, apportées à la préparation de la stéarine par la distillation des corps gras, les appareils ne différaient que bien peu de ceux que nous avons longuement décrits dans les Merveilles de la science.

L’industrie du gaz a réalisé, depuis 1870, quelques progrès, qui ont porté surtout sur le mode de combustion du gaz, c’est-à-dire ont consisté dans l’adoption de becs nouveaux servant à assurer une lumière, à la fois plus puissante et plus économique ; mais les procédés mêmes de la préparation du gaz au moyen de la houille, et l’emploi des sous-produits de la distillation du charbon de terre, sont restés sans variations. Nous n’aurons, par conséquent, en ce qui concerne l’industrie du gaz, qu’à signaler les nouvelles dispositions de becs et l’emploi de substances éclairantes que l’on mélange quelquefois au gaz, à l’état de vapeurs, pour accroître son pouvoir lumineux.

Si l’industrie du gaz n’a que fort peu progressé, on ne peut en dire autant de celle des hydrocarbures liquides, non pour l’huile de schiste et les mélanges d’alcool et d’essence de térébenthine, qui ont, au contraire, perdu beaucoup de terrain, mais en ce qui concerne le pétrole. Il y a eu un bond immense dans la consommation de ce liquide éclairant, par suite de l’invention de nouveaux artifices pour la combustion de ses vapeurs amenées au bec. La construction des lampes Linck, ou lampes à deux mèches, a provoqué une véritable révolution dans l’usage du pétrole. Exclu des appartements, en raison des dangers auxquels exposait son maniement, le pétrole, grâce à ces nouveaux becs, est devenu d’un usage absolument sans danger. L’odeur qui le décelait et le caractérisait autrefois, ainsi que sa dangereuse inflammabilité, ont complètement disparu ; si bien que ce liquide naturel, si longtemps proscrit de nos demeures, jouit aujourd’hui d’une vogue incontestable, et qu’il fait une concurrence sérieuse à l’huile à brûler, à la bougie stéarique et au gaz.

Mais de tous les modes d’éclairage, celui qui a pris, depuis 1870, le plus prodigieux développement, c’est l’éclairage électrique.

Nous avons signalé, dans les Merveilles de la science, les premiers débuts de l’éclairage par l’électricité, et constaté les doutes qui étaient émis en 1870, sur son avenir. Aujourd’hui, par un coup de baguette magique, pour ainsi dire, l’éclairage électrique, dont on a si longtemps désespéré, a pris possession des rues et places des grandes villes, des magasins, des lieux publics et des théâtres ; et l’électricité appliquée à l’éclairage forme maintenant une science et un art, qui ont de savants maîtres, de splendides ateliers, qui occupent des milliers d’ouvriers, et nécessitent un grand nombre d’ingénieurs, uniquement consacrés à son service.

D’après les considérations qui précèdent, nous aurons à traiter, dans ce Supplément :

1° Des progrès de l’industrie du gaz, particulièrement de la construction des nouveaux becs, depuis 1870 ;

2° De l’éclairage électrique, dans son ensemble et dans ses détails ;

3° Des perfectionnements apportés à l’extraction du pétrole, et de la forme et du mécanisme des becs où il est brûlé.


CHAPITRE PREMIER

les becs intensifs, pour l’accroissement de la puissance de l’éclairage par le gaz. — les becs à gaz réchauffé. — le bec siemens. — les becs delmas, bandsept, etc. — l’enrichissement du gaz par des vapeurs carburées. — l’albo-carbon et le bec déry. — substances étrangères introduites dans la flamme, pour en accroitre l’incandescence. — le bec clamond. — le bec popp. — le bec auer de welsbach.

Devant les progrès incessants de la lumière électrique, les Compagnies de gaz ont dû chercher à perfectionner leur éclairage, à accroître la puissance de leurs foyers lumineux. C’est sous cette impulsion du progrès qu’ont été créés ce que l’on nomme aujourd’hui les becs à gaz intensifs, lesquels, composés d’une réunion de plusieurs flammes de gaz, produisent un effet lumineux considérable.

C’est dans la rue du Quatre-Septembre, à Paris, que l’on fit, pour la première fois, en 1878, l’expérience de ces becs : de là le nom, assez impropre, de becs de la rue du Quatre-Septembre, qu’on leur donna quelque temps, et qui a fait place aujourd’hui au nom, plus logique, de bec intensif.

L’accroissement notable d’effet lumineux est obtenu tout simplement par la réunion de six becs ordinaires, dits papillons. Ces six becs brûlent au milieu d’une coupe en cristal taillé, qui diffuse et égalise la lumière.

Au-dessus de la coupe est un chapeau métallique, très poli, qui fait l’office de réflecteur (fig. 303).

Fig. 303. — Bec à gaz intensif.

Les becs intensifs sont placés à une hauteur de 3m,20, et donnent, chacun, l’éclairage de 14 becs Carcel. Chaque bec n’éclaire pourtant que 180 mètres en surface ; ce qui le laisse bien au-dessous de l’effet lumineux de l’arc électrique.

Les becs intensifs sont aujourd’hui très répandus. Ils donnent un éclairage à la fois puissant et agréable. C’est ainsi que la rue de la Paix, à Paris, pourvue, de chaque côté, d’une rangée de lanternes à gaz, à bec intensif, présente vraiment, chaque soir, l’aspect d’un salon.

Les becs intensifs n’ont rien de scientifique, puisque tout l’outillage s’est réduit à réunir un certain nombre de becs de gaz, pour accroître l’effet éclairant ; mais on a développé une véritable science dans les combinaisons qui ont présidé à la création des becs dits réchauffeurs de gaz.

Deux facteurs seulement interviennent dans la solution du problème consistant à accroître l’effet lumineux d’un bec de gaz ; ce sont l’air et le gaz lui-même. Par l’invention des nouveaux brûleurs, on est arrivé à tirer un parti très important, comme rendement lumineux, de la chaleur provenant de la combustion du gaz.

L’artifice a consisté à utiliser la chaleur produite par la combustion du gaz, pour chauffer l’air, qui doit alimenter cette même combustion. En effet, le pouvoir éclairant d’un gaz est d’autant plus fort que l’air qui l’alimente est plus chaud. C’est un principe qui a été de bonne heure reconnu par les physiciens.

Ce principe est commun à tous les becs à gaz réchauffé, qui ont été construits de nos jours. Nous décrirons les principaux, en commençant par le bec Siemens.

Fig. 304. — Bec à gaz Siemens.
k, brûleur ; L, cheminée.

Le bec Siemens (fig. 304) est un véritable appareil de physique, ayant pour but de chauffer le gaz par sa propre combustion avant de l’amener au bec où il doit se brûler. Il est constitué par trois chambres concentriques, en bronze, A, B, C (fig. 305).

Fig. 305. — Coupe du bec à gaz Siemens.

Le gaz est introduit par un tuyau b dans la chambre annulaire B (3e figure, coupe suivant ZZ), où il se détend et arrive à n’avoir plus qu’une pression presque nulle ; il sort de cette chambre par un tube annulaire, C, constitué par une série de petits tubes verticaux de 5 à 6 millimètres de diamètre t (2e figure, coupe suivant YYY).

À la sortie de ces tubes, il se mélange avec l’air qui débouche en o (1re  figure), après s’être élevé dans la chambre A et avoir léché les parois des chambres intérieures.

La combustion s’effectue donc en o (fig. 305, 1re  figure), et la nappe lumineuse, formée par la juxtaposition des petits jets de gaz s’élève tout d’abord, puis se renverse, grâce à l’appel d’une cheminée latérale, L (fig. 304) autour d’un cylindre en matière réfractaire n, dont elle vient déborder l’arête supérieure en rentrant à l’intérieur de la chambre YC (fig. 305). Les parois de cette chambre YC se trouvent ainsi portées à une haute température par la seule chaleur des produits de la combustion qui s’échappent par la cheminée latérale.

L’air arrivant en sens inverse s’échauffe progressivement, au contact de ces parois, dans la chambre annulaire A, et atteint une température voisine de 500 degrés lorsqu’il se mélange en o avec le gaz, qui se trouve lui-même chauffé dans la chambre B. Un écran à dents, ou déflecteur, placé en o à la sortie de l’air, divise cet air en une série de lames, et de même un déflecteur placé à deux centimètres environ au-dessus du premier divise les jets de gaz, en sorte que air et gaz se trouvent intimement mélangés à l’intérieur des losanges que l’on voit figurés en coupe dans les deuxième et troisième figures. Grâce à cette disposition, l’intensité lumineuse est triplée.

Le tableau suivant donne les chiffres comparés de l’intensité lumineuse des becs Siemens avec celle des becs papillon ordinaires employés à Paris et celle du bec intensif.

 
Consommation à l'heure.
Intensité lumineuse en carcels.
Consommation par heure et par carcel.
Bec des lanternes de la ville de Paris 
140 lit. 1 ,10 117 lit.
Bec intensif. 
1400   13   105 à 107  
Bec Siemens n° 3 
600   13 à 15 40 à 45  
                    n° 2 
800   20 à 22 38 à 40  
                    n° 1 
1000   46 à 48 33 à 35  

Ainsi, un bec Siemens brûlant 600 litres donne plus de lumière qu’un bec intensif brûlant 1400 litres, et il faut réduire sa consommation à 500 litres environ pour arriver à la même intensité lumineuse.

Le bec Siemens ne diffère pas par son aspect du bec ordinaire, car la cheminée latérale L (fig. 304), dans laquelle le gaz est chauffé, peut être disposée pour servir d’ornement.

Plusieurs villes, en Russie et en Allemagne, ont fait l’essai de ce nouveau système, qui a en sa faveur l’avantage d’une grande économie.

Fig. 306. — Bec à gaz réchauffeur de M. Delmas-Azéma.

Le bec Delmas-Azéma se compose (fig. 306) d’un brûleur en stéatite, enfermé dans un globe ovale, G, de façon que l’air ne puisse pénétrer par-dessous. Ce globe, de la hauteur de la flamme, supporte une cheminée centrale aplatie suivant la forme de la flamme et qui constitue l’appareil réchauffeur. Un plissé, P, destiné à multiplier les surfaces d’échauffement, entoure la cheminée, et s’arrête à 15 millimètres de la partie supérieure. Il est contenu lui-même dans une enveloppe, D, qui embrasse sa partie supérieure et se prolonge à sa partie inférieure où il est fixé au globe, de façon à empêcher toute rentrée d’air.

Ajoutons que tout l’appareil est enveloppé par un troisième tube ovale, C, qui fait autour du globe une saillie uniforme de 40 millimètres et reçoit un réflecteur.

Ces dispositions ont pour but d’obliger l’air, pour arriver au brûleur, à remonter par l’espace annulaire compris entre les tubes ovales C et D, en empruntant aux parties métalliques de ce dernier toute la chaleur due à l’échappement des produits de la combustion par la cheminée centrale.

Il existe deux types de becs donnant sans réflecteur, l’un 1,3 carcel pour 90 litres de gaz, l’autre 2,25 carcel pour 140 litres. Il dépenserait donc 69 ou 62 litres de gaz, pour produire l’effet d’une lampe Carcel.

Le bec à gaz à air chaud de M. Delmas-Azéma est placé dans toutes les lanternes à gaz de la ville de Toulouse, qui économise, par son emploi, une somme annuelle de cent mille francs tout en ayant plus de 2/7 de lumière.

Il existe beaucoup d’autres becs à gaz réchauffé. À l’Exposition universelle de 1889, on voyait, dans le pavillon du gaz, la collection complète de tous les systèmes de ce genre. Nous nous contenterons de citer un de ceux qui furent les plus remarqués. Nous voulons parler du bec multiplex de M. Bandsept, de Bruxelles.

Le gaz a dans l’électricité un rival redoutable, dont il faut, à tout prix, égaler, sinon surpasser, la qualité maîtresse : la puissance lumineuse.

En se jetant dans la même voie que l’électricité, les gaziers ont abandonné, à tort peut-être, leur forte position : le fractionnement de la lumière, inaccessible encore actuellement à l’électricité, dans des conditions suffisamment économiques.

La divisibilité de la lumière est l’apanage du gaz, qui, en passant brusquement d’un extrême à l’autre, c’est-à-dire du bec ancien, ne donnant qu’un éclairage médiocre, au bec intensif, d’un éclat éblouissant, a négligé une transition dont l’absence se fait sentir aujourd’hui.

Les lampes à gaz, à bec intensif, répondent à un besoin spécial, et leur emploi est tout indiqué dans les vastes locaux et les établissements publics. Mais pour les usages domestiques, la lumière du gaz doit être détaillée sur tous les points où elle est nécessaire.

Les becs anciens, tout en répondant à ce programme, ne fournissent pas une clarté suffisante.

Les recherches devaient donc se porter sur la création d’un bec qui, dans les conditions d’économie des brûleurs en usage, produisît une clarté notablement supérieure. Dans ces conditions, le problème change de face. À la méthode du bec intensif, qui consiste à réunir en un point focal les actions calorifiques et lumineuses de masses gazeuses considérables, se substitue un procédé plus direct, permettant de retirer du gaz tout ce qu’il peut donner, même sous un faible volume.

Une telle solution n’est pas sans présenter de difficultés. M. A. Bandsept, ingénieur de Bruxelles, bien connu pour ses importants travaux en matière d’éclairage, est parvenu à en donner une solution simple et pratique, avec son bec multiplex, qui, d’après des expériences sérieuses, possède un pouvoir éclairant de deux carcels et demi, pour une consommation horaire de 125 à 130 litres, c’est-à-dire un carcel pour 50 litres de gaz environ.

Ce rendement est un des plus élevés que l’on puisse obtenir pour un aussi faible débit.

Le bec multiplex est caractérisé par un mode spécial d’éclairage, qu’on ne retrouve pas ailleurs. Son foyer, disposé au centre d’une coupe en verre, envoie ses rayons dans le champ horizontal et à la partie supérieure des espaces à éclairer, tandis que les appareils intensifs actuellement en usage projettent généralement leur lumière de haut en bas.

L’éclairement horizontal, réalisé par le nouveau bec, s’obtient en abaissant la position du brûleur, et en portant celui-ci à une distance assez considérable du conduit d’alimentation intérieure. Or, l’exécution de cette mesure n’est possible que dans les conditions particulières dans lesquelles la flamme est engendrée ici. La flamme monte librement vers la tubulure centrale du récupérateur ; elle est rendue absolument fixe par l’attraction qui s’exerce entre sa zone extrême de combustion complète, et le métal porté au rouge. Cette formation spéciale de la flamme est due à la combinaison des courants d’air intérieur et extérieur, dont l’effet est de ralentir le mouvement ascensionnel du gaz, et de produire la combustion du mélange à la plus basse pression possible, développant ainsi le maximum de pouvoir éclairant.

Ajoutons que la construction très élémentaire de l’appareil donne pour l’allumage la facilité et la sécurité requises dans la pratique, et qu’elle dispense de tout entretien.

Le bec multiplex se compose, comme on le voit dans la figure ci-dessous, d’un petit brûleur vissé sur une colonnette qui se fixe dans la douille du porte-bec. Une couronne métallique b, supportée au moyen de trois tigelles brasées sur le porte-bec, présente une saillie circulaire, sur laquelle repose la coupe en cristal d, dont le col s’engage librement dans la douille inférieure c. La même couronne porte également le distributeur d’air e, surmonté de sa cheminée f, et qui prend toujours la position qui lui est assignée dans l’axe du brûleur, ce qui assure à la flamme sa régularité.

Fig. 307. — Bec à gaz multiplex de M. Bandsept.

Le distributeur d’air, e, est constitué par un nombre impair de carneaux, en forme de V, aboutissant à une tubulure centrale, fermée par une grille sertie sur le bord.

Entre l’extrémité de cette tubulure et le brûleur, on ménage une distance déterminée d’après le volume de la flamme, celle-ci s’élevant jusqu’au niveau de la grille lorsque le bec fonctionne à son régime normal. Pour le type de 130 litres, brûleur de 9 3/4 millimètres de diamètre, avec trous de 1/3 de millimètre, cette distance est de 25 à 27 millimètres.

L’air d’alimentation entre par la partie supérieure de l’appareil, et s’échauffe en traversant le distributeur. Une partie de l’air ainsi chauffé va, de haut en bas, au centre de la flamme, et détermine un arrêt dans le mouvement ascendant du gaz, de sorte que la combustion s’effectue sous une vitesse modérée. L’autre partie entre dans la coupe en verre, où, après avoir perdu leur vitesse initiale par le frottement, les veines fluides changent de direction, pour alimenter la flamme extérieurement.

Le mélange gazeux s’effectue, par conséquent, à la plus basse pression possible, ce qui contribue à l’économie du gaz d’éclairage.

Sous l’action combinée des courants d’air intérieur et extérieur, la flamme, légèrement épanouie à l’origine, se redresse et se développe, suivant une nappe en tulipe, dont les ailes se trouvent sollicitées vers le bord de la tubulure centrale. L’attraction qui se manifeste entre le métal rougi et la nappe incandescente donne à la flamme une fixité remarquable, sans le secours d’aucun tuteur.

Le contact de la flamme avec le métal rougi n’est pas absolu. Une mince couche d’air calciné les sépare, et réalise la combustion lumineuse dans la partie supérieure de la flamme, celle qui avoisine la tubulure centrale. Grâce à l’interposition de cette couche isolante, le tamis nickelé se conserve indéfiniment, quelles que soient les températures admises par le bec.

C’est à la combinaison rationnelle des différents éléments contribuant au tirage qu’il faut attribuer la configuration spéciale du foyer, qui prend l’aspect d’une tulipe lumineuse, dont le fond est la zone de préparation.

Le brûleur, éloigné à une distance relativement considérable du distributeur, abaisse la position du foyer lumineux dans la coupe de cristal. À ce point de vue, le bec nouveau se distingue essentiellement des autres becs intensifs à flammes épanouies, nécessairement confinées à la partie supérieure du globe. Au lieu de mouler la flamme sur un tuteur, ainsi que cela se pratique généralement, et ce qui exige un appel énergique d’air et de gaz dans la cheminée, la flamme est libre dans le bec multiplex. Elle doit sa fixité à un phénomène qui n’avait pas encore été mis à profit : l’attraction entre corps solides chauffés au rouge et les gaz en ignition.

Le gaz arrivant par le bas (a) dans le bec multiplex, il n’y a plus d’obstructions, comme dans les lampes suspendues, où le plus souvent le tuyau adducteur traverse la cheminée et le récupérateur. Du reste, les carneaux du distributeur, spécialement profilés pour faciliter l’écoulement des produits de la combustion, évitent les dépôts de noir de fumée que l’on rencontre dans les lampes avec récupérateurs à fonds plats, contre lesquels les flammes vont buter. Ces récupérateurs ont, en outre, le défaut grave de se détériorer assez rapidement ; ce qui n’a plus lieu pour les carneaux en forme de V.

L’allumage du bec se fait par la cheminée, à la manière ordinaire des becs à verre, ou bien en ouvrant l’appareil, pour mettre le feu au brûleur.

Nous ajouterons que ce système de bec a valu à son auteur, M. Bandsept, la médaille d’or, c’est-à-dire la plus haute distinction dans la catégorie des appareils intensifs, à l’Exposition universelle de Paris de 1889, et qu’il a donné partout où il a été employé les plus favorables résultats, en réalisant dans l’éclairage, tout à la fois économie de gaz et augmentation de pouvoir éclairant.

Un procédé tout différent des précédents consiste à augmenter la puissance éclairante du gaz en le mélangeant, dans le brûleur même, avec des vapeurs carburées.

Le pétrole, l’essence de térébenthine, mélangés au gaz, à l’état de vapeurs, doublent son effet lumineux. Mais leur usage est peu pratique. La substance qui a donné les meilleurs résultats, c’est la naphtaline, que les usines à gaz fournissent avec abondance et à bas prix.

M. Roosevelt, inventeur de ce système, appelle albo-carbon la naphtaline employée dans ce but particulier.

Fig. 308. — Bec à l’albo-carbon.

Dans le brûleur dit à l’albo-carbon (fig. 308), le gaz arrive par le tube M au robinet N, et traverse le récipient, K, rempli d’albo-carbon, d’où, après s’être enrichi, il parvient jusqu’au bec, S. Si on ne veut pas faire traverser le récipient de naphtaline par tout le gaz, on l’amène directement au bec, en tournant le robinet N plus largement. Alors, en même temps qu’il traverse la naphtaline, K, en passant par le tube P, le gaz se rend directement au brûleur, S, par le tube O, Q, R. Le robinet, N, sert donc à régler l’émission du gaz carburé, en permettant de faire varier les quantités de gaz qui passent par l’un ou l’autre tuyau.

Comme la naphtaline n’est volatile qu’à une température élevée, il faut chauffer le récipient K. Pour cela, on place au-dessus du brûleur une plaque mobile Q, qui, en se chauffant, communique sa température au récipient et volatilise la naphtaline.

Le bec à l’albo-carbon est assez répandu aujourd’hui ; son pouvoir éclairant est sensiblement supérieur à celui d’un bec ordinaire. En brûlant 80 à 90 litres de gaz par heure, il produit l’effet éclairant de deux lampes Carcel.

La lampe Dery, qui a été construite pour l’éclairage des voitures de chemin de fer, brûle également des vapeurs de naphtaline, mais avec des dispositions un peu différentes de celles des lampes de M. Roosevelt.

Le tuyau qui amène le gaz débouche à la partie supérieure d’un récipient en cuivre rouge, renfermant la naphtaline. Pour la volatiliser, on profite de la chaleur des produits de la combustion. Après s’être réchauffé, le gaz traverse ce récipient, où il se charge de matière carburante, et en sort par un autre tube, qui le conduit au brûleur.

L’air nécessaire à la combustion arrive au brûleur après avoir léché le récipient et s’être échauffé à son contact.

En usage dans beaucoup de gares de chemins de fer, la lampe de Dery produit un éclairage égal à celui d’une lampe Carcel et consommant par heure 55 litres de gaz et 2 grammes de naphtaline.

D’autres inventeurs ont essayé d’accroître la puissance lumineuse d’un bec de gaz en interposant dans la flamme un corbillon de platine, qui rougit et — c’est un fait d’expérience — rend la lumière plus vive et plus blanche.

M. Clamond a construit, avec des dispositions spéciales, un bec de ce genre, que M. Popp, l’inventeur des horloges pneumatiques, a rendu plus pratique.

La substance étrangère introduite au sein de la flamme, dans le bec Popp, est un globule de magnésie. Mais le globule de magnésie s’use vite, il faut le remplacer au bout de 12 à 15 heures ; ce qui a empêché ce système de se répandre.

Un bec à gaz réchauffé plus simple que tous les précédents, est le bec Auer, du nom de son inventeur, M. Auer de Welsbach. C’est une application à l’éclairage, du bec Bunsen, dont on se sert, dans les laboratoires de chimie, pour accroître considérablement la température de la combustion du gaz de l’éclairage.

On sait que le bec Bunsen est un tube vertical, ouvert à sa partie supérieure, et portant à sa partie inférieure, un peu en dessous de la tubulure par laquelle arrive le gaz, de petits trous, pour laisser passer de l’air. Le gaz aspire l’air, lequel se mélange intimement avec lui, et constitue une sorte de gaz tonnant, qui brûle avec une flamme bleue, peu lumineuse, mais extraordinairement chaude. M. Auer de Welsbach a mis à profit la très haute température de cette flamme, en lui communiquant un grand effet lumineux par l’interposition d’un corps étranger.

Pour cela M. Auer de Welsbach place par-dessus le bec Bunsen, une sorte de capuchon composé de substances terreuses (zircone, yltria, oxyde de lantane), d’une longueur de 6 à 7 centimètres, et en forme de cône, que l’on soutient au moyen d’un fil de platine, supporté par une tringle de cuivre et un anneau. Ce capuchon peut, d’ailleurs, s’élever ou s’abaisser au moyen d’une vis de pression, placée au bas de l’appareil.

Quand on allume ce bec, la température excessivement élevée que le gaz a prise dans le bec Bunsen, fait rougir le capuchon, qui devient extraordinairement lumineux, et répand alors une lumière blanche très pure. D’après M. Auer, ce bec donne une lumière de 1,21 Carcel, pour une consommation de 98 litres de gaz, par heure ; ce qui revient à brûler 80 litres de gaz pour obtenir, par heure, la lumière d’une lampe Carcel.


CHAPITRE II

l’éclairage électrique. — historique. — davy découvre le phénomène essentiel sur lequel repose l’éclairage par l’électricité. — léon foucault applique à l’éclairage le phénomène de la décharge électrique dans le vide, découvert par davy. — les régulateurs de la lumière électrique. — régulateur léon foucault et dubosq. — régulateur serrin. — m. jablochkoff supprime tout régulateur, par l’invention de la bougie électrique. — la bougie jablochkoff. — lampe werdermann. — découverte de l’éclairage électrique par l’incandescence d’un fil fin dans le vide. — m. de changy. — les lampes russes. — recherches et travaux d’édison, de swann, de maxim et de lane fox.

Dans les Merveilles de la science[2], nous avons fait connaître le principe de l’éclairage électrique par l’arc lumineux voltaïque, et nous avons décrit les premiers appareils destinés à régler la marche des charbons lumineux. Il sera nécessaire, pour la clarté de ce qui doit suivre, de rappeler brièvement ce que nous avons dit, à ce propos, dans les Merveilles de la science.

Le premier créateur de l’éclairage par l’électricité est le chimiste anglais Humphry Davy, qui, en 1813, dans une expérience, restée célèbre, produisit un arc électrique, d’un éclat éblouissant, en effectuant la décharge électrique d’une pile très puissante entre les deux fils conducteurs terminés par deux crayons de charbon de bois, placés eux-mêmes dans un vase de cristal, où existait le vide.

Cette belle expérience fut longtemps répétée dans les cours publics, où elle excitait une admiration universelle, sans que l’on songeât à l’appliquer à l’éclairage. Ce fut le physicien français Léon Foucault, qui, le premier, en 1844, transporta ce remarquable phénomène dans la pratique, et obtint un éclairage éblouissant, en se servant de charbons de cornue de gaz, comme conducteurs du courant, et opérant, non plus dans le vide, comme faisait Humphry Davy, mais à l’air libre, grâce à la très faible combustibilité de ce genre de charbon.

Comme les charbons s’usaient en brûlant dans l’air, et s’usaient d’ailleurs inégalement, il était nécessaire de les rapprocher, au fur et à mesure de leur combustion, pour maintenir égale la distance entre les deux pointes du charbon et assurer ainsi la continuité de l’arc lumineux. De là la nécessité de régulateurs.

Le premier régulateur construit par Léon Foucault et Dubosq remplissait parfaitement cet office, et nous l’avons décrit dans les Merveilles de la science[3]. Nous avons également décrit le régulateur Serrin, perfectionnement extrêmement remarquable de l’appareil de Foucault et Dubosq, et qui est encore aujourd’hui d’un grand usage pour l’éclairage par l’arc électrique, en raison de la perfection de ses organes et de la régularité de son mécanisme.

En traitant de l’éclairage électrique dans les Merveilles de la science, nous nous sommes arrêté au régulateur Serrin, qui permettant un usage très régulier et très pratique de l’éclairage par l’arc électrique, commença de donner une certaine extension aux applications de l’éclairage par l’électricité. Nous avons dit que, permettant d’éclairer de grands espaces, l’arc électrique régularisé par l’appareil Serrin, servait déjà, en 1870, à favoriser les travaux de nuit en différents chantiers.

Nous reprendrons la question de l’éclairage électrique, au point où nous en étions resté en 1870 environ, dans les Merveilles de la science.

Fig. 309. — M. Jablochkoff.

C’est en 1876 que se produisit, dans l’éclairage par l’arc électrique, la grande révolution qui vint imprimer à cette industrie nouvelle une impulsion inattendue. Un jeune ingénieur russe, M. Jablochkoff, inventait, à cette époque, ce qu’il appela la bougie électrique, qui vint rendre inutile l’emploi de tout régulateur, et imprimer, par cette suppression, un élan immense aux applications économiques de l’éclairage électrique par l’arc lumineux.

M. Jablochkoff a donné le nom de bougie électrique à un mode tout particulier de terminaison des pôles de la pile, entre lesquels le courant électrique se décharge, qui rend inutile tout moyen mécanique d’assurer le rapprochement des deux charbons, au fur et à mesure de leur usure par la combustion.

La bougie électrique Jablochkoff se compose de deux baguettes de charbon placées parallèlement l’une à l’autre, et séparées par une matière isolante, fusible : le plâtre ; l’extrémité des deux charbons est donc seule visible. Ces deux extrémités sont exactement comme deux mèches de bougies placées en regard l’une de l’autre ; et c’est entre ces deux extrémités libres, c’est-à-dire en haut de ce double crayon que jaillit l’arc électrique. À mesure que les charbons brûlent, le plâtre fond, comme le corps gras d’une bougie ; il se volatilise, et laisse ainsi continuellement à nu la même longueur des deux charbons nécessaire à l’entretien de l’arc lumineux.

Fig. 310. — Bougie Jablochkoff. Fig. 311. — Globe pour l’éclairage électrique par les bougies Jablochkoff.

La figure 310 représente la bougie électrique Jablochkoff ; ab, cd, sont les deux baguettes de charbon réunies inférieurement par un manchon, M, et séparées l’une de l’autre par une lame de plâtre.

Les bougies Jablochkoff sont enfermées dans un globe de verre dépoli ou émaillé, qui a pour effet d’atténuer la trop vive lumière de l’arc électrique, lequel, vu directement, blesserait les yeux. Nous représentons dans la figure 311, moitié en coupe, moitié en élévation, le globe de verre qui enveloppe la bougie Jablochkoff.

Cinq ou six bougies électriques sont placées sur le même support, et quand l’une a fini de se consumer, il faut qu’une autre la remplace. Pour cela, l’intervention de la main de l’homme est nécessaire. Il faut qu’à chaque intervalle d’une heure et demie environ, le surveillant des appareils fasse, au moyen d’une clef, tourner le disque porteur des bougies, et mette ainsi une bougie nouvelle en communication avec le courant.

Telle était, du moins, la disposition primitive employée par l’inventeur ; mais, nous n’avons pas besoin de le dire, l’intervention d’un surveillant avait un grand inconvénient. M. Jablochkoff arriva à le faire disparaître par des dispositions très ingénieuses, que nous ferons connaître plus loin.

Un autre système de lampe électrique, qui a rendu quelques services, par la simplicité de son mécanisme, est celui de M. Werdermann, physicien anglais, qui fusionna son invention avec celle d’un physicien français, M. Reynier ; de sorte que le nom de système Werdermann engloba les deux inventions.

Le mécanisme de la lampe Werdermann consiste à faire pousser le charbon de bas en haut, au fur et à mesure de sa combustion, par un contre-poids, lequel, agissant comme pourrait le faire un ressort à boudin, remonte constamment le charbon, et le fait buter contre un disque supérieur, lequel sert à établir le courant.

La figure 312 fera comprendre ce mécanisme.

Fig. 312. — Lampe Werdermann.

Une baguette de charbon est mobile à l’intérieur du tube métallique, T, et peut, au moyen d’un contre-poids attaché à une corde, qui se réfléchit sur une poulie, à l’intérieur du tube T, pousser de bas en haut ce charbon. L’extrémité supérieure de ce charbon vient buter contre un disque de cuivre, qui est en rapport avec le pôle négatif de la pile ou du générateur d’électricité, tandis que le tube métallique, T, communique avec le pôle positif. Il n’y a donc de portée à l’incandescence par le passage du courant que la partie d, du charbon comprise entre le tube métallique qui lui sert de support et le disque de cuivre supérieur. Cette partie incandescente n’a que trois quarts de pouce environ, et elle constitue le point lumineux.

Avec cette lampe, on peut obtenir, à volonté, l’arc voltaïque, en tenant les deux charbons un peu éloignés l’un de l’autre, ou l’incandescence, en les laissant en contact. Nous verrons plus loin l’utilité et le rôle spécial des lampes à incandescence. Disons seulement, pour le moment, que la lampe Werdermann peut remplir ce double rôle.

La lampe Werdermann obtint un certain succès en Angleterre. Elle y popularisa l’usage de l’éclairage électrique, pendant que la lampe Jablochkoff le popularisait en France.

Grâce à la bougie Jablochkoff et aux lampes qui furent construites pour leur application, l’éclairage électrique prit, à partir de 1876, une assez grande extension. La bougie électrique donnait le moyen de transporter largement ce mode d’éclairage dans la pratique ; ce qui était impossible avec le régulateur électro-magnétique, appareil coûteux et sujet à des dérangements. En même temps, M. Jablochkoff supprima la pile voltaïque, pour la production de l’électricité. Une machine à vapeur, actionnant une machine électro-magnétique de Gramme, rendit plus facile et plus économique, la production du courant voltaïque.

Ces deux perfectionnements permirent, en 1878, pendant l’Exposition universelle, d’éclairer, à Paris, par la lumière électrique, différentes places publiques et avenues. Ce mode d’éclairage fut continué en 1879, 1880 et 1881. Plusieurs villes importantes des pays étrangers, telles que Londres, New-York, Madrid, Bruxelles, etc., firent également l’essai, en 1879, 1880 et 1881, de ce nouveau mode d’éclairage.

L’Exposition internationale d’électricité, qui s’ouvrit au palais de l’Industrie, à Paris, pendant l’été et l’automne de 1881, permit, d’apprécier les progrès qu’avait fait ce mode d’éclairage depuis quelques années. Et ces progrès étaient considérables. Nous allons les résumer brièvement.

Ce n’est point dans l’éclairage à grande intensité, dans l’éclairage des rues, des places publiques et des vastes espaces que l’on put constater, à l’Exposition de 1881, des progrès bien saillants. L’éclairage par l’arc voltaïque qui produit les puissantes et splendides illuminations que chacun connaît, était déjà arrivé à son apogée. On a lu plus haut la description des lampes Jablochkoff et Werdermann. Des systèmes fort nombreux de lampes à arc voltaïque figuraient à l’Exposition d’électricité de 1881. Tels sont ceux de M. Siemens, de M. Lontin, etc., etc. Mais ils ne diffèrent pas assez des systèmes Jablochkoff et Werderman, pour que nous entrions dans leur examen particulier[4].

La véritable et grande nouveauté, la révolution, on peut le dire, qui se révéla à l’Exposition internationale d’électricité de 1881, c’est la production d’un luminaire de petit volume, n’ayant plus la puissance de l’arc voltaïque, et se trouvant réduit aux proportions de l’éclairage domestique.

Quel est le procédé qui permet d’obtenir, avec le courant électrique, des foyers d’une faible intensité, applicables à l’éclairage des appartements ? C’est ce que les électriciens appellent le procédé par incandescence. Mais ce terme a besoin, pour être compris, de quelques explications.

Si l’on réunit les deux pôles d’une pile voltaïque par un fil de métal, ou par une tige plate ou carrée de ce même métal, la recomposition des deux électricités contraires qui s’opère dans ce fil, ne s’accompagne d’aucun phénomène extérieur, quand le fil ou la tige ont une assez grande dimension. Mais si ce fil ou cette tige sont de faible section, et n’offrent ainsi à l’écoulement de l’électricité qu’un passage très réduit, l’électricité, s’accumulant en grande quantité dans cet étroit espace, échauffe le métal, le fait rougir, le porte à l’incandescence.

C’est là une expérience que l’on fait dans tous les cours de physique. Chaque assistant d’un cours de physique a vu le professeur, quand il traite des effets de la pile voltaïque, réunir les deux pôles de la pile par des fils métalliques de faible section, et tout aussitôt, ces fils de rougir, et de fondre, quand le métal est très fusible, comme l’argent, l’or, le cuivre, et même quand il est peu fusible, comme le platine, si l’on accroît suffisamment l’intensité du courant.

C’est précisément ce phénomène d’incandescence dont on a tiré parti pour l’appliquer à l’éclairage par l’électricité. Les physiciens et les industriels se sont appliqués à rendre l’incandescence d’un fil de platine ou de charbon assez durable et assez éclatante pour servir de moyen d’éclairage.

On obtient ainsi une illumination de peu de puissance, mais qui est précisément ce que l’on recherchait pour l’éclairage de l’intérieur des maisons. C’est ce que l’on appelait, autrefois, la division de la lumière électrique, terme impropre, qui signifiait seulement son affaiblissement d’intensité, sa réduction à une médiocre intensité éclairante. On obtient, en effet, par l’incandescence, un éclairage de l’intensité d’environ deux becs Carcel.

Le premier qui essaya de créer l’éclairage électrique par incandescence, fut un ingénieur français, M. de Changy, qui, en 1859, publia de curieuses expériences sur l’incandescence électrique du platine employé comme moyen d’éclairage.

Fig. 313. — M. de Changy.

M. de Changy plaçait dans une clochette de verre le fil de platine rendu incandescent.

Les lampes de M. de Changy furent expérimentées dans les mines de houille de la Belgique, pour y servir de moyen d’éclairage à l’abri des atteintes du grisou. En effet, produite dans l’intérieur d’une clochette sans communication avec l’air des galeries, la lumière ne pouvait se communiquer au dehors, ni mettre le feu au grisou.

À cela ne se seraient point bornés certainement les usages de la lampe à incandescence de platine inventée par M. de Changy. Malheureusement, le platine entrait souvent en fusion, et les essais de l’inventeur français furent arrêtés par cet obstacle.

On pensa alors à substituer au platine le charbon, qui, étant calciné, devient bon conducteur de l’électricité, et est absolument infusible. Seulement, le charbon brûle à l’air. Il faut donc enfermer le charbon à l’intérieur d’une cloche dans laquelle on a fait le vide, ainsi que l’avait si ingénieusement exécuté Humphry Davy, en 1813, ou bien enfermer le charbon dans un gaz impropre à la combustion, comme l’oxyde de carbone ou l’azote.

C’est sur ce principe que l’on vit paraître, vers 1870, différentes lampes par incandescence, dues à MM. King, Lodyguine, Boulignies, Swan, Sawyer, etc. C’est ce que l’on appela les lampes russes.

Ces essais avaient tous mal réussi, lorsqu’on annonça, en 1879, que le physicien américain, Edison, avait résolu le problème de l’éclairage électrique, par incandescence.

Cette annonce était prématurée, car M. Edison n’en était encore, en 1879, qu’à la période des essais, et le procédé qu’il employait alors était assez imparfait. Aussi des doutes bien légitimes accueillirent-ils, en Europe, l’annonce de cette découverte.

Cependant, M. Edison continua ses recherches, et à force de patience et de sagacité, il finit par réaliser sa lampe à incandescence, dont les visiteurs admirèrent les effets à l’Exposition d’électricité de Paris, en 1881.

La lampe à incandescence de M. Edison consiste en une petite cloche, de forme ovoïde, dans laquelle on a fait le vide, pour empêcher la combustion du charbon.

Le charbon est, en effet, le corps conducteur de l’électricité qui, porté à une très haute température par le passage du courant électrique, produit l’effet lumineux.

La manière de préparer ce charbon est ce qui présenta le plus de difficultés à M. Edison, comme aux autres inventeurs, ses rivaux. De la manière dont il est obtenu dépendent, en effet, l’éclat, la couleur et les qualités de la lumière.

M. Edison prépare aujourd’hui son charbon, non comme il le faisait d’abord, avec des feuilles de carton Bristol carbonisé en vase clos, mais avec des filaments de bambou carbonisé. Les filaments de bambou, après leur calcination, se réduisent à l’épaisseur d’un crin de cheval. On en fait une sorte d’arc, et on fixe les deux extrémités de cet arc charbonneux dans un petit fil de platine, en rapport avec le courant électrique. On fait ensuite le vide dans cette petite cloche ; enfin on la scelle, pendant qu’elle est parfaitement privée d’air, au moyen d’un ciment particulier.

Chaque petit luminaire a environ la puissance de deux becs Carcel.

Fig. 314. — Bec de la lampe Edison.

La figure 314 représente le bec Edison, qui, placé à volonté sur différents supports, forme une lampe électrique (fig. 315).

Fig. 315. — Lampe Edison.

En réunissant un certain nombre de ces lampes, on compose un lustre, tel que ceux qui figuraient à l’Exposition d’électricité. On voit dans la figure 316 l’un de ces lustres formé de la réunion d’un certain nombre de lampes.

Fig. 316. — Lustre électrique Edison.

On pourrait craindre que ces petits ustensiles soient de peu de durée. Ils peuvent cependant servir, pendant mille heures. D’ailleurs, vu leur prix minime (1 fr. 25), on peut les remplacer sans grande conséquence, quand ils sont usés, de même que nous remplaçons les verres cassés de nos lampes à l’huile.

Fig. 317. — M. Edison.

Nous n’avons pas besoin de dire que chaque lampe doit être mise en communication avec un courant électrique continu, fourni par une machine dynamo-électrique.

Pendant que M. Edison construisait, à New-York, sa lampe à incandescence, en perfectionnant la lampe russe, d’autres physiciens ou constructeurs, s’appliquant aux mêmes recherches, arrivaient à des résultats à peu près semblables.

MM. Swann, à Newcastle (Angleterre), Maxim, à New-York, et Lane Fox, à Londres ont attaché leurs noms à des lampes à incandescence électrique, que nous ne signalerons qu’en peu de mots, car toute la différence entre ces lampes et celle d’Edison consiste dans la forme donnée au charbon conducteur, ou dans le mode d’attache du charbon aux deux pôles de la pile.

M. Swann persévérait dans l’emploi du carton Bristol carbonisé, pour composer le charbon conducteur placé dans l’ampoule, alors que M. Edison l’abandonnait, pour adopter le bambou. Il est arrivé plus tard à un très bon résultat, en substituant au carton le fil de coton.

Les filaments de charbon qui sont employés dans les lampes Swann, pour constituer le corps rayonnant, proviennent de fils ou de tresses de coton, renflés à leur bout. On les a plongés préalablement dans de l’acide sulfurique du commerce étendu de la moitié de son poids d’eau, pour les durcir et les transformer en papier-parchemin, — selon le procédé dont on me doit l’invention, soit dit en passant. — On les introduit alors dans de la poussière de charbon, et on les place ensuite dans la lampe, préalablement purgée d’air par la pompe pneumatique de Sprengel. Alors, on les porte à l’incandescence, en les faisant traverser par le courant électrique, ce qui a pour effet de chasser les gaz qu’ils pouvaient retenir et de les rendre conducteurs. Ainsi traité, le charbon a acquis beaucoup de densité et de résistance mécanique, et il peut servir à construire les lampes.

Comme la lampe Edison, la lampe Swann se compose donc d’une ampoule de verre dans laquelle on a fait le vide, et qui renferme deux porte-charbons en platine, munis de mâchoires et d’anneaux de pression, semblables à ceux de nos anciens porte-crayons métalliques. Le filament de charbon, placé entre ces mâchoires, est replié en hélice plate, de manière à former un anneau au milieu de l’ampoule, et à accumuler en ce milieu une plus grande quantité de lumière.

Une rue de la ville de Newcastle est éclairée par les lampes Swann. Différentes salles de l’Exposition internationale d’électricité, en 1881, étaient éclairées par le même système.

Un constructeur de New-York, M. Maxim, fabriqua ensuite des lampes par incandescence, d’un type particulier.

Fig. 318. — Lampe Maxim.

Le charbon employé par M. Maxim s’obtient en carbonisant légèrement, c’est-à-dire en faisant seulement roussir, le carton Bristol, entre deux plaques de fonte, convenablement chauffées. Ensuite, on le découpe, de manière à lui donner la forme d’un M. Pour le rendre plus dense, on le place dans une atmosphère de gaz hydrogène bicarboné, dans laquelle on le chauffe. Ce gaz, se décomposant, laisse du charbon ; qui se dépose sur le papier à demi carbonisé. En faisant le vide dans cette même capacité, on extrait les gaz qui étaient retenus par le charbon. Des fils de platine sont fixés sur le charbon, et on scelle ces fils dans le verre par un mastic particulier (fig. 318).

Le prix de revient est le côté faible des lampes électriques par incandescence. Leur puissance éclairante est fondée sur le rougissement à blanc du corps conducteur qui réunit les deux pôles d’une pile. Or, il faut, pour produire l’échauffement à blanc d’un conducteur continu, une quantité d’électricité beaucoup plus grande que pour provoquer une forte étincelle jaillissant entre les deux pôles d’une pile, et tenus à quelque distance l’un de l’autre. On a reconnu qu’il faut un courant quatre fois plus fort pour obtenir une lumière égale avec les lampes à incandescence qu’avec les lampes à arc voltaïque.


