Les Femmes poètes bretonnes/Texte entier

Les Femmes poètes bretonnes
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PETITE BIBLIOTHÈQUE BRETONNE

LES
FEMMES POÈTES
BRETONNES
AVEC
PRÉFACE ET NOTICES
PAR
LE Cte DE SAINT-JEAN
(Mme EUGÈNE RIOM)



NANTES
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS
ET DE L’HISTOIRE DE BRETAGNE

M DCCC XCII

LES FEMMES POÈTES
BRETONNES

Tiré à 500 exemplaires (dont 400 numérotés pour les membres de la Société des Bibliophiles Bretons.)
PETITE BIBLIOTHÈQUE BRETONNE

LES
FEMMES POÈTES
BRETONNES
AVEC
PRÉFACE ET NOTICES
PAR
LE Cte DE SAINT-JEAN
(Mme EUGÈNE RIOM)



NANTES
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS
ET DE L’HISTOIRE DE BRETAGNE

M DCCC XCII


LES FEMMES POÈTES BRETONNES



Comment demander à la vieille Armorique le nom de toutes ses femmes poètes ?

Cette terre éminemment poétique a dû laisser passer un souffle dans l’âme vibrante et impressionnable de la femme, à toutes les époques ; mais comment retrouver leurs traces ?

En fouillant les ombres du passé, je vois, dès le VIe siècle, poindre comme un perce-neige sainte Rivanonne, chantant :

« Je suis l’Iris au bord de l’eau, c’est moi qu’on nomme la petite Reine, etc. »

Plus tard, ses larmes, devenues de véritables perles, nous sont conservées dans une touchante élégie sur la mort de son époux.

Je ne trouve plus rien avant Anne de Rohan (1584). J’ai publié sa biographie dans l’Anthologie des poètes bretons du xviie siècle, ainsi que celles de Catherine Descartes (1637), de la comtesse Murat (1670), et de Julienne Cuquemelle (1685). Je ne saurais donc en reparler ici.

Comment, dix siècles de silence et d’oubli ! aucun nom même ne surnage ? Hélas ! c’est comme si nous demandions ceux des roses et des rossignols que les buissons ont vu éclore dans ce laps de temps. Les roses ont toujours fleuri, les rossignols toujours chanté. Il a dû en être ainsi des femmes : la Bretagne a toujours dû trouver une voix continuant le chant commencé, sans interruption, à la manière de ses rondes villageoises, improvisées alternativement par chaque chanteur.

La femme bretonne est essentiellement poète ; toute sa vie est remplie par les rêves divins. Si parfois elle se livre à la danse, elle y conserve la gravité de son maintien, elle semble danser religieusement.

J’ai dit quelque part :

Dans les landes en fleur égrenant son rosaire,
La Bretonne ici-bas ne cherche pas le miel ;
Elle écoute les flots et l’oiseau solitaire,
En berçant longuement ses doux rêves du ciel.

De blancs tissus de lin ombragent son visage ;
Des antiques dolmens les signes vénérés
Se retrouvent toujours brodés sur son corsage,
Restes inconscients de préceptes sacrés.

Parfois des pèlerins pour allumer les cierges,
Sur le seuil des lieux saints elle attend tout le jour,
Et le soir, à la source on voit les lentes vierges
Portant la buire antique et puisant à leur tour…

Le dimanche, entre les vêpres et la grand’messe, la Bretonne reste assise sur le seuil de sa porte, immobile, les bras croisés, les yeux perdus dans l’espace.

Parfois, au bord d’une grève, elle regarde la grande Mer. Car il ne faut pas oublier que, les Bretons étant les premiers marins du monde, la femme bretonne est perpétuellement condamnée à pleurer le départ ou à attendre le retour. Aussi ses regards sont-ils accoutumés à se porter du ciel à la mer, ces deux immensités ; les nuages lui semblent les âmes de ceux que les flots ont emportés ; elle aime les nuages ! Elle voit encore que les oiseaux ont des ailes comme la prière ; elle aime les oiseaux qui peuvent monter vers Dieu, et, par conséquent, hâter le retour !