CHAPITRE III

description des appareils en usage pour obtenir l’éclairage par l’arc voltaïque et par les fils conducteurs incandescents.

D’après l’historique et l’exposé qui précèdent, on voit que l’éclairage électrique s’obtient, industriellement, par deux procédés généraux :

1° Par le courant électrique disjoint, qui produit l’illumination de grands espaces, c’est-à-dire par l’arc électrique ;

2° Par le courant électrique continu, circulant à l’intérieur d’un fil conducteur, et produisant l’incandescence de ce fil. On emploie, en d’autres termes, l’arc voltaïque pour obtenir un éclairage puissant, et éclairer les vastes étendues, et le fil incandescent, pour produire de petits éclairages.

éclairage par l’arc voltaïque.

L’éclairage par l’arc voltaïque résulte de la décharge, s’opérant au sein de l’air, d’un courant électrique, entre les deux pôles conducteurs, composés de charbon de cornue de gaz, matière conductrice de l’électricité et peu combustible à l’air, en raison de son énorme cohésion.

Cependant, quelque faible que soit la combustibilité à l’air des charbons de cornue de gaz, ces charbons s’usent forcément, par la combustion ; de là, la nécessité de les rapprocher, pour maintenir constante la longueur de l’arc éclairant.

Le maintien de l’égalité de longueur de l’arc voltaïque, s’obtient par deux moyens très différents :

1° Par des régulateurs mécaniques ;

2° Par la disposition spéciale supprimant tout régulateur mécanique, c’est-à-dire par la bougie Jablochkoff.

Régulateurs de l’arc électrique. — L’arc électrique résultant de l’étincelle électrique jaillissant entre deux conducteurs de charbon, au sein de l’air, est en usage aujourd’hui dans un grand nombre de villes des deux mondes, tant pour l’éclairage des rues et places publiques, que pour celui des ateliers et des manufactures. L’avantage de ce système, c’est de produire une lumière très intense, avec une faible dépense d’électricité. Son inconvénient c’est que le mécanisme régulateur est sujet à des dérangements, quand il n’est pas fondé sur des principes de physique rigoureux, et construit par d’habiles fabricants.

Une perte d’électricité très sensible se constate si l’on compare l’intensité du courant produit par les machines dynamo-électriques et son intensité quand il est parvenu aux bornes de la lampe. Cette perte est de 30 pour 100 environ : mais il faut, à ce que l’on assure, l’accepter, car il est reconnu que sans la perte résultant de la résistance métallique intercalée entre la machine productrice d’électricité et les charbons éclairants, la lumière serait désagréable, irrégulière, et sujette à de fréquentes extinctions.

Nous avons décrit, dans les Merveilles de la science, le régulateur Serrin, le meilleur des appareils de ce genre. Mais il a un inconvénient, c’est qu’il ne peut être placé qu’isolément dans le circuit, c’est-à-dire qu’il ne peut servir à alimenter qu’une seule série de lampes : il est monophote, comme disent les électriciens qui aiment à parler grec.

Les régulateurs polyphotes, c’est-à-dire pouvant être disposés en série, sur des conducteurs de faible section, par de multiples dérivations d’un même courant, sont aujourd’hui très nombreux. Ce serait une tâche aussi fastidieuse qu’inutile que de faire connaître ici les centaines de régulateurs mécaniques, ou électro-mécaniques, qui sont en usage dans les deux mondes. Forcé de faire un choix, nous nous bornerons à signaler les appareils les plus en vogue. Ce sont les régulateurs Gramme, et Cance pour la France ; le régulateur Siemens, pour l’Allemagne ; et le régulateur Thomson-Houston, pour l’Amérique.

Il importe, avons-nous dit, que les régulateurs puissent s’installer sur un même circuit voltaïque, de manière que les lampes puissent fonctionner indépendamment les unes des autres. Les lampes dites différentielles, résolvent cette difficulté.

Les lampes différentielles les plus connues sont celle de Gramme et celle de M. Siemens, de Berlin.

Dans la lampe différentielle, c’est un électro-aimant qui, comme dans les régulateurs Foucault et Serrin, fait descendre le charbon supérieur. Seulement, cet électro-aimant n’est pas placé, comme dans les lampes Foucault et Serrin, sur le courant principal. C’est une dérivation de ce courant qui anime l’électro-aimant. De cette manière, lorsque l’arc électrique s’allonge, la dérivation de l’électro-aimant devient plus forte ; l’électro-aimant entre en action, et rapproche les charbons. Ce n’est donc plus, comme dans la lampe Serrin, l’intensité du courant total qui règle la marche des charbons, mais bien la résistance électrique de l’arc lumineux lui-même. Et comme la résistance de l’arc n’influe nullement sur le courant, comme les foyers sont indépendants les uns des autres, on peut disposer plusieurs foyers sur un même courant.

Fig. 319. — Vue extérieure du régulateur Gramme et de son globe. Fig. 320. — Régulateur Gramme (Vue perspective).

Nous représentons dans la figure 319 le régulateur Gramme dans son aspect extérieur ; dans la figure 320, sa vue en perspective, et dans la figure 321, la coupe du même appareil.

321

Dans la lampe différentielle de Gramme, comme dans celles du même genre, le charbon supérieur est fixé à une crémaillère, qui engrène avec un rouage, lequel embraye avec une seconde crémaillère. Si l’arc électrique s’allonge, la bobine de dérivation le fait reculer et attire son armature, en déclenchant le rouage qui permet à la crémaillère de descendre.

Le refoulement des charbons est produit par un autre électro-aimant. C’est ce que montrent les figures 320 et 321.

Fig. 321. — Régulateur Gramme (Coupe).

Le charbon supérieur est attaché à une tige FD, se terminant par une crémaillère, liée à une traverse, C, qui n’est autre chose que l’armature d’un électro-aimant double, AA. La même armature fait partie d’un cadre EGEC, formé de la traverse supérieure C, de deux tiges verticales EE, et d’une traverse inférieure G, qui servent de porte-charbon négatif. Deux ressorts antagonistes, R, R, tendent à maintenir la traverse C, et, par suite, l’ensemble du cadre, éloigné des pôles de l’électro-aimant AA.

Le courant électrique arrive par la borne marquée du signe +, il sort par la borne marquée du signe - après avoir traversé l’électro-aimant AA. Tant que le courant électrique n’est pas établi, les deux pointes des crayons, a, sont en contact et pressés l’un contre l’autre, par l’effet des ressorts antagonistes, RR, dont on peut régler la tension à volonté. Quand on établit le courant, l’électro-aimant AA est actif et surmonte la puissance des ressorts. Alors, la traverse C est attirée et s’abaisse ; le cadre ECEG, s’abaisse également, les charbons s’écartent, et l’arc lumineux jaillit entre leurs pointes, a.

Le rapprochement des crayons, au fur et à mesure de leur usure, est produit par un second électro-aimant, R, d’une faible énergie. L’armature, I, de cet électro-aimant, R, est fixée à l’une des extrémités d’un levier, L, lequel, maintenu par un ressort antagoniste, U, oscille autour du point V, et est muni, à l’autre extrémité, d’une petite lame MS, recourbée à angle droit, et servant à embrayer le volant à ailettes d’un mouvement d’horlogerie, H. La tige, D, dont l’une des faces est taillée en crémaillère, engrène avec la roue principale du mouvement d’horlogerie, H ; de sorte que la lame S, en empêchant le volant de tourner, empêche la tige D de descendre et tous les rouages du mouvement de défiler.

Si l’arc dépasse une longueur déterminée, l’intensité du courant principal diminue, et celle du courant dérivé augmente. Alors, l’armature I, de l’électro-aimant B, se trouve attirée par l’électro-aimant B, et la crémaillère descend ; ce qui a pour effet de rapprocher les charbons.

La lampe différentielle Gramme présente une autre disposition particulière, qui donne aux mouvements des charbons une amplitude extrêmement faible, et, pour ainsi dire, imperceptible ; ce qui permet d’obtenir une lumière très fixe. Quand l’armature de l’électro-aimant B (fig. 321) a dégagé le rouage, elle rompt, en même temps, le courant dérivé en MN. Dès lors, l’attraction cesse, le rouage se trouve de nouveau embrayé et le charbon cesse de descendre. Mais aussitôt le courant dérivé se rétablit et peut produire un nouvel effet d’attraction, et ainsi de suite. Comme nous le disions, la distance des charbons est ainsi réglée par des mouvements extrêmement faibles et la lumière est d’une grande fixité.

Le régulateur construit par M. Siemens, de Berlin, est fondé sur ce principe qu’un cylindre de fer placé dans un solénoïde, ou aimant creux, monte ou descend dans la cavité intérieure du solénoïde, selon les variations d’intensité du courant.

Fig. 322. — Schéma du régulateur Siemens.

Comme la représente le schéma de la figure 322, le porte-charbon x est fixé à l’extrémité d’un levier y, y′, mobile autour du point et dont l’autre bout est relié à un barreau de fer doux ZZ′. Ce barreau pénètre dans l’intérieur des deux bobines A et B, c’est-à-dire d’un solénoïde. La bobine A est à fil très fin, reliée en dérivation sur les bornes de l’appareil ; la bobine B est à gros fils, placés sur le circuit de l’arc lumineux. Suivant les variations de résistance de l’arc lumineux, l’attraction de l’une ou de l’autre de ces bobines est prédominante, et attire le noyau ZZ′, en produisant le rapprochement ou l’écartement des charbons, auxquels ce système est lié par l’intermédiaire du levier mobile y, y′.

Fig. 323. — Régulateur Siemens.

On voit dans la figure 323, la coupe du régulateur différentiel Siemens. Le barreau de fer doux, S, traverse les deux aimants creux, ou solénoïdes, TT, RR. Le solénoïde, TT, est composé de fils fins très résistants, le solénoïde, RR, de gros fils, n’offrant presque aucune résistance.

Le courant électrique arrive au régulateur par la borne L, et se partage entre les deux bobines R et T ; la plus grande partie passant dans le solénoïde R et le porte-charbon supérieur L, traverse l’arc et le porte-charbon inférieur et quitte l’appareil par la borne M ; l’autre partie traversant le solénoïde T, s’échappe par la même sortie M.

Le courant principal traverse donc l’arc, qui lui oppose une résistance variable selon la distance des charbons. Les bobines attirent le barreau de fer doux, avec une intensité qui dépend de celle du courant et du nombre de tours de fils. Le barreau monte et descend, dès lors, par une série de mouvements dépendant uniquement de la résistance de l’arc lumineux. Quand les charbons s’écartent trop, la résistance de l’arc lumineux augmente en proportion, et l’action du solénoïde T s’accroît, et le barreau est déplacé vers le haut. Si, au contraire, la résistance de l’arc diminue, c’est le solénoïde R qui devient prépondérant, et le mouvement inverse se produit. Si l’on règle convenablement le support des résistances des solénoïdes, l’équilibre du barreau sera indépendant des variations d’intensité du courant total : il ne dépendra plus que du rapport des courants principal et dérivé ou, ce qui revient au même, de la longueur de l’arc.

Tel est le principe du régulateur différentiel, ou de la lampe différentielle Siemens. Dans la figure 323 on voit les principaux organes auxquels on vient de faire allusion. La tige supérieure, Z, porte, à l’aide de la pince, le charbon positif, g ; une traverse, b, porte le charbon négatif, n. La traverse b est fixe, de sorte que le foyer lumineux descend pendant toute la durée de la marche de l’appareil.

La lampe à régulateur Cance est aujourd’hui très répandue, en raison de sa simplicité. Son organe essentiel est une vis sans fin, verticale, qui peut tourner moyennant le mouvement d’un écrou, qui fait corps avec le porte-charbon du pôle positif.

Quand le courant électrique traverse l’appareil, les deux solénoïdes, ou aimants creux, placés sur le circuit de l’arc, et contenant un barreau de fer doux, attirent le barreau, qui est relié à une traverse supérieure. La traverse vient buter contre l’écrou supérieur et le maintient immobile ; ce qui empêche la vis de tourner et le charbon supérieur de descendre. Lorsque l’arc augmente de longueur, l’attraction des solénoïdes, et par suite, la pression sur l’écrou, diminuent, et la vis tourne, en produisant le rapprochement des charbons.

Ce mécanisme est, en quelque sorte, un frein électrique ; il possède une grande sensibilité et donne une fixité remarquable à la lumière.

Fig. 324. — Coupe du régulateur Cance.

On voit ces différents organes sur la figure 324 qui donne la coupe du régulateur Cance. Sur la vis centrale, V, se meut un écrou, A, faisant corps avec le porte-charbon positif, BB′. L’écrou, A, tend à descendre par son propre poids, et, comme les deux tringles latérales, CC, l’empêchent de tourner, il communique, en descendant, un mouvement de rotation à la vis V, laquelle est maintenue entre les deux plateaux de l’appareil.

À la partie supérieure de la lampe se trouve un second écrou, D, reposant sur une embase, E, fixée à la vis, et un plateau, F, soutenu par les noyaux, en fer, ou armatures, GG, des solénoïdes, H, H.

Les fils de ces solénoïdes sont en communication avec le circuit principal ; ils reçoivent tout le courant alimentant l’arc lumineux.

Les ressorts antagonistes, RR, sont fixés à la partie inférieure des noyaux en fer, GG, et au moyen d’une vis de réglage au plateau inférieur de la lampe.

Voici comment fonctionne l’appareil. Dès que le courant traverse les solénoïdes, les tiges de fer, GG sont poussées contre le plateau, F, et le soulèvent. Le plateau presse sur l’écrou supérieur, et l’entraîne dans son mouvement ascensionnel ; ce qui fait tourner la vis de droite à gauche. La rotation de la vis détermine à son tour l’élévation de l’écrou A et du porte-charbon supérieur B, B′, ce qui donne naissance à l’arc lumineux.

Si l’arc s’allonge et devient très grand, l’intensité du courant diminue, et les tiges GG, sollicitées par les ressorts RR, pressent moins fortement contre le plateau F ; ce qui permet à la vis de tourner de gauche à droite, et à l’écrou de descendre, avec les pièces qui en dépendent. Les charbons se rapprochent, et l’arc prend les mêmes dimensions qu’avant l’écartement.

La figure 325 représente l’ensemble du régulateur Cance.

Fig. 325. — Régulateur Cance.

Bougie Jablochkoff. — L’invention de la bougie électrique, faite en 1876, par M. Jablochkoff, fut, avons-nous dit, dans l’historique, la cause déterminante de l’adoption générale de l’éclairage par l’arc électrique. En effet, ce système, si nouveau et si original, supprimait tout appareil mécanique coûteux, et exigeant pour son maniement, des personnes instruites. Le premier ouvrier venu pouvait allumer et surveiller les lampes. En réunissant plusieurs lampes sur un même support automatique, ou chandelier automatique, comme on l’appelle, on se procurait l’éclairage d’une soirée entière, sans que l’on eût à s’en occuper.

Le succès de cette invention fut donc grand et rapide. En 1878, l’avenue de l’Opéra, à Paris, fut éclairée tout entière par des bougies Jablochkoff. L’Hippodrome, plusieurs théâtres, et de grands magasins, comme ceux du Louvre, l’adoptèrent, en même temps.

Fig. 326. — L’Hippodrome de Paris éclairé par les bougies Jablochkoff.

On voit dans la figure 326, la splendide installation de bougies Jablochkoff dans la vaste enceinte de l’Hippodrome de Paris, faite dès les premiers temps de l’invention du savant russe.

Cependant, cette belle création n’a pas eu le développement commercial qu’elle promettait, et qu’auraient pu lui assurer ses inestimables qualités. C’est que les régulateurs qu’elle avait pour mission de détrôner, se sont, depuis son apparition, singulièrement perfectionnés et multipliés. Les bougies électriques ont conservé la place qu’elles avaient prise dès le début, dans quelques théâtres, et dans les grands magasins. Elle se sont introduites dans de nouvelles usines, mais elles sont loin d’avoir suivi la progression, toujours croissante, des régulateurs.

On leur reproche de coûter un peu plus cher que les simples charbons (ce qui est assez naturel) et d’exiger, à lumière égale, une force motrice supérieure à celle que demandent les régulateurs. Il faut noter encore que l’éclat et la couleur de la lumière sont sujets à des variations qui fatiguent la vue, et peuvent donner lieu, tantôt à des extinctions, tantôt à des accroissements subits d’intensité lumineuse, avec apparition de feu rougeâtre, et projection de parcelles de charbon incandescent. Enfin, leur intensité n’est que de 40 à 100 becs Carcel, dépassée, aujourd’hui, par la plupart des éclairages à arc munis d’un régulateur.

Il faut remarquer, d’ailleurs, que la bougie Jablochkoff exige l’emploi des courants alternatifs, qui ne sont point nécessaires dans l’éclairage par les régulateurs. En effet, on sait que les charbons placés aux deux pôles du courant, s’usent inégalement, que le charbon du pôle positif s’use deux fois plus vite que celui du pôle négatif. C’est précisément, d’ailleurs, sur l’idée de faire usage de courants alternatifs, c’est-à-dire d’un courant se distribuant tantôt à l’un, tantôt, à l’autre pôle, pour parer à l’inconvénient de l’usure inégale des charbons, que repose le principe de l’invention des bougies Jablochkoff. Mais l’usage des courants alternatifs nécessite un appareil d’inversion qui n’est pas nécessaire dans l’éclairage par le courant continu.

Tels sont les avantages et les inconvénients de la bougie Jablochkoff ; et ainsi s’explique que cette invention remarquable et qui fut si justement admirée, à l’époque de son apparition, n’ait pas vu confirmer par la suite les grands espoirs qu’elle avait fait naître. Les gens de finance, qui étaient restés froids à l’égard de l’éclairage électrique, à ses débuts, se jetèrent avec ardeur dans l’exploitation de la découverte du physicien russe ; et de là partit le mouvement général des capitaux qui vint patronner l’éclairage électrique. Seulement, la spéculation ne réussit qu’à demi. La bougie Jablochkoff perdit rapidement toute sa valeur financière ; tandis que l’éclairage électrique par les régulateurs, se développait rapidement, avec l’appui des capitalistes de toute l’Europe.

La Société Jablochkoff, formée pour l’exploitation de l’invention du physicien russe, obtint de la ville de Paris l’éclairage de l’avenue de l’Opéra, et elle effectua cet éclairage, avec un éclat et un succès remarquables, pendant l’année 1878. Cette innovation fut très remarquée pendant l’Exposition universelle de 1878, mais, après l’expiration de cette concession, le contrat avec la ville de Paris ne fut pas renouvelé, et le gaz reprit sa place sur cette grande voie publique.

Un mot sur la fabrication et le mode d’emploi de la bougie électrique, que nous représentons dans la figure ci-dessous.

Fig. 327. — Bougie et chandelle Jablochkoff.

Les charbons généralement employés ont 4 millimètres de diamètre. La matière isolante qui les sépare, se nomme colombin.

La substance servant de colombin a été plusieurs fois modifiée ; car elle doit réunir différentes propriétés. Il faut qu’elle isole bien à froid, et qu’à la température de l’arc voltaïque, elle devienne assez conductrice pour donner passage au courant, afin de limiter celui-ci à l’extrémité seule des charbons. La matière doit se consumer exactement, au fur et à mesure de l’usure de ces mêmes charbons. Il faut enfin qu’elle ne laisse pas d’espaces vides dans son intérieur, ce qui produirait des extinctions de lumière.

Le kaolin fut la première substance dont M. Jablochkoff fit usage. On lui substitua, plus tard, un mélange de sulfate de chaux et de sulfate de baryte, qu’on moule très facilement.

Les deux charbons étant toujours séparés par une matière isolante interposée, pour que l’allumage puisse se faire, il faut que les deux pointes de charbon soient mises préalablement en communication électrique. Dans ce but, on roule l’extrémité de la bougie dans du charbon ou du coke en poudre ; la chaleur du courant électrique brûle le charbon, et l’arc prend ainsi naissance, pour continuer ensuite, aux dépens du colombin.

Comme les bougies sont d’une faible longueur, elles ne suffiraient pas à l’éclairage d’une soirée. De là la nécessité de placer plusieurs bougies sur un même support. Pour rendre ce moyen pratique, il faut que le remplacement d’une bougie consumée par une bougie neuve, se fasse automatiquement, c’est-à-dire sans qu’on ait besoin de toucher à la lampe, pendant sa marche.

Tel est le but du chandelier automatique de M. Jablochkoff.

Le chandelier automatique Jablochkoff porte six bougies, tenues chacune dans une pince à ressort, dont les branches sont isolées et communiquent avec les fils du courant voltaïque. Il est fondé sur le principe suivant. Toutes les bougies reçoivent à la fois le courant ; celle qui offre le moins de résistance, ou le plus de conductibilité, brûle la première, et elle brûle jusqu’à extinction. Celle-ci étant usée, le courant passe dans celle qui offre le moins de résistance, et ainsi de suite, pour toutes les bougies ; ce qui assure l’éclairage de la soirée.

Fig. 328. — Chandelier Jablochkoff à dérivation.

Nous représentons dans la figure 328 le chandelier Jablochkoff à dérivation. Il est caractérisé par l’emploi d’un fil métallique qui tend un ressort et maintient un mécanisme, dont les deux positions extrêmes correspondent au passage du courant : 1° dans une bougie ; 2° dans la bougie suivante. La dérivation se produit lorsque, la première bougie étant usée, la flamme est venue brûler le fil.

Cependant, avec le chandelier à simple dérivation, il arrive souvent que le courant passe trop vite d’une bougie à l’autre, qu’il les allume en partie toutes, et n’en consume aucune en entier ; ce qui produit des interruptions d’éclairage, et même une extinction totale.

Ce système, simple en théorie, fonctionnant assez mal dans la pratique, on a cherché d’autres chandeliers automatiques.

Dans les magasins du Louvre, à Paris, on fait usage du chandelier automatique de M. Clariot, qui repose sur le même principe que celui du chandelier automatique de la Société Jablochkoff, mais qui présente de meilleures dispositions pour introduire successivement les bougies neuves dans le circuit.

Un constructeur étranger, M. Bobenrieth, a imaginé un chandelier automatique, que l’on considère comme supérieur au précédent. Son principe, c’est d’augmenter considérablement la résistance électrique des amorces des bougies, en la portant, au lieu de 16 ohms, à 20 000 et même 100 000 ohms. Grâce à ces grandes différences de résistance, les bougies s’allument à coup sûr.

La figure 329 représente le chandelier Bobenrieth.

Fig. 329. — Chandelier Bobenrieth.

Le support est à six pinces : trois intérieures et trois extérieures. Les premières sont en communication avec une rondelle métallique, A, et toutes les pinces extérieures, au contraire, sont isolées, au moyen d’un disque de porcelaine » Le disque central porte six petites tiges métalliques, reliées avec les six pinces intérieures, au moyen d’anneaux en plomb, que l’on place au moment même où l’on garnit le chandelier de bougies.

Quand le courant arrive, il traverse toutes les bougies, et allume la moins résistante : cette lampe se consume jusqu’à ce que l’anneau de plomb sur lequel elle repose, se fondant par l’effet de la chaleur qui vient l’atteindre, supprime son contact avec le disque central, et l’isole ainsi du circuit. Le courant allume alors la bougie de moindre résistance, et ainsi de suite.

En ce qui concerne la fabrication des bougies électriques, nous dirons que chaque bougie se compose de deux baguettes cylindriques, de charbon de cornue de gaz, de 4 millimètres de diamètre, et de 25 centimètres de longueur, et d’un colombin, ou lame isolante, qui sépare les crayons dans toute leur longueur, enfin de deux douilles de cuivre de 45 centimètres de hauteur, dans lesquelles s’emboîtent les deux crayons.

Le colombin aujourd’hui employé se compose, comme il a été dit plus haut, d’une partie de sulfate de baryte et de deux parties de plâtre. Ce mélange se volatilisant au fur et à mesure de la combustion des charbons, donne une lumière régulière.

Le mélange de plâtre et de sulfate de baryte est additionné d’eau, pour former une pâte, que l’on étend sur une plaque de marbre, et que l’on découpe à l’aide d’un outil approprié, de manière à lui donner transversalement la forme d’une lame concave sur ses deux champs ; on la sèche enfin à l’étuve.

Il ne reste qu’à introduire le colombin entre les crayons, et à serrer les douilles en cuivre qui doivent maintenir cet assemblage. On coupe l’extrémité du colombin de façon qu’elle soit de 1/2 centimètre au-dessous des pointes des crayons, et on trempe l’extrémité de la bougie dans un mélange composé d’eau gommée, de coke et de plombagine, qui doit servir, comme nous l’avons dit, à produire l’allumage.

Quelquefois, on recouvre de cuivre chaque bougie ; ce qui en augmente un peu la durée. On opère ce cuivrage par la galvanoplastie. Les bougies ordinaires durent deux heures lorsqu’elles sont cuivrées, et dix minutes de moins lorsqu’elles ne le sont pas. Malheureusement, le cuivrage ôte de la fixité à la lumière.

Pour éviter la casse ou la dislocation des éléments, on dispose les bougies dans des cadres en carton, garnis de feutre, que l’on place les uns sur les autres, dans une caisse en bois.

Les bougies de 4 millimètres donnent une intensité de quarante-cinq becs Carcel, lorsque l’intensité est mesurée, les deux crayons étant de face ; et de quarante becs, lorsqu’ils sont mesurés de profil.

Si on entoure les bougies d’un globe opalin, l’éclairage diminue d’intensité, selon le diamètre du globe et sa nature. Les globes, dont on fait généralement usage, entraînent une perte de lumière de 20 pour 100.

Les bougies de 6 millimètres, dont on se sert dans plusieurs magasins, ainsi que pour l’éclairage des phares, des quais et des ports, donnent une intensité lumineuse de quatre-vingts becs Carcel, lorsqu’on mesure cette intensité de face, et de soixante-treize becs Carcel, lorsqu’on la mesure de profil.

La production annuelle des bougies Jablochkoff est, pour la France seulement, de 1 500 000. C’est l’éclairage des phares et des ports qui en consomme la plus grande partie.

éclairage par incandescence.

La lampe à incandescence est le mode d’éclairage électrique le plus répandu aujourd’hui, surtout pour les intérieurs, c’est-à-dire les appartements, les théâtres et les lieux publics. Cette préférence s’explique par l’extrême commodité que présente ce mode d’éclairage. Pour allumer, comme pour éteindre un bec électrique, il suffit de tourner un robinet. Le danger d’incendie est absolument écarté par ce luminaire, puisqu’il est à l’abri de tout contact atmosphérique. Si la clochette qui entoure le fil incandescent, vient à se briser, la lumière s’éteint immédiatement, car le filament de charbon brûle à l’air, et disparaît. Aucun entretien n’est nécessaire, le filament conducteur durant trois à quatre mois sans être usé. L’éclat de la lumière, ainsi que sa couleur, ne laissent rien à désirer. Enfin, la dépense n’est pas supérieure à celle de l’éclairage au gaz, et l’on est dispensé de tous les soins d’entretien, nécessaires avec les lampes à huile, ou de la surveillance qu’exige l’emploi du gaz ou du pétrole.

Tous ces avantages sont énormes ; ils suffisent à expliquer l’emploi, si général aujourd’hui, de l’éclairage électrique par incandescence.

Comme on l’a vu, dans la partie historique de cette Notice, l’éclairage par l’incandescence d’un fil parcouru par un courant électrique, fut réalisé d’abord par M, de Changy, en France, en se servant d’un fil de platine qui rougissait à l’air libre, mais sans faire emploi du vide.

Les premières lampes électriques à fil placé dans le vide, furent les lampes dites russes, construites par Lodyguine, en 1872.

C’est en perfectionnant la lampe russe que M. Edison, en 1879, créa la première lampe électrique industrielle, fondée sur l’incandescence d’un filament de charbon, placé dans le vide. Le constructeur anglais Swann suivit de près Edison, et, à leur suite, différents concurrents créèrent des lampes auxquelles leur nom resta attaché, mais qui ne différaient que par la nature du filament de charbon, ou par le procédé servant à le fabriquer. M. Edison employa la fibre du bambou carbonisé ; Swann, du coton tressé carbonisé ; M. Maxim, du carton Bristol carbonisé ; M. Anatole Gérard, du charbon aggloméré passé à la filière.

Quelle que soit la nature du filament carbonisé, celui-ci est placé dans le vide, pour empêcher sa combustion. La forme du vase, ou ampoule, dans lequel le filament conducteur est placé, varie selon les constructeurs.

Nous allons décrire les différentes lampes à incandescence qui existent aujourd’hui, et la manière de les construire.

Nous prendrons pour type la fabrication des lampes dans les ateliers de M. Edison à New-York, et à Ivry (Seine), le célèbre constructeur américain étant le premier qui ait rendu ce mode d’éclairage pratique et commercial.

La matière qui doit former, après sa carbonisation, le filament conducteur de la lampe Edison, c’est le bambou du Japon. Arrivé à l’usine, le bambou est découpé en petites lanières, puis recourbé en forme d’U, et introduit dans des boîtes plates en nickel, bien fermées. Ces boîtes sont entassées, par centaines, dans un fourneau, et on remplit de plombagine l’intervalle qui existe entre elles, pour empêcher l’accès de l’air. On chauffe alors fortement le fourneau. Par la chaleur, le filament de bambou est transformé en charbon solide, flexible, assez dur, et conservant la forme recourbée en U qu’on lui avait donnée, en le plaçant dans la boîte de nickel.

Chaque extrémité du filament de charbon est ensuite fixée à un fil de platine, contourné, au bas, en une sorte de pince. Le filament charbonneux est ainsi soutenu en l’air par un fil de platine recourbé, qui établit sa communication directe avec le courant électrique.

Il s’agit maintenant de placer le filament de charbon et le support de platine, dans l’ampoule de verre où l’on doit faire le vide.

Le fil de platine et le filament de charbon sont introduits dans un petit tube de verre, ouvert à ses deux extrémités, et soudés à ce tube, par le dard d’un chalumeau. Pour assurer la parfaite adhérence du filament de charbon avec le platine, on a eu le soin de recouvrir les deux parties de platine et charbon d’un dépôt galvanoplastique de cuivre, qui, par son excellente conductibilité, donne un contact parfait.

Le filament de charbon et son support de platine étant ainsi fixés au tube de verre, on les introduit dans une ampoule, ou cloche, en verre de Bohême, renflée en haut, ouverte par le bas, et se terminant en haut par un rétrécissement tubulaire. On ferme la partie inférieure de l’ampoule par une forte couche de plâtre, qui, en même temps, maintient le tube de verre et le filament de charbon bien en place. Pour faire le vide dans la clochette, on met celle-ci en communication, par le petit tube qui la surmonte supérieurement, avec une pompe de Sprengel.

On sait que la pompe de Sprengel, en usage dans les laboratoires de physique, est un appareil qui sert à faire le vide par un moyen des plus simples : par la chute d’une quantité suffisante de mercure, qui, en tombant dans le vase inférieur et le remplissant, en chasse l’air devant lui. Mise en rapport, par sa tubulure supérieure, avec une pompe de Sprengel, la cloche est bientôt vide d’air, et quand le vide est obtenu, on la ferme en fondant au chalumeau la tubulure supérieure. On a eu toutefois la précaution, avant que le vide soit complètement obtenu, de faire passer, dans le conducteur de charbon, un courant voltaïque. Ce courant a échauffé le fil, et, par ce moyen, chassé les gaz qu’il contenait.

Le filament conducteur se trouve ainsi placé dans un espace absolument privé d’air ou d’autres gaz.

Pour mettre la cloche en rapport permanent avec le courant électrique, on enchâsse sa partie inférieure, qui était bouchée, comme il a été dit, par une forte couche de plâtre, sur une douille de laiton, filetée extérieurement, et reliée avec un des fils de platine.

La cloche ainsi préparée est apte à recevoir le courant électrique. Pour la fixer aux appareils d’éclairage, il suffit de poser la douille métallique filetée dont elle est pourvue, avec une pareille vis également filetée, qui la met en communication avec les fils du courant électrique.

Fig. 330. — Bec de lampe Edison.

La figure ci-dessus montre l’aspect de l’ensemble de la lampe électrique par incandescence d’Edison, telle qu’on la construit aujourd’hui.

Il existe deux types de lampe à incandescence Edison, l’une donnant une intensité de 16 bougies, l’autre de 10 bougies. Elles brûlent, en moyenne, mille heures, avant d’être usées.

La lampe à incandescence Edison est la plus répandue en France et aux États-Unis ; mais, en Angleterre, c’est la lampe Swann qui obtient la préférence.

C’est que l’on considère, en Angleterre, M. Swann comme l’inventeur de la lampe à incandescence électrique. Il est certain que, bien avant Edison, c’est-à-dire après l’apparition des lampes russes, M. Swann travaillait à rendre ces lampes pratiques, et qu’il en présenta des modèles très perfectionnés dans une conférence publique faite par lui, à Londres. Cependant, les lampes du constructeur anglais n’avaient pas encore atteint un degré suffisant de perfectionnement pour être livrées au commerce. C’est à la suite du succès obtenu par la lampe Edison, en Amérique, que M. Swann reprit ses recherches, et arriva à perfectionner la lampe qu’il fabrique actuellement.

Le filament du conducteur de la lampe Swann provient d’un gros fil de coton, préalablement parcheminé par son immersion dans l’acide sulfurique concentré. Il présente la forme d’une boucle, comme le représente la figure ci-dessous.

Fig. 331. — Bec de lampe Swann.

Les extrémités du filament charbonneux sont fixées à un support métallique, enveloppées de verre sur presque toute leur étendue, et maintenues par une traverse, également en verre. Les fils de platine conducteurs se terminent, à l’extérieur, par une capsule métallique qui sert à mettre la cloche en communication directe avec le courant.

D’autres fois, les fils de platine sont soudés, chacun à une rondelle métallique, fixée à une substance isolante que l’inventeur appelle vitrite.

Fig. 332. — Lampe Swann.

La figure ci-dessus montre l’aspect que présente la lampe Swann, une fois mise en place.

Il existe plusieurs types de lampes Swann à incandescence donnant l’intensité de 5, 10, 16 ou 32 bougies.

Dans la lampe Lane Fox, en usage en Angleterre, comme la précédente, le filament conducteur consiste en une fibre végétale, que l’on soumet à un procédé imaginé par le constructeur américain Maxim, que nous avons déjà fait comnaître (page 401). Ce procédé, consiste à nourrir le filament, c’est-à-dire à le recouvrir secondairement de charbon, par la décomposition par la chaleur, au moyen d’une substance organique ajoutée au filament végétal.

C’est le chiendent ou la fibre du bouleau, qui servent à préparer le charbon conducteur, dans la lampe Lane Fox. Après avoir carbonisé le chiendent dans des boîtes bien fermées, on dépose encore du charbon dans les pores du produit, en les suspendant dans des vases de verre remplis de la substance gazeuse nommée benzol, et en carbonisant celui-ci par le passage d’un fort courant voltaïque. Porté à la chaleur rouge, le filament décompose les vapeurs de benzol, et les particules de charbon provenant de cette opération se déposent sur les parties les plus extérieures du filament.

Fig. 333. — Bec de lampe Lane Fox.

Les filaments conducteurs ainsi constitués sont garnis, à leurs extrémités, de petits cylindres de charbon cc (fig. 333), et introduits dans l’ampoule de verre, au moyen des dispositions suivantes. Les petits cylindres de charbon cc sont rattachés à deux crochets de cuivre, ee, qui servent à relier les lampes avec le circuit voltaïque. La conductibilité électrique des cylindres de charbon cc avec les crochets de cuivre ee, est assurée par un petit réservoir, aa, plein de mercure. Le tout est fixé et maintenu, sur la cloche, au moyen d’un bouchon de plâtre, f, qui remplit l’ouverture du cylindre en cristal.

Fig. 334. — Bec de lampe Anatole Gérard.

La lampe Anatole Gérard (fig. 334), qui est exploitée en France, renferme un charbon provenant, non de la combustion d’une matière végétale, mais composé tout simplement de coke purifié et réduit en poudre très fine. Cette poudre agglomérée avec du brai et des matières gommeuses, forme une pâte, que l’on passe à la filière, sous une forte pression. On donne à ce filament la forme d’un triangle, en réunissant ses deux bouts à leur partie supérieure.

Les extrémités libres de ce triangle sont fixées et soudées, au moyen d’une pâte de charbon, dans deux petits cylindres, également en charbon, montés sur des fils de platine, que l’on noie dans une tige d’émail qui traverse le col de l’ampoule. On les relie, à leur sortie, l’un à un collier en cuivre fixé au col de la lampe, l’autre à une rondelle en cuivre isolée du collier métallique, et qui traverse la base de la cloche.

Ces lampes ne demandent qu’une assez faible dépense de courant.

Les quatre types de lampes Anatole Gérard, que l’on fabrique, produisent la lumière de 8, 15, 20 et 32 bougies.

Les lampes Weston sont très usitées aujourd’hui aux États-Unis. On voit dans les rues de New-York beaucoup de ces lampes, de l’intensité de 125 bougies, pour l’éclairage des rues.

Fig. 335. — Lampe Weston.

La matière qui compose les filaments des lampes Weston (fig. 335) est une sorte de cellulose, appelée termidine, qui s’obtient en traitant du fort papier par un mélange d’acides sulfurique et azotique, qui le dissout, en formant du fulmicoton. On évapore la dissolution jusqu’à consistance demi-solide, et l’on coupe la matière en feuilles de 0mm,15 d’épaisseur, qu’on plonge dans l’ammoniaque pendant une heure environ, après quoi on les lave et on les sèche.

Ces feuilles ont toutes les propriétés de la cellulose. On les chauffe à une température élevée, et l’on obtient un filament de charbon d’une grande résistance électrique et d’une parfaite homogénéité.

Pour fixer le filament dans le charbon, on l’attache à un fil de platine, terminé par des boucles de jonction, et on l’introduit dans un culot en verre, qui se soude à l’ampoule, pour former sa partie inférieure. On réunit les boucles et les filaments au moyen de petits boulons.

M. Weston fait usage, pour supporter ses cloches, d’une douille particulière, qui établit ou ferme le passage du courant d’une façon très simple.

Une lampe à incandescence nouvelle, qui se fabrique à Paris, est la lampe Cruto, dont le mode de fabrication est assez original.

On prend un fil de platine recouvert d’un dépôt d’argent assez épais, et on passe ce fil à la filière, jusqu’à ce que son diamètre soit d’un dixième de millimètre. On dissout l’enveloppe d’argent, à l’aide d’acide azotique, et l’on obtient ainsi un fil de platine, d’un centième de millimètre de diamètre. On le coupe à la longueur voulue, et on le recourbe en forme d’U ; puis on le fixe, par ses deux extrémités, à deux pinces métalliques, isolées l’une de l’autre, et montées sur un support. Le tout est alors enfermé dans une ampoule de verre, dans laquelle on fait passer un courant de gaz hydrogène bicarboné, et l’on fait traverser le filament par un courant électrique. La chaleur du courant décompose le bicarbure d’hydrogène, et laisse un dépôt de charbon sur le filament, Lorsque le dépôt de charbon a acquis l’épaisseur désirée, on arrête le courant, et l’on fixe le filament sur des supports de platine, à l’aide d’un dépôt de charbon, obtenu également par la décomposition électrolytique du bicarbure d’hydrogène. Le tout est introduit dans l’ampoule, où on fait le vide ; puis on ferme la lampe.

Ces lampes sont généralement munies d’un culot en vitrite.

Les quatre types de ces lampes fournissent un éclairage de la valeur de 10, 16, 32 et 50 bougies.

Nous venons de faire connaître les principales lampes à incandescence en usage en France, en Angleterre et aux États-Unis. Il nous reste à dire que, depuis quelque temps, on commence à employer des lampes à incandescence ayant l’ambition d’entrer en concurrence avec les lampes à arc et les bougies Jablochkoff.

En forçant la tension du courant, on espère produire un éclairage supérieur à celui des lampes à incandescence ordinaires, et se rapprochant de celui des lampes à arc.

On a beaucoup remarqué, à l’Exposition universelle de 1889, les lampes Sunbeam, qui répondaient au programme sus-indiqué.

Spécialement construites pour des intensités lumineuses variant depuis 150 jusqu’à 1 500 bougies, ces lampes conviendraient pour l’éclairage de grands espaces. Leur rendement lumineux est considérable, comparativement à celui des lampes à incandescence ordinaires, et la durée de leur service est beaucoup plus longue. Les globes dont on entoure les foyers lumineux, sont de grandes dimensions. Les types existants ont la puissance de 150, 200, 300, 400, 500, 600, 800, 1 000, 1 200, et 1 500 bougies.

L’avantage de ce nouveau système serait de produire la même puissance éclairante que les bougies Jablochkoff, ou les lampes à arc, sans nécessiter le remplacement quotidien des crayons de charbon. C’est ce qui pourra amener le succès de ce nouveau système. La main-d’œuvre est, en effet, plus qu’une dépense : c’est une sujétion, qui présente quelquefois de graves inconvénients.

C’est à l’expérience à prononcer, sur les avantages de la substitution dont il s’agit. Si le prix de la main-d’œuvre et celui des crayons de charbon diminuait, ou bien si la dépense de la force motrice s’abaissait, il pourrait arriver que la bougie Jablochkoff et la lampe à arc cédassent le pas aux lampes à incandescence à éclairage intensif. Mais ni l’expérience ni la pratique n’ont encore prononcé sur cette question, et l’avenir de cette innovation est problématique. Avec les lampes à incandescence on produit un éclairage aussi puissant qu’on le désire, en multipliant les becs. Il n’est pas prouvé qu’il y eût avantage économique à accroître la lumière obtenue par incandescence, dans une même ampoule de verre, pour lutter contre les bougies électriques ou les lampes à arc.


CHAPITRE IV

sources d’électricité pour l’éclairage. — la machine dynamo-électrique.

Le courant électrique qui doit fournir aux lampes à arc et aux lampes à incandescence leur illumination, au moyen des procédés et appareils que nous venons de faire connaître, peut être fourni par trois sources :

1° Par les machines dynamo-électriques, que l’on nomme, par abréviation, machines dynamos ou dynamos ;

2° Par les accumulateurs ;

3° Par la pile voltaïque.

Les machines dynamos sont employées pour fournir le courant aux lampes à arc et aux lampes à incandescence.

Les accumulateurs servent comme source auxiliaire, tenue en réserve, en cas d’accident, pendant la durée du service de l’éclairage.

Quant aux piles voltaïques, elles ne sont pas applicables à un éclairage important. Le faible courant qu’elles produisent, ne saurait être utilisé que pour des éclairages de peu de durée, d’une soirée tout au plus. Nous ne les citons ici que pour mémoire, leur rôle étant presque nul, comparé aux deux autres sources d’électricité.

Machines dynamo-électriques, ou dynamos. — Nous avons consacré dans le premier volume de ce Supplément, un long chapitre et de nombreux dessins à décrire les principales machines dynamo-électriques, en distinguant les machines produisant un courant d’électricité continu et les machines donnant un courant alternatif[5].

Nous avons décrit et figuré, dans le chapitre qui leur est consacré, les machines dynamos à courant continu de MM. Gramme, Siemens, Bréguet, Brüsh, Edison, Bourgoin, Schükert, Gérard, Weston, Elmore, Mathé, etc.

Nous ajouterons ici, comme appareils construits depuis, ou récemment perfectionnés, les machines à courant continu de M. Edison, en Amérique, de M. Bréguet, en France, de M. Jaspar, en Belgique et de M. Thomson Houston, aux États-Unis.

Dans la machine dynamo-électrique Edison, que nous avons représentée par la figure 375 (page 440) du tome Ier de ce Supplément, l’induit était constitué par des fils se croisant d’un côté de l’âme cylindrique, et s’attachant, de l’autre côté de l’âme, aux lamelles du collecteur. Une plaque de zinc très épaisse séparait les pièces polaires du bâti de la machine, afin de l’isoler, au point de vue magnétique, du reste de la dynamo.

En 1886, la Société Edison a construit, dans ses ateliers d’Ivry (Seine), d’après les études et les calculs de M. Pirou, directeur de ces ateliers, un nouveau type différant, par quelques dispositions secondaires, de celui que nous avons décrit, et qui est surtout remarquable par ses dimensions. Une de ces machines a été installée dans les sous-sols de l’Opéra de Paris. Nous la représentons dans la figure 336. Le poids total de ce puissant appareil, qui alimente, à l’Opéra, 1 000 becs à incandescence, de la valeur de 46 bougies, est du poids de 100 tonnes. Il donne 95 pour 100 d’effet utile du courant électrique engendré.

Fig. 336. — Machine dynamo-électrique Edison.

À l’Opéra, chaque machine dynamo est actionnée séparément par une machine à vapeur à grande vitesse de MM. Wehyer et Richemond, de la force de 150 chevaux. C’est une des plus puissantes qui existent aujourd’hui en Europe.

Nous avons décrit, dans le tome Ier de ce Supplément, la machine dynamo de M. Bréguet. Un type un peu différent, et qui est d’un assez grand usage pour l’éclairage électrique, a été construit depuis. Nous le représentons dans la figure 337.

Fig. 337. — Machine dynamo-électrique Bréguet.

L’induit est un anneau Gramme, muni d’un collecteur cylindrique, et de balais, également du système Gramme.

L’inducteur est composé de deux barres horizontales, garnies de fils et de deux fortes traverses verticales.

Les pièces polaires sont fixées au milieu des barres horizontales. Les paliers sont très larges.

La poulie est placée entre deux paliers complètement indépendants de la machine qui est entraînée au moyen d’un accouplement élastique fort ingénieux, imaginé par M, Raffard. Une autre disposition nouvelle amortit les vibrations dues au moteur et assure à l’arbre moteur un mouvement très régulier.

Les machines dynamos de M. Bréguet sont installées à bord de différents navires, notamment de la Champagne, de la Bretagne, du Lafayette, et du Saint-Germain, de la Compagnie transatlantique, sur trente-deux bateaux du service des « Express » de la Seine ; aux raffineries de Saint-Louis, à Marseille, etc.

En Belgique, on se sert beaucoup des machines dynamos construites à Liège, par M. Jaspar, qui le premier, dans son pays, a construit de grands appareils électriques industriels, et à qui l’on doit les installations de lumière électrique des mines de Seraing (le Creusot de la Belgique), de Raismes, de Gamand, et celle de la place des Nations, à Bruxelles.

La machine dynamo-électrique de M. Jaspar, a un induit très allongé. L’inducteur est formé de deux pièces de fonte verticales.

Dans les appareils de la place des Nations, à Bruxelles, M. Jaspar a remplacé la potence fixe supportant le foyer, par des mâts à bascule de son invention, qui permettent de garnir le régulateur de crayons, sans le secours d’une échelle.

La machine dynamo-électrique la plus en usage aux États-Unis, est celle de MM. Thomson-Houston, qui éclaire un grand nombre de voies publiques et d’ateliers. Elle a été importée en France ; et à l’Exposition de 1889, elle desservait une partie du circuit électrique qui distribuait la lumière dans les différentes salles.

La machine dynamo Thomson-Houston doit son succès au système de régulateur qui maintient constante l’intensité du courant électrique, quelle que soit la résistance intérieure, et à un petit appareil, appelé soufflerie, qui empêche la destruction du collecteur par les étincelles électriques. Grâce au régulateur automatique, le courant peut varier depuis la plus faible intensité jusqu’au nombre total de lampes qu’il s’agit d’alimenter, et la vitesse peut augmenter dans la même proportion, sans nuire au bon fonctionnement du circuit.

Fig. 338. — Machine dynamo-électrique Thomson-Houston.

Nous donnons, dans la figure 338, la vue d’ensemble de la machine dynamo Thomson-Houston, et dans la figure 339 une coupe partielle.

Fig. 339. — Coupe de l’inducteur de la machine Thomson-Houston.

L’inducteur est formé d’électro-aimants en fonte, I (fig. 339), placés sur le prolongement l’un de l’autre et sur lesquels s’enroulent les fils de la bobine, C. Deux barres de fer, bb, maintiennent ce système rigide. Entre les cylindres I, se place l’induit, A, qui est sphérique, et qui est enveloppé presque entièrement par les bobines de l’inducteur. Au centre de l’induit, ou armature, A, passe l’arbre moteur : on en voit la section en X.

Fig. 340. — Induit et bobine de la machine Thomson-Houston.

Cet induit, A, a la forme d’une sphère légèrement aplatie. Son noyau est composé d’une carcasse en fer ayant la forme d’un sphéroïde monté sur l’arbre X (fig. 340). Les pièces polaires sont deux disques de fonte, reliés par une série de traverses isolées, munies de tenons. Sur ces traverses est enroulée une certaine quantité de fils de fer g, g, recouverts de gomme-laque. On recouvre le noyau de l’armature ainsi formée de plusieurs couches de papier isolant, sur lequel on enroule le fil de cuivre isolé.

Nous omettons l’organe de la machine Thomson-Houston qui est particulier aux machines à arc, et qui ne se trouve pas dans les machines pour l’éclairage par incandescence ; nous voulons parler de la soufflerie, qui sert à préserver les collecteurs d’une usure trop rapide, moyennant une injection d’air froid.

Le régulateur automatique constitue la nouveauté de cette machine dynamo. L’effet de cet appareil est rapide et sûr ; on peut éteindre ou allumer un grand nombre de becs à la fois, sans troubler la marche des autres.


CHAPITRE V

divers genres de moteurs en usage pour actionner les machines dynamo-électriques. — machines à vapeur, moteur à gaz, air comprime, chutes d’eau et turbines ou roues hydrauliques.

La production d’électricité, dans les machines dynamo-électriques que nous venons de décrire, étant due à la transformation du mouvement en électricité, on comprend que la force mécanique servant à engendrer le mouvement, puisse être fournie par un moteur quelconque. Dans la pratique, la force motrice qui actionne les machines dynamos est empruntée, selon les circonstances locales, à quatre sources différentes :

1° À la machine à vapeur ;

2° Au moteur à gaz ;

3° À l’air comprimé, ou au vent ;

4° Aux chutes d’eau, ou aux turbines, avec roues hydrauliques.

Machines à vapeur. — Une machine à vapeur quelconque peut actionner les machines dynamos. Il faut seulement qu’elle imprime à l’arbre moteur de la dynamo une vitesse suffisante. Nous avons décrit, dans ce Supplément, les machines à vapeur à grande vitesse[6] ; nous renvoyons à ce chapitre, pour la description des machines à grande vitesse de MM. Wehyer et Richemond, Garnier, Whitehouse, etc.

Les machines à vapeur à grande vitesse sont les meilleurs moteurs dont on puisse faire usage pour actionner les machines dynamos. Cependant, une machine à vapeur à vitesse moyenne, telle qu’elle existe dans les usines, les filatures, les manufactures diverses et les ateliers de construction, peut fournir de bons résultats, sous le rapport de l’économie, si elle est pourvue d’un régulateur très sensible, qui donne au mouvement l’uniformité exigée pour une marche très régulière.

La dépense de charbon est proportionnelle à la force produite.

Il est bon de remarquer que les machines à vapeur à condensation, c’est-à-dire les machines compound, dépensent moins de charbon que les machines à robinet, ou machines genre Corliss ; mais cet avantage est jusqu’à un certain point contre-balancé par le prix plus élevé de ces machines, et la dépense d’eau nécessaire pour la condensation de la vapeur.

Les locomobiles peuvent être employées pour des installations temporaires ; mais il faut prendre des machines à deux cylindres, dont la vitesse est plus régulière que celle des machines à un seul cylindre.

On se sert beaucoup, à Paris, des machines à vapeur demi-fixes de MM. Wehyer et Richemond. Nous avons décrit et représenté ces appareils dans ce Supplément[7]. La chaudière et les cylindres à vapeur sont placés sur le même bâti, comme on peut le voir sur les divers dessins que nous en avons donnés. Dans les installations d’éclairage électrique des théâtres de Paris, ce sont les machines demi-fixes de MM. Wehyer et Richemond, qui fonctionnent généralement. Telles sont celles de l’Opéra.

Les constructeurs de machines à vapeur ont exécuté, depuis quelques années, des types particuliers, dans lesquels des moteurs à vapeur, comme le moteur Westinghouse, qui tourne à la vitesse de 200 tours à 300 tours par minute, sont attelés directement à la dynamo. Dans le présent volume (page 335, fig. 278) nous avons représenté une machine à grande vitesse attelée à une dynamo, qui sert à produire l’éclairage électrique du bâtiment cuirassé l’Indomptable.

Un tel moteur donne une lumière très fixe, en raison de la vitesse excessive, et d’ailleurs, uniforme, de l’arbre moteur, mais la consommation de vapeur est considérable, et la dépense est bien supérieure à celle des machines à vapeur ordinaires, séparées de la dynamo. Ce n’est donc que quand on dispose de peu d’espace, comme sur un navire, que l’on doit avoir recours à cette alliance sur le même bâti du moteur et de la dynamo.

Sur certaines machines pour l’éclairage des navires, comme sur celle de l’Océanien, on est allé jusqu’à donner à l’arbre de couche de la dynamo, une vitesse de 755 tours par minute ; ce qui est excessif. Il est bon de ne pas dépasser la vitesse de 330 tours.

C’est pour réagir contre cette exagération que MM. Sautter et Lemonier ont construit, pour les navires, la machine à lumière électrique dont il est question plus haut, et qui ne dépasse pas la vitesse de 300 tours.

La machine à vapeur rotative, c’est-à-dire supprimant toute transmission de mouvement, et agissant directement sur l’arbre moteur, était tout indiquée pour intervenir dans le cas qui vient d’être mentionné. On a adopté la machine rotative attelée à une dynamo, sur quelques paquebots. La dépense de vapeur est considérable, mais le navire, disposant d’une quantité de vapeur énorme, peut subvenir sans inconvénient à ce gaspillage.

Ce sont là, toutefois, des cas exceptionnels. L’habitude générale, pour les installations d’électricité, c’est l’usage des machines à vapeur demi-fixes, telles que les construisent, à Paris, MM. Wehyer et Richemond, Boulet et autres.

Moteur à gaz. — Le moteur à gaz offre de tels avantages, par sa facilité d’installation, que bien des magasins, dans les grandes villes, font usage de ce moteur, commode, sinon économique. Dans certains cas, d’ailleurs, c’est le seul agent de force auquel on puisse avoir recours, en raison de l’exiguïté de la place dont on dispose, et de l’impossibilité de faire usage d’une machine à vapeur.

Par l’instantanéité de son action, par la dépense strictement limitée à l’effet produit et l’avantage qui lui est propre de ne travailler qu’au moment nécessaire, le moteur à gaz offre quelquefois autant d’économie, bien calculée, qu’une machine à vapeur.

Il est toutefois une condition essentielle, quand on a recours au moteur à gaz, c’est d’employer un moteur à deux cylindres, et de placer un volant sur la dynamo. Sans cette précaution, la marche est irrégulière, et il se produit, dans l’éclairage, des variations d’éclat, extrêmement désagréables.

Air comprimé. — L’air comprimé constitue une force mécanique d’un emploi extrêmement commode, dans la pratique, si une canalisation convenable en permet la distribution irréprochable. C’est ce qu’a réalisé, à Paris, depuis plusieurs années, l’ingénieur autrichien, M. Victor Popp, à qui l’on doit la remarquable découverte de la distribution de l’heure aux cadrans des horloges des villes, au moyen de l’air comprimé.

M. Victor Popp a créé à Paris, à Ménilmontant (rue Saint-Fargeau), une vaste usine, dont la surface couverte est de plus de 2 000 mètres carrés, et qui occupe une superficie totale de 15 000 mètres carrés. Elle possède sept machines à vapeur, de la force de quatre cents chevaux chacune, et deux machines de cent chevaux, formant un total de trois mille chevaux de force, et pouvant prendre dans l’atmosphère, chaque jour, 93 000 mètres cubes d’air, pour les distribuer à Paris, avec six kilogrammes de pression. La consommation du charbon est de 50 000 kilogrammes par jour.

Ce producteur de force a l’avantage de rendre inutile toute installation de machine à vapeur ou de moteur à gaz, chez les particuliers, ou dans les établissements publics, installation qui n’est pas toujours possible, vu les craintes que propriétaires et locataires éprouvent du voisinage d’une machine à vapeur ou d’un moteur à gaz, et les procès qui s’ensuivent. Aussi M. Victor Popp a-t-il rendu un grand service à beaucoup de marchands et boutiquiers de Paris, ainsi qu’à divers théâtres, en leur distribuant, par sa canalisation, la force motrice nécessaire pour produire leur éclairage. Le prix, plus élevé, de cet agent moteur est largement compensé par ses avantages pratiques.

La canalisation d’air comprimé créée par M. Victor Popp, est utilisée, à Paris, sur toutes les voies qu’elle traverse. Sans parler de l’éclairage des boulevards, dans la section qui lui a été concédée, en 1889, M. Victor Popp dessert, pour leur éclairage électrique, beaucoup d’établissements importants, tels que plusieurs théâtres, plusieurs cafés des boulevards, les Montagnes-Russes, différents cercles, etc.

La canalisation de l’air comprimé, placée, tantôt dans les égouts, tantôt dans des tranchées, est aujourd’hui d’une longueur d’environ cinquante kilomètres.

Les machines dynamos actionnées par l’air comprimé, sont réparties en divers points de la canalisation, convenablement choisis.

M. Popp a créé, à Montpellier, une installation pareille à celle de Paris, pour l’éclairage du Grand-Théâtre, et celui de beaucoup de magasins et ateliers de la ville.

On peut rattacher à l’air comprimé employé comme moyen d’actionner les machines dynamos, et de produire l’éclairage électrique, l’usage du vent.

Le discrédit dans lequel sont tombés, dans notre siècle, les moulins à vent, tient à trois causes : le temps de leur chômage, qui est, en France, de plus d’un tiers du temps total, l’irrégularité de leur vitesse, et l’imperfection des récepteurs.

Le vent n’est utilisable, en effet, que lorsque sa vitesse est comprise entre certaines limites : de trois mètres à douze mètres par seconde. De plus, entre ces limites, les variations de son intensité ne permettent pas toujours d’employer directement la force disponible. D’où la nécessité d’avoir recours à des appareils qui emmagasinent ce travail imparfait, pour le restituer, avec perte il est vrai, mais sous une forme susceptible d’emploi.

Au point de vue des récepteurs du mouvement, il est nécessaire que la voilure augmente ou diminue automatiquement, quand la vitesse du vent varie en sens inverse, De la sorte, on tend à avoir une production de travail constante, et si le vent tourne en tempête, les accidents sont évités.

Comme les moulins à vent d’aujourd’hui remplissent à peu près ces conditions, on a cherché de nouveau à les utiliser. En Hollande et en Égypte, on les emploie à faire manœuvrer des pompes d’épuisement. En Amérique, on les compte par centaines de mille. Leur rôle consiste à entretenir pleins d’eau les abreuvoirs des exploitations agricoles, ainsi que les réservoirs d’eau des stations de chemins de fer.

Lors de l’installation de la lumière électrique au phare de la côte du Havre, à l’extrémité du cap de la Hève, on a réussi à utiliser la force motrice du vent. Deux machines dynamos, actionnées par un moulin à vent, emmagasinent l’énergie électrique dans des accumulateurs, qui la distribuent ensuite, sous forme de lumière.

Cette dernière installation présente un certain intérêt au point de vue du moteur, et nous en donnerons la description.

Le moteur à vent est du système Halladay, modifié ; il développe, paraît-il, une force de dix-huit chevaux, mesurés sur l’arbre droit, par une vitesse de dix mètres de vent à la seconde.

Monté sur une charpente de bois, établie sur des massifs en maçonnerie, le moulin donne le mouvement, par l’intermédiaire d’un arbre vertical et de deux paires d’engrenages coniques, à un arbre de couche, placé à une hauteur convenable au-dessus du sol. Sur cet arbre de couche sont montées les poulies, qui, au moyen de courroies, commandent les machines dynamos, reliées elles-mêmes à une série d’accumulateurs.

Le moulin devait être automatique, résister aux tempêtes, développer, au besoin, une grande force, et être capable, cependant, de recueillir des souffles légers.

L’orientation automatique a été facilitée au moyen d’un jeu de galets interposés entre le plateau fixe et la plaque tournante, et d’un système de régulateur à boules, agissant par friction, sur un treuil, qui ouvre ou ferme la voilure, dont la projection sur un plan perpendiculaire à l’arbre du moulin, se trouve ainsi augmentée ou diminuée, suivant la vitesse du vent.

La voilure des ailes se distingue par un grand nombre d’ailettes droites, groupées en roues ; cette disposition est particulière aux moulins américains.

Les deux machines dynamo-électriques développent, l’une et l’autre, aux bornes, à des vitesses variables, une différence de potentiel constante de soixante-quinze volts.

L’intensité du courant de la machine la plus petite, est de huit ampères, quand la vitesse de rotation de l’anneau est de cent tours à la minute, et de quarante ampères, quand cette vitesse atteint deux cent soixante tours. La plus grande donne un courant de quarante à cent ampères, pour une vitesse de rotation de l’anneau de deux cent cinquante à six cent cinquante tours, par minute.

Quant au rendement mécanique, il est de un à quatre chevaux-vapeur, pour la machine la plus petite, et de quatre à seize chevaux-vapeur pour la plus grande. Ces deux machines fonctionnent alternativement, suivant la quantité d’énergie emmagasinée dans les accumulateurs.

L’embrayage et le débrayage se font automatiquement.

Dans la séance du 2 mai 1888, de la Société de physique de Glasgow, le professeur Blith a décrit une expérience qu’il fit, dans l’été de 1887, sur l’emploi de la force motrice du vent pour la production de l’électricité destinée à fournir un éclairage.

M. Blith installa un petit moulin à vent, pour charger des accumulateurs, et procurer ainsi l’éclairage électrique dans le petit village de Marykirk, où il passait ses vacances. Le moulin était du type ancien, et s’élevait dans le jardin. La tour consistait en un trépied de bois, solidement assis sur le sol, et consolidé par des entretoises en bois. L’axe se trouvait à 11 mètres au-dessus du sol, et portait quatre ailes, à angle droit les unes sur les autres, de 4m,30 de long. La machine dynamo-électrique, du type Burgin, était menée par une simple corde, et l’on obtenait une vitesse suffisante, même lorsque le moulin ne tournait pas très rapidement. Le courant chargeait 12 accumulateurs, qui alimentaient les lampes de la maison. On n’a jamais employé à la fois plus de 10 lampes de 8 bougies à vingt-cinq volts, mais on aurait pu aisément produire de quoi en alimenter beaucoup plus. Un jour, par une bonne brise, on obtint, en une demi-journée, de quoi s’éclairer pendant trois soirées, de trois à quatre heures chacune.

Chutes d’eau et roues hydrauliques. — Les chutes d’eau naturelles, lorsqu’elles ne sont pas trop éloignées du lieu où leur puissance doit être utilisée, offrent de grands avantages, comme force motrice économique, puisque l’on tire parti, de cette manière, d’une force fournie par la nature, et qui ne coûte que son aménagement à cet usage particulier.

On peut placer la roue ou la turbine près des lieux à éclairer ; ou bien produire l’électricité à côté du cours d’eau, au moyen de la machine dynamo, et amener le courant à grande distance, jusqu’aux lampes.

La seule condition et la vraie difficulté, c’est de donner au courant ou à la chute d’eau, qui sont essentiellement variables, l’extrême régularité qu’exige l’éclairage électrique.

Fig. 341. — Dynamo, à armature supérieure, de la Société Edison, pour le transport de la force à distance, et machine réceptrice du courant.
D, dynamo. — R, réceptrice.

La Société Edison construit, pour le transport de la force à distance, par l’électricité, des dynamos et des réceptrices, d’un type particulier, que nous représentons dans les figures ci-dessus.

La chute d’eau actionnant la dynamo dont nous donnons le dessin, envoie son courant, à distance, à la réceptrice, que nous figurons également, et l’électricité ainsi engendrée et transportée, peut servir à alimenter des lampes électriques.

Après ces explications théoriques, nous ferons connaître, à titre d’exemple, les cas réalisés jusqu’ici, de chutes d’eau utilisées pour le travail mécanique qui nous occupe.

La ville de Bourganeuf possède, depuis 1889, un éclairage électrique, pour lequel on a convenablement aménagé la chute d’eau dite de la Maulde, située en un lieu nommé les Jonauds, à un kilomètre environ de Saint-Martin-le-Château, et à quatorze kilomètres de Bourganeuf. La quantité d’eau que débite cette chute, même en été, étant très supérieure à celle dont on avait besoin, on s’est contenté d’en dériver une partie, au moyen de conduites en fonte, qui amènent l’eau, sous pression, jusqu’au moteur, situé à 31 mètres plus bas.

Ce moteur est une turbine à axe horizontal, dont la puissance maxima est de 130 chevaux-vapeur, lorsqu’elle tourne à la vitesse de 150 tours par minute, et qui transmet son mouvement à la machine génératrice, située au premier étage du pavillon, au moyen de deux courroies, qui attaquent directement les poulies de cette dernière.

La machine génératrice d’électricité est à haute tension, et à deux anneaux égaux, montés sur le même arbre, et excités par deux inducteurs rectilignes, parallèles à l’axe de rotation, et dont les quatre pôles sont entièrement libres.

La ligne est formée de deux fils (un pour l’aller, l’autre pour le retour du courant), posés sur des poteaux en sapin, garnis d’isoloirs en porcelaine. Le fil, en bronze silicieux, est nu, et son diamètre est de 5 millimètres.

La machine réceptrice est identique à la génératrice, et comme elle, excitée à part, au moyen de machines à basse tension, qu’elle met en mouvement par deux courroies.

Au moment du démarrage, le champ magnétique de la réceptrice est excité par des accumulateurs, que l’on supprime dès que la vitesse normale est obtenue.

Les machines à lumière électrique sont du type Gramme, et construites par M. Breguet, pour donner chacune 110 volts et 250 ampères.

La marche des machines, grâce à l’emploi d’un rhéostat liquide, à circulation d’eau, est d’une régularité irréprochable, et leur conduite peut être confiée à de simples ouvriers, installés à demeure, l’un à la turbine, l’autre à la réceptrice. La durée de la marche, qui dans les premiers temps était de dix heures par jour (cinq heures dans la journée pour charger les accumulateurs, cinq heures le soir pour l’éclairage direct sans le secours de ceux-ci), a été réduite à six heures.

Le préposé à la turbine est soumis au même genre de vie qu’un gardien de phare. Il doit, dans la mauvaise saison, s’approvisionner de vivres, pour une semaine au moins, et se trouver isolé de toutes communications avec l’extérieur. Il est, d’ailleurs, dans un site absolument sauvage, et n’a, en cas d’avarie, aucun secours à attendre que de lui-même.

C’est également pour produire un éclairage électrique au moyen de la force d’une chute d’eau transportée à distance, qu’une usine a été créée en France, près de la ville de Châteaulin, dans le département du Finistère.

L’inauguration de cette intéressante installation mécanique, a été faite le 20 mars 1887. L’usine est placée à environ 2 kilomètres et demi de la ville, sur le canal de Nantes à Brest, près d’une écluse, où existe une chute d’eau, de 1m,30 de hauteur. La force motrice est fournie par une turbine, de la force de 45 chevaux. Une machine dynamo alimente directement les lampes électriques, par des câbles en cuivre, de 12 millimètres de diamètre, d’une longueur de 1 900 mètres. Ces câbles aboutissent à des conducteurs de distribution, dont la longueur totale est de 6 kilomètres. Les fils sont aériens. Les installations intérieures sont faites avec des câbles environnés de plomb.

La machine dynamo est arrêtée à minuit, heure à laquelle cesse l’éclairage public. À partir de ce moment, le courant est fourni aux lampes des abonnés qui désirent encore s’éclairer, par une batterie de 60 accumulateurs.

L’éclairage public comprend 35 lanternes, de la valeur de 10, 20, 30 et 50 bougies, qui fournissent à l’éclairage des quais, des ponts, des rues et des places publiques. Un certain nombre sont placés dans la mairie, l’église, les halles, les cafés, les hôtels, les magasins et quelques maisons particulières.

La ville a traité à forfait avec les directeurs de l’usine, pour une somme de 1 600 francs par an. Les abonnés payent leur lumière à raison de 3 francs 50 par lampe et par mois. L’entreprise est entre les mains d’une petite société locale, dont le capital est de 80 000 francs.

La station de Châteaulin a été exécutée suivant le système adopté par M. E. Lamy, pour diverses autres villes où il a déjà établi la lumière électrique. Elle montre les avantages que présente l’électricité pour l’éclairage des petites villes où il n’existe pas d’usine à gaz, et où l’on peut disposer d’une force hydraulique pouvant être aménagée pour cet usage.

M. Lamy a déjà obtenu des concessions analogues à Mende, Espalion, Saint-Hilaire du Harcouët, enfin à Léon (Espagne).

La lumière électrique produite par une force éloignée, a été également introduite, au commencement de mai 1887, dans les Grands-Moulins de Corbeil. L’installation, exécutée par la Compagnie électrique, comprend 300 lampes à incandescence, de 16 bougies, et une machine dynamo Gramme, de 30 chevaux de force.

Accumulateurs. — Les piles secondaires, ou accumulateurs, découvertes par le regretté physicien, Gaston Planté, ont été étudiées avec les détails nécessaires dans le tome Ier (pages 418-422) de ce Supplément.

Un accumulateur étant un appareil que l’on charge d’électricité, et qui restitue ensuite cette électricité, sous la forme d’un courant, peut être utilisé pour actionner les machines dynamos employées à produire l’éclairage électrique. Tel est, en effet, leur rôle, mais rôle limité par le peu de durée et la faible intensité du courant qui leur est propre.

Dans les grandes installations, les accumulateurs sont employés pour entretenir l’éclairage, quand la machine dynamo a été arrêtée, dans son fonctionnement, par un accident quelconque. Dans les théâtres par exemple, il y a toujours un certain nombre de caisses d’accumulateurs, qui sont apportées chargées, chaque matin, pour remplacer celles qui ont pu être dépensées la veille.

On emploie également les accumulateurs, en même temps que les machines dynamos, pour parer à l’impuissance du courant fourni par ces dernières, ou pour obvier aux irrégularités de lumière, résultant de l’irrégularité du moteur lui-même, cas plus rare que le précédent.

Les accumulateurs doivent être placés dans une pièce séparée de l’atelier mécanique, et jouissant d’une température moyenne. Chaque élément, ou batterie, doit être isolé, en le plaçant sur un support en porcelaine, ou en bois paraffiné. Chaque accumulateur doit être séparé du précédent par un intervalle de 2 à 3 centimètres, afin que l’on puisse facilement remplacer un élément qui ne fonctionne plus, par un autre.

Le récipient des accumulateurs se fait en verre, en grès, en bois doublé de plomb, ou en ébonite. On le remplit d’acide sulfurique étendu, au moment de le mettre en fonction.

Piles voltaïques. — La pile de Volta a été, pendant trois quarts de siècle, le seul moyen industriel de produire un courant électrique, et jusqu’à ce moment, les applications du courant électrique à l’éclairage furent à peu près nulles, la pile ne pouvant produire qu’un courant d’une intensité infime, si on le compare aux courants développés par les agents mécaniques. L’éclairage électrique, ainsi que d’autres grandes applications de l’électricité, n’ont pris naissance que le jour où la pile a été remplacée par des moteurs, tels que la vapeur, le moteur à gaz ou les forces naturelles. Si la pile voltaïque est encore conservée dans l’éclairage électrique, ce n’est que pour éclairer les appartements, pendant une soirée, et pour des installations domestiques passagères, alimentant tout au plus une dizaine de lampes à incandescence, qui ne doivent jamais fonctionner en même temps.

Ces considérations peuvent nous dispenser de citer les piles voltaïques qui servent à l’éclairage électrique, dans les conditions qui viennent d’être énoncées. Bornons-nous, en conséquence, à dire que la pile au bichromate de potasse, que nous avons décrite dans le Supplément à la pile de Volta du tome Ier de cet ouvrage[8] est la forme la plus commode pour obtenir cet éclairage momentané. Le prix de revient, calculé par des praticiens expérimentés, serait de 1 franc par heure, pour produire l’effet d’une lampe Carcel ; chiffre énorme, comme on le voit.

On trouve dans le commerce, sous le nom de lampes électriques portatives, de petits appareils ayant la forme d’une lampe à huile ou à pétrole, qui contiennent, dans le socle, une minuscule pile au bichromate de potasse, et une clochette à incandescence. Les marchands assurent que ces lampes électriques portatives peuvent remplacer les lampes à huile ou à pétrole, pour l’éclairage des appartements et des bureaux.

La vérité est que ces appareils sont de simples jouets, qui amusent pendant quelques heures, mais qui sont difficiles à manœuvrer, en raison des propriétés corrosives du liquide acide qui les alimente. Elles ne donnent qu’une lumière faible et d’une durée très courte. On les fait fonctionner deux ou trois fois, puis on les met au rebut. Les marchands de ces pauvres luminaires ont le soin de changer souvent de domicile, pour éviter les réclamations des acheteurs.


CHAPITRE VI

les conducteurs et les appareils de marche et de surveillance, pour l’éclairage électrique.

Qu’il soit engendré par une machine dynamo-électrique, par un accumulateur, ou par une force naturelle (hydraulique ou atmosphérique), le courant d’électricité devant servir à l’éclairage, doit être amené, de la source productrice, au bec éclairant.

On désigne sous le nom de conducteurs principaux les fils métalliques, nus ou isolés, simples ou composés d’un assemblage de fils, qui servent à transporter l’énergie électrique de la source aux appareils qui doivent l’utiliser.

On donne le nom de canalisation, ou de réseau électrique, à l’ensemble des conducteurs, principaux et secondaires, composant un service d’éclairage.

Les conducteurs se font en cuivre ou en bronze silicieux, nom qui ne désigne guère autre chose que du cuivre pur ; car la conductibilité de cet alliage ne dépend que de la quantité de cuivre qu’il renferme, et non du silicium auquel il est associé en très faible proportion.

On ne pouvait songer à prendre ici, comme dans la télégraphie électrique, des fils de fer pour conducteurs, malgré leur excessif bon marché, par cette raison que le cuivre a une conductibilité six fois supérieure à celle du fer ; ce qui permet de donner au fil un petit diamètre, tout en lui conservant une grande conductibilité.

Les fils de cuivre sont employés nus, quand il s’agit d’installations aériennes ; mais le plus souvent, ils sont isolés par une enveloppe de coton, de soie ou de caoutchouc.

On fait cette enveloppe avec une machine tout à fait analogue aux métiers des passementiers. Le fil de cuivre est tiré, d’une manière continue, par le moteur de l’usine, pendant qu’une bobine de coton, de soie ou de caoutchouc, tourne horizontalement autour du fil de cuivre, en le recouvrant exactement de spires réguliers. Suivant le degré d’isolement que l’on veut obtenir, on entoure le fil de cuivre de deux ou de trois couches de soie, de coton ou de caoutchouc, en alternant le sens d’enroulement, pour assurer un recouvrement complet.

Après avoir reçu l’enveloppe isolante de soie, de coton ou de caoutchouc, le fil est passé dans un bain de gomme laque, ou de bitume de Judée, pour le défendre de l’humidité.

En réunissant plusieurs fils ainsi recouverts, et les tordant ensemble, on obtient des câbles conducteurs. Quand il s’agit d’installations très importantes, on réunit plusieurs de ces câbles, et on les recouvre d’une nouvelle tresse de coton et d’une tresse de soie, d’une couche de gutta-percha, puis d’une seconde tresse de coton, imprégnée de résine, de paraffine ou de vernis isolant ; et l’on a ainsi de volumineux câbles, à l’abri de toute attaque de l’eau, qui servent aux canalisations souterraines ou sous-marines.

La figure ci-dessous représente les câbles conducteurs souterrains construits par M. Siemens, à Berlin. Ils sont, pour leur défense extérieure, enveloppés d’un tube de plomb, et contiennent, à l’intérieur, une enveloppe en tôle, qui augmente leur résistance. Les fils de cuivre de l’intérieur, sont isolés par des tours de coton paraffiné.

Fig. 342. — Coupe des câbles Siemens pour l’éclairage électrique.

Pour isoler ses conducteurs principaux, la Société Edison fait usage de tiges de cuivre, à section circulaire, au nombre de deux ou trois, placées dans des tuyaux de fer, isolées, et séparées par des cordes de chanvre, comme le montre la figure 343.

Fig. 343. — Conducteur Edison pour l’éclairage électrique.

Ces câbles sont posés dans une rigole de bois ou de béton, remplie d’une couche isolante, composée de bitume de Judée et d’huile lourde. On coule dans la rigole cette matière fondue par la chaleur ; en se refroidissant, elle demeure visqueuse et demi-solide.

La manière d’isoler les câbles souterrains dans les rigoles qui les reçoivent, varie, d’ailleurs, selon les fabricants. Il est facile de comprendre que tout consiste à obtenir, sans trop de dépense, un isolement parfait.

Comme les conducteurs, fils ou câbles, ont une longueur limitée, il faut raccorder les deux bouts, par des joints. On se sert, pour cela, de manchons de fer, semblables aux manchons de poterie qui unissent les tuyaux de drainage. Ces manchons sont en fer galvanisé, ou en bronze, d’un calibre correspondant à la grosseur du câble, et ils sont percés d’une ouverture longitudinale. On rattache ensemble, en les repliant plusieurs fois l’un sur l’autre, les fils, préalablement dénudés de leur enveloppe ; puis on introduit leurs deux extrémités dans le manchon, et on coule par l’ouverture, de la soudure de plomb et d’étain.

Pour réunir les différentes branches des conducteurs principaux et celles-ci avec les conducteurs secondaires, il faut faire usage de boites de jonction.

Fig. 344 et 345. — Boîtes de jonction de M. Siemens.

Les figures 344 et 345 représentent les boîtes de jonction employées par M. Siemens, de Berlin. La première représente l’assemblage de deux conducteurs bout à bout, la seconde l’assemblage d’un conducteur principal avec un conducteur secondaire. Les boîtes sont en fonte, et en forme de coquille.

Les deux bouts du conducteur principal et celui du conducteur secondaire étant dépouillés de leur enveloppe isolante, et mis en contact, sont pincés fortement, à l’aide de quatre boulons, entre deux manchons de cuivre étamé. Les deux coquilles sont ensuite réunies au moyen de six forts boulons, et l’on remplit les vides avec une substance isolante.

Fig. 346. — Boîte de jonction d’une canalisation principale d’électricité avec une conduite d’immeuble.

Pour faire l’embranchement d’une conduite d’immeuble sur la conduite principale, la Société Edison emploie une boîte de jonction en fonte, que nous représentons sur la figure 346. Elle est placée en face de la machine à éclairer et sur le chemin de la conduite principale. Celle-ci y pénètre des deux côtés. À l’intérieur, les conducteurs sont mis à nu, et réunis, deux à deux, au moyen d’arcades métalliques, munies d’éperons, auxquels viennent se rattacher les deux conducteurs de la conduite.

Pour greffer les conduites des différents appartements sur la conduite générale d’immeuble, on emploie des boites en fonte, analogues aux précédentes, mais plus petites (fig. 347). Elles sont hermétiquement fermées et recouvertes d’un enduit isolant.

Fig. 347. — Boite de jonction d’une canalisation d’immeuble avec une conduite d’appartement.

Une question fondamentale, c’est le diamètre à donner aux conducteurs de cuivre, pour assurer une bonne conductibilité, sans s’exposer à voir le métal s’échauffer, rougir et se fondre, et sans, toutefois, que le prix de revient de la ligne soit trop élevé.

Les physiciens ont reconnu que la résistance qu’un fil de cuivre, et tous les métaux, en général, opposent au passage du courant électrique, est inversement proportionnelle à leur diamètre (si le corps est cylindrique) et proportionnelle à leur longueur. Plus le métal oppose de résistance au passage du courant, en raison de la petitesse de sa section, plus il s’échauffe ; et si la résistance est très considérable, le fil peut rougir et se fondre. Quand il s’échauffe, cette production de chaleur représente une forte dépense, l’électricité se perdant sous forme de chaleur, et une portion du courant étant ainsi dépensée sans produire de lumière.

Ainsi, plus le conducteur sera gros, moins il laissera perdre d’électricité. Mais on ne saurait employer des conducteurs d’un trop grand diamètre, sans augmenter considérablement le prix de l’installation de la ligne. C’est à l’ingénieur à déterminer la limite qu’il convient de ne pas dépasser, quant au diamètre du fil, pour ne pas être entraîné à des dépenses trop fortes de métal.

Pour assurer le bon fonctionnement d’un conducteur, on fait usage d’appareils, dits de marche et de sûreté. On comprend sous ce nom les instruments destinés à établir ou à interrompre le passage du courant, à le diriger sur un circuit ou sur un autre, à régler les résistances, et à prévenir l’échauffement des conducteurs.

Les appareils de marche se manœuvrent à la main. Ils comprennent les interrupteurs, les commutateurs et les résistances. Les appareils de sûreté comprennent les coupe-circuits et les parafoudres.

Les interrupteurs sont des appareils qui, placés sur l’un des fils du circuit, établissent ou interrompent le passage de l’électricité, et servent ainsi à éteindre ou à allumer une ou plusieurs lampes.

Il existe beaucoup de types d’interrupteurs, applicables à la commande d’un nombre plus ou moins grand de lampes. L’interrupteur à cheville est le plus simple. Une cheville que l’on enfonce dans un trou percé dans une lame de cuivre, comme dans les interrupteurs des téléphones, et qui vient rencontrer les deux extrémités des fils conducteurs, met ces derniers en communication, ou rompt leur communication, quand il s’agit d’allumer ou d’éteindre le foyer lumineux. L’interrupteur le plus en usage pour allumer ou pour éteindre plusieurs lampes, est représenté dans la figure 348, qui se rapporte à 1 et 3 lampes.

Fig. 348. — Interrupteur de 1 à 3 lampes.

Pour interrompre le circuit dans un nombre allant de 8 à 30 lampes, on se sert de l’interrupteur représenté par la figure 349, qui est à double conducteur.

Fig. 349. — Interrupteur double, de 8 à 30 lampes.

Pour éteindre une série de 30 à 80 lampes, on a l’interrupteur que l’on voit dans la figure 350.

Fig. 350. — Interrupteur de 30 à 80 lampes.

Enfin, comme interrupteur de 100 à 140 lampes, on a un appareil à manette, que représente la figure 351.

Fig. 351. — Interrupteur de 100 a 140 lampes.

Les commutateurs servent à changer la direction d’un courant, c’est-à-dire à le faire passer à volonté sur l’un des fils avec lesquels il est en rapport.

Fig. 352. — Commutateur, à six directions.

On voit dans la figure 352 la forme donnée d’habitude au commutateur. C’est une manette, qui, en se déplaçant, peut mettre en action l’un quelconque des courants qui sont en rapport avec plusieurs plaques métalliques conductrices a, b, c.

Le régulateur du courant sert à proportionner l’intensité du courant électrique au nombre de lampes qu’il s’agit d’entretenir.

Le principe de cet appareil, c’est d’interposer sur le passage du courant des résistances, que l’on peut faire varier à volonté, et qui réduisent aux proportions désirées l’intensité du courant, et, par conséquent, de la lumière.

Fig. 353. — Régulateur du courant.

Les résistances se composent de fils métalliques (ordinairement en maillechort), tournés en hélice, et reliés entre eux par leurs extrémités, de manière à former un circuit continu. L’extrémité de chacune de ces résistances partielles aboutit à des boutons, qui sont en communication avec un commutateur M′ (fig. 353) dont la manette M peut se placer à volonté sur chacun des boutons. L’une des extrémités du circuit AB (fig. 353) est fixée au bouton qui lui-même est relié d’une manière permanente à la manette MM′, par une lame de cuivre placée sous le socle de l’appareil, et qui n’est pas visible sur la figure 353. L’autre extrémité du circuit est reliée au bouton b, qui est lui-même également en communication avec l’une des extrémités de la série des résistances. Si l’on amène la manette M sur le bouton aboutissant au fil a, par exemple, les résistances a b se trouvent intercalées. Si la manette est amenée en contact du bouton aboutissant au fil c, toutes les résistances sont comprises dans le circuit. On comprend dès lors, qu’il soit facile de faire varier l’intensité du courant, et, par conséquent, de la lumière, dans les conducteurs, en intercalant dans ce circuit un plus ou moins grand nombre de résistances.

C’est sur le courant venant des inducteurs de la machine dynamo que le régulateur est placé.

Fig. 354. — Régulateur électrique Edison.

La Société Edison emploie un régulateur que nous représentons dans la figure 354, et qui est à manette double.

Le coupe-circuit est un appareil destiné à produire la rupture du courant, si l’échauffement allait jusqu’à la fusion du conducteur. Cet appareil se compose d’un fil de plomb, que l’on intercale dans le circuit, et qui fond si le courant vient à dépasser une intensité déterminée.

Le coupe-circuit se compose, disons-nous, d’un fil de plomb, de grosseur convenable, intercalé de place en place, dans le circuit. Son but est de rendre impossible tout incendie, et de sauvegarder les lampes des accidents que pourrait causer un courant trop intense.

Supposons que, pour une raison quelconque, il vienne à se produire un contact entre les fils d’aller et de retour. La plus grande partie du courant passera par ce contact, et les lampes s’éteindront. De plus, la résistance opposée au courant étant beaucoup plus faible qu’elle ne l’était quand il passait entièrement par les lampes, son intensité deviendra beaucoup plus forte, et les conducteurs s’échaufferont considérablement.

Le coupe-circuit remédie à ces dangers.

En effet, le point de fusion du plomb sera atteint bien avant que la température des fils de cuivre puisse enflammer l’enduit isolant qui les recouvre. Dès qu’une portion quelconque du circuit commencera à s’échauffer, les fils de plomb qui s’y trouvent fondront, et arrêteront net le courant.

Il y a un coupe-circuit dans chaque boîte de jonction d’appartement, mais il y en a aussi à chaque ramification de courant, voire même dans chaque support de lampe.

La Société Edison fabrique des coupe-circuits représentés dans les figures 355 et 356. Ce sont des coupe-circuits simples pour les faibles débits. La figure 357 montre un coupe-circuit à double embranchement, pour des circuits de 30 à 130 lampes à incandescence.

Fig. 355, 356. — Coupe-circuits ronds et carré.
Fig. 357. — Coupe-circuit à double embranchement.

Pour des circuits de plus grande importance, au lieu d’un fil de plomb, on emploie, comme coupe-circuit, une lame de ce métal. L’appareil, a alors la forme que représentent les figures 358 et 359, la dernière donnant la coupe de la lame de plomb fusible.

Fig. 358. — Coupe-circuit principal, à lame de plomb.
Fig. 359. — Lame de plomb du coupe-circuit principal.

Quant aux parafoudres, ils ne présentent aucune particularité qui les distingue de ceux dont on fait usage dans les bureaux de télégraphie électrique et des téléphones.


CHAPITRE VII

les usines centrales pour la production des courants électriques applicables à l’éclairage.

Si l’on vous proposait, pour éclairer au gaz votre maison, d’installer dans la cave une usine à gaz ; pour vous éclairer à la bougie, de fabriquer de la stéarine dans la cour ; et pour vous procurer de l’huile à brûler, de planter un olivier ou de semer du colza dans le jardin, vous vous mettriez à rire, cher lecteur. C’est pourtant ce qu’on fait aujourd’hui, lorsque, pour éclairer une maison particulière, un théâtre, un établissement public ou un atelier, on place dans les caves une chaudière à vapeur, une machine à vapeur et une machine dynamo, afin d’obtenir, sur place, l’électricité destinée à l’éclairage. La plus simple réflexion indique que le moyen vraiment pratique et commode de s’éclairer à l’électricité, serait de se conformer au système établi pour l’éclairage au gaz, qui consiste à fabriquer le gaz dans de vastes usines, éloignées des centres de population, et à le distribuer aux particuliers, grâce à une canalisation souterraine. Il faudrait, en d’autres termes, créer des usines à électricité, comme on crée des usines à gaz, et distribuer l’électricité comme on distribue le gaz, au moyen d’un réseau de conducteurs.

C’est ce qu’avait compris et posé en principe, M. Edison, dès les premiers temps de la création de l’éclairage électrique. Il déclara que, pour que son emploi devînt général, il faudrait donner avec l’électricité tout ce que l’on donne avec le gaz, c’est-à-dire envoyer à domicile le courant d’électricité, et le faire payer aux particuliers et aux établissements publics au moyen de compteurs, analogues aux compteurs à gaz.