Goëlands ! goëlands ! ramenez-nous nos amants !
(Chant breton.)

La Bretonne, revenue à l’église, considère la flamme qui brûle sur l’autel ; la flamme se consume pour le Créateur ; elle est donc un être intelligent ! C’est à cette flamme qu’elle s’adresse, comme interprète entre elle et Dieu. Elle espère que cette langue de feu rendra mieux les vœux de son cœur que la sienne propre, parce qu’étant plus épurée, plus subtile, elle sera mieux comprise de celui qui habite au sein de la lumière inaccessible.

Aussi, quand la Bretonne désire ardemment, elle allume un cierge.

Dans l’église herminée, elle va mettre un cierge,
Doutant de sa prière, espérant que son vœu,
Épuré par la flamme, ira jusqu’à la Vierge,
Qui traduira là-haut cette langue de feu.

La femme bretonne comprend la Nature, non à la manière des savants, qui sans cesse cherchent à la dévoiler ; mais elle la comprend avec sa propre intuition ; car la nature, comme les diamants, a des facettes et des reflets multiples.

La femme, dès le premier gonflement de la sève, perçoit ces aromes si doux, devenus insaisissables pour ceux qui sont accoutumés aux parfums irritants que les chimistes nous ont offerts.

Quand elle voit poindre la feuille du figuier elle sait que l’Été est proche.

Une pensée unique l’enveloppe comme un suaire immense et lumineux, l’Éternité ! Elle n’a ni jeunesse, ni vieillesse ; elle aspire au repos éternel, non en répétant la maxime orientale : « Il vaut mieux être assis que debout, couché qu’assis, mort que vivant ; » non, elle aspire au repos divin, avec l’entière et pleine possession de Dieu. Si les affections terrestres éveillent parfois en elle quelque doute, la Vérité éternelle n’a jamais de reflux dans sa pensée ; ainsi qu’Israël sortant de la captivité d’Égypte, l’âme de la femme bretonne est conduite par la lueur victorieuse de la Vérité : elle voit, car elle croit.



MADAME DE SEGRAIS

1756



MADAME DE SEGRAIS



Marie-Madeleine-Nicole-Alexandrine-Adine Gohier Joliveau de Segrais naquit à Nantes, en 1756. Nous ignorons la date de sa mort.

Elle a publié un poème, intitulé Suzanne, des Fables nouvelles, en vers, Paris, an X, (1801) 1re édition ; la 3e édition parut en 1814, 1 vol. in-18, chez Janet et Cotelle, dédié à la duchesse d’Angoulême.

Elle avait d’abord publié ces fables pour ses enfants.

Les Guêpes, la Poule et le Philosophe sont très remarquables.

Le colonel Staaff cite celle-ci :

L’AIGLE ET LE VER

L’Aigle disait au Ver sur un arbre attrapé :
« Pour t’élever si haut, qu’as tu fait ? — J’ai rampé. »

Madame de Segrais est la première femme qui ait publié un recueil de fables.



MADAME DUFRESNOY

1765



MADAME DUFRESNOY



Adélaïde Billet, née à Nantes le 3 décembre 1765, épousa M. Dufresnoy, procureur au Châtelet (1780), et mourut à Paris en 1825.

Elle a publié :

1o La petite ménagère ou l’Éducation maternelle, 1815, 4 vol. in-12 ;

2o Élégies, 1821, 1 vol. in-12 ;

3o Le Tour du Monde, 3 vol. in-12, 1813 ;

4o Les Contes de Fées, 1816, 1 vol. in-18 ;

5o Les Étrennes à ma fille, nouvelle, 2 vol. ;

6o Biographie des jeunes demoiselles ; Vies des femmes célèbres, 1817, 2 vol. in-18 ;

7o Un roman intitulé : la Femme auteur ;

8o Les Françaises, 2 vol. ;

9o Les Beautés de la Grèce ;

10o Le Luxe des femmes ou choix extraits des meilleurs écrivains français, par Madame Dufresnoy et Amable Tastu, 1823, 2 vol. in-18 ;

11o Plusieurs pièces de théâtre, entre autres, l’Amour exilé des cieux, représentée en 1788 au Théâtre Français ;

12o Pièces de vers détachées, vers dans l’Almanach des Muses. Épître à Suzanne ;

13o La Journée d’une amante, roman ;

14o Opuscules poétiques, 1806, 1 vol. in-12 ;

15o La Naissance du Roi de Rome, 1811, in-12 ;

Anniversaire, 1812, in-18.

Quelques biographes la font naître à Paris[1], s’appuyant sur une pièce de vers où elle dit avoir joué, enfant, sous les ombrages du Luxembourg ; mais son père, étant commerçant, faisait des voyages à Paris et l’emmenait quelquefois. Ce fut là que M. Dufresnoy, procureur au Châtelet, en devint amoureux et l’épousa, à l’âge de quinze ans. Elle était très belle. Dès qu’elle fut mariée, elle se trouva entourée d’une société d’élite ; elle reçut chez elle toutes les célébrités de l’époque. Elle se lia plus tard avec Mme la princesse de Salm-Dyck et Mme Desroches.

Elle publia ses premiers poèmes dans l’Almanach des Muses, en 1806. Ruinée par la Révolution, elle fut exilée et soigna avec un grand dévouement son mari, devenu aveugle.

Bonaparte lui fit rendre ses biens ; elle lui voua une grande reconnaissance. L’Académie française la couronna en 1814, pour son poème sur Bayard.

Béranger a chanté :

Veille, ma lampe, veille encore :
Je lis les vers de Dufresnoy.

La fille de Mme Dufresnoy a été mariée à M. Jay. Son fils, Pierre-Armand Dufresnoy, né en 1792, a exécuté, avec Élie de Beaumont, la carte géologique de France.

« Les meilleurs titres de Mme Dufresnoy à la gloire, dit Quitard, sont ses élégies, qui lui valurent le nom de Sapho française ; elles ont le mérite, bien rare, d’exprimer un sentiment vrai dans un style plein de naturel et de charme. »


LES SERMENTS


Lasse à la fin d’un si long esclavage
Et d’un amour si mal récompensé,
J’avais juré d’oublier qui m’outrage,
J’avais juré que dans mon cœur blessé
J’effacerais une trop douce image.
J’avais juré que le nom du volage
Par moi jamais ne serait prononcé.
J’avais juré, forte de son absence,
Que, si le sort l’offrait devant mes yeux,
Je soutiendrais sans trouble sa présence,
J’en défirais le charme impérieux.
Dans mon dépit, ardente à la vengeance,
J’osais former le souhait dangereux
De voir l’ingrat m’offrir encor ses vœux.

J’en accueillais l’incertaine espérance.
J’avais juré qu’un souris dédaigneux
Saurait alors punir son inconstance.
Oh ! d’un regard invincible ascendant !
Qu’est devenu mon courage imprudent ?
À peine, hélas ! ma voix à son approche
Balbutia quelques mots de reproche.
Je pâlissais, rougissais tour à tour ;
Je lui disais : « Non, je n’ai plus d’amour ! »
Mais je laissais sa main presser la mienne,
Mais malgré moi ma main pressait la sienne,
Mais les soupirs, étouffés à demi,
Livraient mon âme à ce cher ennemi ;
Mais je laissais ses lèvres suppliantes
Se rapprocher de mes lèvres tremblantes ;
Ma bouche en vain opposait un refus,
Le sein rempli du feu qui me dévore,
En lui jurant que je ne l’aimais plus,
Je lui prouvais que je l’aimais encore !


LE BONHEUR


Il est auprès de moi, sa main touche ma main,
Sa bouche s’embellit du plus charmant sourire ;
Son teint s’anime, je soupire
Sa tête mollement vient tomber sur mon sein.