Et M, Edison ne se borna point à poser le principe. Il créa, dès l’année 1882, à New-York, une vaste usine centrale, qui est aujourd’hui la plus importante du nouveau monde.

L’avenir de la lumière électrique réside donc dans la création, au sein des villes, de vastes usines, où l’on fabriquerait l’électricité, pour la distribuer, sous forme de circuit, à l’intérieur des maisons et des établissements publics.

L’industrie de l’éclairage par l’électricité est de date trop récente pour que les usines centrales se soient encore beaucoup multipliées. Cependant, il en existe déjà un certain nombre en Europe, et surtout en Amérique. Nous en donnerons ici la description raisonnée ; mais nous devons, auparavant, entrer dans quelques explications sur les instruments et appareils que l’on met en œuvre dans ces curieux établissements.

La machine dynamo-électrique pouvant fournir des courants continus ou des courant alternatifs, les usines centrales produisent des courants continus ou des courants alternatifs, selon les besoins. Les courants continus ont été longtemps seuls à subvenir à l’éclairage ; mais depuis quelque temps, les courants alternatifs ont pris faveur. C’est pour l’éclairage du port du Havre que les courants alternatifs ont été employés pour la première fois, par cette raison que cet éclairage se fait au moyen de la bougie Jablochkoff, appareil qui ne peut fonctionner qu’avec les courants alternatifs.

Dans les usines à courants continus, qui servent, tant pour l’éclairage par incandescence, que pour l’éclairage par l’arc voltaïque, les machines dynamos sont actionnées chacune par un moteur spécial, ou groupées par deux, sur un même moteur. Chacun de ces ensembles s’appelle un groupe-unité, et une usine centrale se compose de la réunion d’un certain nombre de groupes-unités. On pourrait, sans doute, n’avoir qu’un moteur commun à toutes les machines dynamos, mais à cause, des variations dans la consommation de l’électricité, pendant une grande partie de la journée, ce système serait peu économique.

Toutes les machines dynamos, réunies par paires, envoient leurs courants dans de fortes barres de cuivre, d’où partent les conducteurs principaux. Sur ces conducteurs principaux s’embranchent les courants secondaires (dérivations) pour les particuliers. Par les soudures entre les conducteurs principaux et les conducteurs secondaires, il y a toujours une perte de charge, mais elle est prévue dans les installations.

Tel est le mode de distribution des courants continus, pour les lampes à incandescence. Pour les lampes à arc, qu’elles soient munies d’un régulateur, ou composées de simples bougies Jablochkoff, on réunit également les machines dynamos par paires, et l’on fait aboutir leurs courants à de fortes barres de cuivre, d’où partent les conducteurs principaux, puis les conducteurs secondaires qui leur sont soudés. Il faut, toutefois, pour se contenter de ce mode de distribution générale, que les espaces à éclairer soient peu distants des machines dynamos. Pour l’éclairage de grandes étendues, comme une ville ou un vaste chantier, il faut des circuits distincts, alimentés chacun par une machine à vapeur spéciale.

Les conducteurs de cuivre, isolés comme nous l’avons indiqué dans le chapitre précédent, sont établis dans des gouttières de bois, ou de béton, enfouies sous le sol des rues. Ils amènent le courant aux lampes, qui sont disposées, de toutes manières, par unités ou par groupes, formant des luminaires séparés, ou des lustres. Dans le support des lampes ou des lustres, est une boîte, où aboutissent les fils ; elle est munie d’une clef, que l’on tourne à la main, pour allumer ou éteindre la lampe. Il y a, en outre, dans chaque circuit, un des coupe-circuits que nous avons représentés plus haut (pages 436 et 437) muni de son fil de plomb, lequel, en cas d’excès de courant, fond, et interrompt le passage de l’électricité.

Les usines à courants alternatifs sont disposées comme celles à courants continus. Mais une découverte importante, celle des transformateurs, a permis de rendre plus économique et plus pratique l’emploi des courants alternatifs.

Les courants alternatifs sont d’une grande puissance, mais ils ne pourraient se prêter à l’alimentation de toutes les lampes différant de volume, ou à l’alimentation simultanée des lampes à arc et à celles à incandescence. L’appareil nommé transformateur par les inventeurs, parmi lesquels il faut citer MM. Gaulard et Gibbs, Gramme, Jablochkoff, Cabanellas, etc., ont pour effet de modifier les propriétés de ce courant quant à son intensité, et de permettre de le diviser, pour le distribuer à des groupes différents de lampes.

Un transformateur se compose, en principe, d’une bobine d’induction de Ruhmkorff, dont le fil primaire est parcouru par les courants alternatifs venant de l’usine. En parcourant les sphères de la bobine de Ruhmkorff, les courants alternatifs développent, dans le fil secondaire de la bobine, des courants d’induction, lesquels sont susceptibles de se diviser, si l’on extrait un nombre plus ou moins grand de couples de l’appareil transformateur. L’éclairage peut prendre ainsi toutes les variations d’intensité que l’on désire.

Fig. 360. — Transformateur de MM. Gaulard et Gibbs.

Nous représentons, dans la figure 360, le transformateur de MM. Gaulard et Gibbs, le premier en date de ces appareils, qui fut présenté, en 1883, à l’Exposition de Londres, et en 1884, à celle de Paris. Il se compose de quatre colonnes verticales, en bois, reposant sur un socle, également en bois. Entre ces colonnes, se dresse une série de cylindres, composés d’un grand nombre de rondelles de cuivre, de 9 centimètres de diamètre intérieur, et excessivement minces. Ce système est destiné à produire l’effet de la bobine d’induction de Ruhmkorff. À cet effet, chaque disque est percé, au centre, d’un trou, de 2 centimètres de diamètre, et il porte une fente, en forme de rayon. Aux deux extrémités de chaque fente, le disque est relié aux deux disques placés au-dessus et au-dessous de lui, et cette liaison fait de l’ensemble une spirale de cuivre en forme de ruban, qui parcourt les circuits alternatifs. Entre les deux disques, il y a un troisième disque intercalé, et la réunion de ce dernier système fournit une seconde spirale insérée dans la première, mais isolée d’elle par un vernis qui couvre ses deux faces. Les disques sont, en outre, séparés les uns des autres, par des feuilles de papier-parchemin. C’est dans ce dernier système que s’établit le courant d’induction, développé par le circuit primaire, et ce sont ces courants d’induction qui, jouissant de propriétés physiques autres que celles du courant primaire, serviront à alimenter les lampes. Pour obtenir une intensité variable d’éclairage, pour faire fonctionner par exemple des lampes à arc ou des lampes à incandescence, en nombre quelconque, on prend une quantité de couples transformateurs répondant à l’intensité de la force électro-motrice dont on a besoin pour l’éclairage.

Tel est le premier transformateur qui ait été construit, et qui est en usage dans beaucoup d’usines centrales.

Plusieurs physiciens ont construit des transformateurs d’une tout autre forme.

MM. Zapernowski, Deri et Blaty, ont pris des anneaux dont les bobines sont isolées les unes des autres, et qui constituent des bobines de Ruhmkorff économiques.

M. Diehl a construit un transformateur, qui fait partie intégrante de chaque lampe.

MM. Edison et Westinghouse ont proposé d’autres appareils du même genre, qui sont appliqués dans les usines d’Amérique.

On a beaucoup discuté sur les avantages et les inconvénients respectifs des courants continus et des courants alternatifs, dans les usines centrales. Les courants continus conviennent particulièrement pour le transport de la force à distance, et ils ont l’avantage de pouvoir servir aux opérations galvanoplastiques et électro-chimiques. Ils paraissent particulièrement favorables à l’alimentation des lampes à arc. Leur inconvénient, c’est de ne pouvoir s’étendre à une grande distance, et de perdre une partie de leur intensité en s’éloignant de leur point de départ. Les courants alternatifs ont, au contraire, un rayon d’action considérable, et peuvent éclairer des lieux très distants de leur source, sans rien perdre de leur puissance. Mais ils sont impropres aux décompositions chimiques, et ne conviennent pas au transport de la force motrice.


CHAPITRE VIII

les usines centrales d’électricité. — les usines centrales de paris.

Après ces considérations générales sur les usines centrales d’électricité, nous passons à l’énumération et à la description de celles qui existent aujourd’hui en France et à l’étranger.

Les usines centrales de Paris. — Dans une séance du mois de décembre 1888, le conseil municipal de Paris adopta le projet d’une commission qui avait été instituée pour prendre connaissance des demandes de concession faites par six compagnies d’éclairage électrique, à savoir : la Compagnie continentale Edison ; la Société Géraldy-Deprez ; M. Gaston Sencier ; la Société du secteur de la place Clichy ; la Compagnie Victor Popp ; la Compagnie parisienne électrique.

La création d’une usine pour l’éclairage des Halles, ayant été décidée, des soumissions avaient été présentées par M. Belleville, par MM. Weyher et Richemond, Lecouteux et Garnier, par la Compagnie continentale Edison, et M. Patin. Elles ne furent pas acceptées. La ville décida d’exécuter elle-même l’usine destinée à éclairer les Halles.

L’usine municipale des Halles a été inaugurée le 1er décembre 1889. Nous en donnerons la description plus loin.

Les concessions pour l’éclairage de certains quartiers de Paris furent accordées comme il suit :

Le réseau dévolu à M. Gaston Sencier comprenait l’avenue de la Grande-Armée, l’avenue des champs-Élysées, les rues de Rivoli, du Louvre, Montmartre, du Faubourg-Montmartre, de Châteaudun, de Londres, de Constantinople, de Rome, Cardinet et de Tocqueville.

Le secteur attribué à la Société anonyme d’éclairage électrique du secteur de la place Clichy, comprenait : le boulevard Pereire, la rue de Rome, le boulevard Haussmann, la rue du Havre, la rue d’Amsterdam, l’avenue de Clichy, l’avenue de Saint-Ouen, jusqu’aux fortifications.

Le secteur de la Compagnie continentale Edison partait de l’avenue de Saint-Ouen (porte de Saint-Ouen) et était délimité par l’avenue de Saint-Ouen, l’avenue de Clichy, la rue de Clichy, la chaussée d’Antin ; les grands boulevards jusqu’à la rue de Richelieu, la place de la Bourse (côté des numéros impairs), la rue Joquelet, la rue Montmartre, les grands boulevards jusqu’à la rue du Faubourg-Saint-Denis, le commencement de la rue du Faubourg-Saint-Denis, le faubourg Saint-Denis jusqu’à la rue d’Enghien, la rue Bergère, la rue du Faubourg-Montmartre, rue Grange-Batelière, rue Geoffroy-Marie, rue Richer, cité Trévise, rue Bleue, rue La Fayette, place Cadet, rue Rochechouart, boulevard Rochechouart, rue de Clignancourt, rue Ordener et rue du Mont-Cenis.

La Compagnie parisienne d’électricité Victor Popp a son réseau délimité ainsi : rues de Bellevilie, du Faubourg-du-Temple, place de la République, boulevards Saint-Martin, Saint-Denis, Poissonnière, Montmartre, des Italiens, des Capucines, de la Madeleine, rue Royale, rue de Rivoli (traversée), place de la Concorde, quais des Tuileries, du Louvre, de la Mégisserie, de Gesvres, de l’Hôtel-de-Ville, des Célestins, Henri IV, place Mazas, quai de la Râpée et quai de Bercy jusqu’aux fortifications.

La Compagnie parisienne électrique a son secteur ainsi délimité : boulevard Ornano (porte Clignancourt), boulevard Barbès, rue du Faubourg-Poissonnière, rue Notre-Dame-de-Recouvrance, rue des Petits-Carreaux, rue Montorgueil, rue Baltard, rue du Pont-Neuf, quais des Orfèvres, quai du Pont-Neuf, rue de la Cité, parvis Notre-Dame, pont d’Arcole, rue du Temple, place de la République, rue du Faubourg-du-Temple, rue de l’Entrepôt, de Lancry, des Récollets, rue du Faubourg-Saint-Martin, rue de Flandre.

Le secteur de la Société anonyme pour la transmission de la force par l’électricité (procédé Marcel Deprez) part de la porte de Clignancourt, pour être délimité par le boulevard Arnaud, le boulevard Barbès, le boulevard de Magenta, la place de Roubaix, la rue de Dunkerque, le boulevard de Denain, la rue du Faubourg-Saint-Denis, la traversée des grands boulevards, la rue d’Aboukir, la rue du Caire, le boulevard de Sébastopol, le boulevard Saint-Martin, la place de la République, la rue de la Douane, le quai de Valmy et la rue d’Allemagne.

Telle est la répartition qui fut faite par la commission du conseil municipal, à la fin de l’année 1888, aux diverses Compagnies qui avaient sollicité les concessions de l’éclairage des rues de Paris, par l’électricité. Chacune de ces sociétés se mit à l’œuvre aussitôt.

Dès le mois de juin 1889, la Société Popp, qui emploie l’air comprimé pour fournir la force motrice et actionner les dynamos, et qui fait usage de lampes à arc, avec les appareils Thomson-Houston, avait terminé l’installation de l’éclairage électrique sur les grands boulevards.

Les lampes à arc avec régulateur, au nombre de 44, sont placées à 40 mètres les unes des autres, sur les trottoirs ou sur les refuges établis au milieu de la chaussée.

Une machine dynamo à haute tension, de 2 500 volts et 30 ampères, excitée par une dynamo Gramme, fournit le courant. Des fils de cuivre, enveloppés d’une toile caoutchoutée, d’une couche de gutta-percha et d’une enveloppe en plomb, forment les câbles. On a placé ces câbles dans des conduites en fonte, de 20 centimètres de diamètre.

Une somme de 200 000 francs a été allouée aux trois sociétés chargées de l’éclairage des boulevards ; ce qui donne 50 000 francs pour prix de revient du kilomètre, par an.

La force employée pour alimenter d’électricité les stations par îlots, est de 590 chevaux-vapeur, pour les lieux suivants : rue Meyerbeer, 50 chevaux ; place de la Madeleine, 50 ; rue de Bondy, 50 ; passage des Panoramas, 100 ; rue Caumartm, 150 ; boulevard des Capucines, 50 ; rue Sainte-Anne, 20, rue de Franche-Comté, 20 ; Nouvelle-Bastille, 100.

Trois stations centrales, qui étaient en formation au mois d’août 1889, utilisent : rue Boissy-d’Anglas, 2 000 chevaux ; Bourse du Commerce, 2 000 ; rue Dieu, 1 000 ; soit 5 000 chevaux, dont 1 250 de réserve, pour alimenter par des accumulateurs 150 000 lampes à incandescence.

L’éclairage municipal comprend 40 lampes à arcs de 2 000 bougies chacune, ainsi réparties : rue Royale, 14 ; place de la Madeleine, 7 ; boulevard des Capucines, 6 ; place de l’Opéra, 8.

Les théâtres et concerts utilisent : 275 chevaux-vapeur, 176 lampes à arc et 1 053 lampes à incandescence.

Les hôtels : 52. chevaux et 360 lampes à incandescence.

Les journaux : 95 chevaux-vapeur ; 9 arcs et 680 lampes à incandescence.

Les cafés-restaurants : 136 chevaux-vapeur, 49 arcs et 4 066 lampes à incandescence.

Les cercles : 433 lampes à incandescence.

Divers : 134 chevaux ; 55 arcs et 1 317 lampes à incandescence.

Le secteur de la Société Rothschild-Marcel Deprez comprend, entre autres, les boulevards Ornano, Barbès, Magenta, Sébastopol, les rues d’Aboukir, du Faubourg-Saint-Denis, la place de la République et le boulevard Saint-Martin.

La distribution est faite à 128 volts par réseau, à deux conducteurs et feeders : ce qui permet de mettre deux régulateurs en tension, concurremment avec des lampes à incandescence, de grande résistance ; la perte consentie est de 1,5 volt dans le réseau distributeur, et 12 volts dans les feeders.

L’alimentation du réseau est faite en partie par des accumulateurs, rechargés le jour, et débitant, la nuit, en dérivation sur les machines.

Au commencement du mois d’août 1889, deux stations centrales seulement étaient en activité ; l’une, rue de Bondy, 70, et l’autre, rue des Filles-Dieu.

La station de la rue de Bondy desservait, au même moment, les théâtres de l’Ambigu, des Folies-Dramatiques, de la Porte-Saint-Martin et de la Renaissance. Pour cet éclairage, elle a deux machines à vapeur demi-fixes horizontales Weyher et Richemond, de 75 chevaux chacune, commandant 4 dynamos Desroziers de 250 ampères et 120 volts ; plus, deux machines Lecouteux, de 70 chevaux chacune, actionnant 2 dynamos Thury, qui débitent 500 ampères et 120 volts, à la vitesse de 375 tours, et en outre, 8 tonnes d’accumulateurs.

En vue de l’éclairage public, on a installé quatre groupes, composés chacun d’un moteur Weyher et Richemond de 140 chevaux, et d’une dynamo Bréguet, débitant 750 ampères, sous une tension moyenne de 140 volts, à la vitesse de 200 tours à la minute.

Des accumulateurs sont également employés pour l’éclairage public ; leur poids total est de 75 tonnes, et ils peuvent fournir un courant de 1 000 ampères, avec 135 volts.

À la station de la rue des Filles-Dieu, 2 moteurs Weyher et Richemond, de 120 chevaux, actionnent chacun une dynamo Marcel Deprez, de 100 chevaux-électriques.

Les deux stations dont il s’agit, sont reliées à la canalisation de distribution par 13 feeders, dont 7 pour la rue de Bondy et 6 pour la rue des Filles-Dieu.

L’éclairage public comprenait, au commencement d’août 1889, 25 lampes à arcs, de 10 ampères, réparties entre la place de la République et la porte Saint-Denis. La lanterne, de verre clair, différencie seule ces candélabres de ceux de la Compagnie Edison.

L’éclairage électrique de la place du Carrousel dépendait d’abord d’une station spéciale établie par la Société lyonnaise de constructions mécaniques. La Compagnie continentale Edison, chargée aujourd’hui de ce service, a fait établir, au mois d’août 1889, une canalisation, qui relie la place du Carrousel à sa station du Palais-Royal. Les câbles traversant la place du Palais-Royal et la rue de Rivoli, sont placés dans les égouts. Ils sont isolés et sous plomb, jusqu’au guichet de Rohan ; mais de là, et tout autour de la place, les fils sont nus, et portés par des isolateurs en porcelaine. Seize lampes à arc, avec régulateur de 10 ampères, du système Pieper, fixées sur des potences de 6 mètres de hauteur, assurent l’éclairage.

L’éclairage électrique du palais de l’Élysée par la Compagnie continentale Edison, est la première installation de Paris où les transformateurs aient été employés pour alimenter, à distance, les lampes électriques. Une dynamo Zipernowsky, à courants alternatifs, fut installée dans l’usine du Palais-Royal, pour desservir les transformateurs de l’Elysée. Deux câbles en cuivre constituent la canalisation entre ce palais et l’usine ; ces câbles ont une section de 50 millimètres ; ils sont très bien isolés et fixés à la voûte des égouts.

Les transformateurs sont au nombre de douze ; ils sont montés en dérivation sur les deux câbles. La tension sur le circuit primaire est d’environ 1 800 volts. Chaque transformateur alimente un circuit de distribution, sur lequel les lampes à incandescence, de 44 volts chacune, sont reliées, d’après le système d’Edison, à trois fils.

L’éclairage électrique comporte 2 000 lampes à incandescence ; il est installé dans les salles des fêtes et dans tous les salons du rez-de-chaussée. Les lampes sont fixées sur des lustres et sur des appliques. La fixité de la lumière est remarquable.

Puisque nous venons de citer les diverses stations centrales desservies par la Compagnie Edison, nous donnerons la description de celle du Palais-Royal.

Cette station est établie dans un sous-sol de la seconde cour du Palais-Royal, où l’on arrive par une galerie souterraine, qui débouche dans la rue de Valois. La surface qu’elle occupe est rectangulaire, et longue de 28m,65 sur 18 mètres de largeur. Elle est divisée en deux parties principales : la grande salle des machines, de 21 mètres de long et 18 mètres de large, et la salle des générateurs, qui a 6m,15 de longueur sur 18 mètres de largeur.

Cette dernière salle renferme 5 générateurs Belleville, qui fournissent 1 800 kilogrammes de vapeur à l’heure ; elle est disposée pour recevoir plus tard deux autres chaudières. L’alimentation de l’eau est procurée par trois réservoirs placés sous les constructions de la rue de Valois ; la contenance de ces réservoirs est de 158 mètres cubes. On les remplit au moyen d’un puits et d’une pompe centrifuge, actionnée par une dynamo Edison, ou par les conduites d’eau de la ville. La fumée des foyers s’engage dans une conduite de 24 mètres de longueur, aboutissant à une cheminée, située sur la rue de Valois, et où arrive également le tuyau de décharge de la vapeur de condensation, ce qui en active le tirage.

La salle des machines est située à l’extrémité du couloir d’accès. Elle est éclairée par un dôme vitré, et renferme les condenseurs, les machines à vapeur, les dynamos et le tableau de distribution. Les deux condenseurs fournissent la vapeur aux machines à vapeur, au moyen d’une conduite en V, qui permet de les alimenter ensemble ou séparément, ou de prendre, en cas d’accident arrivé à un joint, la vapeur sur une branche ou sur l’autre.

Les machines à vapeur, au nombre de 8, sont placées sur deux rangs parallèles, au milieu de la salle, deux de chaque côté. Ces machines sont du système Weyher et Richemond, à triple expansion, avec 4 cylindres, dont 2 superposés ; elles marchent à 160 tours et ont une puissance de 150 chevaux. Chaque machine à vapeur actionne directement et sans transmission intermédiaire, une dynamo Edison.

Les machines dynamos, du même type que celles de l’Opéra, fournissent, à 150 tours par minute, 800 ampères et 101 volts. Elles se trouvent derrière les machines à vapeur qui les commandent, et sont reliées, deux à deux, en tension.

La distribution du courant s’effectue par le système à trois fils ; des feeders partent de l’usine, et arrivent en divers points du circuit d’alimentation ; celui-ci est fermé et fait le tour du jardin. d’être question, sont branchées les dérivations des abonnés. Elles se composent d’un câble sous plomb, qui aboutit à un compteur, muni de deux interrupteurs, un du côté du réseau et un autre correspondant à un tableau de distribution.

Les grands clients de la station centrale du Palais-Royal se trouvent aux extrémités du circuit ; ce sont les deux théâtres du Palais-Royal et de la Comédie-Française ; ensuite le conseil d’État, la cour des comptes, l’Administration des bâtiments civils et des beaux-arts, etc. L’usine doit encore éclairer, plus tard, les galeries et les arcades du Palais-Royal et des immeubles attenants.

La puissance de cette station peut être ainsi portée jusqu’à 12 000 lampes, de 16 bougies.

Parmi les usines centrales parisiennes, nous devons citer encore celle du passage des Panoramas, qui éclaire le théâtre des Variétés, ainsi que quelques cafés environnants ; et celle de la cité Bergère.

La première, qui peut fournir le courant électrique à 1 500 lampes à incandescence de 10 bougies a été créée par M. Lippmann, et achevée par la Société d’éclairage électrique, à laquelle elle appartient. Nous représentons cette petite usine dans la figure 361.

Fig. 361. — Usine centrale d’électricité du passage des Panoramas, à Paris.

La station de la cité Bergère a été créée par MM. Mildé et Clerc. La Compagnie Edison participe à son exploitation.

Elle dessert actuellement environ 1 400 lampes, réparties dans les premières maisons du faubourg Montmartre et dans le pâté compris entre ce faubourg et la rue Drouot, d’une part, le boulevard Montmartre et la rue Grange-Batelière, d’autre part.

Elle emploie 2 locomobiles de 60 chevaux et 4 dynamos Gramme ; 120 accumulateurs sont destinés, en cas d’accident, à remplacer l’une des dynamos, de telle sorte que le service des lampes se trouve toujours assuré.

Les conducteurs sont nus : ils franchissent la rue, en passant au-dessus des maisons portés sur des isolateurs en porcelaine, par des poteaux fixés sur les toits. Les conducteurs principaux, formés d’une tresse de fils de cuivre, ont une section de 75 millimètres carrés.

L’électricité se vend aux consommateurs 16 centimes par ampère-heure ce qui met le prix de la lampe-heure de 10 bougies à 4,8 centimes l’heure. À Paris le bec de gaz d’une carcel, consommant 120 litres à l’heure, coûte 3,6 centimes. La lumière électrique est donc, ici, de 30 pour 100 plus chère que le gaz.

La Société d’appareillage et d’éclairage électriques est chargée de l’éclairage de la gare Saint-Lazare. Cette installation comprend : les cours de la banlieue et du départ des grandes lignes, ainsi que la rue intérieure qui les réunit ; — les vestibules et sous-sols établis au niveau des cours et de la rue intérieure ; — la grande salle des Pas-Perdus, au premier étage, allant de la rue de Rome à la rue d’Amsterdam ; — les salles d’attente ; — les quais, et les voies sous les halles couvertes, jusqu’au pont de la place de l’Europe ; — enfin, les salles de bagages à l’arrivée des grandes lignes.

L’ensemble de l’éclairage de la gare Saint-Lazare est fourni par 100 lampes à incandescence, de 10 et 16 bougies, 153 lampes à arc de 40 carcels, et 18 lampes à arc de 25 carcels.

La Compagnie de l’Ouest s’est réservé le droit de faire varier le nombre et l’emplacement des lampes. Les installations de la force motrice permettent de porter aux chiffres suivants, s’il est jugé utile, le nombre des lampes indiqué plus haut :

Pour les lampes à incandescence de 10 à 16 bougies 
125
Pour les lampes à arc de 40 carcels 
175
                                de 25 carcels 
20

L’usine qui produit le courant, est située à la tête du tunnel des Batignolles. Trois générateurs Belleville, pouvant produire 2 000 kilogrammes de vapeur à l’heure, alimentent trois machines à vapeur Lecouteux et Garnier, de 140 chevaux, tournant à 180 tours par minute. Chacune de ces machines commande deux dynamos Gramme, de 450 ampères et 100 volts, groupées en tension, et montées sur des châssis tendeurs. Deux groupes suffisent à l’éclairage, le troisième est en réserve.

La canalisation entre l’usine et le poste central, se compose de câbles, de 20 centimètres de section, dont l’enveloppe varie suivant les positions successives qu’ils occupent. Depuis l’usine jusqu’au pont de la place de l’Europe, les câbles sont sous plomb, et reposent sur des supports en fer galvanisé. Au delà, jusqu’à la tête des quais, les câbles sont sous tresse de soie ou coton revêtus de caoutchouc, et maintenus par des isolateurs en porcelaine, fixés par des brides sur des supports analogues aux précédents. De la tête des quais au tableau de distribution, les câbles sont sous plomb.

La canalisation secondaire réunissant chaque lampe à arc au tableau de distribution du poste central, est faite au moyen de câbles sans tresse, d’une section de 3 à 5,5 millimètres, suivant les distances des lampes au tableau.

Parmi les lampes de 10 carcels, 43 sont à découvert ; les 110 autres lampes sont abritées. Les prix sont les suivants, par heure d’éclairage, pour chaque espèce de lampes :

1° Pour les lampes à incandescence de 10 bougies 
0fr,05
2° Pour les lampes à incandescence de 16 bougies 
0  , 05
3° Pour les lampes à arc voltaïque de 25 carcels 
0  , 30
4° Pour les lampes à arc voltaïque de 40 carcels 
0,   40

Nous terminons ce tableau des installations parisiennes d’éclairage électrique, par la description de l’usine du pavillon des Halles centrales.

Nous avons dit que l’administration de la ville de Paris n’ayant pas voulu se soumettre aux conditions des Compagnies, avait décidé de faire construire elle-même cette usine, qui a été établie en vue de fournir de la lumière électrique à la consommation privée.

L’usine est destinée à l’éclairage des Halles et du triangle formé par les rues du Pont-Neuf, de Rivoli, des Halles, et aussi des rues Coquillière, des Petits-Champs, et de l’avenue de l’Opéra, jusqu’aux grands boulevards. La chambre des machines, qui constitue l’usine proprement dite, occupe la moitié sud du sous-sol du pavillon III. Elle comprend deux groupes séparés, de types absolument différents, et qui constituent, à proprement parler, deux usines tout à fait distinctes.

La première est composée de trois machines à vapeur à triple expansion, de 150 chevaux chacune, du système vertical. Elles actionnent 6 dynamos Edison, assemblées deux à deux, en série, selon le procédé dit « à trois fils » et produisant un courant continu, de 220 à 230 volts.

Ce groupe fournit l’éclairage des Halles centrales, composé de 500 lampes à incandescence de 16 bougies, placées dans les sous-sols, et de 180 lampes de 5 et 10 ampères, suspendues dans les pavillons. Le même courant alimente ensuite un circuit d’éclairage particulier, qui dessert le triangle formé par les rues du Pont-Neuf, de Rivoli et des Halles.

Le second groupe agit à haute tension. Il se compose de trois machines à vapeur horizontales, de 11 chevaux chacune, actionnant trois dynamos, à courants alternatifs.

Ces machines envoient leur courant dans une canalisation établie rue Coquillière, rue des Petits-Champs, et avenue de l’Opéra jusqu’aux boulevards.

La puissance de l’usine municipale sera donc de 960 chevaux, dont 640 seront seuls employés, un tiers étant consacré à la réserve. Elle pourra, en dehors de l’éclairage des Halles centrales, alimenter de 1 200 à 1 500 lampes dans le circuit du premier groupe, et de 4 000 à 5 000 dans le second groupe.

L’inauguration de l’usine municipale des Halles centrales, eut lieu le dimanche 1er décembre 1889. Elle était présidée par M. Yves Guyot, ministre des travaux publics, ayant à ses côtés MM. Rousselle, président du conseil municipal, Lozé, préfet de police, plusieurs sénateurs et députés, et la plupart des conseillers municipaux.

Nous disons que la force actuellement disponible pour l’usine centrale des Halles, est de 960 chevaux-vapeur, mais l’usine est disposée pour pouvoir, au besoin, doubler cette puissance.

Nous représentons dans la figure 362 l’usine électrique des Halles, supposée ainsi augmentée, avec son plafond exhaussé, pour permettre d’embrasser par la vue tout l’ensemble de l’usine, une fois achevée.

Fig. 362. — L’usine centrale d’électricité des Halles de Paris, après son achèvement.

À gauche, on voit d’abord la série des chaudières à vapeur, du système Belleville, puis le groupe des machines dynamo-électriques Edison, et des moteurs à vapeur Weyher et Richemond. Au fond, à droite, se trouve le groupe des dynamos Ferranti et des moteurs à vapeur Lecouteux et Garnier.

Les chaudières à vapeur, au nombre de six, peuvent fournir ensemble 10 000 kilogrammes de vapeur, par heure. Elles sont installées, ainsi que le parc à charbon et tout ce qui concerne la production de vapeur, dans les travées de la voie qui sépare le pavillon III du pavillon IV des Halles.

La cheminée, construite dans l’angle intérieur du pavillon n° 6, a les dimensions suivantes :

Hauteur au-dessus du sol 
40 mètres.
                            du sous-sol 
43m,34
Diamètre intérieur à la base 
  3 mètres.
                            au sommet 
  1m,80

Cette cheminée repose sur un sol en maçonnerie ; elle est entourée d’un cylindre de briques, qui traverse la toiture du pavillon, débouche à l’extérieur, et sert ainsi de ventilateur à la chambre des machines.

La Compagnie continentale Edison fournit les courants continus à basse tension. Les machines dynamos qui engendrent ces courants, sont au nombre de six ; elles sont actionnées, comme il vient d’être dit, par les moteurs de MM. Weyher et Richemond, et font 600 tours par minute.

Les machines à vapeur, au nombre de trois actuellement, sont du système à triple expansion. La vapeur est admise d’abord dans un petit cylindre ; puis, de là, dans un deuxième plus grand, enfin, dans deux derniers cylindres plus grands que le précédent. La vapeur, admise à la pression de 10 kilogrammes dans le premier cylindre, se détend successivement dans les suivants, jusqu’aux derniers. On arrive ainsi à utiliser la presque totalité de la force de la vapeur introduite dans le premier cylindre.

Ces machines font tourner un arbre moteur, à chaque extrémité duquel passent les courroies destinées à actionner les dynamos Edison, et qui est pourvu d’un régulateur à boules.

Les dynamos de ce second groupe sont du système Ferranti, très en faveur aujourd’hui à Londres, pour l’éclairage électrique. Ces machines dynamos sont au nombre de trois, à courants alternatifs, de 113 000 watts, chacune. Elles présentent des perfectionnements très importants, au point de vue pratique. Le bâti des inducteurs s’ouvre, ce qui facilite l’examen de la machine et son nettoyage ; le graissage se fait au moyen d’un courant d’huile continu. Elles tournent à 500 tours par minute, et sont actionnées directement par les trois moteurs Lecouteux et Garnier, du type, Corliss, c’est-à-dire que les régulateurs agissent directement sur les tiroirs d’admission de la vapeur. Le graissage est fait à l’huile minérale.

Le réseau extérieur, à basse tension, est divisé en trois circuits : un triangulaire, pour le côté impair de la rue des Halles, les côtés pairs de la rue de Rivoli et du Pont-Neuf ; un second, pour le côté pair de la rue des Halles, et un troisième, pour le côté impair de la rue du Pont-Neuf. Ce réseau est installé pour fournir la lumière à 1 500 lampes, allumées en même temps.

Le réseau extérieur à haute tension devra entretenir près de 4 000 lampes, de 60 bougies. Il n’y a que deux circuits commandés par deux dynamos seulement, le troisième étant réservé en cas d’accident.

Le premier circuit comprend les côtés impairs des rues Coquillière, Croix-des-Petits-Champs, des Petits-Champs, de l’avenue de l’Opéra (entre la rue Gomboust et la rue Daunou), côté impair du boulevard des Capucines et du boulevard de la Madeleine.

Le second comprend le côté pair des rues Coquillière, Croix-des-Petits-Champs, des Petits-Champs, de l’avenue de l’Opéra, le côté impair du boulevard des Capucines (de la place de l’Opéra à la rue Daunou), puis le côté pair de ce même boulevard jusqu’à la rue Caumartin.

Les câbles du réseau à basse tension extérieur, sont posés sous les trottoirs, dans des conduits en ciment, de 0m,26 sur 0m,30 ; ils sont soutenus sur des crochets en fonte vitrifiée, de 1m,50 en 1m,50. Ces crochets sont attachés sur des cadres en bois, qu’on peut facilement enlever et replacer.

Les câbles à haute tension ont été placés dans les égouts.

Des précautions spéciales ont été prises pour empêcher toute perturbation, provenant de ces câbles, dans les réseaux téléphoniques et télégraphiques.


CHAPITRE IX

les usines centrales dans les départements et à l’étranger.

Les usines centrales d’électricité existant aujourd’hui dans les départements français, sont au nombre de soixante environ. Nous commencerons par en donner la liste, empruntée au Bulletin international d’électricité du 28 avril 1890.

Ain. — Nantua : Distribution partielle d’électricité (Guitton, ingénieur). — Pont-de-Vaux : Éclairage électrique de la ville.

Allier. — Montluçon : Société anonyme d’éclairage électrique de Montluçon (Mora, directeur).

Basses-Alpes. — Manosque : Société d’éclairage électrique de la ville (40 chevaux — 95 lampes à incandescence de 16 bougies, pour les rues et 216 lampes de 16 à 20 bougies, chez les particuliers) ;

Ariège. — Ax-les-Bains : Usine centrale municipale, 100 lampes de ville et lampes particulières, installée par M. Brillouin, mise en marche en octobre 1888. Moteurs hydrauliques.

Ardèche. — Bourg-Saint-Andéol : Société d’éclairage électrique (Lauzan, administrateur).

Ardennes. — Rethel : Société électrique rethelaise à Sault-le-Rethel (Gauson, directeur).

Aveyron. — Espalion : Éclairage électrique de la ville (Lamy et Cie).

Marseille. — Station de la rue du Pavillon (250 chevaux) ; Compagnie du gaz de Marseille ; Station de la rue Curiol, 23 (200 chevaux, M. Gilbert, administrateur) ;

Charente-Inférieure. — Marennes : Usine. d’éclairage électrique (Guitton, ingénieur).

Charente. — Angoulême : Usine centrale, 300 lampes moteurs à vapeur, mise en marche en janvier 1888, — montée par M. A. Brillouin, a été cédée en février 1890 à la Compagnie du gaz. Installation de 1 000 lampes en montage (A. Brillouin, ingénieur-conseil).

Cher. — Vierzon-Ville : Usine d’éclairage électrique (Guitton, ingénieur).

Côte-d’Or. — Dijon : Usine d’éclairage électrique (De Brancion, ingénieur).

Creuse. — Bourganeuf : Éclairage électrique, usine de Nisme (Marcel Deprez, ingénieur).

Dordogne. — Périgueux : Usine électrique (Guitton, ingénieur). — Montpont : Éclairage électrique (Guitton, ingénieur).

Drôme. — Dieulefit et Valréas : Desservies par l’usine centrale d’électricité de Bécone (Lombard-Guérin, directeur).

Finistère. — Châteaulin : Usine d’éclairage électrique (Lamy et Cie).

Gard. Lasalle : Éclairage électrique municipal. — Valleraugues : Éclairage électrique de la ville (Lamy).

Haute-Garonne. — Toulouse : Société toulousaine d’électricité, quai Saint-Pierre, 10.

Gironde. — Bordeaux : Usine d’éclairage électrique partiel, rue Sainte-Colombe, 24 (Société Edison).

Indre-et-Loire. — Tours : Compagnie d’éclairage électrique.

Isère. — Grenoble : Éclairage électrique de la ville, 900 lampes. — Usine d’éclairage électrique.

Jura. — Nantua : Station d’éclairage électrique.

Loir-et-Cher. — Saint-Aignan : Station centrale d’éclairage électrique.

Loire. — Saint-Etienne : Usine centrale d’électricité (200 chevaux, Société Edison et Cie).

Lozère. — Mende : Station centrale d’éclairage électrique (Lamy et Cie).

Manche. — Saint-Hilaire-du-Harcouët : Usine, hydraulique d’éclairage électrique (Lamy et Cie).

Marne. — Reims : Usine d’éclairage électrique.

Meurthe-et-Moselle. — Nancy : Compagnie nancéenne d’éclairage électrique.

Meuse. — Verdun : L. Couten et Duhamel.

Morbihan. — Hennebont : Éclairage électrique de la ville (Bonfante, directeur).

Nord. — Cambrai : Usine centrale d’éclairage électrique.

Oise. — Compiègne : Station d’éclairage électrique, rue Pierre-Sauvage.

Orne. — Domfront : Eclairage électrique de la ville.

Basses-Pyrénées. — Pau : Station centrale électrique (Brillouin et Cie). — Oloron : Éclairage électrique de la ville d’Eaux-Bonnes, rue Chanzy, 32. — Pau : Usine centrale. Éclairage particulier et municipal, monté par M. A. Brillouin, concessionnaire, en janvier 1888. Force motrice à vapeur 1 500 lampes. Mise en Société en mai 1889, sous le nom de Société électrique des Pyrénées. Installation hydraulique complémentaire encours d’exécution. — Nay : Usine de 1 500 lampes en montage. (A. Brillouin, concessionnaire.) Force hydraulique.

Hautes-Pyrénées. — Argelès : Usine centrale, éclairage municipal, éclairage des particuliers, etc. A. Brillouin, montée en juillet 1887, avec vapeur ; installation hydraulique en cours d’exécution. — Argelès : Usine d’éclairage électrique (Brillouin et Cie).

Pyrénées-Orientales. — Perpignan : Usine d’éclairage électrique, rue des Abreuvoirs (Lamy et Cie).

Rhône. — Lyon : Station centrale, rue de Savoie, 7 (Compagnie du gaz). Compagnie lyonnaise d’éclairage électrique de la ville (600 chevaux).

Sarthe. — Le Mans : Usine d’éclairage électrique (Compagnie du gaz Seguin). Société générale d’électricité du Mans fondée en mai 1887, reprise par M. A. Brillouin en juin 1889, 500 lampes.

Savoie. — Modane : Usine d’éclairage électrique (Fardel, directeur).

Haute-Savoie. — La Roche-sur-Foron : Usine d’éclairage électrique (Garnot).

Seine-Inférieure. — Rouen : Usine d’éclairage électrique (100 chevaux), rue Lafayette, 87 ; Société normande d’électricité, rue du Petit-Salut, 14. — Le Havre : Usine d’éclairage électrique (Mildé et Cie).

— Société normande d’électricité, fondée en octobre 1888 par MM. L. Lelordier et A. Brillouin, suite de L. Lelordier. Force motrice à vapeur de 300 chevaux, 2 400 lampes.

Vaucluse. — Pertuis : Usine d’éclairage électrique de la ville.

Vendée. — La Roche-sur-Yon : Usine d’éclairage électrique (50 chevaux).

Haute-Vienne. — Limoges : Usine d’éclairage électrique, carrefour Tourny (Lamy et Cie).

Yonne. — Saint-Fargeau : Éclairage électrique de la ville (Luneau et Plagneux).

Algérie. — Milianah : Éclairage électrique de la ville (Galli et Dalloz). — Orléansville : Éclairage électrique de la Ville (Galli et Dalloz)[9].

Après cette liste générale, nous donnerons quelques détails sur les usines centrales d’électricité de France, qui présentent le plus d’intérêt.

L’usine centrale d’électricité de Tours, inaugurée en 1886, a fait la première application, en France, des transformateurs Gaulard et Gibbs. Elle a une capacité de 3 500 lampes, de 16 bougies, mais qui ne sont pas toutes employées.

La force motrice est fournie à deux dynamos Siemens, par deux machines à vapeur Weyher et Richemond, de la force de 100 et de 150 chevaux, fournissant des courants alternatifs de 66 ampères.

L’usine est établie sur la place du Palais de Justice. Deux réseaux suivent la rue Royale ; chacun d’eux dessert un côté de cette rue, et est alimenté par une machine dynamo de l’usine.

La longueur totale de chaque réseau, aller et retour, est de 170 mètres. Les conducteurs en cuivre ont un diamètre de 7,5 millimètres. Ils sont isolés et renfermés dans une conduite en béton, qui est placée sous les trottoirs de la rue.

Les conducteurs principaux amènent le courant à quatre groupes de transformateurs Gaulard et Gibbs, reliés au centre de la zone qu’ils ont à éclairer, et établis sur le circuit principal.

Les réseaux secondaires qui partent de chaque groupe de transformateurs servent à alimenter les lampes au moyen de câbles de cuivre placés sous terre pour toutes les maisons de la rue Royale, et élevés en l’air pour les immeubles des rues adjacentes.

La longueur de chaque réseau secondaire ne dépasse guère 350 mètres.

Les lampes installées chez les abonnés, sont du système Swann, sur un réseau, et du système Woodhouse et Rawson, sur l’autre.

Les abonnés payent leur éclairage à raison de 3 francs 50 par mois et par lampe de 16 bougies.

L’usine centrale de Saint-Étienne (Loire) a été créée en 1885. Elle est située au centre de la ville, dans une cour de 300 mètres carrés. La vapeur est fournie par 4 chaudières, à foyer intérieur, du genre Farcot. Les machines à vapeur, au nombre de 4, sont du système compound, à la pression de 6 kilogrammes. Chaque moteur développe une force de 180 chevaux. Les machines dynamos sont au nombre de 7, du type Edison.

Le réseau de conducteurs sur lequel sont branchées les lampes, a un développement total de près de 5 000 mètres.

L’installation de l’ensemble de l’usine a coûté environ 50 000 francs, somme qui a permis d’établir 5 500 lampes, et de disposer de l’excès de vapeur pour distribuer de la force aux ateliers de la ville.

Dans une séance du mois d’avril 1890, de la Société de l’industrie minérale de Saint-Etienne, un ingénieur, M. Clermont, a résumé une étude faite en collaboration avec M. Cernesson, sur l’utilisation des forces naturelles de la région de Saint-Etienne. Il ressort de ce travail que les cours d’eau voisins pourraient fournir à un prix très modéré la force motrice nécessaire à l’industrie privée, et à l’éclairage de toute la ville de Saint-Etienne.