Là je respire son haleine,
Son haleine semblable au parfum de la fleur ;
De ses bras l’amoureuse chaîne
Rapproche mon cœur de son cœur.
Bientôt nos baisers se confondent,
Ils sont purs comme nos amours ;
Nous demeurons sans voix, mais nos cœurs se répondent.
Ils se disent : Toujours ! toujours !


LE BESOIN D’AIMER


Pourquoi depuis un temps inquiète et rêveuse,
Suis-je triste au sein des plaisirs ?
Quant tout sourit à mes désirs,
Pourquoi ne suis-je pas heureuse ?

Pourquoi ne vois-je plus venir, à mon réveil,
La foule des riants mensonges ?
Pourquoi dans les bras du sommeil
Ne trouvé-je plus de doux songes ?
Pourquoi, beaux-arts, pourquoi vos charmes souverains
N’enflamment-ils plus mon délire !
Pourquoi mon infidèle lyre
S’échappe-t-elle de mes mains ?

Quel est ce poison lent qui pénètre en mes veines
Et m’abreuve de ses langueurs ?

Quand mon âme n’a point de peines,
Pourquoi mes yeux ont-ils des pleurs ?


LE REGRET


La raison et le temps ont adouci mes maux.
D’un sentiment trompeur la tendre inquiétude
N’enlève plus mes nuits aux douceurs du repos,
Mes jours aux bienfaits de l’étude.

Mon œil, longtemps chargé de pleurs,
Plus calme, s’est levé sur un ciel sans nuage,
Des bois je ne fuis plus le silence et l’ombrage,
Et sans chagrin je vois la fleur
Se balancer sous le feuillage.

Mes amis à leurs soins touchants
Ne me trouvent plus insensible.
Semblable à ce ruisseau qui coule de nos champs,
Ainsi coule ma vie uniforme et paisible ;
Cependant quelquefois, sur le soir d’un beau jour,
Mon cœur se sent presser par la mélancolie ;
Je ne regrette plus l’amant qui m’a trahie,
Je regrette encor mon amour !



MADAME DESROCHES

1777-1820



MADAME DESROCHES



Marie-Anne Bougourd, dame Desroches, née à Saint-Malo, le 28 mai 1777, morte le 25 août 1811, a publié un volume de poèmes in-12. (Ne pas confondre avec les dames Desroches, de Poitiers.) Anne Bougourd, devenue orpheline à l’âge de deux ans, fut confiée à une aïeule qui l’éleva avec le plus grand soin ; elle passa quelques années dans un couvent pour son éducation ; puis, à la suppression des ordres religieux, elle vint habiter Cancale, chez une amie ; c’est là qu’elle connut M. Desroches et qu’elle l’épousa.

Le sentiment de la poésie s’était éveillé chez elle de très bonne heure : à huit ans ; elle en étudiait les règles dans Restaud ; à douze ans, elle composa de charmantes prières. Son mari vint habiter Paris ; elle s’y lia avec Mesdames de Salm-Dyck et Dufresnoy. Elle écrivait dans les Muses et les Quatre Saisons du Parnasse. Sa santé fut toujours languissante. La Biographie bretonne dit que les élégies renfermées dans son recueil de poèmes font vivement regretter la perte prématurée de leur auteur.

Nous devons à M. Fleury, bibliothécaire à Saint-Malo, la communication de deux idylles : la Jeune Mère et l’Abbaye abandonnée, page 243 de la Biographie des Malouins célèbres, par l’abbé Manet.


LA JEUNE MÈRE

ZULMA À SON PREMIER-NÉ


Que les jeux bercent son jeune âge !
Que la félicité préside à ses beaux ans !
Qu’il cherche les conseils du sage,
Et trouve d’un ami tous les soins complaisants !

Si du sort un arrêt funeste
Venait à l’écarter du chemin du bonheur,

Que dans ses douleurs il lui reste
Pour soutien l’espérance, et pour guide l’honneur.

Qu’il sache à la pompe importune
Préférer les attraits d’un modeste séjour ;
S’il est trahi par la fortune,
Qu’il soit de ce malheur consolé par l’amour.

Puissent l’amour et la constance
Multiplier pour lui tous les plaisirs du cœur !
Et puisse l’aimable innocence
N’avoir point à gémir de sa coupable ardeur !

Moi je vais protéger sa vie,
Je vais de tous mes jours lui vouer les instants ;
Ces doux soins bornent mon envie ;
Est-il un autre prix des plus chers sentiments ?

Dieux immortels, de ma reconnaissance
Écoutez les accents, recevez les tributs ;
Ce gage de l’hymen comble mon espérance.
Pour moi que pourriez-vous de plus ?


L’ABBAYE ABANDONNÉE


Salut, rivage solitaire,
Vous que Neptune et Flore ensemble ont décoré !
Toi qui rends à mes vœux ton aspect tutélaire,
Salut, asile consacré,

De touchants souvenirs muet dépositaire !
Je vais retrouver tes abris
Témoins de ma joyeuse enfance,
Séjour désert où l’espérance
Doit m’offrir son premier souris.
Que vois-je ? cent débris funestes
Signalent en ces lieux un profane attentat,
Et privé de ton noble éclat
Tu règnes tristement sur les vallons agrestes !
Ton faîte dépouillé n’offre plus à mes yeux
La flèche qui des bois dominait le feuillage,
Touchait au vague azur des cieux,
Ou se perdait dans le nuage,
Auprès du signe rédempteur
Qui de pensers profonds saisissait l’âme émue.
Je cherche en vain ce phare, ami du voyageur,
Et qui de loin frappait sa vue,
Tandis qu’errant au gré d’une inquiète ardeur,
Il parcourait des flots l’orgueilleuse étendue.
Au rocher, longtemps incertain,
Souvent sa flamme lumineuse,
À travers la nuit orageuse,
Apparaissait comme un astre serein,
Et lorsqu’en ses fureurs la tempête obstinée
Ouvrait sur l’océan mille gouffres divers,
Au seuil du temple saint, la vierge prosternée
Offrait ses vœux fervents au Souverain des mers.

Ainsi montait aux cieux le cri de la détresse,
Entre la mâle audace et les tendres vertus,
Entre la force et la faiblesse.
Ces rapports touchants ne sont plus !
Seule, osons pénétrer dans cette route ombreuse,
Où l’amitié garda tant de cœurs empressés,
Où l’amour, égarant sa tristesse rêveuse,
Laissa ses doux chiffres tracés.
Par les mêmes sentiers que l’arbuste sauvage
Déshonore aujourd’hui de ses jets épineux,
J’arrive à ce portique où le ciseau pieux
Des arts sut agrandir l’ouvrage.
Séjour antique et révéré,
Dont l’œil ne perçoit point les innocents mystères,
L’impie à sa rage livré
A détruit tes remparts austères ;
Il a foulé ton sol sacré ;
D’avides possesseurs par une indigne atteinte
Hâtèrent à l’envi les outrages du temps :
Un lustre a sur ces monuments
Des siècles apposé l’empreinte.

Mais quel attrait nouveau, quel sentiment vainqueur
Fait couler en mon sein mille douceurs secrètes ?
Pouvoir des souvenirs, ô prestige enchanteur !
J’ai respiré l’air pur qui règne en ces retraites,
Et de mes premiers ans j’ai ressaisi la fleur !

Alors que m’adressant un regard long et tendre,
Les auteurs de ma vie entrèrent au tombeau,
Alors qu’en hommage à leur cendre
Un cyprès s’éleva non loin de mon berceau,
Voici les lieux où l’amitié craintive
Courut me déposer au matin de mes ans,
Ainsi que la plante hâtive
Que l’on veut dérober au souffle des autans.
Dans ces lieux chéris, la nature,
À mes jeunes regards déployant sa splendeur,
M’offrit des cieux, des eaux, une verdure,
Brillant plus qu’aujourd’hui de pompe et de fraîcheur.
Ici, de l’innocence épuisant tous les charmes,
J’errais sans trouble, ignorant si mes jours
Seraient de biens divers embellis dans leur cours
Ou seraient parsemés d’alarmes.
Mais le germe secret des plaisirs, des douleurs,
Mais un instinct du cœur, un présage peut-être,
Me faisait rechercher l’abri le plus champêtre,
Et mes yeux s’étonnaient de répandre des pleurs.
Souvent aussi, souvent, de mes vives compagnes
J’excitais les folâtres jeux ;
Nos accents confus et joyeux
Se prolongeaient dans les campagnes.
Écho ! rends-moi ces sons exhalés sans retour.
Que dis-je ? tout est mort dans cette enceinte immense,
Et l’écho se tait à son tour.