Nous avons déjà signalé l’usine centrale de Bourganeuf, comme un curieux exemple de l’utilisation des forces hydrauliques, pour la production de la lumière électrique. Cette usine, créée en 1885, fournit, en outre des 60 lanternes municipales, le courant à l’éclairage entier de la mairie, avec 20 lampes, celle de l’église, avec 7 lampes, et ceux des cafés, hôtels, magasins, etc., avec environ 100 lampes allumées.

Le moteur de cette usine est une chute d’eau, actionnant une roue, de 5 mètres de diamètre, qui fait 6 tours par minute. La chute a 11 mètres de hauteur, et un débit minimum de 250 litres par seconde. La dynamo tourne à 450 tours par minute.

Les fils conducteurs sont tendus en l’air. Ce sont des fils de cuivre posés sur des isolateurs ; leur développement, aller et retour, est de 3 500 mètres. Le câble principal a 850 mètres de longueur, et 8,5 millimètres de diamètre.

Les lampes sont du système Woodhouse et Rawson, de 10 bougies chacune.

À la Roche-sur-Foron (Haute-Savoie), l’éclairage public est obtenu par 20 lampes Edison. Il doit fonctionner tout l’hiver, de quatre heures du soir à sept heures du matin, et l’été aux heures déterminées par un règlement municipal. La lumière est payée par la ville, 3 000 francs par an.

L’éclairage privé comprend 300 lampes à incandescence Edison de 8, 10, 16 et 32 bougies.

La force motrice est une chute d’eau, de 17 mètres, actionnant une turbine Girard, qui agit sur la machine dynamo en produisant 45 chevaux-vapeur.

La conduite de distribution est constituée par un câble principal, à section décroissante à partir de la machine.

Le câble, de 4 000 mètres de développement, est aérien, et par conséquent, nu. Il se compose de fils de 3 millimètres, de 240 millimètres carrés de section. Il est porté par des poteaux, munis d’isolateurs. Les fils conduisant le courant aux lampes des particuliers, sont en cuivre, recouverts d’un isolant, que protège une gaine de plomb. Ils sont fixés sur des viroles en porcelaine et pourvues de coupe-circuits de sûreté et d’interrupteurs.

Dans les départements de la Drôme et de Vaucluse, deux petites villes, Dieulefit et Valréas, ont fait construire une station centrale d’éclairage électrique. L’usine, commune à ces deux localités, est à Béconne (Drôme), à une distance de 8 kilomètres de Dieulefit et de 15 kilomètres de Valréas. Elle est mue par une chute d’eau, empruntée, au moyen d’un canal de dérivation, à la petite rivière du Lez, dont le débit minimum est de 0m3,5 par seconde. Le canal amène les eaux à un réservoir de 20 000 mètres cubes, formé d’une dépression naturelle, que l’on a barrée au moyen d’une digue empierrée. Le radier est de 24m,50 au-dessus des turbines, qui sont au nombre de deux, l’usine étant installée de manière à en mettre en action une troisième si cela devient nécessaire.

Ces turbines font 182 tours par minute, et développent 50 chevaux-vapeur ; elles actionnent trois dynamos Zipernowsky, à courants alternatifs, de 24 000 watts chacune (2 000 volts et 12 ampères), construites par la Compagnie continentale Edison. Une de ces machines sert pour le circuit de Dieulefit, une autre pour celui de Valréas, la troisième est en réserve.

Ces localités sont reliées aux dynamos par deux lignes aériennes. Le réseau secondaire de Dieulefit est unique ; mais pour Valréas il a fallu trois groupes de transformateurs, formant autant de réseaux secondaires séparés.

L’éclairage public est produit par des lampes Edison-Swann, de 16 bougies ; quant à celui des particuliers, chacun a fait établir le système qu’il préfère.

Le prix de revient est d’environ 2 centimes par lampe-heure, de 16 bougies, soit le dixième de ce qu’aurait coûté le pétrole pour la même quantité de lumière. L’usine n’exige que deux personnes. Un seul employé est attaché au service de chaque ville, et il n’est occupé que quelques heures par jour.

L’éclairage électrique a été inauguré à Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) le 5 mai 1889.

L’usine, installée à Vauroux, à 4 kilomètres, utilise une chute d’eau, pour produire la force motrice. Une machine dynamo Thury, pouvant donner 600 volts et 17 ampères, est mise en action par deux roues hydrauliques accouplées. Aux quatre coins de la ville, sont des batteries d’accumulateurs, qui reçoivent le courant de charge, pendant 16 heures.

C’est l’aiguille de l’horloge de la mairie qui, par son mouvement sur le cadran, allume et éteint à l’instant donné les lanternes municipales, lesquelles reçoivent directement le courant des accumulateurs.

À Montluçon (Allier), l’éclairage électrique des rues a été installé pour 600 lampes. L’installation comprend une machine à vapeur, d’une puissance maxima de 60 chevaux, et 2 machines dynamos, de 30 lampes chacune. La machine à vapeur actionnant les machines dynamos est horizontale, à condensation et à détente variable.

La vapeur est fournie par une chaudière horizontale, à corps principal cylindrique tubulaire, et à 2 réchauffeurs latéraux. La consommation de charbon, pour une marche de 7 heures, est de 480 kilogrammes, le nombre des lampes allumées étant de 300. Les machines dynamos sont à courant continu, du type Edison, disposées en dérivation. Pour une vitesse de 950 tours, elles développent une force électromotrice de 105 volts. Chaque machine dynamo est munie d’un régulateur, d’un ampèremètre et d’un voltmètre. Les lampes sont à incandescence de 16 bougies, disposées sur trois réseaux reliant la station centrale à 3 postes, distants de 500 à 600 mètres. Les câbles, en cuivre, sont composés de 3 torons de 12 fils, de 2 millimètres de diamètre.

Quelques habitants de Cuxac (Aude) ont pris l’initiative d’utiliser une chute d’eau pour éclairer leur ville au moyen de l’électricité.

Une turbine, de la puissance de 40 chevaux-vapeur, actionne deux machines dynamos Gramme. La canalisation entre l’usine et la ville, est aérienne, et se compose de deux câbles, de 70 millimètres carrés de section, et d’un fil compensateur, de 20 millimètres carrés de section, devant alimenter les lampes-témoins de l’usine.

Une batterie d’accumulateurs, de 116 éléments, en dérivation sur le circuit principal, est gardée en réserve. La station peut desservir un maximum de 250 lampes, de 16 bougies ; et l’éclairage public est fourni par 50 lampes de 16 bougies, et 10 lampes de 10 bougies. La ville paye 3 000 francs par an pour l’éclairage municipal.

Une station centrale d’électricité a été installée à Lyon, par la Compagnie du gaz. Elle dessert deux théâtres et quelques grands établissements. Des dispositions ont été prises pour satisfaire plus tard, les demandes des nouveaux clients ; on a installé 5 000 lampes nouvelles.

Nous passons aux usines centrales existant à l’étranger.

D’immenses usines, peu nombreuses, établies pour distribuer la lumière dans une grande ville, ont paru aux autorités de Londres le meilleur système d’éclairage par l’électricité, de préférence a de nombreuses petites usines. Ce système a été appliqué par un ingénieur italien établi à Londres, M. de Ferranti.

La London Supply Corporation a créé à Deptford une usine plus considérable que celle de Grosvenor Gallery, qui existait déjà en 1884, et qui éclairait avec 33 000 lampes.

La station centrale, qui occupe un espace d’un hectare et demi, est située sur le bord de la Tamise, à côté des bâtiments de la Compagnie de navigation de Deptford. Les chaudières sont disposées dans le sens du fleuve, et de façon à pouvoir augmenter facilement leur nombre. La houille, amenée sur le quai, est hissée dans des paniers mus par une grue hydraulique, et conduite par un tramway aérien aux soutes à charbon, situées au sommet de l’édifice. Les nouveaux bâtiments que l’on construit, comprennent une chaufferie et deux salles de machines, occupant 64 mètres sur 60 mètres, avec 30 mètres de hauteur.

Le câble conducteur est formé de tubes concentriques, ayant la même section totale de 380 millimètres carrés ; le tube intérieur a 4mm,7 d’épaisseur et celui de l’extérieur 12mm,3. Entre ces deux tubes se trouve un espace de 12mm,6, rempli d’une matière isolante fortement comprimée, coûtant 50 centimes le kilogramme. Cet isolant est placé, sur le tube intérieur ; le tube extérieur est introduit par-dessus, et on exerce sur lui une forte pression, pour, en former une masse compacte. Ce câble doit être posé par longueurs de 6 mètres, reliées par un joint à un raccord, à l’instar des canalisations de gaz. Il a un diamètre total de 60 millimètres. La perte totale de potentiel, depuis la machine jusqu’aux lampes, est inférieure à 3 pour 100.

Pour conduire le courant de la station centrale aux points de distribution dans la ville, on a eu l’idée d’utiliser les lignes des Compagnies de chemins de fer qui parcourent le sud de Londres ; en sorte que les conduites de câbles iront de Cannon Street à Kensington, pour continuer leur parcours après les fins de ligne. Deux câbles conducteurs ont pour buts : Cannon Street, Ludgate-Hill et Charing Cross, stations de distribution. Celles-ci sont constituées par un bâtiment, avec cave et grenier, aux gares terminant la voie ferrée, et dans lequel aboutissent les extrémités du câble primaire, lesquelles sont attachées à un transformateur, placé aussi dans le bâtiment.

Les machines dynamos employées par M. de Ferranti, ne diffèrent que par des détails de construction, des machines Siemens à courants alternatifs ; mais leurs dimensions sont colossales. L’armature des petites machines a 3m,60 de diamètre, avec une hauteur totale de 4m,50. Les grandes machines comportent 13m,60 de hauteur, avec un poids de 500 tonnes chacune !

L’électricité fournie doit être mesurée au compteur. Chaque maison aura son compteur, contenu dans une boîte de petites dimensions. La consommation d’énergie électrique sera indiquée sur des cadrans, comme dans un compteur à gaz.

En résumé, Londres sera bientôt entièrement éclairé à l’électricité. Depuis 1888, dans les principales rues de la Cité et sur les ponts, le nouvel éclairage avait été essayé ; malheureusement le prix de revient était trop élevé, et les premières compagnies qui s’établirent éprouvèrent de grosses difficultés financières. Un acte du Parlement, en 1889, a levé les obstacles qui empêchaient Londres de posséder la lumière électrique. Plusieurs grandes compagnies ont alors été fondées, avec un capital de 3 millions de livres sterling (75 millions de francs environ). Elles ne doivent pas se faire concurrence ; on a dévolu à, chacune d’elles un certain nombre de quartiers, auxquels elles devront distribuer l’électricité.

La London Electric Supply Corporation a installé son usine à Deptford. Cet établissement est dirigé par M. de Ferranti, qui a beaucoup contribué à l’amélioration des machines dynamo-électriques destinées à fournir la lumière, et s’est occupé des moyens de la distribuer facilement aux abonnés. La compagnie alimentera deux millions de lampes.

Ainsi que nous l’avons dit, la même Compagnie avait commencé par éclairer, en 1884, Grosvenor Gallery. Elle reçut alors différentes propositions des commerçants voisins, qui lui demandaient de leur fournir la lumière. Elle accepta de prendre ces nouveaux abonnés, et dut, en conséquence, augmenter son travail. Comme les demandes devenaient de plus plus nombreuses, la compagnie s’étendit et changea de nom et de local.

La construction des grandes usines de Deptford, avec leurs puissantes machines, a commencé au mois d’avril 1888. Voici ce que disait à ce sujet, le président de la Compagnie, en 1890 :

« Depuis 1888, nous avons travaillé nuit et jour. Aujourd’hui nous avons élevé une immense galerie et nous possédons des machines et des dynamos de la force de 3 000 chevaux. Deux autres machines et dynamos en construction sont de la force de 5 000 chevaux chacune. Quand nous avons voulu construire ces machines, nous nous sommes adressés à la maison Krupp en Allemagne, au Creusot en France ; aucun de ces établissements ne pouvait nous les livrer avant trois ans. Comme nous ne pouvions attendre cette époque, nous nous sommes décidés à construire nous-mêmes les machines dont nous avions besoin, et dans un an nous avons terminé notre installation.

Jamais on n’avait construit de dynamos aussi grandes. Le tour employé pour façonner le grand arbre de couche, est de la taille de ceux qui servent à fabriquer les canons de 100 tonnes. Les arbres de couche ont 0m,90 de diamètre et pèsent 70 tonnes avant d’être tournés ; ce sont les fontes d’acier les plus importantes qui aient jamais été faites en Écosse. L’armature des dynamos mesure 4 mètres de diamètre. Actuellement, les dynamos actionnées à Deptford alimentent 25 000 lampes et les dynamos en construction alimenteront cent mille lampes chacune. Ces nouvelles dynamos sont arrangées de façon qu’au moment où les demandes arrivent nous puissions les accoupler à deux machines de 5 000 chevaux chacune ; de cette façon chacune d’elles pourra alimenter 200 000 lampes au lieu de 100 000.

Nous n’employons pas de câbles pour distribuer l’électricité, mais un tube de cuivre, entouré d’un enduit isolant. Un second tube de cuivre recouvre cet enduit ; ce tube est parcouru par le courant de retour ; il est lui-même recouvert d’une couche isolante, et placé dans un tube de fer. De cette façon, nos conducteurs peuvent échapper aux chances de rupture, et nous n’aurons pas besoin de les enfermer dans des enduits spéciaux ; il nous suffira de les enterrer. Le tube extérieur est en fer, épais de 0m,005 environ ; il est suffisamment flexible pour se recourber à angle droit, sans se briser et en même temps assez résistant pour supporter sans s’écraser une forte charge. Tous les 6 mètres, il y a joint entre les tubes, et c’est à ces joints que l’on reliera les abonnés. Ce système de conducteurs ne présente aucun danger ; on peut toucher impunément le tube de cuivre extérieur qui est relié à la terre Le courant primaire a une force électromotrice de 100 000 volts ; cette tension n’avait jamais été atteinte jusqu’ici dans les applications électriques. »

La Metropolitan Electric Supply Company avec ses six stations (Sardinia Street ; Rathbane Place ; Whitehall ; Manchester Square ; Waterloo Wharf et Greenmore Wharf) représente un capital de un demi-million de livres sterling. Ses six stations alimenteront 30000 lampes.

Viendront ensuite d’autres compagnies, chargées de distribuer l’électricité aux différents quartiers de Londres.

Quant au coût de cette lumière, il est fixé par un acte du Parlement, à 0f,75 le kilowatt, prix équivalent à celui du gaz, payé 0f,20 le mètre cube. L’installation des conduites dans une maison en construction n’est pas plus dispendieuse que celle du gaz, et dans les maisons anciennes, la dépense à faire n’est pas énorme : les compagnies comptent pouvoir établir les appareils pour 50 francs.

L’éclairage électrique en Belgique. — Dans sa séance du 25 mars 1889, le conseil communal de Bruxelles a adopté le programme dont voici les principales clauses, pour la distribution de l’éclairage électrique à Bruxelles.

La ville de Bruxelles recevra une distribution d’électricité par canalisations souterraines, pouvant fournir de la lumière, de la force motrice et au besoin des courants utilisables pour d’autres applications.

On organisera, comme première installation, le service d’au moins 10 000 lampes, de 16 bougies.

La concession aux entrepreneurs sera au maximum de dix-huit ans.

L’éclairage électrique de la Société des Houillères unies a été inauguré en Belgique, au mois de mars 1889. M. Julien Dulait, ingénieur, est arrivé à d’excellents résultats, dans le bassin de Charleroi.

La Société belge d’éclairage a organisé, à Gand, une station centrale d’électricité pour l’éclairage privé. Mais la Compagnie du gaz ayant le monopole de l’éclairage, toute lumière autre que la sienne ne peut être distribuée que dans des immeubles limités.

La Société conduit à ses frais le câble jusqu’au seuil de l’habitation de l’abonné, et celui-ci paye son installation intérieure.

La Société belge d’éclairage emploie le système de distribution Tudor, par accumulateurs.

L’éclairage électrique en Allemagne. — Les principaux établissements électriques de Berlin sont ceux des Usines d’électricité de Berlin, dont le cercle d’action comprenait, au commencement de 1889, presque tous les quartiers intérieurs. La rue principale de la ville, Sous les Tilleuls, a vu son éclairage électrique établi en 1888. Les deux nouvelles stations centrales qui ont été installées, et l’agrandissement des deux stations qui existaient, ont donné, depuis, une importance considérable à l’éclairage de Berlin.

Le 30 mai 1889, on inaugurait l’éclairage électrique à Marienbad, en Allemagne. Le courant est fourni par quatre dynamos Zipernowsky, à courants alternatifs et à excitation séparée. Ces machines ont une vitesse de 500 tours par minute ; elles produisent chacune 50 000 watts, et absorbent une force de 80 chevaux-vapeur. Des machines à vapeur les actionnent ; elles sont excitées par 3 machines dynamos, à courants continus, lesquelles donnent 3 000 watts. L’usine est éloignée de 2 kilomètres, et le courant est conduit par des canalisations aériennes, supportées par des poteaux en bois. Des cages en fer posées sur ces poteaux, renferment les transformateurs ; 60 lampes à incandescence sont employées pour l’éclairage public. L’éclairage privé emploie 1 800 lampes à incandescence, et 48 régulateurs.

Le Dr  Volt, président de la station électrotechnique d’essai, à Munich, a présenté à l’assemblée générale de l’Union polytechnique un rapport signalant les progrès sans cesse croissants de l’éclairage électrique dans cette ville.

Neuf Sociétés d’électricité, dont trois sont intéressées à l’entreprise municipale, ont établi, pour l’éclairage de Munich et de ses environs, 116 installations, comprenant 588 lampes à arc, et 23 231 lampes à incandescence, dont 4 900 pour les trois théâtres royaux.

D’après les communications statistiques de M. Diehl, Munich, en 1885, comptait 30 établissements d’éclairage électrique, alimentant 133 lampes à arc et environ 3 770 lampes à incandescence. En évaluant l’intensité lumineuse d’une lampe à arc à 900 bougies normales, et celle d’une lampe à incandescence à 16 bougies, on arrive à une somme de 99 700 bougies, pour les lampes à arc et de 60 320 bougies pour les lampes à incandescence, soit à un total général de 160 020 bougies.

Il en résulte que, de 1885 à 1888, la quantité de lumière fournie par l’électricité, s’est élevée, à Munich, de 160 020 à 900 896 bougies.

À Erfurt, la Compagnie continentale allemande, propriétaire de l’usine à gaz de cette ville, a conclu un traité pour l’éclairage à l’électricité, au moyen de machines dynamos actionnées par des moteurs à gaz.

À Francfort-sur-le-Mein, la Compagnie du gaz a installé une petite usine électrique, à titre d’essai, pour l’éclairage de 12 lampes à arc et de 250 lampes à incandescence, au moyen d’accumulateurs.

À Elberfeld, une usine centrale a été créée, pour alimenter 3 000 lampes à incandescence. On se propose de porter ce nombre à 10 000. MM. Siemens et Halske, de Berlin, concessionnaires de cette entreprise, disposent de 7 machines à vapeur et de 14 machines dynamos, qui seront installées au fur et à mesure des besoins.

À Hambourg, à Lübeck, à Brème et à Leipzig, l’installation de l’éclairage public par l’électricité, est chose décidée.

À Cologne, on a établi une station centrale, alimentant 3 000 lampes à incandescence, au moyen de moteurs à gaz.

À Magdebourg, les autorités municipales exploitent l’éclairage électrique pour leur propre compte.

À Francfort-sur-le-Mein, une commission a été instituée, pour mettre à l’étude l’adoption de l’éclairage électrique dans la ville.

En résumé, soixante villes allemandes possèdent actuellement des installations privées ou centrales d’éclairage électrique, comprenant 4 000 foyers à arc, et 60 000 lampes à incandescence, et exigeant une puissance mécanique totale de 15 000 chevaux.

Dans une conférence faite en mai 1890, à la Société des ingénieurs et architectes d’Autriche, le professeur Englender a fait la description des usines centrales existant à Vienne. Elles sont au nombre de quatre :

1° La station centrale de l’Impérial Continental Gas-Association, construite pour l’éclairage des deux théâtres de la Cour ; 2° la station centrale de la maison Siemens et Halske ; 3° la station centrale de la Compagnie d’électricité de Vienne ; et 4° la station centrale de la Compagnie d’électricité internationale (Ganz et Cie), près du pont Kronprinz-Rudolph, sur le Danube.

La première de ces stations est une section de la Compagnie du gaz ; la deuxième appartient à une maison de commerce ; la troisième et la quatrième sont des entreprises de Sociétés par actions.

La station centrale de la Gas-Association emploie des machines dynamo-électriques du système Crampton.

Les chaudières ont 1 056 mètres carrés de surface de chauffe. Le service d’éclairage est assuré par huit machines à vapeur compound, trois de 170 chevaux, cinq de 120 chevaux. Pour le service de jour, deux machines à vapeur seulement fonctionnent pour charger les accumulateurs ; le soir, on leur adjoint une troisième machine.

Le chargement des accumulateurs se fait à 150 volts, la décharge à 100 volts.

Les machines à vapeur de cette station ont des cylindres superposés, et s’échauffent très fortement ; mais en raison du grand nombre des machines de rechange, le service n’est pas interrompu ; en outre, elles ne tournent qu’à 350 tours, au lieu de 450.

À l’Opéra de Vienne, il y a environ 5 500 lampes à incandescence ; au Nouveau Burgtheater, environ 5 000, soit un total d’environ 10 000 lampes à incandescence, de 13 à 32 bougies. La canalisation est à conduite double, et les câbles sont en cuivre. La recherche de l’eau d’alimentation a présenté de grandes difficultés, attendu que l’on n’a pu en trouver même à 300 mètres de profondeur. Actuellement on la prend au quai François-Joseph, et on la recueille dans des réservoirs ; elle est épurée à la station centrale.

La station centrale Siemens est avantageusement située au centre de la ville, mais aussi très resserrée, et enfoncée dans un coin, sans chemin praticable pour les matériaux de chauffage. La machinerie comprend, provisoirement, deux machines à vapeur compound, à haute pression, de 200 chevaux, et une machine compound à haute pression, de 400 chevaux.

Après l’achèvement des travaux, cette station centrale possédera sept machines à vapeur de 200 chevaux, cinq de 400 chevaux, et des chaudières avec une surface de chauffe de plus de 2 500 mètres carrés.

Les machines dynamos sont du système Siemens et Halske. On espère que, quand on aura placé dans la station centrale des machines de 2500 chevaux, il sera possible d’alimenter directement environ 30 000 lampes à incandescence, et en se servant d’accumulateurs, environ 100 000 lampes. La maison Siemens et Halske, malgré la récente création de cette station, alimente déjà environ 6 500 lampes à incandescence et beaucoup de lampes à arc.

Les clients les plus importants sont le Théâtre populaire allemand, le Jockey-Club, les établissements de crédit, la Société de Banque, la Caisse d’épargne, Haas et fils, Sacher, le Stephanskeller, etc.

La station centrale de la Compagnie d’électricité est située entre deux grandes artères de communication. Elle possède actuellement cinq chaudières, deux machines à vapeur à 200 chevaux et une à 400 chevaux. Les machines à vapeur en fonction sont des machines compound, sans condensation, avec des cylindres juxtaposés à haute et moyenne pression, qui agissent sur un axe commun à double coude.

La station centrale en construction de la Compagnie d’électricité internationale, tant par la puissance des machines que par la grandeur de son secteur, est la plus importante ; elle travaille avec les courants alternatifs, d’après le système Zipernowsky-Déry.

L’hôtel de ville de Vienne est aujourd’hui éclairé en entier par l’électricité. Les travaux, commencés en 1885, ont été terminés en 1890.

Stations centrales de l’Italie. — La station centrale de Milan est la plus ancienne, et de beaucoup la plus importante de l’Italie, et on peut ajouter de toute l’Europe. L’usine est située dans le quartier de Sainte-Cunégonde. Elle commença par éclairer, à titre d’essai, le théâtre dal Varme, distant de 150 mètres de l’usine, et cet essai ayant réussi, l’usine fut définitivement construite pour l’éclairage des principaux édifices, ainsi que des rues et places de Milan.

L’usine de Sainte-Radegonde alimente plus de 10 000 lampes à incandescence, et plus de 100 lampes à arc, qui se distribuent, sans parler de la voie publique, à l’Hôtel de Ville (196 lampes à incandescence et 57 lampes à arc), au théâtre de la Scala (2 566 lampes à incandescence et 12 lampes à arc) ; — au théâtre Manzoni (371 lampes à incandescence ) ; — au théâtre Philodramatique (263 lampes à incandescence et 1 lampe à arc) ; — à l’hôtel Continental (473 lampes à incandescence) ; — à l’hôtel de Milan (238 lampes à incandescence) ; — aux cercles (331 lampes à incandescence) ; — aux cafés, brasseries, restaurants (859 lampes à incandescence et 11 lampes à arc) ; — aux magasins (1340 lampes à incandescence et 20 lampes à arc) ; — aux imprimeries (405 lampes à incandescence) ; — aux banques (610 lampes à incandescence) ; — aux appartements (101 lampes à incandescence) ; — à l’usine électrique (118 lampes à incandescence).

Le réseau des conducteurs est formé de câbles de cuivre, de 93 millimètres carrés de section, qui s’étendent sous le pavé des rues.

Le courant est distribué à ce réseau par des conducteurs principaux, de 250 à 600 millimètres carrés de section. Ces conducteurs, partant de l’usine, y recueillent le courant des machines dynamos, et le portent aux brûleurs.

Les prix sont ainsi fixés :

Pour une lampe de 10 bougies, 22 francs par an, plus 0 fr. 027 par heure d’éclairage.

Pour une lampe de 16 bougies, 35 francs par an, plus 0  fr.  04 par heure d’éclairage.

En supposant 1 000 heures d’éclairage par an, la lampe de 10 bougies revient ainsi à 50 francs, et celle de 16 bougies à 75 francs, pour une année.

Une usine centrale d’électricité a été établie à Rome, par la Compagnie du gaz. Cette station disposait d’abord d’une force de 2 700 chevaux, pour éclairer la ville. L’énergie électrique atteint maintenant la puissance de 4 400 chevaux, grâce à l’utilisation des chutes d’eau de Tivoli, éloignées de Rome de 30 kilomètres, et que l’on transmet par des machines dynamos et des fils de section convenable. Cette seconde usine a été organisée par la maison Ganz, La distribution est opérée d’après le système Zipernowsky ; les courants sont alternatifs et à haute tension ; les transformateurs sont, placés aux différents centres d’alimentation.

Les usines centrales en Espagne. — Au commencement de 1889, on inaugurait, en Espagne, la station centrale de Durango, province de Bilbao. Cette station comprend l’éclairage des voies publiques de cette petite ville, par 300 lampes à incandescence.

Il en sera de même pour les villes de Cestona, Azpertia et Azcortia, province de Guipuzcoa, où l’on peut disposer d’une grande force hydraulique.

On projette aussi la formation d’une station centrale à Orense.

Les usines centrales aux États-Unis. — C’est dans les États-Unis d’Amérique que l’éclairage électrique a pris les plus grands développements. Dans ce pays, plus de 150 stations centrales, et 1 000 installations isolées, qui sont la propriété de la seule Société Edison.

Les stations les plus importantes de la Société Edison sont celles de New-York, de Philadelphie, de Chicago et de Boston, éclairant, chacune, de 20 000 à 40 000 lampes.

Le courant est produit par des machines dynamos du type que nous représentons sur la figure 363.

Fig. 363. — Machine dynamo-électrique Edison, employée dans les stations centrales de New-York.

Les deux stations Edison de New-York alimentent, ensemble, 13 000 lampes, de 16 bougies. L’une, installée dans Pearl Street, possède 11 000 lampes à elle seule ; l’autre, installée dans Liberty Street, en a plus de 2 000.

D’autres sociétés, au nombre de plus de vingt, se partagent le reste de l’éclairage de New-York.

Nous empruntons au savant ouvrage de M. Hippolyte Fontaine, l’Éclairage par l’électricité[10], le tableau des installations isolées et des stations centrales desservies par les principales sociétés américaines, autres que celles d’Edison.

SOCIÉTÉS.
NOMBRE d'installations isolées.
NOMBRE de stations centrales.
NOMBRE DE LAMPES.
d’installations isolées.
de stations centrales.
total.
United States C° 
235 22 48 000 12 400 60 400
Thomson-Houston C° 
21 64 5 500 33 850 39 350
Westinghouse C° 
51 51 19 400 84 000 103 400
Brush 
44 11 11 010 4 600 15 610
Mather 
80 2 20 200 1 100 21 300
Excelsior 
5 1 1 300 250 1 550
Schaeffer 
4 » 575 » 575
Van Depoële 
3 » 220 » 220
Ball 
3 » 800 » 800
Ft Wayne Jenny 
5 2 1 300 1 200 2 500
Ind. Jenny 
6 2 980 1 100 2 080
Thomas 
2 1 250 500 750
Hecla 
2 » 50 » 50
Shuyler 
1 6 75 1 000 1 075
Heisler 
» 8 » 3 000 3 000
Sawyer Man 
155 1 20 260 1 800 22 420
House C° 
4 1 1 100 800 1 900
621 172 131 380 145 600 276 980

Ce qui donne un total de 145 600, pour les stations centrales, et de 131 380, pour les installations isolées.

La Société Thomson-Houston alimente, à Boston, 590 régulateurs à arc, à Providence, 470, à Saint-Louis, 500, à Brooklyn, la plus importante station du monde entier, 1 382 régulateurs.

La Compagnie Westinghouse est l’une des plus importantes ; c’est elle qui exploite les brevets américains du transformateur Gaulard et Gibbs.


CHAPITRE X

les applications de la lumière électrique. — l’éclairage des voies publiques et des magasins. — l’éclairage des maisons particulières et des appartements.

La lumière électrique peut remplacer, dans la plupart de leurs usages, l’éclairage au gaz et les lampes aux huiles minérales ou végétales. Nous pourrions nous borner à cet énoncé général. Cependant, l’installation de cet éclairage exige, selon les cas, des précautions particulières et des organes spéciaux. Nous devons, dès lors, examiner à part chacune de ces applications. Nous étudierons successivement :

1° L’éclairage des voies publiques et des magasins ;

2° L’éclairage des maisons particulières, et des appartements ;

3° L’éclairage des théâtres ;

4° L’éclairage des usines, ateliers et manufactures ;

5° L’éclairage des mines et travaux souterrains ;

6° L’éclairage des phares et des ports ;

7° L’éclairage des navires ;

8° Les applications de la lumière électrique à l’art de la guerre et à la marine militaire.

Éclairage des voies publiques, places et avenues. — L’application à l’éclairage des rues, places et avenues des grandes villes, au moyen de l’arc électrique, est tout naturellement indiquée, si l’on considère la grande puissance et la portée considérable de ce foyer lumineux. L’éclairage électrique des places et des rues, est, d’ailleurs, le cas le plus simple que l’on puisse rencontrer dans cette industrie. Il s’agit, en effet, d’alimenter, d’une manière uniforme et constante, un nombre déterminé de lanternes. La machine dynamo-électrique étant mise en marche, et réglée une fois pour toutes, doit développer, chaque soir, la même puissance, et on n’a plus à s’en occuper.

Aussi les applications de la lumière à l’éclairage des voies publiques, ont-elles été tentées de très bonne heure. En 1878, dès la découverte de la bougie Jablochkoff, l’avenue de l’Opéra, à Paris, était pourvue de ce mode brillant d’illumination ; et à Londres, quelques ponts et grandes rues se garnissaient, à la même époque, de lanternes électriques.

En Amérique, la lumière électrique a été également installée, de bonne heure, dans les rues d’un grand nombre de villes ; et aujourd’hui, beaucoup d’entre elles ne connaissent pas d’autre agent d’éclairage public.

Depuis 1890, les grands boulevards de Paris sont munis d’une rangée uniforme de lampes électriques, placées au milieu, ou sur les bords de la chaussée, depuis la Bastille jusqu’à la Madeleine. Leur service est distribué entre plusieurs Compagnies, dans des espaces, d’une longueur déterminée, appelés secteurs.

La place du Carrousel est éclairée, depuis plusieurs années, par quatorze lanternes, perchées sur de très hautes potences, munies du régulateur horizontal de M. Mersanne. Elles sont aujourd’hui rattachées à la station centrale du Palais-Royal, appartenant à la Société Edison. La place de la République et plusieurs autres grandes places de la capitale, sont également éclairées par des lampes à arc.

Aux États-Unis, un grand nombre de villes ont leurs rues éclairées par le même procédé. Nous avons parlé plus haut (page 461) des nombreuses stations centrales de la Société Edison, à New-York, parmi lesquelles, beaucoup éclairent des rues et des places.

Un exemple intéressant en ce genre, nous est fourni par la ville de Détroit, qui compte 200 000 habitants, et dont l’éclairage est entièrement électrique. Il est fait, en général, par des lampes à arc, portées sur des pylônes en fer, dont la hauteur varie selon celle des maisons. Les conducteurs, de 5 millimètres de diamètre, sont tous aériens, supportés par des poteaux en bois, avec isolateurs en porcelaine.

Les pylônes sont la partie la plus curieuse de cette installation. Ils sont formés de tubes en fer, réunis bout à bout, et assemblés par des manchons. Pour changer, chaque jour, les crayons de charbon, les ouvriers sont élevés par un ascenseur à câble et à contrepoids, qu’ils manœuvrent eux-mêmes.

Fig. 364. — Éclairage des rues de Minnéapolis.

Dans la ville de Minnéapolis, qui est également éclairée en entier par l’électricité, les régulateurs sont suspendus entre deux poteaux, de 18 mètres de hauteur, placés à l’intersection des rues (fig. 364). Les régulateurs sont descendus, chaque jour, pour le remplacement des crayons ; 225 régulateurs sont ainsi installés. La ville est, de plus, éclairée par une sorte de phare électrique, composé d’un mât en fer, de 85 mètres de hauteur, creux, et muni de 8 régulateurs.

Éclairage des grands magasins et des boutiques. — La maison de nouveautés et confections du Louvre, a, la première, à Paris, adopté la lumière électrique. Dès l’année 1878, sous la direction de M. Honoré, son ingénieur, les sous-sols de l’établissement étaient aménagés pour recevoir des machines dynamos Gramme et de Méritens, ainsi que les machines à vapeur nécessaires pour les actionner. La certitude d’éviter toute cause d’incendie, fut le motif déterminant de l’adoption, dans les Magasins du Louvre, de cet éclairage qui, aujourd’hui, a été perfectionné et étendu.

La bougie Jablochkoff fut adoptée à l’origine, et elle est encore conservée aujourd’hui. La puissance totale des machines à vapeur en service aux Magasins du Louvre, est de 250 chevaux. Le nombre des bougies Jablochkoff est de 250 ; les chandeliers sont du système Clariot.

Il a été reconnu, par une longue expérience, que l’on réalise ainsi une économie de plus de 30 pour 400 sur le prix du gaz. En même temps, on peut prolonger d’une heure ou deux, chaque soir, l’ouverture des magasins, et la surveillance de l’éclairage est plus facile. Ajoutons que la lumière électrique conserve aux étoffes leurs nuances les plus délicates.

L’installation de l’éclairage électrique dans les Magasins du Bon Marché, à Paris, a toute l’importance d’une usine centrale. Il y a dix machines à vapeur, dont la puissance totale est de 1 200 chevaux. Bien entendu que toutes ces machines ne fonctionnent pas à la fois, les heures d’éclairage étant peu nombreuses ; mais elles reçoivent d’autres emplois pour les besoins du service de ce vaste établissement. Il a près de quarante machines dynamos Gramme et Edison.

Ce que l’on peut citer comme véritable modèle d’installation, c’est la salle où sont réunies vingt-quatre dynamos Gramme, et quatre machines à vapeur horizontales, de la force de 200 chevaux, chacune.

L’éclairage total a une intensité de 19 188 carcels, fourni par 200 régulateurs Cance, 96 bougies Jablochkoff, et 1 808 lampes à incandescence, de la force de 10 bougies.

En outre, les soirs de fête, les magasins sont éclairés extraordinairement par quatre régulateurs Gramme, de la force de 500 becs Carcel chacun.

Toutes les manœuvres d’allumage et d’extinction se font par ordres téléphoniques. Aucun appareil électrique n’est à la portée du public, ou des personnes étrangères au service de l’éclairage.

Édifiés de nouveau, à la suite de l’incendie qui les dévora, en 1882, par le fait du gaz, les Magasins du Printemps ont adopté l’éclairage électrique. Les bougies Jablochkoff composent la majeure partie de cette installation, l’une des plus belles de Paris. Elle comporte 300 bougies Jablochkoff et 255 lampes à incandescence.

Nous représentons, dans la figure 365, la grande nef des Magasins du Printemps, éclairée, le soir, par les lampes Jablochkoff.

Fig. 365. — Éclairage électrique de la nef des Grands Magasins du Printemps, à Paris.

Dans les Magasins du Gagne-Petit, à l’avenue de l’Opéra, on faisait autrefois usage de lampes à huile, les directeurs de cet établissement n’ayant jamais voulu donner accès au gaz, par crainte d’incendie ou d’explosion. Ils avaient fait construire des lampes Carcel, d’une puissance suffisante. L’éclairage électrique qui s’y trouve aujourd’hui, ne comporte point de bougies Jablochkoff, mais seulement des lampes à incandescence, au nombre de 400, et des lampes à arc et à régulateur, au nombre de dix, actionnées par des machines dynamos Edison. Une machine à vapeur, de la force de 100 chevaux, et une chaudière multitubulaire Collet, alimentent le tout.

Les 400 lampes Edison ont remplacé les 400 lampes à huile, qui dépensaient chacune pour 30 centimes d’huile par heure. Une économie considérable a été ainsi réalisée.

On vient de voir quelles sont les conditions d’installation de l’éclairage électrique dans les grands magasins de Paris, dont quelques-uns ont, au point de vue de l’éclairage, l’importance d’une usine centrale, si l’on considère le nombre des brûleurs et la proportion de lumière distribuée.
Les magasins ordinaires et les boutiques de Paris, qui s’éclairent par l’électricité, reçoivent, nous n’avons pas besoin de le dire, une installation fort différente. On n’y trouve guère que des lampes à incandescence. Quant au moteur, c’est bien rarement la machine à vapeur, que les boutiquiers redoutent, à tort ou à raison. Le moteur à gaz est l’agent ordinaire actionnant les machines dynamos.

On se demande quelquefois pourquoi, puisque l’on s’adresse au gaz, pour actionner les machines dynamos, on ne conserve pas, purement et simplement, le gaz dans les boutiques. La raison en est que le gaz, relégué dans la cave, comme un simple manœuvre, expose à moins de chances d’explosion et d’incendie. C’est ensuite parce que la dépense est moindre avec le gaz actionnant une machine dynamo, que quand on le brûle dans les magasins.

Dans les magasins situés sur le trajet des conducteurs d’une usine centrale d’électricité, on peut obtenir une dérivation du courant, et par un simple conducteur secondaire, branché sur le conducteur principal, recevoir l’électricité, sans avoir à s’occuper de moteur d’aucune espèce. C’est ainsi qu’aux environs des usines centrales du Palais-Royal, de la cité Bergère, etc., les magasins sont alimentés d’électricité par ces usines centrales.

La distribution d’air comprimé, au moyen d’une canalisation spéciale, dans une des sections d’éclairage électrique des grands boulevards, est également mise à profit par les riverains de cette voie publique, pour obtenir des prises d’air comprimé, qui servent à actionner des machines dynamos, et à produire l’éclairage de leurs magasins. Mais c’est là un cas particulier et d’un rayon trop rare, pour fournir à beaucoup de consommateurs.

Éclairage des maisons et appartements. — Ce que nous venons de dire pour les magasins s’applique aux appartements, maisons et hôtels privés. Les lampes à incandescence sont ici le seul luminaire en usage, et la source d’électricité est empruntée le plus souvent à un moteur à gaz. Quelques essais ont été faits pour alimenter les lampes par des accumulateurs. Le fabricant d’accumulateurs fait apporter, chaque matin, les piles secondaires chargées et prêtes à fonctionner, et remporter les piles usées la veille. Mais ce système, outre qu’il revient à un prix élevé, est trop assujettissant pour un service quotidien.

Qu’il soit fourni par une machine à vapeur, par un moteur à gaz, ou par la dérivation d’une canalisation souterraine, l’éclairage électrique, employé dans les maisons, pour remplacer l’éclairage au gaz, à l’huile ou au pétrole, se recommande par des avantages particuliers, qu’un peu de réflexion fait saisir. Nous parlerons d’abord des avantages de ce mode d’éclairage, au point de vue de l’hygiène, dans les maisons et appartements.

Les corps actuellement employés comme agents d’éclairage ont un inconvénient radical, un vice irrémédiable : c’est qu’ils vicient l’air, en absorbant l’oxygène et émettant de l’acide carbonique. Ils s’emparent d’un gaz utile à la respiration, c’est-à-dire à la vie, et le remplacent par un gaz toxique. Quand on brûle du gaz, la vapeur d’eau et le gaz acide carbonique emplissent l’atmosphère de la pièce des produits de leur combustion ; l’eau se dépose sur les meubles, tentures, rideaux, qui ne peuvent pas s’en bien trouver ; l’acide carbonique entre dans nos poumons, qui s’en trouvent plus mal encore.

La chaleur qui accompagne la combustion du gaz, est un autre inconvénient de son emploi dans les appartements. Si l’on n’a pas à s’en plaindre en hiver, l’été, cette chaleur est intolérable.

Enfin, le dépôt de particules charbonneuses provenant de la combustion du gaz, est un autre résultat fâcheux de son usage.

L’air normal renferme environ 4 pour 10 000 de gaz acide carbonique ; quand l’air contient 1 pour 1000 d’acide carbonique, il est vicié ; s’il renferme 1 pour 100 d’acide carbonique, il peut occasionner l’asphyxie, ou des accidents de ce genre.

La bougie, l’huile ou le pétrole, produisent, en brûlant, de l’acide carbonique et de l’eau, tout comme le gaz. On ne peut donc se flatter de faire usage d’un éclairage plus hygiénique, en brûlant ces substances, au lieu de gaz.

Dans une brochure sur ce sujet, le docteur Hammont a donné le tableau des quantités d’air vicié, d’oxygène consommé et d’acide carbonique produit, pendant une heure, pour une intensité d’environ 12 bougies, par les différentes substances employées dans l’éclairage des appartements.

Voici le tableau résultant des expériences du docteur Hammont, et contenu dans le mémoire de ce savant.

MODE d’éclairage.
OXYGÈNE
consommé en litres.
ACIDE CARBONIQUE
produit en litres.
AIR VICIÉ
en litres.
CALORIES
dégagées.
À l’électricité par incandescence 
0 0 0 34
Au gaz 
95 56 450 550
À l’huile 
130 94 675 580
Au pétrole 
170 121 931 822
À l’essence minérale 
180 130 940 830
À la bougie 
240 175 1 240 940
À la chandelle 
340 245 1 650 1 260

On voit, d’après ce tableau, que, seule, la lumière électrique ne consomme pas d’oxygène et ne produit pas d’acide carbonique. Elle ne dégage aucune chaleur sensible, ce qui est un avantage en été, et n’a d’autre inconvénient, en hiver, que de nécessiter le chauffage de l’appartement. Il est permis de dire que la lumière électrique est, au point de vue hygiénique, une lumière parfaite.

En effet : 1o  elle ne consomme pas d’oxygène et n’ajoute à l’air ni gaz acide carbonique, ni vapeur d’eau, ni parcelle de charbon, ni substance étrangère d’aucune sorte. N’ayant pas besoin, pour se produire, de l’oxygène de l’air, elle n’a rien à prendre à l’atmosphère ni rien à lui céder. Le filament de charbon, hermétiquement renfermé dans une clochette de verre, ne laisse rien échapper au dehors. Et non seulement l’air extérieur n’intervient point dans sa production, mais si, par accident, par exemple, la clochette de verre vient à se briser, et l’air à s’y introduire, aussitôt le courant est interrompu et la lumière s’éteint.

2o  Le gaz et les autres moyens d’éclairage exposent à l’incendie. À combien d’accidents les fuites de gaz ne donnent-elles pas lieu ? Le pétrole causait autrefois des malheurs sans nombre, et les lumières à feu libre, lampes et bougies, que l’on transporte dans les appartements, sont une cause permanente d’incendie. Avec l’électricité, aucune crainte de ce genre. La lampe à incandescence échauffe à peine l’air. On peut la tenir à la main, sans se brûler ; l’entourer d’une étoffe légère, sans que l’étoffe roussisse. Aussi, jamais une lampe électrique n’a-t-elle causé d’incendie. Voilà un de ses plus grands avantages.

3o  La lumière électrique est le plus obéissant des serviteurs. Elle s’allume ou s’éteint, à la volonté du maître de l’appartement, qui, même couché dans son lit, peut, en tournant simplement un robinet, s’éclairer ou se plonger dans l’obscurité, autant de fois qu’il le désire. Pouvant varier d’intensité, selon la volonté de celui qui l’emploie, la lumière électrique peut être éclatante comme le soleil, si l’on fait usage de l’arc voltaïque, ou réduite à l’état de veilleuse, si l’on prend une lampe à incandescence de petit modèle. C’est donc le plus docile des luminaires.

Prenons un exemple. Autrefois, à bord des navires, le passager, renfermé dans sa cabine, ne pouvait, quand la nuit était venue, faire usage de lampe ou de bougie : telle était la règle formelle du bord. Mais dans les navires qui sont aujourd’hui éclairés à l’électricité, chaque cabine contenant sa lampe électrique, le passager a la faculté de tenir sa lampe allumée toute la nuit, s’il le désire, et de charmer ses veilles par la lecture ou le travail.

Fig. 366. — Lampe Edison, pour bureau.

4° Disons enfin que la lumière électrique n’est pas beaucoup plus chère que le gaz. On peut dire même que, tout en étant d’un prix supérieur à celui du gaz, cette différence est amplement compensée, si l’on tient compte de tous les dégâts que le gaz occasionne, dans les appartements, en altérant les métaux et les peintures, ce qui entraîne à autant de dépenses, pour les réparations.

Fig. 367. — Lampe électrique de salon Edison, avec suspension.

Un électricien célèbre, M. Preece, directeur des télégraphes électriques de l’Angleterre, a installé dans sa maison la lumière électrique, et il en parle avec enthousiasme.

« Dans mon jardin, écrit M. Preece, j’ai fait construire une jolie petite maison, pour le moteur, et j’y ai logé une machine à gaz, de la force de 2 chevaux-vapeur, qui commande une petite machine dynamo Gramme, du poids de 400 kilos environ. Celle-ci me donne un courant suffisant pour mes besoins, 36 ampères avec 42 volts, soit 1 512 watts. Ce courant est envoyé dans des batteries secondaires ou accumulateurs formés de simples plaques carrées de plomb, plongées dans l’acide sulfurique étendu ; il y a 17 accumulateurs. Le matin, mon jardinier met en marche le moteur à gaz qui travaille de neuf heures à une heure, et emmagasine dans les accumulateurs assez d’électricité pour la soirée et même la nuit suivante.

À l’intérieur de la maison, le courant est distribué par de gros fils de cuivre avec enveloppe isolante de caoutchouc. Des lampes sont posées dans chaque chambre, aux endroits utiles, de manière à répondre à toutes les exigences. Les montures des lampes fixes sont très simples et ingénieuses, pour permettre les remplacements lorsque le filament de charbon est usé. Il y a aussi des lampes mobiles pour descendre à la cave, circuler dans le jardin, ou plus simplement éclairer les recoins des appartements.

Ces dernières sont alimentées au moyen d’un câble qui se déroule plus ou moins suivant la longueur du trajet.

Pour éviter tout accident, j’emploie des lampes qui n’ont besoin que d’une force électro-motrice de 30 volts. À la porte de chaque pièce est un commutateur qui permet, avant d’entrer, d’éclairer l’intérieur, et d’éteindre quand on sort. C’est la suppression complète des allumettes.

Je n’ai pas visé à l’économie, car je tenais avant tout à assurer le service, et j’ai organisé l’éclairage complet de mon habitation. J’estime qu’une maison comme la mienne peut être dotée de la lumière électrique pour une dépense moyenne de 187fr,50 par lampe. »

Dans une conférence, faite en 1886, à la Société des arts de Londres, dont il était président, M. Preece a déclaré que son installation électrique lui occasionne une dépense annuelle de 1 500 francs, alors que l’éclairage au gaz ne lui coûtait que 750 francs. Mais il ajoute :

« Si maintenant, nous mettons en regard de ce supplément de dépense, la valeur d’une lumière fixe, la pureté de l’air, la suppression de la chaleur, des allumettes, de la bougie et de l’huile, le bien-être des gens, la conservation des peintures, des motifs de décorations et des livres, la propreté, la gaieté, la santé, la prolongation de l’existence, il n’y a pas à chercher de quel côté doit pencher la balance. »

M. Preece s’est toujours déclaré partisan décidé de l’éclairage domestique par l’électricité. Dans une conférence faite au Canada, il déclara « qu’ayant substitué l’électricité au gaz, dans sa maison, il avait la conviction de vivre trois ou quatre années de plus qu’il n’aurait vécu sans cela ».

Disons, en terminant l’examen de cette question, que ce n’est pas au point de vue de l’économie qu’il faut conseiller l’éclairage électrique des appartements. Il faut considérer la lumière électrique comme une lumière de luxe, d’exception, d’une propreté extraordinaire, d’un usage éminemment hygiénique et d’une sécurité absolue, mais non d’un véritable bon marché. Dans sa brochure sur l’Éclairage électrique, que nous avons déjà citée, le Dr  Hammont disait :

« Quelle est la mère, qui donnerait à son enfant une nourriture qu’elle saurait dangereuse pour sa santé, parce qu’elle l’aurait à meilleur compte ? Et cependant c’est ce que nous faisons chaque jour, en nous éclairant au gaz ! »

Nous ne terminerons pas ce chapitre sans traiter un point essentiel concernant l’usage de la lumière électrique dans les maisons particulières, les magasins ou ateliers. Nous voulons parler du mode de paiement de cet éclairage.

Quand on éclaire une voie publique par l’électricité, le prix de cet éclairage est arrêté, une fois pour toutes, par les administrations municipales, d’après l’étendue des rues ou places à éclairer. Mais pour les magasins, les appartements ou les ateliers, on ne peut songer à un abonnement. Il faut nécessairement que chaque consommateur paie son éclairage, conformément à la lumière qui lui a été distribuée. Les Compagnies d’éclairage électrique ont donc créé des compteurs d’électricité, qui, à l’instar des compteurs de gaz, indiquent à l’abonné la fraction qu’il a consommée de l’énergie totale produite à la station centrale.

Il existe quatre à cinq compteurs d’électricité. Le compteur inventé par M. Aubert, constructeur de Lausanne, a pour principe la mesure exacte du temps pendant lequel passe le courant. Le compteur Cauderay, plus compliqué, se compose, d’une horloge mise en mouvement par l’électricité, de plusieurs organes particuliers indiquant l’intensité du courant, enfin d’un mécanisme opérant la multiplication des deux facteurs du temps et de l’énergie électrique, et effectuant la totalisation des produits obtenus. Le compteur Aron repose sur le retard ou l’avance que peut produire un courant électrique sur la vitesse d’oscillation du pendule.

Le compteur Cauderay est le plus employé en France.

La Société Edison fait usage d’un compteur de l’invention du célèbre électricien de New-York, et qui est fondé sur un principe tout différent de ceux qui viennent d’être énumérés.

Le compteur Edison est basé sur la mesure de l’action chimique du courant. La même quantité d’électricité traversant un bain de substance saline décomposable, comme le sulfate de cuivre ou le sulfate de zinc, précipite toujours le même poids de métal.

Supposons que nous coupions en deux un circuit fermé, dans lequel circule un courant, que nous terminions les deux bouts par deux plaques de zinc, et que nous plongions les deux plaques dans une dissolution de sulfate de zinc. Une partie du métal de l’une des plaques (la plaque positive) se dissoudra, tandis qu’une quantité de zinc rigoureusement égale, se déposera sur la plaque négative. Or, la quantité de zinc déposée est proportionnelle à l’intensité du courant, et par suite, à la quantité d’électricité qui traverse la solution.

Fig. 368. — Compteur électro-chimique Edison.

On voit dans la figure 368 deux flacons remplis de dissolution de sulfate de zinc, dans lesquels plongent deux lames de zinc, A, B, d’un poids connu. Une fraction déterminée du courant de l’abonné, est dérivée, et envoyée à travers chacun des flacons. Il suffira de peser les plaques de zinc au bout d’un certain temps, pour connaître, par leur augmentation de poids, la quantité d’électricité fournie à l’abonné pendant ce temps. Comme, d’ailleurs, la force électro-motrice a toujours été maintenue constante au moyen du régulateur, cette quantité d’électricité est proportionnelle à la quantité d’énergie consommée.

Le compteur électro-chimique Edison est d’une exactitude rigoureuse. Pour le faire comprendre, nous aurons recours à une comparaison.

Supposons une chute d’eau, servant de force motrice ; ce que l’on fera payer à l’abonné à cette force, ce ne sera pas le débit du cours d’eau, mais la quantité d’énergie fournie par la chute et utilisée. Or, cette énergie est à la fois proportionnelle à la quantité d’eau qui tombe, et à la hauteur d’où elle tombe. Quand la hauteur de chute est constante, on voit que le travail est précisément mesuré par le débit.

Des deux flacons A, B, que l’on voit dans le dessin représentant le compteur Edison, l’un sert à établir la somme à toucher tous les mois par la Compagnie, l’autre sert de contrôle. Il faut que l’indication que donne au bout de l’année le flacon A, cadre avec la somme des indications fournies par le flacon B.

La lampe électrique l qui se trouve au bas de l’armoire, sert à empêcher l’eau de geler en hiver, et voici par quel ingénieux moyen elle produit cet effet.

En temps ordinaire, la lampe ne brûle pas.

Dans notre dessin on aperçoit au-dessus de la lampe, l, une plaque a, composée de deux métaux (cuivre et zinc) superposés, et qui sont de dilatation différente. À mesure que la température s’abaisse, la plaque métallique composée de ces deux métaux, se contracte ; au moment où l’eau est sur le point de geler, la plaque a se contracte, touche le bouton fixé au socle métallique de la lampe, s, et établit ainsi la contact et le courant électrique. Alors, la lampe s’allume, s’échauffe, et elle donne assez de chaleur pour empêcher l’eau de geler. Dès que la température adoucie revient au degré ordinaire, la plaque se dilate, le contact cesse et la lampe s’éteint.

Des essais exécutés en 1890, aux États-Unis, ont mis parfaitement en évidence l’exactitude de cet appareil. Dans une première expérience, qui fut prolongée pendant six mois, avec six compteurs, on constata que les écarts entre leurs indications respectives n’atteignaient pas 1,5 pour 100. Dans une autre, faite à New-Brimswick, par M. W. S. Howell, on plaça sept compteurs sur un branchement qui alimentait dix lampes. D’après les relevés, les variations de mesurage correspondaient à une différence de prix de 0f,075 seulement, pour la consommation totale.


CHAPITRE XI

l’éclairage électrique dans les théâtres de paris, des départements et de l’étranger.

Le gaz employé pour l’éclairage des théâtres, a été reconnu comme une cause de tant d’inconvénients et de dangers, que sa suppression totale a été décidée partout. Aucune salle de théâtre ne se construit aujourd’hui, sans que l’électricité y soit introduite ; et pour les anciens théâtres, on s’efforce, toutes les fois qu’on le peut, de substituer l’électricité au gaz.

Le gaz présente dans une salle de spectacle de notables inconvénients, et sur la scène, il expose à d’immenses dangers. Une grande quantité de décors, c’est-à-dire de toiles recouvertes de peintures, résinifiées par le temps, et inflammables comme des allumettes, sont accumulées dans les frises, où règne, d’ailleurs, une température prodigieusement élevée, qui accélérerait singulièrement la combustion des toiles. Qu’un coup de vent vienne pousser un lambeau de draperie contre un des becs d’une herse, aussitôt tout s’enflamme. C’est ce qui arriva au théâtre de l’Opéra-Comique, en 1887. Les cintres étaient encombrés de toiles, au milieu desquelles montaient et descendaient, en se balançant, des herses, qui portaient cinquante à soixante becs de gaz allumés. Les portants et les fermes étaient garnis de tuyaux, donnant des jets de gaz. Partout les matières les plus inflammables étaient au voisinage du feu. Un bec de gaz embrasa une toile flottante, et telle fut la cause de la catastrophe qui fit un si grand nombre de victimes, et qui, terrifiant le public, détermina les autorités supérieures, en France et à l’étranger, à proscrire le gaz de l’intérieur des théâtres.

Dans la salle, le gaz, disons-nous, présente, non des dangers, mais de notables inconvénients. Pendant l’été, il provoque une chaleur étouffante, et en tout temps, il vicie sensiblement l’air. Nous avons montré que la combustion du gaz, à l’intérieur des appartements, est une cause manifeste d’altération de l’air. Le même effet se produit nécessairement pour les salles de théâtres.

Pour se rendre compte exactement du degré de cette altération, il suffit de remarquer que la combustion d’un seul bec de gaz absorbe, par la formation de l’acide carbonique et de l’eau, autant d’oxygène que sept à huit personnes. Or, dans les salles de théâtre bien éclairées, on n’allume pas moins d’un bec de gaz par spectateur, et le plus souvent par deux spectateurs. L’air est ainsi appauvri en oxygène autant que s’il y avait dix fois plus de personnes dans la salle.

On a fait, en 1885, au Théâtre-Royal de la Cour, à Munich, des expériences, qui ont permis de comparer les résultats de l’éclairage électrique et de l’éclairage au gaz, au point de vue hygiénique. Dans la salle complètement remplie de spectateurs et éclairée à l’électricité, la température ne s’élevait, pendant la représentation, que de + 7°,7 au parterre et de + 7°,4 dans les galeries. Quand la salle était éclairée au gaz, la température s’élevait à + 11°,7 et à 12°,8 dans les galeries. La quantité d’acide carbonique de l’air était, avec l’éclairage électrique, de 1,40 pour 100 au parterre et dans les galeries de 1,85 ; elle était de 2,61 et 3,28 pour 100 avec l’éclairage au gaz.

Si la combustion du gaz est incomplète, par suite d’un défaut de réglage des flammes, elles débordent, fument, et il se forme des produits accessoires, tels que l’acétylène, dont l’odeur est facile à reconnaître. Les particules de charbon qui ont échappé à la combustion, s’ajoutent alors aux poussières ordinaires, et s’introduisent dans les poumons.

Toutes ces causes d’altération, jointes à la respiration des spectateurs, finissent par rendre absolument malsain l’air d’une salle éclairée au gaz.

L’électricité, qui ne dépose, en éclairant, aucun corps étranger dans l’atmosphère de la salle, et qui ne peut communiquer l’incendie aux décors de la scène, est donc le plus merveilleux agent d’éclairage que l’on puisse rêver pour les théâtres.

Il serait superflu d’insister davantage sur une question au sujet de laquelle tout le monde est d’accord aujourd’hui. Il importe seulement de donner les règles générales de l’installation de l’éclairage électrique dans les salles de spectacle.

En premier lieu, on ne doit pas établir, à l’intérieur de la salle, des lampes à arc, en raison des fragments de charbon enflammé qui tombent souvent des bougies Jablochkoff, et qui peuvent devenir, pour les spectateurs, une cause de panique. Il faut réserver les bougies électriques pour les façades, les terrasses extérieures, les escaliers, etc. Les becs à incandescence doivent seuls être placés dans la salle et les couloirs.

Le courant électrique qui alimente les becs, doit être produit loin du théâtre, et non dans ses sous-sols ou dépendances, comme on le fait trop souvent. L’usine mécanique doit en être éloignée autant que possible, et si une usine centrale est à peu de distance, c’est à cette source qu’il faut s’adresser. Les machines à vapeur et les générateurs sont, en effet, sujets à des accidents qui peuvent constituer un danger pour les théâtres.

Pour produire les effets variables d’éclairage de la scène et de la rampe, on se sert, comme dans les installations des maisons, de régulateurs à spires de maillechort, tels que nous les avons décrits et figurés[11]. Les régulateurs, grâce à leurs résistances en maillechort, produisent toutes les gradations de lumière désirables, depuis la demi-obscurité jusqu’à l’éclatante clarté. Si l’on veut diminuer l’intensité lumineuse des lampes à arc, sans les éteindre, on peut glisser, devant le globe, des écrans dont l’épaisseur et la couleur varient suivant les besoins. Pour faire l’obscurité complète, on éteint les foyers, et on les remplace par une résistance équivalente, afin de ne pas changer le régime de marche du moteur.

Nous énumérerons maintenant les théâtres qui possèdent aujourd’hui l’éclairage électrique.

La première introduction de l’électricité dans les théâtres de Paris, remonte à l’année 1878, époque à laquelle les bougies Jablochkoff commencèrent à populariser cet éclairage. L’Hippodrome reçut alors la belle installation que nous avons déjà signalée. Dix ans après, l’électricité était employée dans une cinquantaine de théâtres, tant en Europe qu’en Amérique. Citons, à Paris, le Grand-Opéra, le théâtre du Châtelet, les Variétés et le Palais-Royal ; à Londres, les salles du Prince, Empire, Syrie et Haymarket ; à Bruxelles, l’Alhambra et la salle Molière ; à Milan, la Scala et la salle Philodramatique ; à Saint-Pétersbourg, l’Alexandra ; à Anvers, le théâtre Flamand et le Grand-Théâtre ; et peu après, les théâtres de Prague, de Brünn, de Stuttgart, de Cologne, de Munich, de Carlsbad et de Magdebourg.

Les terribles incendies du théâtre des Arts, à Rouen en 1876, de Montpellier en 1879, de Nice en 1880, de Vienne (Autriche) en 1881, de l’Opéra-Comique de Paris, en 1887, d’Exeter (Angleterre) en 1887, émurent profondément l’opinion publique. Les municipalités obligèrent alors les directeurs de théâtres à substituer l’éclairage électrique à l’éclairage au gaz.

La plupart des directeurs de Paris se mirent les premiers à l’œuvre, pour obéir aux nouvelles prescriptions.

Aujourd’hui, les théâtres encore éclairés au gaz, ne sont à Paris, que des exceptions. L’Opéra, l’Opéra-Comique, la Comédie-Française, le Palais-Royal, le théâtre du Châtelet, le Vaudeville, les Variétés, l’Odéon, l’Eden, etc., sont éclairés par l’électricité.

Nous donnerons quelques détails sur les plus intéressantes de ces installations.

Le théâtre du Châtelet est entièrement éclairé à l’électricité ; le gaz en est complètement banni. La salle est garnie de lampes à incandescence. Il y a 4 lampes à bougies Jablochkoff, sur la terrasse qui surmonte la grande entrée du théâtre. Quand cela est nécessaire, des portants mobiles, munis de bougies Jablochkoff, sont mis en place, et allumés par un commutateur.

Une machine à vapeur, de la force de plus de 100 chevaux, est établie dans le sous-sol répondant au péristyle du théâtre, du côté de la place du Châtelet.

Le théâtre des Variétés avait fait, en 1882-1883, des essais d’éclairage électrique, au moyen des accumulateurs. Suspendus le 1er mai 1883, en raison des mauvaises affaires de l’entrepreneur, ils furent repris, trois ans après, à la suite de la catastrophe de l’Opéra-Comique, et le 1er juillet 1887, ce théâtre faisait sa réouverture avec l’éclairage électrique.

La machine dynamo-électrique, qui engendre l’électricité, sert à la fois à éclairer le théâtre des Variétés et quelques boutiques du passage des Panoramas, qui lui est contigu.

Cet ensemble d’éclairage se compose actuellement de près de 600 lampes à incandescence de Woodhouse et Rawson (de Londres), de 98 volts, La salle du théâtre comprend 90 lampes de 16 bougies ; la rampe, 44 lampes de 20 bougies ; les cinq herses, 23 lampes, chacune de 12 bougies ; les portants, 3 lampes, chacune de 20 bougies. Le reste des lampes se trouve réparti dans les couloirs, foyer, façade et loges d’artistes. Dans le passage des Panoramas, les cafés et magasins, comprenant, jusqu’à ce jour, environ 1 200 lampes, sont éclairés par des lampes de 10 bougies.

Le courant électrique est produit par des générateurs de vapeur, du système Collet, produisant 1 000 kilogrammes de vapeur chacun, par vingt-quatre heures. L’alimentation d’eau de ces chaudières est faite par une petite machine à vapeur.

Les chaudières envoient leur vapeur dans deux machines à vapeur à condensation, du système compound, de la force de 75 chevaux-vapeur, chacune.

Chaque machine à vapeur actionne directement, par une courroie, une machine dynamo-électrique Gramme, de 400 ampères et 110 volts, tournant à 625 tours par minute.

Une batterie d’accumulateurs, pour servir de secours, et pouvant alimenter 1 200 lampes, est toujours prête à agir.

Une pompe sert à élever l’eau d’un puits, creusé à l’effet d’alimenter les condenseurs.

Toutes ces machines à vapeur et à électricité, installées dans les caves d’une maison de la rue Montmartre (n° 161), composent la petite usine centrale, dont nous avons donné la description et le dessin dans la figure 361.

Le théâtre du Vaudeville est éclairé par l’usine centrale de la cité Bergère, appartenant à la Société Edison.

Depuis le mois de septembre 1886, le théâtre du Palais-Royal est entièrement éclairé par l’électricité. Tous les appareils, machines à vapeur, chaudières et machines dynamo-électriques, sont en double ; et la moitié d’entre elles est toujours gardée en réserve, prête à remplacer l’autre, le cas échéant.

L’installation comporte 430 lampes à incandescence, dont 285 de 10 bougies, et 145 lampes de 20 bougies. Elles sont réparties sur cinq circuits différents, dont les extrémités aboutissent à un tableau de distribution, placé dans la salle des machines. Ces circuits desservent : le premier, le lustre de la salle, avec 165 lampes de 10 bougies ; le second, la scène, avec 32 lampes de 20 bougies en verre dépoli sur la rampe, 100 lampes de 10 bougies sur les herses et 24 lampes de 20 bougies sur les portants ; le troisième, les loges d’artistes et le magasin des costumes, et le quatrième, le vestibule d’entrée, l’escalier et les loges de la première galerie ; le cinquième circuit renferme une batterie de 27 accumulateurs et est destiné à fournir la lumière en cas d’arrêt accidentel des machines.

La salle des machines est placée dans le sous-sol, au-dessous du péristyle. Elle comporte, comme nous l’avons dit, une double installation.
Deux machines dynamo-électriques Edison, marchant à 900 tours, et produisant chacune 53 volts, et 450 ampères, sont respectivement actionnées par deux machines à vapeur à condensation, du système compound, d’une force de 35 chevaux ; elles font 300 tours par minute, et sont elles-mêmes alimentées par des chaudières inexplosibles Belleville.

Nous représentons dans les figures 369 et 370, la distribution des fils électriques pour l’éclairage de la salle et de la scène du théâtre du Palais-Royal. Les légendes qui accompagnent la coupe verticale de la scène et de la salle, ainsi que le plan, donnent l’explication du réseau des conducteurs aboutissant aux différentes parties de la salle, de la scène et de l’administration.

Fig. 369. — Éclairage électrique de la salle du théâtre du Palais-Royal, à Paris. (Coupe sur l’axe de la salle et dépendances.)
C, chaudière à vapeur inexplosible. — A, machine à vapeur de 35 chevaux. — B, machine dynamo-électrique. — I, circuit électrique du lustre. — II, circuit de la scène. — III, circuit des loges d'artistes — IV, circuit du vestibule, grand-escalier, foyer, loges, première galerie. — V, circuit des galeries supérieures, alimenté par une batterie d’accumulateurs.
Fig. 370. — Plan du théâtre du Palais-Royal, à Paris. (Échelle de 0,02 par mètre.)
A, A′, machine pilon compound de 35 chevaux. — B, B′, dynamos de 53 volts et 450 ampères. — C,C′, pompes d’alimentation. — D, condenseurs. — E, réservoir d'eau de condensation. — F, réservoir d’alimentation. — G, G′, générateurs Belleville. — J, cheminée en briques, — L, tableau de distribution. — M, bureau. — H, salle des accumulateurs.

Le théâtre de la Renaissance est éclairé, depuis le mois d’octobre 1887, par des globes Swann. La salle et la scène ont reçu un brillant éclairage, et la façade rayonne, chaque soir, d’un grand éclat.

L’électricité est fournie par une machine dynamo-électrique, actionnée par une machine à vapeur, installée dans une maison particulière de la cité Riverin (rue de Bondy). Ce même moteur sert à alimenter d’électricité le théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Au théâtre de la Porte-Saint-Martin, l’électricité a remplacé partout le gaz. Scène, salle, couloirs, dessous, bureaux, loges d’artistes, etc., sont éclairés par des globes à incandescence Swann. Le total de l’éclairage est de 1 600 lampes à incandescence. Les lampes dites de secours, elles-mêmes, sont alimentées par des accumulateurs, qui n’ont aucune relation avec l’éclairage général.

La rampe, les herses, les portants, sont à trois effets : feux blancs, bleus et rouges, qui se produisent automatiquement par la simple pression d’un bouton.

Dans la salle, le lustre se compose d’un grand réflecteur en bronze doré, contenant 210 lampes à incandescence.

En outre, entre chaque loge d’artiste, au premier étage, se trouve une lampe électrique, enfermée dans un globe de verre dépoli, qui répand une lumière très douce et qui ne fatigue pas les yeux.

Comme il est dit plus haut, le courant électrique est engendré dans un immeuble de la cité Riverin, par une puissante machine à vapeur, et des machines dynamos, qui distribuent le courant électrique aux théâtres de la Renaissance et de la Porte-Saint-Martin.

C’est la Société Marcel Deprez qui a exécuté tous les travaux de cette installation.

C’est à la même source d’électricité, c’est-à-dire aux machines établies dans la cité Riverin, que s’alimente le théâtre de l’Ambigu, qui, le 26 novembre 1887, dans sa salle, restaurée et embellie, inaugura l’éclairage électrique. Toute l’installation, scène, salle, bureaux, couloirs, etc., est parfaitement entendue. Le lustre, en particulier, qui est placé à une grande hauteur, pour ne pas gêner la vue des spectateurs des galeries supérieures, est d’une parfaite élégance.

L’éclairage électrique du théâtre du Gymnase n’emprunte pas son courant électrique à l’usine à vapeur de la cité Riverin. La machine, de la force de 25 chevaux, est placée dans les dépendances du théâtre.

Nous en dirons autant de la Gaîté, qui, à la fin du mois de novembre 1888, inaugura un ensemble d’éclairage électrique parfaitement entendu. Il n’existe pas, au théâtre de la Gaîté, un seul bec de gaz.

N’oublions pas, dans cette revue, le Théâtre-Français. Ce théâtre subventionné, fut transformé par l’État, à la fin de l’été de 1888, sous le rapport de l’éclairage, par l’installation de l’électricité sur la scène et dans la salle. La source d’électricité est une machine à vapeur, de la force de 25 chevaux, installée dans l’usine centrale de la cour du Palais-Royal.

Les Montagnes-Russes, situées sur le boulevard des Capucines, sont éclairées par l’usine Popp, qui envoie l’air comprimé, pour actionner une machine dynamo.

Les Menus-Plaisirs (boulevard de Strasbourg), depuis le mois d’octobre 1887, sont également pourvus de lampes à incandescence. Le moteur est une machine à vapeur.

Près de ce théâtre, l’Eldorado, simple café-concert, rayonne, chaque soir, des feux du nouvel éclairage ; et non loin de lui, un autre café-concert, la Scala, brille des mêmes feux.

L’éclairage électrique est venu ajouter aux merveilles du Grand-Opéra, une valeur nouvelle.

En 1888, à la suite d’essais de tout genre, qui duraient depuis cinq ans, l’éclairage entier de l’Opéra par l’électricité, fut réalisé par la Compagnie Edison.

Les 8 000 becs de gaz, qui constituaient l’ancien éclairage, furent tous supprimés, et remplacés par 6 131 lampes à incandescence, dont voici la distribution :

  Lampes de 10 bougies. Lampes de 16 bougies.
Administration 
1 165 40
Scène 
1 568 120
Salle et pavillon 
1 212 306
Foyer et escalier 
1 010 642
Caves 
68 »
Totaux 
5 023 1 108

En outre de ces 6 131 lampes, l’éclairage comprend 22 bougies Jablochkoff, pour le péristyle du théâtre et le plafond du grand escalier, et 8 lampes à arc, pour la loggia.

Pour fournir l’électricité à ces lampes à incandescence et à arc, on a installé des chaudières Belleville dans les sous-sols de l’Opéra, dont les vastes profondeurs se prêtent si bien à les recevoir.

Elles alimentent :

Une machine à vapeur Corliss, de 250 chevaux, tournant à la vitesse de 60 tours par minute ;

Une machine à vapeur Armington, de 100 chevaux, tournant à 300 tours par minute ;

Quatre machinés Weyher et Richemond, de 140 chevaux, tournant à 160 tours par minute ;

Une autre machine Weyher et Richemond, de 40 chevaux, tournant à 85 tours ;

Une machine Weyher et Richemond, de 20 chevaux, tournant à 100 tours ;

Ce qui représente une force de 970 chevaux-vapeur, pouvant facilement être portée, quand on le veut, à 1 200.

La cheminée, qui a 1m,36 de diamètre et 39 mètres de hauteur, est placée dans une cour intérieure.

Les chaudières produisent de la vapeur à 12 kilos de pression ; mais comme elles sont situées à une distance de 60 mètres des machines, on a créé une canalisation spéciale de la vapeur, pour éviter toute cause d’arrêt. On a réuni au centre toutes les conduites de vapeur partant des chaudières, de façon à former une véritable boucle se fermant sur les chaudières. Par ce moyen, on dirige la vapeur dans la conduite de droite ou dans celle de gauche, ou dans les deux à la fois.

L’eau nécessaire à l’alimentation des chaudières et à la condensation de la vapeur des machines, est empruntée en partie aux eaux de la ville, et en partie à un puits creusé à 39 mètres de profondeur. Le débit de ce puits est de 65 mètres cubes à l’heure, avec une dénivellation de 6 mètres. L’eau est élevée par une pompe, qu’actionne une transmission électrique.

Chaque machine à vapeur, de 140 chevaux, actionne une machine dynamo, de 800 ampères.

On a ainsi quatre groupes de machines pouvant alimenter 1 000 lampes chacune, et pouvant fonctionner séparément ou simultanément.

Nous donnons dans la figure 371, la vue générale de la salle des machines de l’usine de l’Opéra.

Fig. 371. — Salle des machines à vapeur, des machines dynamo-électriques, et des générateurs de vapeur, à l’Opéra de Paris.

Les machines à vapeur actionnent 94 dynamos Edison.

Le courant des dynamos est amené à un premier tableau de distribution, de 4 mètres de largeur, sur 1 mètre de hauteur. Au-dessus et au-dessous de ce tableau, sont placés quatre conducteurs, composés de grandes barres de cuivre, qui les relient à deux autres tableaux de distribution, de 3m,50, sur 1m,10, desservant les circuits du théâtre.

À l’aide de commutateurs, on peut envoyer le courant des machines dynamos dans les barres du haut ou dans celles du bas.

Nous représentons, dans la figure 372, le régulateur des effets de scène, vulgairement nommé jeu d’orgue, qui sert à modérer l’intensité de la lumière des lampes de la salle.

Fig. 372. — Régulateur des effets de scène, ou jeu d’orgue, à l’Opéra de Paris.

On voit que les résistances sont montées sur des cadres a, a′, a″, placés perpendiculairement, le long du mur.

Les leviers que l’on voit sur notre dessin, sont portés, tous ensemble, par un arbre double, AA, de 4 mètres de long. Destinés à établir la communication électrique entre les résistances et le courant, ils sont munis d’un encliquetage qui permet de les embrayer à volonté sur une des roues qui sont calées sur chacun de ces arbres. On voit, au fond, l’homme qui seul suffit pour manœuvrer les leviers de tous les régulateurs, et régler ainsi l’intensité de la lumière.

Fig. 373. — Éclairage électrique des herses, sur la scène de l’Opéra de Paris.

De petites lampes à incandescence, semblables à celles de la salle, font apprécier le degré de l’éclairage.

On voit sur la figure 373 la distribution du courant électrique sur la scène de l’Opéra, pour l’éclairage des herses.

En admettant que toutes les machines fonctionnent en même temps, on disposerait, à l’Opéra, d’une force de 950 chevaux-vapeur, les machines dynamo-électriques ayant une capacité suffisante pour alimenter 7 700 lampes (de la valeur de 16 bougies, de 0,75 ampère) mais, pour le service d’éclairage usuel, on allume seulement 5 000 lampes de la valeur de 10 bougies, et 1 000 lampes de 16 bougies chacune.

On voit, par les détails dans lesquels nous sommes entré, avec quelles proportions colossales est établi l’éclairage électrique, à l’Opéra de Paris. C’est la plus belle des installations électriques de théâtres du monde entier. Elle fait le plus grand honneur à l’ingénieur de la Compagnie Edison, M. Amédée Vernes, à qui on la doit.

En outre des théâtres dont nous venons de parler, plusieurs cafés-concerts et salles de réunion, à Paris, ont adopté l’éclairage électrique. Citons le cirque Oller (rue Saint-Honoré), dont l’installation électrique est admirablement entendue, et peut rivaliser avec celle de l’Hippodrome. Des machines à vapeur, alimentées par des chaudières inexplosibles, actionnent d’excellentes machines dynamos, qui distribuent dans la salle une magnifique lumière.

Nous n’entreprendrons pas la description de ces dernières installations, pour ne pas répéter ce que nous avons dit à propos de divers théâtres. Qu’il nous suffise de rappeler que l’éclairage électrique, qui assure une sécurité absolue contre les chances d’incendie, qui, en été, donne un éclairage sans chaleur, et, en toute saison, laisse l’air inaltéré, est déjà introduit dans la presque totalité des théâtres de Paris.

Nos grands théâtres de province n’ont pas attendu le signal venu de la capitale, pour adopter l’éclairage électrique. Marseille, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Nîmes, etc., ont effectué, dès l’année 1886, cette utile modification de leur éclairage.

À l’étranger, le même mouvement s’est produit. À Madrid, par exemple, un ordre du gouvernement décrétait, au mois de juin 1887, l’installation de la lumière électrique dans ses salles de théâtre. L’Italie donnait, dans la Scala de Milan, un des plus beaux spécimens que l’on connaisse de l’éclairage d’un théâtre par l’électricité, et d’autres villes principales de la péninsule italienne suivaient cet exemple.

L’Angleterre, après le terrible événement d’Exeter, réformait, dans la plupart de ses salles de spectacle, son ancien éclairage. Bruxelles ne tardait pas à entrer dans la même voie, et les plus grands théâtres de l’Allemagne inauguraient à l’envi le nouveau système.

Ce serait tomber dans d’inutiles redites que d’examiner en détail les installations faites à l’étranger. Bornons-nous à dire que le mouvement consistant à substituer l’électricité au gaz, dans les théâtres, est universel, et d’ailleurs, pleinement justifié, car, nous le répétons, le seul moyen de prévenir l’incendie d’une salle de spectacle, c’est l’éclairage par l’électricité et la suppression totale du gaz.

Éclairage électrique des usines. — Les usines qui possèdent des machines à vapeur et des générateurs d’une grande puissance, peuvent consacrer une partie de leur force motrice à actionner des machines dynamos, et produire ainsi leur éclairage électrique à peu de frais. Celles qui ont pour force motrice une chute d’eau, peuvent également consacrer une partie de la puissance de ce moteur naturel, à actionner des machines dynamos, destinées à l’éclairage. Aussi est-ce dans les usines, manufactures et ateliers, que l’on vit se réaliser les premières applications économiques de la lumière électrique. Cet éclairage permet de continuer le travail la nuit ; ce qui est souvent un réel avantage, pour les ateliers. Ajoutez que les risques d’incendie sont totalement écartés, et que l’air conserve son oxygène, dans son intégrité.

L’éclairage par incandescence permet de disséminer de petites lampes dans les ateliers peu spacieux. Les lampes à arc à régulateur différentiel et les bougies Jabiochkoff, conviennent pour les grands espaces, les halls des manufactures, les chantiers de construction, les gares de chemins de fer, etc.

Dans certains ateliers, comme les meuneries et les greniers à céréales, l’atmosphère est chargée de poussières ; et dans d’autres, comme les fabriques de papiers, il contient des vapeurs délétères. Les régulateurs seraient donc vite hors d’état de fonctionner. Les bougies Jabiochkoff trouvent là leur place ; car on ne s’inquiète pas de la variation d’intensité lumineuse.

Les lampes à incandescence, quand elles sont employées, sont d’une puissance un peu élevée : de 16 à 20 bougies.

Dans beaucoup d’usines, on se sert d’une partie du courant électrique destiné à l’éclairage, pour actionner des transmissions de mouvements et manœuvrer des machines-outils.

Il serait complètement inutile de donner ici des exemples d’installation d’éclairage électrique dans les usines. C’est par milliers qu’on les compte aujourd’hui, et bientôt il n’existera pas une seule usine ou manufacture mue par la vapeur ou par une chute d’eau, qui ne soit pourvue d’un matériel pour la lumière électrique, et même pour la transmission de la puissance du moteur à la manœuvre des machines-outils, à la ventilation, etc.

Éclairage des mines, des travaux souterrains et sous-marins. — Lorsque M. de Changy inventa sa lampe électrique ayant pour conducteur un fil de platine, sa première idée, en sa qualité d’ingénieur des mines, fut d’appliquer ce mode d’éclairage aux galeries des houillères. En effet, l’éclairage électrique paraît, dans ce cas, tout indiqué. Sans doute, la lampe du mineur, ou lampe de Davy, — bien entendu, avec les perfectionnements que lui ont apportés, de nos jours, Combes et tant d’autres ingénieurs, — a sauvé des milliers d’existences de mineurs, en les préservant de l’inflammation du grisou (gaz hydrogène bicarboné). Et pourtant, que d’accidents n’arrivent pas encore, par suite de l’imprudence et de l’insouciance des ouvriers, qui, malgré toutes les recommandations et menaces comminatoires qui leur sont faites, ouvrent leur lampe, pour voir plus clair, ou pour allumer leur pipe, et mettent ainsi le feu au terrible gaz ? La catastrophe arrivée à Saint-Etienne, le 29 juillet 1890, au puits Pellissier (concession de Villebœuf) où 118 ouvriers perdirent la vie, par l’inflammation du grisou, est encore présente à la mémoire de tous. La lampe électrique, enfermée dans une ampoule de verre, sans communication avec l’air des galeries, et qui éclaire sans chauffer l’air, semble toute désignée pour remplacer la lampe de Davy.

Aussi les lampes à incandescence ont-elles été installées dans quelques houillères, par exemple, dans celles de Blanzy (Loire) et de Rochebelle. Elles sont appliquées aux murs des galeries, des puits, des fronts de taille, des carrefours, des bureaux d’ingénieurs ou de chefs de chantiers. La machine productrice du courant électrique, est placée hors de la mine, et le fil conducteur descend au fond de la fosse, parfaitement isolé par un câble de plomb, enveloppé d’un ruban de caoutchouc.

Nous avons sous les yeux un rapport de l’ingénieur en chef des mines de Blanzy, en date du mois de mai 1890, donnant les résultats de l’installation de l’éclairage électrique dans ces mines.

Ce mode d’éclairage a été appliqué, pour la première fois, au puits de Magny, en juin 1883 ; il n’a pas cessé, depuis cette époque, de fonctionner dans de bonnes conditions.

L’installation se compose d’une petite machine à vapeur, placée au jour, d’une machine dynamo-électrique Edison, d’un câble conducteur métallique, qui, partant de la dynamo, donne la lumière à 29 lampes à incandescence, d’une intensité de 10 bougies, et à 24 lampes, de 10 bougies, les unes et les autres servant à l’éclairage des recettes extérieures, des salles des machines et chaudières, des abords du puits, des bureaux des ingénieurs, etc.

Sur le conducteur principal s’embranche un câble, qui descend dans le puits, jusqu’à la profondeur de 321 mètres, et qui sert à l’éclairage des recettes extérieures, à ce niveau, au moyen de 8 lampes à incandescence, de 16 bougies chacune. Les abords des puits sont ainsi parfaitement éclairés, jusqu’à une distance d’une soixantaine de mètres, et l’arrachage du charbon se fait avec la même sécurité qu’au jour. Tout accident résultant de fausses manœuvres ou des chutes du personnel, est, de cette manière, rendu impossible. L’ouvrier va et vient, sans être obligé de s’éclairer avec sa propre lampe. Les manœuvres se font avec la plus grande sécurité et plus rapidement.

La réussite de l’éclairage du puits de Magny, à 321 mètres de profondeur, a déterminé l’installation du même éclairage au fond des puits Chagot et Saint-François, dans lesquels le mouvement est plus considérable, par suite de la profondeur de 334 mètres, où se fait l’extraction pour le premier puits, et de 240 mètres, pour le second, chacune des recettes étant, pour le sortage, de 1 200 chariots environ.

Ce mode d’éclairage a été trouvé, dans ces deux derniers puits, parfait, non seulement au point d’arrachage du charbon, mais sur d’assez longs parcours, dans les galeries d’accès.

« En résumé, dit le rapport de l’ingénieur en chef, l’éclairage électrique des mines de Blanzy pour les recettes et voies du fond, est très précieux pour la sécurité du personnel aux abords du puits, et la promptitude des manœuvres.

« Le câble qui descend dans les puits, est d’une composition spéciale, pour lui donner une grande résistance, et le soustraire aux chocs extérieurs qui pourraient le détériorer. »

Un accident très grave à redouter serait, en effet, l’écrasement du câble conducteur par un de ces éboulements de minerai ou de boisages, qui sont si fréquents dans les travaux d’extraction du charbon. Dans ce cas, les fils contenus dans le câble, se trouvant en contact, par le fait de cette rupture, le courant s’établirait entre eux ; toutes les lampes s’éteindraient, et, ce qui est plus grave, les fils conducteurs donnant passage à ce courant accidentel, pourraient s’échauffer, rougir et mettre le feu au grisou, s’il existait dans l’air des galeries.

Au lieu d’un câble conducteur distribuant la lumière à des lampes fixées aux parois de la mine, comme à Blanzy, on a souvent proposé de donner au mineur une lampe électrique alimentée, soit par une pile au bichromate de potasse (lampe Trouvé), soit par un petit accumulateur (lampe Stella). Mais une lampe électrique portative expose à un grand danger. Si elle se brise, elle peut, dit-on, enflammer le grisou. Sans doute, quand la clochette de verre d’une lampe électrique vient à se rompre par accident, le filament de charbon brûle à l’air, disparaît, et le courant électrique étant interrompu, la lampe s’éteint. Mais selon beaucoup d’ingénieurs, le filament du charbon, même après son extinction, conserve, pendant cinq à six secondes, une température qui a été évaluée à 500° ; et à cette température le grisou mêlé à l’air, détonne. Le bris accidentel de la lampe électrique d’un mineur, pourrait donc mettre le feu à une atmosphère grisouteuse.

C’est en raison de ce dernier danger, que les propriétaires des houillères et les ingénieurs, en tout pays, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, hésitent à introduire la lumière électrique à l’intérieur des fosses à charbon ; car, selon eux, la lumière électrique au fond des mines de houille, serait une cause perpétuelle de craintes, parfaitement fondées.

Il faut donc attendre de nouvelles recherches pour se prononcer sur l’opportunité de la substitution de la lumière électrique aux lampes portatives des mineurs, au fond des puits à charbon.

Si de grandes précautions sont nécessaires pour introduire la lumière électrique dans les houillères, on n’a pas à s’astreindre aux mêmes soins, quand il s’agit des mines métalliques, qui ne laissent jamais dégager le moindre gaz inflammable, Dans les exploitations souterraines des divers minerais et des carrières de pierre, l’éclairage électrique par incandescence rend d’incontestables services, en éclairant des lieux profonds sans les échauffer, et sans vicier l’atmosphère, comme l’huile ou le pétrole, ce qui rend plus aisé le travail des hommes.