Où la paix avait son séjour
Ne règne plus que le silence.
Semblable à l’étranger qui, dans un saint respect,
Foule de Pompeii les antiques vestiges,
Et croit qu’en tous ces lieux qui gardent leur aspect,
La vie a seulement suspendu ses prodiges,
Jouet d’une flatteuse erreur,
Je vois autour de moi tout s’animer encore ;
Là, je poursuis un fantôme imposteur ;
Ici, j’attends que la cloche sonore
Appelle de nouveau les filles du Seigneur.
Cependant de Phébus l’agile avant-courrière
N’éveille plus leur diligent essaim,
Et de ces anges de la terre
La nuit, parcourant sa carrière,
N’entend plus le concert divin.
Sous des astres divers un destin inflexible
Entraîne leurs pas éperdus,
Et mon œil, attiré par ce temple paisible,
Considère aux parvis leurs voiles appendus.
Ah ! fuyons de ce temple où l’orgue aux sons magiques
Ne redit plus les hymnes de Sion,
De ces cloîtres mélancoliques
Où glisse la lumière, où mugit Orion.
Sur de plus doux objets laissons errer ma vue,
Entrons dans ces bocages verts,
Dont l’avide cognée et l’effort des hivers

Épargnent la cime touffue.
À l’heure où le soleil, enflammant l’horizon,
S’enfuit rayonnant d’or et couronné d’opale,
C’est là qu’en ses loisirs la beauté virginale
Se plaisait à fouler les sentiers de gazon.
Au bord de l’Achéron, telles qu’on peint les ombres,
De leurs jours écoulés gardant les souvenirs,
Des vestales, errant sous les feuillages sombres,
L’environnaient de pénitents soupirs.
Du zéphyr cependant l’haleine fraîche et pure
Lui portait en tribut les parfums d’alentour,
Et mille oiseaux, peuplant les dômes de verdure,
Animaient ces beaux lieux par leurs doux chants d’amour.
Sans doute… et qui défend d’une loi trop cruelle ?
Où les pâles soucis n’ont-ils point pénétré ?
Sans doute plus d’un cœur, à sa peine fidèle,
De ce calme touchant fut en vain entouré.
Je t’en veux attester, noble et tendre Lucie,
Ô toi dont la jeunesse enlevée aux plaisirs
D’un voile de douleur se montrait obscurcie,
Toi dont un vœu précoce enchaîna les désirs :
D’un soin consolateur tu fuyais la tendresse ;
La pompe de ces jours chéris
Où le cloître égayé se pare d’allégresse
Ne pouvait de ton front écarter la tristesse,
Ne pouvait dans tes yeux faire éclore un souris.
Mais, épargnant ta peine à la foule indiscrète,