Quand on veut pénétrer sans danger, dans une atmosphère irrespirable, par exemple pour chercher une fuite de gaz, on peut se servir d’une lampe à incandescence, alimentée par une batterie, au bichromate de potasse. M. Trouvé a construit une lampe de ce genre, qui a été adoptée pour le service d’incendie de la ville de Paris. La pile est contenue dans une gibecière, dont l’ouvrier est muni (fig. 374), et le fil aboutit à une lampe à incandescence, portée sur le front de l’opérateur, à l’aide d’une couronne de cuir[12].

Fig. 374. — Éclairage, au moyen d’une lampe électrique, d’une atmosphère suspecte.

On a imaginé récemment en Angleterre une autre lampe de sûreté contre les atmosphères suspectes. Elle est désignée sous le nom de lampe électrique Schanschieff. C’est une lampe Edison, alimentée par une pile au bisulfate de mercure, comme la pile Marié-Davy, autrefois en usage, en France, pour les télégraphes de l’État.

La pile et la lampe sont portées sur une même boite, que l’ouvrier tient à la main.

La lampe électrique Schanschieff est, en ce moment, à l’étude en Angleterre et en France ; il est donc difficile de se prononcer sur ses avantages, comme sur ses dangers, en cas de rupture.

Dans les travaux souterrains et sous-marins, la lumière électrique a l’avantage d’éclairer avec beaucoup plus d’éclat que les lampes à huile, et de ne pas vicier l’air. Cet avantage est précieux dans le percement des longs tunnels. L’explosion de la poudre, employée pour faire sauter les roches, charge l’air de gaz irrespirables, lesquels éteignent souvent les lampes à huile, et en même temps, nuisent à la respiration des ouvriers. Avec les lampes électriques, rien de pareil à redouter.

Pour le fonçage des piles de ponts, qui se fait aujourd’hui au moyen de caissons pleins d’air comprimé, les lampes électriques ont leur place toute marquée.

L’éclairage des caissons se fait exactement de la même manière que celui d’une salle quelconque où l’on aurait disposé des lampes à incandescence. La machine dynamo est à l’extérieur, et le fil, bien isolé, descend dans les caissons qui servent à recevoir les ouvriers, occupés au creusement du sol. L’air n’étant pas vicié, les ouvriers travaillent plus longtemps sans souffrir de l’air comprimé. Enfin, le prix de revient de cet éclairage est peu élevé, bien que les mouvements des caissons provoquent d’assez fréquentes ruptures de lampes.

C’est avec cet éclairage que l’on a travaillé aux fondations du pont de la Tay, en Écosse, et du pont de Forth, en Angleterre, terminé en 1889. Sur ce dernier chantier, les ingénieurs avaient créé une installation générale de lumière électrique, pour tous les travaux, pendant la nuit. Il ne comprenait pas moins de 60 lampes à arc et 400 lampes à incandescence.

Dans les travaux qui furent exécutés, à la même époque, au port de l’île de la Réunion, on employa les piles Trouvé au bichromate de potasse, pour alimenter les lampes à incandescence.

Éclairage des ports et des phares. — La lumière électrique a rendu de grands services à la navigation, en permettant, pendant la nuit, l’entrée de certains ports, qui étaient autrefois inaccessibles dans l’obscurité. Au port du Havre, par exemple, les navires ne peuvent entrer qu’à l’heure de la pleine mer. Avant l’invention de la lumière électrique, les navires ne profitaient pas des marées de nuit, et ils étaient forcés d’attendre, dans la rade, le lever du jour. Depuis l’année 1881, dès qu’il y a marée de nuit, l’avant-port, les jetées et les écluses sont éclairés par des projections électriques, une heure avant et deux heures après le moment de la pleine marée. Les paquebots transatlantiques pénétrent aujourd’hui dans le port du Havre, comme en plein jour. Ainsi que nous l’avons dit, cet éclairage est fait par des bougies Jablochkoff, alimentées par des machines dynamos Gramme.

On voit dans la figure 375 l’ensemble de l’éclairage électrique du port du Havre.

Fig. 375. — Le port du Havre éclairé à l’électricité.

Éclairage des phares. — Quant aux phares, l’application de la lumière électrique à la projection lointaine des signaux et feux de tout ordre, s’est fort étendue de nos jours. Comme nous consacrerons plus loin un Supplément à notre Notice sur les Phares, des Merveilles de la science, nous renvoyons le lecteur à ce chapitre supplémentaire, pour tout ce qui concerne l’état présent de l’éclairage des phares par la lumière électrique.

Éclairage des navires. — La lumière électrique est installée aujourd’hui à bord des paquebots, des navires de commerce, des bâtiments cuirassés et des croiseurs. Elle sert, dans les paquebots, à éclairer les salons et cabines des passagers.

On voit dans les figures 376 et 377 les lampes à incandescence employées sur l’Océanien, paquebot des Messageries maritimes. Ce sont des lampes Edison, de 12 bougies, et des lampes Woodhouse et Rawson, de 20 à 40 bougies. Elles sont fixées sur des supports, en harmonie avec la décoration de ce paquebot. Celles qui sont placées dans les salons, ont des globes dépolis ; les autres sont en verre clair, et pour la plupart, enfermées dans des lanternes, munies de verres dépolis.

Les lampes à incandescence distribuées sur le pont, sont mobiles et installées comme l’indique la figure ci-dessous. Quant aux lampes des cabines (fig. 377), elles sont placées à cheval sur les cloisons, parce qu’elles servent en même temps à éclairer les petits couloirs extérieurs qui desservent les cabines.

Fig. 376. — Lanterne électrique servant à l’éclairage du pont de l’Océanien.
Fig. 377. — Lampe électrique des cabines de l’Océanien.

Dans les soutes à bagages, les lampes sont placées dans des lanternes que protègent des grillages.

L’éclairage du paquebot l’Océanien, installé par MM. Sautter et Lemonnier, comprend 200 lampes à incandescence Edison, de 12 bougies, pour les salons, couloirs et cabines ; 21 lampes Woodhouse et Rawson, de 20 bougies, pour les grandes soutes à bagages et à marchandises ; 3 lampes Woodhouse et Rawson de 40 bougies, pour les feux de route. Une lampe à arc, avec régulateur Gramme, est suspendue, quand cela est nécessaire, à une vergue, pour éclairer les abords des navires, ainsi que le pont, et pour opérer les chargements ou les déchargements.

Les machines dynamos Gramme sont actionnées par un moteur à grande vitesse. Elles peuvent alimenter jusqu’à 180 lampes, de 12 bougies. Le soir, les deux machines sont mises en mouvement. Vers onze heures, un certain nombre de lampes étant éteintes et réduites à 157, une seule machine dynamo continue à fonctionner.

La machine à vapeur, qui est du système Mégy, marche à la vitesse de 750 tours par minute. Une pareille allure, avons-nous déjà dit, est excessive. Il est bon de ne pas donner aux machines actionnant des dynamos, des vitesses de plus de 350 tours par minute.

C’est ce qu’ont pensé MM. Sautter et Lemonnier qui, dans l’installation électrique du navire de l’État, l’Indomptable, ont construit une machine à vapeur que nous représentons dans la figure 378, et qui ne dépasse pas la vitesse de 350 tours par minute.

Fig. 378. — Appareil de MM. Sautter et Lemonnier pour l’éclairage électrique des navires.
(A, machine à vapeur et B, machine dynamo-électrique.)

La machine à vapeur est du système compound, à pilon. Tous les organes sont facilement accessibles, même pendant la marche. Un régulateur de vitesse est porté par l’arbre moteur.

Le nombre des lampes varie nécessairement, selon le tonnage du bâtiment. Il y a 500 lampes sur les grands paquebots transatlantiques, comme la Bourgogne, la Bretagne, la Champagne. Les paquebots ordinaires et les croiseurs, ont, ordinairement, 300 lampes. Les torpilleurs de ports de mer n’en ont pas plus de 25.

Le type de lampe employé est celui de 10 bougies. Leur intensité suffit pour les locaux bas et resserrés des navires. Pour les feux de signaux et de route, on emploie des lampes de 20 ou 30 bougies.

La lumière électrique ne sert pas seulement, à bord des navires, à éclairer leurs différentes parties intérieures. Sur beaucoup de bâtiments, on l’emploie encore à produire un grand faisceau lumineux, lequel, visible de très loin sur la mer, a pour but de le signaler, et d’éviter ainsi les abordages mutuels, le plus grand danger de la navigation actuelle. En éclairant la route par un foyer électrique assez puissant, on prévient bien des malheurs. C’est ce qui est aujourd’hui bien compris. Sur tous les grands paquebots, marchant avec l’effrayante vitesse qui leur est propre, des feux, à l’avant et à l’arrière, signalent au loin leur approche.

Dans un cas particulier, l’emploi d’un feu électrique a permis d’abréger la longueur des voyages. Nous voulons parler de la navigation de nuit, dans le canal de Suez. Depuis l’année 1886, la Compagnie du canal de Suez a autorisé le passage des bâtiments de commerce, ou postaux, dans le canal, aux conditions suivantes : 1° le navire sera muni, à l’avant, d’un projecteur électrique, d’une portée de 1 200 mètres, et à l’arrière, d’une lampe électrique, capable d’éclairer un champ circulaire de 200 à 300 mètres de diamètre ; 2° une lampe électrique, avec réflecteur, sera placée sur chaque bord du navire.

Cette augmentation de matériel pour la production de la lumière électrique, est très facile pour tout navire qui emploie déjà la lumière électrique ; et grâce à ce moyen, on effectue, pendant la nuit, en seize heures, la traversée du canal de Suez, qui demandait autrefois plus de quarante heures, par suite de l’interruption occasionnée par la nuit.

Ajoutons que la Compagnie du canal a installé sur la berge orientale, et vis-à-vis de chaque gare, plusieurs feux de direction, dans le but de faciliter la marche des vaisseaux.

Depuis que cette autorisation a été accordée, de nombreux navires se sont pourvus du matériel nécessaire, et traversent le canal pendant la nuit.

En résumé : augmentation de l’intensité de l’éclairage ; — suppression des chances, d’incendie ; — augmentation du bien-être des passagers, et facilité qu’on leur donne de tenir leurs cabines éclairées la nuit ; — suppression des soins d’entretien des appareils d’éclairage ; — moyen de créer, à l’avant et à l’arrière, un phare éblouissant, destiné à prévenir les abordages ; — tels sont les avantages multiples de l’emploi de l’électricité à bord des navires de diverses catégories. Il est donc à désirer que l’installation de cette lumière sur des bâtiments de tout tonnage, devienne bientôt universelle.

Application de l’éclairage électrique à la guerre et à la marine militaire. — L’éclairage électrique, pendant les opérations des sièges, sert à produire, à l’aide des projecteurs du colonel Mangin, l’éclairage des positions ou travaux de l’ennemi, et à bord des navires, à promener des feux allongés pour déceler dans un vaste rayon la présence de torpilleurs ennemis. Nous avons, dans cet ouvrage, traité ces deux questions : la première, dans la Notice sur la Télégraphie optique (t. Ier p. 494-502) la seconde, dans le Supplément aux Bâtiments cuirassés (tome II, page 333-335). Nous n’avons donc pas à revenir sur ces questions, et nous nous bornons à renvoyer le lecteur aux pages citées ci-dessus.


CHAPITRE XII

le pétrole. — ses nouveaux gisements découverts en amérique et en asie.

Dans la Notice sur l’Art de l’éclairage, des Merveilles de la science, nous avons décrit les gisements de pétrole, en Amérique et en Asie, et nous avons fait connaître les procédés servant à l’extraction et à la purification de ce liquide naturel. Nous avons donné la description des premières lampes employées pour l’éclairage au pétrole, et signalé les premiers essais, remontant à l’année 1868, pour le chauffage des machines à vapeur au moyen du naphte[13]. Depuis la publication de notre Notice, c’est-à-dire depuis l’année 1870, le nombre des pays et localités où l’on trouve du naphte, s’est prodigieusement multiplié, et comme conséquence de l’extraordinaire abondance de ce liquide sur les marchés des deux mondes, son usage industriel s’est accru dans des proportions considérables. Aujourd’hui, par suite des perfectionnements apportés aux lampes à pétrole, l’emploi de ce liquide, comme agent d’éclairage, a pris une grande extension. L’huile à brûler, la bougie stéarique, le gaz lui-même, trouvent maintenant dans le pétrole un rival redoutable. L’huile à brûler, en particulier, a perdu la moitié de son débit commercial. Dans ce Supplément, consacré aux progrès réalisés depuis 1870 dans les découvertes et inventions que nous avons étudiées dans les Merveilles de la science, nous avons donc à traiter, en ce qui concerne le pétrole :

1° De la découverte de ses nouveaux gisements et de leur exploitation en Amérique en Asie, particulièrement en Russie, dans les régions de la mer Caspienne et de la mer Noire ;

2° Des progrès réalisés dans le mode d’extraction du liquide brut, et dans les moyens de le transporter, de ses sources naturelles aux usines de raffinage, ou aux lieux d’expédition et d’embarquement ;

3° Des progrès faits pour l’application de l’huile de naphte à l’éclairage, c’est-à-dire des nouvelles lampes inventées en Angleterre, en Amérique et en France, pour brûler le pétrole avec économie et sans danger.

Pour faire connaître d’une façon méthodique les nouveaux gisements du pétrole découverts récemment en Amérique et en Asie, ainsi que les progrès réalisés dans son exploitation, nous considérerons à part le pétrole d’Amérique et celui d’Asie.

pétrole d’amérique.

Les anciens et nouveaux gisements découverts en Amérique, depuis 1870 jusqu’à ce jour, sont à peu près concentrés dans l’État de Pensylvanie. Ils sont distribués sur une étendue de terre de 500 kilomètres de longueur, et d’une largeur allant quelquefois jusqu’à 100 kilomètres. Commençant dans le sud du Canada, la région pétrolifère traverse tout l’Etat de New-York. Bornée par les lacs Alleghanys, elle occupe la plus grande partie de la Pensylvanie, et se termine vers le Kentucky. Quant à la surface des gisements proprement dits, on compte 5 à 6 oasis d’huile minérale, dont la principale a 300 kilomètres carrés, superficie égale, à elle seule, à tous les autres gisements. Là, les exploitations sont tellement nombreuses que, dans un espace qui n’est pas plus grand que celui du département de la Seine, on compte plus de vingt mille puits d’extraction. Les usines, outils, ustensiles, réservoirs, etc., nécessaires à l’exploitation de ces puits, dépassent la valeur de deux milliards de francs.

Nous trouvons dans un travail de M. Ph. Delahaye, l’Industrie du pétrole à l’Exposition de 1889, un tableau statistique résumant le résultat de l’exploitation des gisements les plus importants des États-Unis, depuis leur découverte ou leur mise en exploitation, jusqu’en 1888.

Industrie du pétrole aux États-Unis :
  Pétrole brut en barils de 42 gallons
(180 litres).
Valeur totale du pétrole et de ses dérivés exportés des États-Unis
Années. Production totale du pays. Expéditions à l’étranger.
1861 2 113 600 1 650 133 Inconnue
1862 3 056 606 3 001 571
1863 2 611 359 2 242 951
1864 2 116 182 1 842 061 10 782 689 dollars
1865 3 497 712 2 100 132 16 563 413
1866 3 597 527 3 010 921 24 830 887
1867 3 346 306 2 893 210 24 407 642
1868 3 715 741 3 482 510 21 810 676
1869 4 186 475 4 155 348 31 071 256
1870 5 308 046 5 293 168 32 668 900
1871 5 278 072 5 267 891 36 894 810
1872 6 505 774 5 899 942 34 058 390
1873 9 849 508 9 499 775 42 040 756
1874 11 102 114 8 821 500 41 245 815
1875 8 948 749 8 924 934 20 071 569
1876 9 142 940 9 083 949 32 915 786
1877 13 052 753 12 469 644 61 789 438
1878 15 011 425 13 750 090 46 574 974
1879 20 085 716 16 226 586 40 305 249
1880 24 788 950 15 839 020 36 218 025
1881 29 674 458 19 340 021 40 315 609
1882 25 789 190 22 094 209 51 232 706
1883 24 385 966 21 967 636 44 913 079
1884 23 596 945 23 053 902 47 103 248
1885 21 600 651 20 029 424 50 257 947
1886 25 854 822 25 332 445 50 199 844
1887 21 818 037 20 627 191 46 824 033
1888 16 128 000 » »

Nous avons décrit, dans notre Notice des Merveilles de la science, avec les détails suffisants, la manière de creuser les puits pour l’extraction du pétrole, en Amérique. L’appareil de sondage, connu dans le pays sous le nom de derrick, et qui se compose d’une sonde semblable à celle de nos puits artésiens, n’a point varié dans son ensemble.

On opère aujourd’hui de la manière suivante.

L’atelier se compose d’une charpente de bois, au sommet de laquelle est montée une poulie, où passe le câble qui permet de descendre et de remonter la tige de sonde. Des constructions sommaires abritent la machine à vapeur, qui, par l’intermédiaire d’une grande poulie-volant, commande les différents appareils mécaniques, à savoir : le balancier, pour le battage du trépan, le treuil pour le service de la pompe à sable, et le treuil de levage pour la manœuvre de la tige de sonde. Ces trois appareils sont employés, chacun à son tour, suivant l’avancement des travaux.

La tige de sonde américaine se compose d’un trépan, qui creuse le sol, et qui est attaché à une première allonge, consistant en une barre de fer de 8 à 9 mètres de longueur. Viennent ensuite des étriers, ou glissières, puis une allonge semblable à la première, mais moins longue (5 ou 6 mètres). Une fourchette d’attache relie la première tige au câble du treuil de lavage.

Pour les gisements peu profonds, on se contente du trépan, de l’allonge inférieure et d’un anneau d’attache ; la tige de sonde est menée directement par le câble du treuil de levage, d’où le nom de sondage à la corde, donné autrefois à cette opération.

Si l’on descend plus bas que 70 ou 80 mètres, on équipe la tige de sonde complète, et le battage du trépan s’effectue au moyen du balancier, qui porte à une de ses extrémités la tige, soutenue par l’intermédiaire de la vis d’avancement.

Voici comment on procède au forage, avec ces outils.

La tige de sonde montée dans le derrick, est introduite dans le trou où doit être creusé le puits. Elle est accrochée au balancier, qui la soulève et l’abaisse alternativement. Le trépan désagrège et broie la roche, par des chocs répétés, jusqu’à ce qu’il soit descendu de la longueur de la vis d’avancement. On retire alors la tige, au moyen du treuil de levage, et on la remplace par la pompe à sable, pour débarrasser le trou des débris qui s’y sont accumulés.

Ces opérations se reproduisent ensuite dans le même ordre, sauf accident ou remplacement d’un trépan usé.

Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, on garnit l’intérieur du puits d’un coffrage en bois, à la partie supérieure, puis d’un tubage simple ou double, en fer, pour faciliter le départ des gaz combustibles qui sont quelquefois recueillis et utilisés pour le chauffage de la machine à vapeur.

Quand on a atteint le niveau de l’huile, on descend dans le puits une pompe, à piston-plongeur, dont la tige est fixée au balancier. L’huile est ainsi refoulée dans le puits et dirigée, par des tuyaux, jusqu’aux réservoirs.

Dans quelques circonstances où le travail paraît trop lent, ou quand le sol est par trop résistant, on a imaginé d’employer les torpilles, pour accélérer la dislocation du terrain. Au fond du puits qu’il s’agit d’agrandir, on fait descendre une cartouche de nitroglycérine, ou de dynamite très riche en nitroglycérine. Quand la cartouche est arrivée au fond du puits, on y laisse tomber une masse de fer, du poids de 10 kilogrammes. Le choc du fer écrase la capsule fulminante dont la cartouche est pourvue, et la nitroglycérine fait explosion.

La torpille est quelquefois chargée de 60 à 80 litres de nitroglycérine, dont l’effet destructeur équivaut à plus de 1 000 kilogrammes de poudre de mine. On conçoit combien, avec de tels moyens de dislocation du sol, on peut accélérer le travail du forage.

Un immense progrès a été réalisé dans l’industrie de l’exploitation du pétrole américain, par l’idée originale, consistant à envoyer le naphte sortant du sol, à la station la plus prochaine d’une voie ferrée ou d’un canal, au moyen de conduites de fonte, dans lesquelles on fait couler l’huile, comme on y ferait circuler de l’eau.

Les conduites, pour le transport du pétrole, se sont prodigieusement multipliées en Amérique, depuis quelques années. Leur diamètre varie de 15 centimètres à 5 centimètres. On cite comme une merveille le gros tube qui, traversant les États de New-York et de Pensylvanie, conduit le pétrole jusqu’aux raffineries, et aux ports d’embarquement sur l’océan Atlantique.

Comme la pente naturelle ne suffirait pas pour faire voyager ainsi le liquide, des pompes de refoulement sont distribuées sur différentes sections du trajet, pour pousser le pétrole à l’intérieur de la conduite.

Les efforts nécessaires pour triompher de la pesanteur sont quelquefois énormes. On cite des conduites dans lesquelles la pression va jusqu’à 100 kilogrammes par centimètre carré. L’industrie américaine est parvenue à fabriquer des tubes de fonte capables de résister à ces énormes pressions.

Nous trouvons dans Le journal le Génie civil, du 18 juin 1889, les renseignements qui vont suivre sur la création et le développement successif des lignes de conduite en fonte pour le transport du pétrole, des lieux d’origine aux ports d’embarquement.

« La première ligne qui fut établie, dit le Génie civil, allait de Pithole vers l’Oil Creek, et amenait l’huile d’une distance de un kilomètre environ. Trois pompes furent installées, et l’on transportait de Pithole à Miller Farm, station située sur l’Oil Creek, environ 81 barils par jour.

« Cette ligne de conduite était souvent détruite par les charretiers, dont le monopole se trouvait compromis par suite de ce nouveau mode de transport, et on ne parvint à la préserver de la destruction, qu’en organisant des patrouilles armées. Un peu plus tard, on construisit une ligne reliant Pithole Creek à Island Well, sur une longueur de 12 kilomètres. En novembre 1865, une autre ligne relia Pithole à Titusville, qui devint le centre de districts de production, et en même temps, un grand siège de raffinerie.

« Petit à petit on se mit à recueillir l’huile au moyen de conduites reliant les différents puits aux stations centrales ; de là, on la transportait sur des charettes jusqu’aux stations de chemin de fer. Les entrepreneurs de transport firent encore une vive opposition, mais cette fois sans aucun succès, car en 1876, il y avait déjà 8 ou 9 compagnies différentes de lignes de conduite.

« En 1875, on posa une ligne de 90 kilomètres avec des conduites de 0m,10 de diamètre, allant jusqu’à Pittsburg. Il fallut, de nouveau faire garder cette ligne par des hommes armés, pour la préserver de la destruction par ceux dont elle lésait les intérêts.

«… De grandes raffineries ayant été construites à Cleveland, Ohio, Pittsburg, Buffalo, New-York, et au bord de la mer, à Baton, Philadelphie, Baltimore, etc., la question de transport du pétrole devint capitale et les raffineurs s’associèrent pour racheter toutes les lignes de conduites qui existaient en ce moment.

« Les lignes de conduites en Amérique, sauf une, sont la propriété d’une seule Compagnie, le National Transit Company.

« Lorsque ces lignes furent décidées, l’expérience avait sans doute démontré les avantages du système consistant à amener le pétrole éloigné des régions d’huile par de petites conduites, à l’aide de pompes, mais au delà tout était supposition. Il y avait des tableaux théoriques montrant la résistance qu’il fallait vaincre pour faire passer des liquides dans des conduites pour de petites distances, et avec un calcul théorique simple, on pouvait se rendre compte approximativement du frottement pour de plus grandes distances, mais il n’y avait pas de tableaux établis d’après des résultats pratiques et il y avait là une nouvelle expérience à faire, celle de tenter de faire passer de l’huile dans des centaines de kilomètres de tuyaux dans un pays très accidenté, traversant deux chaînes de montagnes et un nombre incalculable de rivières et de criques.

« La science de l’ingénieur se trouvait là en face de nouvelles difficultés à surmonter et elles le furent avec plein succès. On avait réussi à amener l’huile de petites distances dans de petites conduites en faisant usage de pompes à un cylindre, appelées aussi petit cheval.

« La limite de leur puissance utile se fit bientôt sentir, par la rupture des conduites, par les défectuosités des joints de conduites, ainsi que par les nombreux accidents que causaient aux pompes les chocs constants à chaque changement de marche, sous la haute pression due à une résistance de frottement énorme.

« On installa fréquemment des pompes sur ces lignes locales, dont la plupart avaient de 20 à 25 kilomètres de long, et les conduites 0m,05 de diamètre, et où la résistance de frottement équivalait à une pression de 98 à 140 kilogrammes par centimètre carré. Les cylindres à vapeur de ces pompes avaient dans certain cas 0m,75 de diamètre ; elles actionnaient un plongeur de 10 à 12 centimètres ½ et la secousse, à chaque changement de coup de piston à ces pressions, ressemblait au bruit produit par un canon. Ces conditions étaient dès lors inadmissibles, aucun matériel et aucune conduite ne pouvaient résister à des efforts aussi violents.

« Le comité se décida à consulter M. Henry Worthington, de New-York, qui, de son vivant, passait pour le premier hydraulicien d’Amérique. Il fut chargé d’étudier la question, d’indiquer le système de pompe qui conviendrait le mieux pour ce travail. Le résultat fut la création et la construction d’une pompe du système de M. Worthington, qui fut montée près de Bradford, et reliée à une section de conduites de 0m,10 de diamètre, d’une longueur de 25 kilomètres, allant de Bradford à Carrolton, station située sur le chemin de fer de l’Érié. C’était une ligne nouvelle, mais constamment en réparation, pour les motifs énumérés précédemment.

« Le résultat du travail de cette pompe dépassa toutes les espérances, et amena une révolution complète dans le transport du pétrole. Son action, dans ces conditions difficiles, était d’une régularité parfaite ; le mouvement de la colonne d’huile dans la conduite, était uniforme et constant, tandis qu’avec l’ancien système de pompe à un cylindre, la colonne d’huile restait stationnaire après chaque coup de piston, avec une variation de pression de plusieurs centaines de kilogrammes. Avec la pompe Worthington on n’a aucun arrêt, l’écoulement est constant et la pression presque uniforme.

« De 1878 à 1881-1882, la construction des lignes de la Trunk C°, jusqu’au bord de la mer fut achevée, et à partir de ce moment, la raffinerie de l’huile sur les lieux mêmes, resta stationnaire ; puis, différentes raffineries ayant été détruites par le feu, l’opération cessa complètement, d’autant plus qu’au bord de la mer et des lacs, on construisait des raffineries considérables.

« La pompe d’épuisement, du type Worthington, est employée exclusivement par la National Transit Company. Les pompes varient de dimensions suivant le service auquel elles sont affectées. Sur les lignes de New-York, Pensylvanie, les types les plus parfaits de pompes de pression compound sont en service. Sur la ligne Buffalo-Cleveland et Pittsburg, on emploie des pompes compound sans condensation, tandis que, pour les lignes locales, on se sert d’une pompe ordinaire à haute pression. La moyenne de l’huile pompée dans une journée, est d’environ 28 000 barils.

« Aux différentes stations d’épuisement on a installé plusieurs réservoirs en tôle, mesurant environ 27 mètres de diamètre et 10 mètres de haut, de telle sorte qu’on pompe l’huile des réservoirs d’une station, pour la conduire dans les réservoirs d’une autre station. Un jeu de pompes se trouve dans chaque station, de sorte qu’il ne peut y avoir aucune interruption, une pompe fonctionnant constamment.

« Sur les lignes principales de 0m,15 de diamètre, les pompes ont de 600 à 800 chevaux de force, tandis que celles établies sur les conduites de 0m,100 à 0m,125 varient de 150 à 200 chevaux ; les lignes locales n’ont, par contre, que des appareils de 25 à 30 chevaux. Les conduites sont construites spécialement pour cet usage ; elles sont en fer forgé et essayées avec le plus grand soin avant de quitter l’usine ; elles sont connues dans cette branche d’industrie sous le nom de « conduites pour l’huile ». La longueur de chaque conduite est de 5m,40 et les extrémités sont terminées par des filets de vis au nombre de neuf par 0m,025, avec des accouplements taraudés.

« Les lignes sont posées en grande partie à 2 ou 3 pieds au-dessous du sol, et de distance en distance des coudes sont ménagés sur les conduites, afin de faciliter la dilatation et la contraction ; ce qui évite les joints de dilatation.

« Les lignes ont été, au cours du fonctionnement, obstruées de temps à autre par la précipitation de la paraffine qui adhérait aux conduites, réduisant ainsi, non seulement leur diamètre, mais encore l’écoulement du pétrole.

« Un moyen spécial est employé pour éviter toute obstruction ; il est connu des employés sous le nom de Go Devil[14], parce qu’il parcourt bruyamment les conduites à la même vitesse que l’huile, poussé, par la pression provenant des pompes. On se rend compte de la position de cet appareil, par le bruit qu’il fait lorsqu’il est en marche. Des relais d’hommes observent son passage, et s’il n’avance plus, la conduite doit être coupée et nettoyée à l’endroit où il s’est arrêté.

« Parmi les grands avantages résultant de l’application de nouvelles méthodes de transport, il en est un qui n’est pas à dédaigner : c’est la disparition du danger énorme qui menaçait sans cesse le public voyageant dans des trains, qui étaient souvent détruits par l’inflammation du pétrole. On n’en a vu que trop d’exemples aux États-Unis. »

Ces canalisations sont désignées en Amérique sous le nom de pipe-lines (lignes de tuyaux). Nous représentons dans la figure 379, une ligne de tuyaux transportant le pétrole, ainsi que les wagons-citernes, dans lesquels le pétrole est contenu, pour son voyage sur les voies ferrées.

Fig. 379. — Tuyaux de conduites (pipe-line) et station de wagons-citernes, pour le transport du pétrole brut, en Amérique.

Le long d’une estacade en charpente, formant quai, court une grosse conduite de fonte, qui est alimentée par les réservoirs de pétrole, et d’où partent des tubes plus petits, embranchés sur la conduite générale, et distants l’un de l’autre de la longueur d’un wagon. Pour remplir tous les wagons d’un train, on amène devant chaque tube d’embranchement un wagon, dans le réservoir duquel on fait déboucher l’extrémité mobile du branchement ; et cette manœuvre une fois exécutée, il n’y a plus qu’à ouvrir chaque robinet, pour remplir tous les wagons.

Les chiffres suivants donneront une idée de l’immense développement que les pipe-lines ont pris aux États-Unis. Le transport du pétrole par les pipe-lines est actuellement exploité par plusieurs compagnies :

L’une est le Tide Water Pipe Company, dont la maîtresse conduite va de Bixford à Tamascud, sur une longueur de 275 kilomètres. La National Transit Company et la United Pipe-lines sont incomparablement les plus importantes ; elles embrassent toutes les exploitations de la Pensylvanie, et possèdent au moins cinq grandes lignes qui vont jusqu’aux bords de l’Océan :

1° Ligne de New-York, en tuyaux de 150 millimètres, longueur 473km,6 renfermant 11 stations de pompes et divisée, par suite, en 11 sections, chacune de 40 à 48 kilomètres de longueur ;

2° Ligne de Philadelphie, en tuyaux de 150 millimètres, longueur 372 kilomètres, divisée en 7 sections ;

3° Ligne de Cleveland, en tuyaux de 125 millimètres, longueur 164 kilomètres, divisée en 4 sections ;

4° Ligne de Baltimore, en tuyaux de 125 millimètres, longueur 106 kilomètres.

5° Ligne de Buffalo, en tuyaux de 100 millimètres, longueur 101 kilomètres.

Les longueurs de conduites exploitées en 1884, étaient :

1 782 kilomètres en tuyaux de 150 millimètres
296 125
476 100
585 75
7 915 50

Pour la Tide Water Pipe Company.

275 kilomètres en tuyaux de 150 millimètres.
25 ,5        100
145 75
544 50

Au point de vue de l’emmagasinage du pétrole, ces sociétés disposaient, à la même date, dans les différentes stations de pompes :

Les premières, de :

1 028 réservoirs en fer de 60 000 hectolitres chacun.
472 42 500
21 35 000
125 en bois de 2 000

La dernière, de :

48 réservoirs en fer de 60 000 hectolilres chacun.
12 42 500
35 en bois de 2 000

La capacité totale d’emmagasinage s’élevait ainsi à près de 80 millions d’hectolitres.

Disons, en passant, que c’est par une imitation de cette dernière pratique que, dans nos grandes fabriques de sucre de betteraves du département du Nord, on effectue aujourd’hui le transport du jus de betteraves obtenu à la ferme, dans des conduites de fonte, qui les mènent aux usines où l’on doit en extraire le sucre cristallisé.

Des dispositions mécaniques particulières ont été imaginées pour faciliter le chargement des wagons à pétrole sur la voie des chemins de fer, et sa livraison dans les raffineries, ou dans la cale des navires destinés à le transporter.

Nous représentons dans la figure 380 un train de wagons-citernes arrivant à Philadelphie, pour amener le pétrole aux quais d’embarquement, sur la Delawarre.

Fig. 380. — Train de wagon-citernes arrivant au dock d’embarquement du pétrole, à Philadelphie.

Les réservoirs dans lesquels le pétrole, sortant de sa source, est amené, par des conduites de fonte, et conservé avant son expédition, sont de dimensions colossales. Il n’est pas rare d’en trouver de la capacité de 500 000 litres. Ces réservoirs étant en tôle de fer, et non en bois, on comprend qu’il n’y ait point de limite à leurs dimensions.

Les plus grands sont au voisinage des puits, L’huile, à sa sortie du sol, recueillie dans ces réservoirs, et laissée quelque temps en repos, se rend, de là, par des tuyaux de faible diamètre, à la station du chemin de fer la plus rapprochée, en profitant de la pente naturelle du sol, ou en employant les pompes. Elle est emmagasinée, après quelques jours, dans d’autres réservoirs.

Dans les différentes stations, on trouve des pompes à vapeur, qui refoulent le liquide, quand la pente du sol est contraire.

Ainsi refoulé, le pétrole arrive finalement aux immenses réservoirs où s’approvisionnent les raffineries locales et les navires à destination de l’étranger.

Pour expédier le pétrole brut hors du pays d’origine, on employa d’abord des barils, qui furent fabriqués en bois de chêne, puis en tôle, et d’une capacité de 180 litres environ. Ils ne servent plus qu’à expédier le pétrole raffiné.

Quant au pétrole brut, on se sert, pour son transport sur les voies ferrées, de wagons-citernes, que nous avons représentés plus haut (fig. 379 et 380) et sur les rivières, ou canaux, de bateaux-citernes, que l’on remplit au moyen des réservoirs dans les ateliers de chargement.

La forme des réservoirs mobiles varie suivant que le transport doit avoir lieu par voie ferrée ou par eau.

Le wagon-citerne est, comme on l’a vu dans les figures précédentes, un cylindre en tôle, fermé aux deux extrémités, surmonté, en son milieu, d’un dôme, comme les chaudières à vapeur, et logé sur un châssis en bois. Quant aux réservoirs des bateaux-citernes, leur forme dépend du creux du bateau, et elle est étudiée de manière à perdre le moins de place possible.

Pour les transports par mer, on a depuis longtemps renoncé à l’emploi des tonnes et des barils. On se sert hardiment du pétrole, comme fret, en emmagasinant ce liquide dans un bassin qui occupe toute la cale. C’est ce que l’on appelle les navires-citernes, ou tank-steamer.

La cale d’un navire-citerne est divisée, par deux cloisons longitudinales, en plusieurs compartiments distincts, pour que toute la masse liquide ne puisse pas se porter sur le même bord, et compromettre, par un déplacement brusque, la stabilité du navire. À l’avant et à l’arrière existent deux fortes cloisons, qui séparent les réservoirs, d’un côté, du poste des hommes de l’équipage, et de l’autre côté, de la chambre des machines à vapeur.

Sur ces modèles sont construits les navires pétroliers des maisons Armstrong et Cie, et Palmer, de Newcastle, le Russian Prince, le Caucase, le Chigwell, le Robert Dickinson, le Patriarch, l’Océan, le Chester, etc.

Fig. 381. — Le Chigwel, navire-pétrolier, ou navire-citerne, américain.

Nous représentons dans la figure 381 un navire-citerne, ou tanksteamer américain (le Chigwel).

Les compartiments ont une forme légèrement conique, qui permet de maintenir à vide la stabilité du navire, sans recourir au water ballast, et de nettoyer plus facilement l’intérieur de la cale, pour loger le fret de retour.

Le transport des huiles brutes effectué par les navires pétroliers, a constitué un véritable progrès et une phase nouvelle pour l’exportation. Chaque jour, en Amérique, on construit de nouveaux navires de ce genre, ou l’on modifie leurs dispositions intérieures, en vue d’utiliser toute la capacité de la cale comme réservoir du naphte à transporter.

L’emploi de tels moyens de transport, avec appareils de chargement et de déchargement perfectionnés, a singulièrement simplifié le transport par mer, et réduit sensiblement les dépenses des expéditeurs, en abrégeant la durée des séjours des navires dans les ports.

Dans les premiers temps, les capitaines des navires pétroliers n’étaient pas sans inquiétude pour la sûreté de leurs navires, et la vie de leur équipage. Beaucoup d’entre eux refusaient cette dangereuse cargaison, et ceux qui l’acceptaient, étaient sur un continuel qui-vive, depuis le moment du départ jusqu’à l’arrivée à destination.

On raconte qu’un capitaine américain d’un de ces navires pétroliers naviguant par des grandes chaleurs, reconnut que le pétrole contenu dans la cale, commençait à bouillir. Les vapeurs pouvaient prendre feu, si elles arrivaient au foyer de la machine à vapeur ! Épouvanté de cette terrifiante perspective, le capitaine ordonna d’éteindre le feu de la chaudière, pour continuer le voyage à la voile. Seulement, le navire-pétrolier était assez mal pourvu en fait de voiles, les constructeurs n’ayant jamais considéré l’éventualité de l’usage exclusif de la mâture ; et d’autre part, les vents étaient contraires. Le malheureux navire mit plus de deux mois à atteindre l’Angleterre, où il portait sa dangereuse cargaison. Ajoutez que tous les foyers se trouvant éteints, l’équipage en était réduit à ne manger que des vivres froids, et à passer les nuits dans les ténèbres.

On n’a pas oublié le terrible incendie des navires chargés de pétrole, qui, il y a vingt ans, détruisit, dans le port de Bordeaux, en même temps que ces navires, un nombre considérable de bâtiments de commerce.

Voici dans quelles circonstances se produisit ce désastre.

Un navire belge, le Comte de Hainaut, entrait dans la rade de Bordeaux, chargé de 100 barils d’huile de pétrole et de 1 400 caisses d’essence. Il alla se placer près d’un chaland, chargé de transborder le pétrole. Le douanier qui devait donner le permis de circulation, n’y voyait plus clair, la nuit étant survenue. Il demande une lumière, et sans réfléchir, un mousse frotte une allumette sur sa vareuse. Aussitôt, les vapeurs de l’essence que l’on était occupé à transborder, s’enflamment ; une explosion formidable se produit ; mousse, douanier et patron, sont précipités dans la Gironde.

Le capitaine du port a, alors, la malheureuse idée de faire échouer la gabare incendiée sur un banc de sable. Mais bientôt, la marée montante arrivant, la gabare, qui continue de brûler, est enlevée par le flot, et descend tout enflammée vers le port.

Là, un nombre considérable de bâtiments devient la proie des flammes, et si les navires à vapeur n’avaient promptement fait gagner la mer à une multitude de bâtiments, tous ceux du port auraient été dévorés par les flammes. La population de Bordeaux, entassée sur les quais, regardait avec une morne épouvante, les péripéties de ce drame terrible.

De nos jours, des événements de ce genre sont rares. Tout au plus peut-on constater quelques désastres partiels, tel que celui de l’incendie qui se produisit à Rouen, il y a quelques années, d’un navire pétrolier américain, l’Asturiano, sur la Seine, à Dieppedalle, près de Rouen (fig. 382).

Fig. 382. — Incendie du navire pétrolier américain l’Asturiano, à Dieppedalle, près de Rouen.

Du reste, la frayeur qu’inspiraient, à l’origine, les navires pétroliers, a eu un bon résultat Pour répondre à toutes les craintes on a multiplié les mesures de précautions ; si bien qu’aujourd’hui toutes les appréhensions ont disparu, et qu’une cargaison de pétrole est considérée comme aussi sûre que toute autre.

Quelle que soit l’abondance des gisements de pétrole dans la Pensylvanie et l’État de New-York, ainsi que ceux, moins riches, de l’Ohio, de Kentucky et de l’Indiana, l’Amérique possède d’autres régions où le pétrole est industriellement exploitable. Le Canada renferme des sources de naphte, qui paraissent la terminaison de celles des lacs Alleghanys. En 1862, on n’y creusa pas moins de 50 puits, dont quelques-uns fournissaient 3 000 à 4 000 litres d’huile minérale, par jour. Mais comme les débouchés manquaient, on ne continua pas, à cette époque, cette exploitation.

Dans la Californie, le pétrole a été découvert sur les côtes de l’océan Pacifique, par gîtes isolés, depuis San Francisco jusqu’à los Angelos et Santa Barbara, qui sont devenus des centres d’exploitation industrielle. Deux millions et demi de litres de pétrole furent fournis par la Californie, en 1879 ; et en 1882, ce nombre avait atteint 48 millions. Le mouvement a continué depuis.

Au Mexique, dans l’État de Vera-Cruz, dans le voisinage du port de Tuxpam, le naphte est si abondant que l’on voit plusieurs sources couler dans le lac, descendant des montagnes environnantes.

Même abondance dans l’île de la Trinité.

Le pétrole se rencontre à l’île de Cuba, mais il n’est pas exploité, vu l’état d’appauvrissement de cette possession espagnole.

Au Pérou, les gisements d’huile minérale s’étendent sur une longueur de 200 kilomètres, depuis le cap Blanco jusqu’à la rivière Tauly, non loin de la côte de l’océan Pacifique. On évalue à 16 000 kilomètres carrés la surface de ce district pétrolifère. Un puits creusé en 1876, fournit 140 000 litres par jour.

Dans les îles Barbades et dans la république de l’Equateur, on exploite un goudron épais, provenant probablement d’une oxydation à l’air de substances pétroliques.

pétrole d’asie.

La Chine et le Japon possèdent des gisements de naphte, qui sont connus depuis un temps très reculé. Un voyageur, M. Benjamin Smith, dans un mémoire publié en 1877, au Tonkin, sur les Pétroles du Japon, dit que l’exploitation de ces sources a pris aujourd’hui une certaine importance. Ce voyageur vit des ouvriers japonais creuser des puits, qui avaient jusqu’à 100 mètres de profondeur, et y puiser de grandes quantités d’un pétrole visqueux.

L’Inde, dans les monts Himalaya, possède des gisements d’huile minérale.

La Birmanie et plusieurs îles situées près de la côte d’Arracan, en fournissent également.

Un voyageur anglais, le docteur Robertson, qui visitait l’Indo-Chine vers 1870, compta plus de 800 puits, sur une surface de 200 hectares. On y exploitait une couche pétrolifère, d’une épaisseur de 2 mètres, située à 150 mètres de profondeur. Ces divers gisements paraissent en rapport de continuité avec ceux de la Chine.

Mais c’est au nord-ouest de l’Asie, c’est-à-dire entre la mer Caspienne et la mer Noire, que l’on a découvert les sources de naphte les plus riches de l’univers. Leur abondance surpasse de beaucoup celle des plus importants districts de l’Amérique. On sait aujourd’hui, d’une façon certaine, qu’un vaste bassin souterrain d’huile minérale s’étend de la mer Caspienne à la mer Noire, en passant sous les montagnes du Caucase, et qu’il se prolonge même bien au delà de la mer Caspienne, dans le Turkestan.

Nous avons parlé, dans les Merveilles de la science, de l’exploitation des sources de pétrole à Bakou, sur la rive gauche de la mer Caspienne. Ces gisements étaient déjà singulièrement abondants, en 1870, mais ils ont été considérablement dépassés par ceux que l’on a découverts postérieurement, dans le district de Kouba, au bord occidental de la mer Noire. Dans la péninsule de Taman, des rivières de pétrole furent mises à jour, à la même époque et tout le pays devint le théâtre d’une véritable inondation d’huile minérale, dont on avait peine à contenir les torrents.

Des sociétés se sont formées, en Russie, pour exploiter régulièrement ces richesses nouvelles. Des conduites de fonte, semblables à celles d’Amérique, ont été posées, pour amener le naphte de Kouba au port de Noworodisk, sur la mer Noire.

Pendant que le pétrole de la mer Noire apparaissait au jour, celui de la mer Caspienne, c’est-à-dire le pétrole de Bakou, jaillissait par de nouveaux forages, produisant des débits prodigieux ; de sorte que les régions de cette partie de la Russie méridionale devinrent le siège d’un véritable déluge d’huile minérale, que l’on ne savait comment recueillir, et dont la plus grande partie se perdait dans les rivières et les lacs de la région de Bakou.

C’est ainsi qu’en 1882 une fontaine jaillissant subitement, près de Bakou, donna une gerbe de 10 mètres de hauteur, égalant les plus puissantes de l’Amérique. Cette fontaine jaillissante n’était pas, d’ailleurs, un phénomène accidenter et passager, car, en 1884, lorsque M. Arthur Arnold, membre du Parlement d’Angleterre, visita Bakou, le jet n’avait rien perdu de sa puissance.

En 1887, un heureux coup de sonde faisait émerger, à Bakou, un torrent d’huile minérale, fournissant 5 000 hectolitres par heure, et qui s’élançait à une hauteur supérieure à celle de la colonne Vendôme, à Paris. À ce jet formidable, le vent arrachait du sable, imprégné d’huile, qui allait recouvrir les maisons de Bakou, quoique la ville soit située à près de 5 kilomètres de la source. Il fut impossible d’arrêter cette rivière minérale, dont le courant augmenta pendant huit jours, et qui, après avoir donné jusqu’à 110 000 hectolitres d’huile par jour, diminua jusqu’à 10 000. On estime à 500 000 le nombre d’hectolitres d’huile qui furent perdus, faute de réservoirs.

Depuis cette époque, les sources de naphte, tant à Bakou que sur les bords de la Mer Noire, se sont tellement multipliées, que l’on a fini par ne savoir qu’en faire. Heureusement, le chemin de fer, de la longueur de 885 kilomètres, ouvert de Bakou à Batoum, en 1882, a permis de commencer les expéditions de pétrole brut sur la mer Noire ; et en même temps, les propriétaires ont pris les mesures nécessaires pour exploiter régulièrement le produit. Une flotte traverse aujourd’hui la mer Noire et la Méditerranée, pour transporter le pétrole brut en Europe, où il fait une concurrence avantageuse aux pétroles d’Amérique.

L’exploitation du pétrole asiatique a pris aujourd’hui une importance considérable. On en jugera par les chiffres suivants :

  Pétrole ou naphte
par pouds de 16 kilogrammes.
Années. Production. Exportation.
1884 89 000 000 54 685 429
1885 115 000 000 68 601 310
1886 128 000 000 72 849 104
1887 131 000 000 79 495 123
1888 165 000 000 117 821 020

Il va sans dire que les industriels russes de Bakou ou de Kouba procèdent à l’exploitation des sources de naphte en se servant des mêmes procédés et appareils dont l’expérience a consacré les avantages en Amérique.

Le derrick de Pensylvanie a été transporté, sans aucun changement, aux bords de la Kouba et à Bakou. Le forage des puits s’opère de la même façon.

Nous représentons dans les figures 383 et 384, d’après des photographies, le derrick de Bakou. On voit dans la première gravure, la descente de la sonde dans le trou du forage, et dans la seconde, la machine à vapeur horizontale qui actionne l’arbre autour duquel la chaîne s’enroule, pour faire descendre et pour relever l’outil foreur.

383
Fig. 383. — Un derrick à Bakou.
Fig. 384. — Machine à vapeur et transmission du mouvement à l’arbre de la chaîne du forage d’un puits d’huile minérale, à Bakou.

À l’imitation de l’Amérique, on a installé, dans le Caucase, des tubes de fonte, pour transporter le pétrole brut des puits jaillissants aux ports d’embarquement sur la mer Caspienne, ou sur les wagons de la voie ferrée de Bakou à Batoum.

Les wagons-citernes que nous avons décrits, en parlant de l’exploitation et du transport du pétrole américain, servent, sans aucun changement, à l’exploitation, et au transport du pétrole.

C’est le chimiste suédois Nobel, le célèbre inventeur de la dynamite, qui organisa le premier l’exploitation du naphte de Russie.

La question du transport du pétrole des bords de la mer Caspienne aux usines distillatoires de Bakou, préoccupa longtemps M. Nobel. Au début, pour amener le naphte on n’avait que de petits bateaux à voile, qui faisaient des voyages très irréguliers sur la mer Caspienne, et qui transportaient le liquide dans des tonneaux. M. Nobel fit construire en Suède des bateaux à vapeur, où le pétrole était transporté dans de grands réservoirs de tôle. Ces bateaux traversèrent le réseau des canaux de la Russie, pour arriver à la mer Caspienne. Douze de ces bateaux sillonnent aujourd’hui cette mer. Grâce à cette organisation, le pétrole du Caucase a supplanté le pétrole américain, sur tous les marchés de la Russie.

L’huile est également transportée en Europe, par le chemin de fer du nord du Caucase.

Il est question d’établir, au sud de la chaîne du Caucase, un tuyau gigantesque, d’une longueur de 500 kilomètres, avec un diamètre qui permettrait de laisser passer chaque année, en neuf mois, 6 à 7 millions d’hectolitres de pétrole. Ce travail coûterait 50 millions de francs ; mais le prix de transport ne dépasserait pas 1fr,50 par hectolitre, depuis les environs de Bakou jusqu’à Batoum, ou Poti, les deux ports d’embarquement sur la mer Noire.

Parmi les exploitations de naphte, situées sur le versant nord du Caucase, celle d’Illsky est de beaucoup la plus importante, par sa production, autant que par sa situation près de la mer, avec laquelle les communications se trouvent facilitées au moyen d’une ligne de tuyaux.

Il existe sur le versant méridional de la chaîne principale du Caucase, un territoire à pétrole et des sources semblables à celles du versant nord, dont nous allons donner la description, au point de vue géographique et pittoresque.

À Kourilla, sur la ligne de Batoum à Tiflis, se trouvent d’énormes amas de minerai de manganèse, que l’on fait descendre des mines sur des chars, pour les transporter par chemin de fer.

En allant vers le nord, le chemin longe un torrent rapide, le Kourilla, traversé par un pont. En remontant la vallée, on trouve les mines de manganèse. En les laissant à gauche, on entre dans une gorge étroite, formée de rochers calcaires. Le chemin passe ensuite en un lieu où le torrent a creusé sa voie à 30 mètres au-dessous du sol, en formant une arche suspendue, enguirlandée de fougères couleur d’émeraude. Une rivière souterraine débouche en ce point dans le Kourilla.

En continuant à parcourir les montagnes, on atteint la forêt de Tchâla. Ici, le territoire à huile est situé à la surface d’une chaîne de montagnes qui sépare la vallée du Kourilla de celle du Riou.

L’altitude est de 1 800 mètres ; il y a quatre puits à huile, de 10 à 12 mètres de profondeur. Le roc est un trachyte dur, d’origine volcanique. En creusant un de ces puits, le fond du rocher éclata avec explosion pendant l’absence des ouvriers, et l’huile jaillit hors du puits.

Dans cette forêt, on voit plusieurs sources de pétrole ; celles plus à l’est sont ferrugineuses, et près d’elles se trouve une source d’eau fraîche, très chargée d’acide carbonique. En ce point, l’huile est lourde, de couleur gris clair, aussi épaisse et visqueuse que l’huile de ricin. Ces sources sont à 1 800 mètres plus bas que celles dont il vient d’être question, et à 160 kilomètres de la mer Noire. On y trouve les signes d’une formation d’huile, qui s’étend très loin dans la vallée du Riou.

Des sources d’huile existent aussi au sommet d’une montagne, entre Talaf et Signakh, à 1 600 mètres d’altitude. Elles paraissent à la surface, dans un schiste argileux. De très grands volcans de boue se rencontrent encore dans cette localité ; ils coulent dans la vallée de l’Alazan.

À quinze kilomètres au-dessous de Tiflis, sur les bords de la rivière Koura, on trouve beaucoup de puits à huile, ayant 25 mètres de profondeur. Le pétrole, qui est épais, filtre lentement dans ces puits, et est puisé dans des seaux. On le fait bouillir, et on s’en sert pour rendre imperméable les outres qui servent à conserver le vin du pays.

Dans le désert de Shahari, au sud-est de Signakh, sont de nombreuses sources d’huile minérale dont les plus importantes sont celles de Zarskoe-Kolodshy. Là, des puits ont été creusés, et sont devenus productifs ; mais, à cause des difficultés de communication, ils n’ont jamais pris beaucoup d’importance. Entre cette localité et l’extrémité sud-est du Caucase, où l’on trouve les plus vastes champs d’huile, il doit exister encore d’autres sources.

Mais la région de Bakou est encore de beaucoup la plus importante de toutes celles d’Europe et d’Asie, pour l’exploitation du naphte naturel. Les travaux de cette exploitation sont limités, pour le moment, à la péninsule d’Apchéron, formant l’extrémité orientale des monts Caucase.

L’huile émerge à la surface du sol, en plusieurs localités, depuis la péninsule de Taman, sur la mer Noire, jusqu’à la péninsule d’Apchéron, sur la mer Caspienne.

Quand l’huile ne surgit pas à fleur de sol, il suffit de creuser à quelque profondeur, pour la faire jaillir.

Le pétrole de Russie est un liquide épais et de couleur brune, avec de légers tons verts ; il diffère, sous certains rapports, de celui qu’on trouve en Amérique. Ainsi, la pesanteur spécifique du pétrole brut américain est de 0,826, tandis que celle du pétrole du Caucase est de 0,872. Le pétrole de Russie est beaucoup moins riche que celui d’Amérique en huile propre à l’éclairage : le pétrole américain en donne 70 à 72 pour 100, tandis que celui de Russie n’en contient que de 25 à 30 pour 100. En revanche, le pétrole du Caucase contient en plus grande proportion l’huile propre à lubrifier les organes des machines.

Pour être livré au commerce, le pétrole de Russie doit être soumis a la distillation. Recueilli dans de grands cylindres de tôle, dès sa sortie du sol, où il est reçu dans des canaux en bois, il est amené, par un chemin de fer spécial, à l’usine de distillation.

Nous représentons dans la figure 385 une usine pour la distillation du pétrole brut, à Bakou.

Fig. 385. — Usine de distillation de pétrole brut à Bakou.

Après cette distillation, le naphte russe est conservé dans des entrepôts et docks, d’où il est expédié en Europe.


CHAPITRE XIII

le raffinage du pétrole. — les applications du pétrole à l’éclairage. — les nouvelles lampes à pétrole. — lampes anglaises, françaises, américaines et belges.

Le pétrole est un liquide prodigieusement complexe. C’est un mélange, dans les proportions les plus variables, d’un grand nombre de carbures d’hydrogène, de densité, de fusibilité et de points d’ébullition différents. De toutes les substances quïl renferme, une seule, l’huile à brûler, distillant entre + 150° et + 280°, est utilisable pour l’éclairage ; les autres produits, si l’on en excepte l’essence, qui est employée comme liquide éclairant, dans certaines conditions, sont impropres à l’éclairage. Il faut donc purifier, en d’autres termes, raffiner le pétrole, pour en retirer le produit servant à l’éclairage, c’est-à-dire le liquide qui distille entre + 150° et + 280 degrés.

C’est par la distillation opérée à la vapeur, dans des cornues de fonte, que l’on sépare les différents produits composant le pétrole brut. Nous avons donné, dans la Notice des Merveilles de la science[15], le dessin de l’appareil distillatoire en usage dans les nombreuses raffineries de MM. Deutsch. Nous n’avons qu’à renvoyer le lecteur à ce dessin, la disposition de l’appareil n’ayant point subi de changements. Il sera bon seulement de rappeler la série de produits successifs que l’on recueille, quand on soumet le pétrole brut à la distillation, dans les cornues des raffineries.

Ces produits sont :

1° Des gaz combustibles, mêlés à un véritable éther, l’éther de pétrole. C’est le liquide le plus volatil de ce mélange, car il bout entre + 45° et + 70°. Sa densité n’est que de 0,65. Il forme avec l’air des mélanges explosifs ; de sorte qu’il faut prendre de grandes précautions quand on recueille les premiers produits de la distillation.

2° L’essence de pétrole ; c’est le produit qui distille de + 75° à + 120° Sa densité est faible (0,702). Elle est, en même temps, très inflammable. C’est ce produit qui communique au pétrole mal rectifié l’inflammabilité que l’on redoutait tant autrefois. On le sépare aujourd’hui, avec le plus grand soin, dans la distillation.

3° L’huile à brûler ; c’est le produit essentiel du pétrole destiné à l’éclairage. Distillant, comme nous l’avons dit, entre + 150° et + 280°, ce liquide n’est pas inflammable par lui-même, il ne brûle que par l’intervention d’une mèche, comme les huiles végétales ; il est d’une couleur jaune clair, et ne se colore pas par l’acide sulfurique.

4° Les huiles lourdes, distillant entre + 280° et+ 400°, que l’on emploie pour le graissage des machines. Certaines usines, en Russie, les consacrent au chauffage.

5° De la paraffine en petite quantité.

Voici, d’après M. Tate, chimiste américain, la proportion de ces substances, pour le pétrole de Pensylvanie :

Éther et essence de pétrole 
14,7 à 15,2 p. 100
Huile à brûler 
41,0 à 35,5
Huile de graissage 
39,4 à 38,4
Paraffine 
2,0 à 3,0
Résidu charbonneux 
2,1 à 2,7
Perte 
0,8 à 1,2

En distillant le pétrole brut, dans l’appareil que nous avons figuré dans les Merveilles de la science, on obtient les différents produits qui viennent d’être énumérés.

L’huile à brûler recueillie entre + 150° et + 280°, est mise à part, pour l’éclairage ; mais, avant de la livrer au commerce, il faut la purifier, en la traitant par l’acide sulfurique à 66°, ensuite par une lessive de soude caustique, qui neutralise les traces d’acide sulfurique restées après le lavage.

Cette dernière purification s’exécute dans l’appareil que nous avons représenté dans les Merveilles de la science[16], et qui n’a pas subi de notables perfectionnements. Nous donnons seulement, dans la figure 386, la vue d’ensemble de la raffinerie de pétrole de MM. Deutsch, à Pantin (Seine).

Fig. 386. — Vue d’ensemble de la raffinerie de pétrole de MM. Deutsch, à Pantin (Seine).

L’huile de pétrole obtenue à la suite de ces opérations, est un liquide incolore, dont la densité est au moins de 0,800, et qui ne doit pas donner de vapeurs inflammables à la température de + 35°.

Le Conseil d’hygiène et de salubrité du département de la Seine a publié une Instruction, à laquelle il faut se rapporter, pour caractériser le pétrole pur, propre à l’éclairage.

L’huile de pétrole, dit cette Instruction, ne doit pas peser moins de 800 grammes le litre, c’est-à-dire avoir 0,800 pour densité. Elle ne doit pas prendre feu par le contact d’un corps enflammé.

Pour constater cette propriété fondamentale, on verse du pétrole dans une soucoupe, et l’on y jette une allumette enflammée, qui doit s’y éteindre. Toute huile minérale destinée à l’éclairage, qui ne soutient pas cette épreuve, doit être rejetée, comme pouvant donner lieu à des dangers.

L’huile de pétrole, alors même qu’elle ne renferme plus les essences légères, qui lui communiquent la propriété de s’allumer au contact d’une flamme, n’en est pas moins une des matières les plus combustibles que l’on connaisse, quand on la brûle dans les conditions voulues. Si l’on en imbibe des tissus de lin, de coton ou de laine, son inflammabilité est remarquable. Aussi son emmagasinage et son débit exigent-ils une grande circonspection. L’huile de pétrole doit être conservée ou transportée dans des vases en métal, parfaitement clos. Les magasins qui servent de dépôts, doivent être éclairés par des lampes placées à l’extérieur, ou par des lampes de sûreté.

Avant d’allumer une lampe à pétrole, on doit remplir complètement le réservoir, et le fermer ensuite avec soin. Lorsque l’huile est sur le point d’être épuisée, il ne faut pas ajouter du liquide, pendant que la lampe brûle, mais l’éteindre et laisser refroidir la lampe, avant de l’ouvrir, pour la remplir à nouveau. Dans le cas ou l’on voudrait introduire l’huile dans la lampe éteinte, avant son entier refroidissement, il est indispensable de tenir éloignée la lumière avec laquelle on s’éclaire, pour procéder à cette opération.

Il règne encore, en France, beaucoup de craintes et de préjugés contre l’éclairage au pétrole. L’énorme consommation de ce liquide, qui se fait aujourd’hui en Allemagne, en Angleterre et en Belgique, est une première réponse à cette crainte. Mais il faut aller plus loin, et expliquer comment les accidents se produisent avec le pétrole servant à l’éclairage.

Ce n’est que lorsqu’il est mal purifié que le pétrole est inflammable spontanément. Le naphte brut d’Amérique ou d’Asie, renferme, en effet, comme on vient de le voir, des matières volatiles, des essences, qui sont inflammables par elles-mêmes, c’est-à-dire par l’approche d’un corps en ignition. Mais le pétrole, quand il est pur, ne peut brûler que par l’intermédiaire d’une mèche, à l’instar des huiles grasses. Quand il a été débarrassé, par la distillation, de toutes essences étrangères, il n’est pas plus inflammable par lui-même que l’huile d’olive, ou l’huile de colza. Un boulet rouge peut y être plongé, sans qu’il s’allume ; on peut en approcher une allumette enflammée, sans qu’il brûle. On peut même éteindre des bûches incandescentes dans du pétrole bien pur. En un mot le pétrole purifié n’est pas plus inflammable que les corps gras liquides.

En France, les épiciers vendent quelquefois, sous le nom de pétrole, des liquides contenant beaucoup d’essence très volatile ; et c’est ce qui occasionnait autrefois, tant d’accidents. C’est pour cela que le pétrole s’enflammait, et que la lampe se brisait, répandant son liquide embrasé, et lorsque, par imprudence, on voulait verser du nouveau liquide dans le réservoir, pendant que la lampe brûlait.

En Angleterre, en Allemagne et en Belgique, les droits qui frappent le pétrole sont insignifiants ; les marchands peuvent, dès lors, livrer à un prix minime, un pétrole parfaitement rectifié. Aussi, les accidents d’incendie ou d’inflammation par le pétrole servant à l’éclairage, sont-ils excessivement rares en Allemagne et en Angleterre.

Il n’y a donc, en résumé, aucun danger à redouter de l’emploi du pétrole comme liquide éclairant, quand il a été convenablement rectifié.

Les perfectionnements apportés, au raffinage du pétrole, ont donc assuré à l’emploi de ce liquide comme agent d’éclairage, une nouvelle cause de sécurité. Mais ce qui est venu augmenter encore, la généralisation de l’éclairage au pétrole, c’est le perfectionnement des lampes dans lesquelles on le brûle, et qui, telles qu’on les construit aujourd’hui, donnent une clarté très brillante, et ne dégagent aucune odeur, ni pendant leur combustion, ni au moment de leur extinction.

Nous allons passer en revue les nouvelles lampes en usage pour brûler le pétrole.

Commençons par rappeler la lampe primitive, que nous avons décrite dans notre Notice des Merveilles de la science[17] et à laquelle le lecteur est prié de se reporter. Il verra que la première lampe à pétrole, d’origine américaine, se composait simplement d’une mèche de coton tressée, trempant dans le liquide. Le récipient était large et évasé, et le verre fortement bombé, en une sorte de demi-globe.

Cette forme était disgracieuse et encombrante. Les lampes américaines avaient, en outre, le défaut d’exhaler une très mauvaise odeur, au moment de leur extinction.

C’est pour remédier à ce double défaut que fut inventée, vers 1870, la lampe dite allemande, que l’on construit encore aujourd’hui, en quantités considérables, en Prusse et en Allemagne, d’où nos fabricants la font venir. Ce genre de fabrication est toujours resté dévolu à l’Allemagne, en raison de l’excessif bon marché de la main-d’œuvre, en ce pays.

La lampe à pétrole allemande est caractérisée par l’emploi d’une mèche de coton plate, mais qui devient circulaire en s’enroulant autour du porte-mèche, et qui s’élève et s’abaisse au moyen d’une crémaillère. Elle est pourvue d’un appel d’air très actif, provoqué par une fente latérale, pratiquée au bas du foyer lumineux.

Nous représentons dans la figure 387 le bec de la lampe à pétrole allemande, vu en perspective, et dans la figure 388 une coupe, montrant l’ouverture latérale qui donne accès à l’air :

La légende qui accompagne chacune de ces figures, explique l’effet de ces principaux organes.

Fig. 387. — Bec de lampe à pétrole allemande. (Vue extérieure).

A, clef faisant mouvoir la mèche. — B, mèche plate devenant circulaire. — C, galerie supportant le verre. — D, porte-mèche, siège de la combustion.

Fig. 388. — Coupe et vue intérieure du bec de la lampe à pétrole allemande.

D, bec vu en coupe à sa partie supérieure. — A, clef de l’engrenage faisant monter et descendre, par pression, la mèche. — F, fente latérale formant la prise d’air. — G, ouverture communiquant avec le réservoir de pétrole. — C, galerie supportant le verre. — B, mèche plate devenant circulaire.

Pour affranchir l’industrie française du tribut payé à l’Allemagne, et pour rendre l’éclairage au pétrole économique et brillant, M. Peigniet-Changeur a imaginé, en 1883, une disposition extrêmement ingénieuse, dont nous allons expliquer le mécanisme.

Le défaut capital des premières lampes à pétrole, c’est qu’au bout de quelques heures, le niveau du pétrole contenu dans le réservoir ayant baissé, par suite de la combustion, et n’étant pas renouvelé, la capillarité, seule force qui déterminait l’ascension du liquide minéral, n’était plus assez active pour élever ce liquide en quantité suffisante jusqu’au bec. C’est ce qui faisait que la mèche, mal alimentée, charbonnait, devenait fumeuse, et répandait une odeur désagréable, en même temps qu’elle perdait sensiblement de sa puissance éclairante.

M. Peigniet-Changeur, l’inventeur de la lampe qu’il a appelée autorégulatrice et à courant constant, est arrivé à obtenir l’alimentation constante et régulière de la mèche en élevant le liquide par une petite pompe foulante, analogue à celle des lampes Carcel. Par un mécanisme ingénieux adjoint à la petite pompe foulante des lampes Carcel, M. Peigniet-Changeur arrive à faire monter l’huile contenue dans le réservoir, au fur et à mesure de sa combustion ; de telle sorte que le jeu de la pompe foulante, placée au bas de l’appareil, n’amène à la mèche que la quantité de pétrole strictement nécessaire pour produire une belle flamme.

L’avantage de la lampe Peigniet-Changeur, c’est que le liquide est toujours à une grande distance du brûleur. La mèche trempe dans un petit réservoir placé près du bec, et quand ce petit réservoir est plein, un flotteur en liège, ferme l’orifice supérieur du tube d’ascension de l’huile minérale, et arrête ainsi l’arrivée du liquide. Il le laisse monter, quand le niveau a diminué. Ainsi, le pétrole n’afflue dans le réservoir, par le jeu de la pompe aspirante et foulante, que quand le liquide a baissé, par suite des progrès de la combustion ; et la pompe qui élève l’huile, ne fonctionne que quand le petit réservoir situé près du bec, s’est vidé en partie. De cette manière, la mèche est toujours baignée de pétrole ; dès lors, il ne peut jamais s’y faire de champignons, et on ne peut avoir ni fumée, ni odeur.

On voit dans les figures 389 et 390 l’ensemble et la coupe de la lampe Peigniet-Changeur.

Fig. 389. — Lampe à pétrole Peigniet-Changeur.
Fig. 390. — Coupe verticale montrant le mécanisme de la lampe Peigniet-Changeur.

B, récipient contenant : 1° le moteur d’horlogerie ; 2° la pompe ; 3° la quantité de pétrole, dont le niveau est constant. — H, flotteur, limitant le niveau de pétrole. — D, tube d’aspiration du liquide. — EE′, clapets d’aspiration et de retenue. — C, moteur d’horlogerie. — G, clef de remontage du moteur, C. — I, tube d’aspiration du liquide. — K, bec à mèche ronde. — LL′, porte-verre enveloppant le récipient et le bec. — J, galerie décorative. — M, bouton pour manœuvrer la mèche. — ON, O′N′, diaphragme de la pompe aspirante.

B, est le petit réservoir supérieur, dans lequel plonge la mèche. Un flotteur en liège, H, suit les mouvements du liquide, et vient, quand le réservoir est rempli, fermer l’orifice d’arrivée de l’huile minérale, et interrompre le jeu des pompes ; I, est le tube d’ascension du pétrole, qui est vertical, dans le modèle que nous représentons ici, mais qui peut être incliné, replié, infléchi à volonté, c’est-à-dire prendre toutes les formes que le fabricant veut donner à la lampe.

La légende qui accompagne la coupe de la lampe (fig. 390), donne l’explication des autres pièces du mécanisme.

On remarquera que le réservoir principal de pétrole étant placé à la partie inférieure, très loin du bec, contrairement à ce qui existait dans les lampes à pétrole primitives, on peut emmagasiner dans le corps de la lampe la quantité d’huile minérale que l’on désire, sans avoir à redouter le voisinage de la flamme. En outre, on peut, quand la lampe est vide, la remplir sans l’éteindre : il suffit d’en dévisser la partie supérieure et de verser de nouveau liquide dans le réservoir principal.

Nous ajouterons que le tube d’ascension du pétrole étant très étroit, on peut donner à cette lampe toutes les formes que l’on désire, et éviter l’aspect disgracieux que présentaient les premières lampes à pétrole, avec leur volumineux réservoir. On peut réaliser les dispositions artistiques les plus variées, comme on le fait pour les lampes Carcel et modérateur.

La lampe Peigniet-Changeur brûle pour 3 centimes d’huile par heure, pour un modèle de première grandeur. Sur l’éclairage à l’huile, c’est une économie de 80 pour 100, à clarté égale.

En 1884, a été inventée, en Angleterre, une nouvelle lampe à pétrole, caractérisée par l’emploi :

1° D’un extincteur, qui supprime instantanément la flamme, et empêche ainsi toute odeur, au moment de l’extinction ;

2° D’un élévateur, qui, par un simple levier à bascule, mû par le doigt, élève le globe et le verre, et découvre le bas de la mèche, pour permettre l’allumage.

Ajoutez à ces deux organes, une double mèche plate, et vous aurez les éléments essentiels de la lampe Hinks, ou lampe duplex, qui jouit en Angleterre et en France, d’une grande vogue.

Les quatre dessins que le lecteur a sous les yeux, expliquent le double mécanisme de la lampe Hinks, c’est-à-dire de l’élévateur et de l’extincteur.

La figure 391 donne la vue extérieure du bec de la lampe. La clef B, étant tournée à la main, élève le porte-verre, E, ainsi que le globe, G, pour permettre l’allumage.

Fig. 391. — Vue extérieure du bec de la lampe Hinks.

AA′, clefs faisant mouvoir les mèches. — B, clef de l’élévateur. — C, levier à bascule faisant mouvoir l’extincteur. — D, tige dirigeant le mouvement de l’élévateur. — E, galerie supportant le verre. — F, galerie supportant le globe. — G, bec bombé, avec deux fentes pour le passage des deux mèches.

On voit sur la figure 392, le porte-verre, E et le globe G, lorsqu’ils ont été élevés par la tige H, quand la main a tourné la clef B. Avec l’autre main, on présente l’allumette à l’extrémité libre, JJ′, de la double mèche, K.

Fig. 392. — Mécanisme de l’élévateur.

H, levier élévateur. — C, extincteur. — JJ′, extincteurs. — K, mèche vue de côté. — E, galerie supportant le verre. — F, galerie supportant le globe. — G, verre bombé.

Fig. 393. — Mécanisme de l’extincteur.

JJ′, extincteurs levés. — H, élévateur. — L, support d’une mèche pliée en deux, pour faciliter l’ascension du pétrole dans les mèches latérales. — K, mèche plate. — B, clef faisant mouvoir l’élévateur, H. — C, levier à bascule faisant mouvoir l’extincteur.

Les figures 392, 393 montrent le jeu des extincteurs. Au moyen du levier à bascule, G, les extincteurs, JJ′, étreignent la mèche, et l’extinction est subite.

L’extincteur, JJ′, est constitué par une enveloppe en clinquant de cuivre, qui, lorsqu’elle est pressée, serre, comme dans un étau, la double mèche, et l’éteint instantanément, sans que les vapeurs odorantes puissent se répandre.

Fig. 394. — Détail du mécanisme moteur des mèches.

JJ′, becs vus en plan. — A, clef faisant mouvoir la mèche de gauche par les engrenages M. — A′, clef faisant mouvoir la mèche de droite par les engrenages N′.

La lampe Hinks est portée généralement sur un pied de cuivre assez élevé, et orné d’une manière plus ou moins artistique. Le globe lui-même reçoit diverses formes originales, selon le goût du fabricant.

On voit dans la figure 395, l’ensemble de la lampe Hinks, avec son pied et son globe.

Fig. 395. — Vue d’ensemble de la lampe Hinks avec son pied et son globe.

La lampe Hinks était à peine connue en Angleterre qu’elle provoquait diverses imitations, modifications ou perfectionnements, dans l’examen desquels il serait superflu d’entrer ici. ( Contentons-nous de dire qu’à Londres, on fabrique en grand la lampe de M. Messenger, et la lampe de M. Eyered, toutes deux fondées sur les mêmes principes que la lampe Hinks, et qui se vendent en France, comme en Angleterre.

La lampe de M. Hinks, étant formée de la réunion de deux mèches plates, a l’inconvénient inhérent à cette forme de mèche, c’est-à-dire qu’elle n’éclaire bien que par les deux faces et très peu par les deux tranches Une mèche circulaire a seule l’avantage d’éclairer uniformément autour d’elle. La lampe à pétrole que l’on construit en Amérique, sous le nom de lampe Rochester, porte une mèche circulaire, comme la lampe allemande, et donne, par conséquent, un éclairage préférable à celui des lampes anglaises.
Mais la lampe Rochester, produit une lumière éblouissante, peu en harmonie avec les besoins ordinaires de l’éclairage domestique. Aussi dégage-t-elle une chaleur souvent intolérable.

La lampe Rochester est d’un grand usage en Amérique, terre natale du pétrole, où ce liquide est à très bas prix, mais elle consomme une trop grande quantité pour être d’un grand usage en Europe.

Fig. 396. — Vue extérieure de la lampe Sépulchre.

A, clef faisant mouvoir la mèche. — B, clef faisant mouvoir l’élévateur. — C, galerie supportant le verre. — F, galerie supportant le globe. — D, diffuseur d’air. — E, enveloppe amenant l’air extérieur dans le tube I (fig. 397) et empêchant le pétrole contenu dans le réservoir de s’échauffer au contact de la mèche.

Fig. 397. — Coupe de la lampe Sépulchre.

DD′, diffuseur d’air vu en dessus et en dessous du bec. — A, engrenages faisant monter et descendre la mèche K. — I, chemise métallique cylindrique enveloppant la mèche, et formant un tube à l’intérieur duquel arrive l’air extérieur qui monte dans le diffuseur. — J, petit tube, traversant l’enveloppe E ; il fait communiquer la mèche avec le réservoir à pétrole. — K, mèche vue en coupe. — C, support du verre. — F, galerie supportant le globe. — B, clef faisant soulever le bec à l’aide du levier H, pour permettre l’allumage facile. — E, tube isolant le pétrole du réservoir, de la mèche, et conduisant l’air extérieur dans le tube I et le diffuseur DD′.

Un ingénieur belge, M. Sépulchre, a, fort, ingénieusement combiné toutes les dispositions mécaniques imaginées jusqu’à ce jour, pour composer une lampe dans laquelle le pétrole brûle avec le plus vif éclat. La figure 398 donne la vue perspective, et la figure 397, la coupe explicative de la lampe Sépulchre, que fabriquent, à Paris, MM. Schlossmachér et Aumeunier.

Fig. 398. — Vue d’ensemble de la lampe Sépulchre avec son pied et son globe.

La mèche est protégée par une chemise, qui empêche toute explosion. Un réservoir intermédiaire, communiquant avec l’air extérieur, par la clef même de la lampe, assure le départ des vapeurs de pétrole, sans qu’il puisse y avoir d’inflammation ; à l’intérieur même de la flamme, un diffuseur introduit l’air nécessaire à la combustion. Un élévateur, semblable à celui des lampes Hinks, soulève le globe et le verre, quand il faut allumer. Malgré l’absence de l’extincteur Hinks, l’extinction ne s’accompagne d’aucune odeur, grâce à l’occlusion parfaite de la mèche à l’intérieur de son tuyau.

La lampe Sépulchre, fort répandue en France et en Belgique, donne, suivant les dimensions du bec, une intensité lumineuse de 10, 20, 30, 40 et 60 bougies.

Disons, toutefois, que la lampe à laquelle MM. Schlossmacher et Aumeunier, qui la fabriquent à Paris, conservent le nom de lampe Sépulchre, a subi de nombreux perfectionnements de la part de ces fabricants. Dans la lampe Sépulchre la mèche est enveloppée d’une toile métallique, qui empêche les parties de la mèche qui sont en ignition de communiquer le feu au pétrole du réservoir. Mais comme la mèche est en contact direct avec le pétrole, celui-ci s’échauffe et il y a là une source de danger.

Dans la lampe Schlossmacher, la mèche est complètement isolée du liquide par une enveloppe métallique E (fig. 397). Si par hasard la mèche venait à brûler, comme elle n’est point en contact avec le liquide, il ne peut y avoir d’accident.

La chambre ou réservoir intermédiaire, qui, dans la lampe belge, reçoit les vapeurs du pétrole et les fait élever à l’extérieur par un tout petit trou pratiqué dans l’axe même de la clef de mèche A (fig. 396), cette chambre est dans la lampe Schlossmacher, en contact direct avec l’air extérieur par une série de trous percés dans l’enveloppe, d’où résulte une aération complète.

Par suite de toutes ces dispositions, si la lampe vient accidentellement à se renverser, il n’y a aucun accident à redouter. Le pétrole se sépare de la mèche et la lampe s’éteint aussitôt.

L’essence de pétrole qui, mélangée au pétrole mal rectifié, causait les dangers de l’ancien éclairage par ce liquide, n’est pas bannie de la pratique. On a su l’approprier, par des dispositions spéciales, à un éclairage qui garantit toute sécurité, malgré l’extrême volatilité de ce liquide.

L’essence de pétrole sert à alimenter de petites lampes portatives, avec lesquelles on circule dans les appartements.

Le récipient de ces lampes est garni d’un corps spongieux (éponge, bourre de coton, etc.), qui absorbe l’essence, et alimente la mèche, par contact.

L’essence ne doit pas être en excès dans le récipient ; il faut pouvoir renverser celui-ci, sans que le liquide s’en échappe. Si cette précaution est bien observée, on n’a aucun accident à craindre. On peut même présenter une allumette enflammée au-dessus du brûleur dévissé ; l’essence brûle légèrement, et il suffit de boucher l’ouverture, pour obtenir l’extinction.

La lampe de M. Besnard, la lampe Pigeon, présentent ces qualités. Elles sont d’un usage courant dans les ménages pauvres, et y rendent de très nombreux services, grâce à l’économie qu’elles procurent et à la facilité avec laquelle on les déplace.

Les appareils de M. Rakowski, construits par M. L. Meyer, reposent sur le même principe. Ils ont la forme extérieure d’une bougie, avec cette supériorité qu’ils ne coulent pas et ne tachent pas les objets ou les vêtements, tout en produisant un éclairage fort économique.

Il faut ranger dans cette même série le bougeoir de M. Chandor, de New-York, qui, bien qu’il consomme de l’huile de pétrole, est destiné aux mêmes usages que les lampes à l’essence minérale ; mais le principe de combustion en diffère essentiellement. C’est le gaz produit par la volatilisation de l’huile minérale, qui donne la flamme, et non la mèche elle-même.

Nous ne devons pas manquer de citer une catégorie toute particulière d’appareils pour brûler le pétrole : nous voulons parler des carburateurs, au moyen desquels on produit un mélange d’air et de vapeurs d’essence de pétrole, qui possède des propriétés combustibles et éclairantes au moins égales à celles du gaz de houille.

L’essence de pétrole employée dans ce but, est connue sous le nom de gazoline. Elle est caractérisée, commercialement, à l’état liquide, par une densité de 0,650 ; ses vapeurs, mélangées à l’air, brûlent avec une belle flamme, lorsqu’on emploie des becs convenables.

La variété des types de carburateurs, établis tous, d’ailleurs, sur le même principe, s’explique par les services qu’ils rendent dans les ateliers, les fermes, et, en général, dans tous les établissements situés hors du périmètre des canalisations de gaz. Ils fournissent un moyen simple, économique, et relativement sûr, de fabriquer sur place, et à froid, un combustible gazeux éclairant.

Les carburateurs au pétrole de MM. Faignot, Gourd et Dubois, que l’on peut considérer comme les types de ce genre d’appareils, comprennent trois éléments principaux : 1° un aspirateur, faisant fonction de pompe à air ; il est actionné par un treuil mis en mouvement par une corde, à l’extrémité, de laquelle est suspendue un poids ; 2° une cloche gazomètre, qui emmagasine l’air venant de l’aspirateur et l’envoie dans les carburateurs ; 3° le carburateur proprement dit, ou récipient de gazoline, dans lequel l’air se charge de vapeurs carburées.

Les récipients, en nombre variable, sont munis de mèches, ou tampons, en feutre, qui favorisent l’évaporation : ils sont, en outre, divisés en plusieurs compartiments, par des cloisons qui se chicanent, et entre lesquelles l’air est forcé de circuler. L’air ainsi saturé de vapeurs de gazoline, est conduit par des tuyaux en plomb, aux appareils d’éclairage.

Le carburateur Ch. Siefert est basé sur un principe identique ; il se distingue de l’appareil précédent par l’enveloppe du réservoir de gazoline, qui est entièrement immergée dans l’eau froide.

L’appareil Lothammer est aussi destiné à opérer la carburation de l’air, au moyen de la gazoline ; mais il présente cette particularité que la carburation s’y effectue au fur et à mesure de la consommation, et sans nécessiter une provision de gaz emmagasiné. L’aspiration de l’air est produite, non par un ventilateur actionné par un poids, comme dans les appareils précédents, mais par une pompe, que met en jeu un petit moteur alimenté à l’air carburé. Enfin la gazoline soumise à l’évaporation, se trouve renfermée dans un récipient où son niveau reste constant, grâce à la présence d’un siphon qui communique avec le réservoir, d’alimentation.

Un autre point à signaler dans ce dernier carburateur, c’est la propriété qu’il possède, de donner une pression que l’on peut régler suivant les besoins, et qui est supérieure à celle des autres appareils du même genre ; de telle sorte que les condensations dans les conduites sont, dans une certaine mesure, atténuées. Il en résulte la possibilité d’employer des tuyaux d’assez faible diamètre, et de leur donner, quand les circonstances l’exigent, une direction quelconque, sans avoir à user de siphon.

Tous les carburateurs de pétrole dont nous venons de parler, se trouvaient rassemblés dans les galeries de l’Exposition universelle de 1889. La même exposition renfermait plusieurs autres types de carburateurs, tels que : celui de M. Jaunez (gaz soleil), qui produit la volatilisation de la gazoline par échauffement ; — celui de M, Monier (néo-gaz), où l’aspiration de l’air se fait au moyen d’un courant d’eau sans pression, ou d’un courant de vapeur ; — celui de M. Piépla, le plus ancien en date ; — celui de M. Quittet (gaz des villages) — enfin l’appareil Méneveau, assez recherché pour sa forme élégante et le peu de place qu’il occupe.

L’éclairage au pétrole serait le plus économique de tous, si, en certains pays, particulièrement en France, ce liquide n’était pas grevé de droits de douane et d’octroi excessifs, qui atteignent quelquefois jusqu’à 300 pour 100 de sa valeur. Si ces droits étaient supprimés, le pétrole se vendrait, à Paris, 20 centimes le litre.

Le pétrole est à vil prix en Amérique et en Russie. En Belgique, il vaut à peine 45 centimes le litre. L’abaissement des droits, en France, assurerait à nos populations le bienfait d’un éclairage brillant et à bon marché.

Disons, pour terminer ce sujet que deux industries auxquelles se rattachent les intérêts les plus considérables, sont, en ce moment, en lutte ouverte. Le gaz et l’électricité se trouvent en présence, le premier se flattant de demeurer en possession d’un privilège dont il jouit depuis un demi-siècle ; le second, se parant de la brillante auréole du progrès scientifique. On se demandait qui l’emporterait, dans cet homérique combat scientifique et industriel, et si l’électricité parviendrait à remplacer le gaz dans nos demeures, sur les places publiques, dans les ateliers, dans les théâtres. Au plus fort de cette lutte, un troisième champion, le pétrole, est entré, dans la lice. Ce nouveau produit naturel n’a pas, comme l’électricité, l’appui d’une énorme quantité de recherches et de travaux, dus aux physiciens des deux mondes. Il est modeste et de basse origine ; il sort d’un trou de la terre, et ses amis, ses défenseurs, ses clients, humbles, comme lui, sont le travailleur et le pauvre. Mais il a en sa faveur, l’apanage essentiel, l’avantage fondamental : le bon marché. Le pétrole est beaucoup moins cher que le gaz, moins cher que l’électricité, et si les droits énormes qu’il supporte, en France, étaient supprimés, il nous donnerait la lumière avec une économie fabuleuse. Quant aux dangers qu’on reprochait autrefois à son emploi dans l’éclairage, le perfectionnement de sa rectification dans les raffineries, d’une part, et, d’autre part, les appareils irréprochables dont nous ont doté les lampistes allemands, anglais, américains, et français, ont dissipé toute crainte, et assuré à l’usage universel de ce liquide une sécurité complète.

En résumé, depuis la publication de notre Notice sur l’Art de l’éclairage, dans les Merveilles de la science, cet art, d’une utilité fondamentale dans les sociétés, a fait des progrès considérables. Il a été dans quelques-unes de ses branches le théâtre d’une véritable révolution. C’est ce que nous sommes heureux d’avoir signalé dans ce Supplément.

fin du supplément à l’art de l’éclairage.
  1. Tome IV, pages 2-230.
  2. Tome IV, pages 214-226.
  3. Tome IV, page 219.
  4. Un système d’éclairage par l’arc voltaïque qui mérite une mention particulière, est celui que M. Clerc désigna sous le nom de lampe-soleil. L’arc voltaïque entoure des fragments de chaux, qu’il rend prodigieusement lumineux. Le grand volume de la masse échauffée donne à la lumière beaucoup de fixité. Il faut, toutefois, acheter cet avantage par une diminution de l’éclat ordinaire de l’arc jaillissant entre les deux pointes de charbon.
  5. Pages 432-451.
  6. Tome Ier, pages 324-330.
  7. Tome Ier pages 80-95.
  8. Pages 391-393.
  9. Ainsi que l’on peut s’en rendre compte en parcourant cette liste, plusieurs usines à gaz fournissent simultanément, avec le gaz, la lumière électrique.
  10. 1 vol. in-8o, 3e édition, Paris, 1886, chez Baudry, p. 593.
  11. Page 435, figure 354.
  12. C’est cette même lampe électrique que M. Trouvé, à l’époque de la catastrophe de Saint-Étienne, a proposé d’appliquer à l’éclairage des houillères, de préférence à la lampe Stella, qui emploie des accumulateurs.
  13. Tome IV, pages 184-208.
  14. Le Go Devil est un appareil qui gratte l’intérieur des conduites, en faisant un grand bruit. On pense que ce nom, qui signifie Allez au diable, lui a été donné par le premier ouvrier qui l’a introduit dans les conduites et qui a été surpris du vacarme qu’il faisait.
  15. Tome IV, page 196, fig. 113.
  16. Tome IV, page 197, fig. 114.
  17. Tome IV, pages 201, fig. 117.