Sur tes ennuis profonds ta bouche était muette.
Un soir, il m’en souvient, loin des jeux et du bruit,
Je contemplais ces lieux dont le trépas dispose,
Où, du sein de la sombre nuit,
L’amour que le regret poursuit
Ne vient pas rappeler la vierge qui repose.
Phébé régnait aux cieux ; un vent frais et léger
Caressait les tombeaux et la fleur inodore
Dont ce funèbre asile au hasard se décore.
Dans un vague inconnu, je me sentais plonger.
Tout à coup, ô Lucie, en proie à tes alarmes,
Tu parus ! vers le ciel tes yeux étaient fixés,
Ton cœur n’étouffait plus des soupirs amassés,
Un douloureux éclat embellissait tes charmes.
Je vole à tes côtés et mon trouble innocent
Suspend le trouble affreux que ton âme ressent.
Ton bras s’arrondit et m’enlace :
« Aimable enfant, dis-tu, qui t’amène en ces lieux ?
« Un noir destin, un arrêt odieux
« Parmi ces monuments n’ont point marqué ta place. »
Tu dis, et des bosquets tu cherchas l’épaisseur.
Deux jours avaient à peine accompli leur durée,
Un bruit lugubre, une sombre clameur
M’apprirent de ton sort la fin prématurée ;
Aux rayons des flambeaux j’entrevis ton cercueil :
Nuls chants ne l’honoraient… Bravant l’antique usage,
Sur ton corps étendu le symbole du deuil

Cachait les lys de ton visage.
Ô toi qui dans la tombe enfermas tes secrets,
Dis-moi quel trait amer s’enfonça dans ton âme,
Vouée à d’impuissants regrets !
D’un objet séducteur partageais-tu la flamme,
Ou livrée aux ennuis d’une sombre langueur,
Se peignant la douceur d’un transport légitime,
Ne pouvais-tu survivre à l’espoir du bonheur ?
N’importe, dors en paix, trop touchante victime.
Eh quoi ! tes mânes désolés
Auraient-ils accueilli mon passager hommage ?
Ce doux bruit qui s’élève à travers le feuillage
Répondrait-il à mes esprits troublés ?
Fuyons, j’ai cru goûter de la naïve enfance
Le charme qu’à regret on voit s’évanouir,
Mais ce charme des maux est l’heureuse ignorance,
Deux fois on n’en saurait jouir.
Fuyons, hélas ! ces lieux, chers à la rêverie,
Et qu’avec transport j’ai revus…
La beauté qui déjà se pare avec orgueil,
N’y viendra point chercher, en abaissant son œil,
Les souvenirs et le silence.
Bientôt même, bientôt cet asile pieux
Enfermera les bronzes de la guerre,
On verra le buveur, le front orné de lierre,
Empourprer de nectar ces marbres fastueux.
Moi, dans le sein d’un monde où mes folles journées

Des plaisirs imposteurs empruntent le secours,
De mes plus riantes années
Vainement j’essaîrai de remonter le cours.
Ainsi le flot parcourant son rivage,
Avec effort cède au flot qui le suit,
Et vers l’abîme où se perd son image
Roule son onde et murmure et s’enfuit.



LA PRINCESSE DE SALM-DYCK

1767-1845



LA PRINCESSE DE SALM-DYCK



Marie-Constance de Théis naquit à Nantes, le 7 novembre 1767. Son père occupait alors dans cette ville la place de maître particulier des eaux et forêts. Elle mourut à Paris, le 13 avril 1845.

Mademoiselle de Théis était d’une beauté remarquable ; elle se maria, très jeune, à un médecin de vingt-deux ans, nommé Pipelet de Scury. Les jeunes époux vinrent habiter Paris (1789). Sedaine et Mentelle firent recevoir Mme Pipelet membre du Lycée des arts. Elle publia, à dix-huit ans, le Bouton de rose, mis en musique par Pradher, dans le tome ii des Chants populaires de France. Joseph Chénier nommait cette jeune femme la Muse de la raison.

Elle épousa, en deuxièmes noces (1803), le prince de Salm-Dyck, ancien comte du Saint-Empire, dont les domaines sur la rive gauche du Rhin faisaient alors partie de la France, et, dans le château de Dyck comme à Paris ou à Aix-la-Chapelle, elle sut réunir autour d’elle les littérateurs les plus distingués et tous les beaux esprits de l’époque. Son caractère était élevé, simple et généreux. Elle eut le malheur de perdre sa fille unique, à l’âge de trente-cinq ans, et mourut à Paris, après une maladie de trois jours, âgée de soixante-dix-huit ans (1845).

Ses Œuvres complètes se composent de 4 volumes in-18, Paris, librairie de Firmin-Didot et d’Artus Bertrand. En tête de l’ouvrage se trouve le médaillon de la princesse, sculpté par Roger, d’après Girodet-Trioson (1814).

Sapho, drame lyrique, représenté pour la première fois sur le Théâtre Louvois. Martini en fit la musique. Nous y trouvons ce vers charmant :

Un amant qui revient est-il jamais coupable ?

Madame de Salm dit quelque part :

« J’ai composé Sapho pendant la Terreur. Je me sentais le besoin d’éprouver de fortes émotions, et de m’isoler, au milieu des dangers. Ce drame m’occupa pendant une année ; il était terminé avant le Dix Thermidor et fut joué peu après ; je le dédiai à mon père :

Ô toi qui m’animas de cette pure flamme,
De ce séjour de paix où repose ton âme,

Jette sur mes travaux un regard bienfaisant…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un père généreux, agrandissant mon être,

M’apprit, dès le berceau, ce que je pouvais être…

»

Une des dernières scènes de Sapho semble avoir été imitée dans Adrienne Lecouvreur. Rachel eût été sublime dans cette scène vi, acte III.

Sapho (brusquement, d’un air égaré).

Pourquoi vous effrayer ? Non, je me sens tranquille,
Je n’ai plus dans mon sein cette flamme inutile,
Cet amour dévorant qui me suivait partout.
Au contraire, je sens un frisson, une glace,
Un poids qui cependant me gêne et m’embarrasse ;
Je ne sais… mais je crois que je souffre beaucoup !…

Sapho (montre le ciel, puis le rocher).

Je lui disais : là haut, là-bas, partout, ici,
N’est-il point là ?… je le vois. — Oui !
Que me disiez-vous donc ? Non, non, ce n’est pas lui !
Ce n’est pas lui, ce n’est rien… je frissonne.
Il n’est point là… cependant je le vois !
Je le vois là ! (elle chancelle.)
Non ! non, ma force m’abandonne.
Adieu, Phaon ! je meurs pour toi !

Quelle vérité de sentiments !… Voici maintenant son Épître aux femmes (fragment) :

Déjà plus d’une femme en sa fière vertu
Pour l’honneur de son sexe, ardente, a combattu.

Et d’où naîtrait en nous une crainte servile ?
Ce feu qui nous dévore, est-il donc inutile ?
Les hommes vainement raisonnent sur nos goûts,
Ils ne peuvent juger ce qui se passe en nous.
Qu’ils dirigent l’État, que leur bras le protège,
Nous leur abandonnons ce noble privilège,
Nous leur abandonnons le prix de la valeur ;
Mais les arts sont à nous, ainsi que le bonheur !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Laissez-nous plus de droits et vous en perdrez moins !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Comme on sent la bonté de son cœur, dans son Épître aux Gens de lettres :

Cessez, cessez enfin d’applaudir lâchement
À l’art pernicieux de faire un vers méchant ;
L’esprit n’est pas en vers tout ce que l’on souhaite :
Il faut être honnête homme avant d’être poète.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


L’art de blesser n’est pas un art si difficile ;
N’est-on pas tous les jours piqué par un reptile ?
Qui veut toujours frapper doit atteindre souvent ;
La haine a ses hasards ainsi que le talent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Il est si doux d’aimer et d’admirer ensemble !

La pièce du Mari jaloux renferme une scène et un sentiment fort justes contre la séparation. Voici la jeune mère maintenant :

LA JEUNE MÈRE

Objet sacré de mon amour,
Toi que j’aime avant ta naissance,
Ô cher enfant, qui dans ce jour
M’as fait sentir ton existence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Les mères ont un Dieu pour elles,
Déjà quel courage divin
Passe en mes veines maternelles !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Entends ma voix, ô Dieu puissant ;
De ce courage accrois la somme,
Je t’implore pour un enfant,
Mais cet enfant doit être un homme.


Son Epître à Sophie (depuis baronne de Triquetti) est toute virile. Elle a aussi composé des idylles délicieuses de grâce et de fraîcheur. Le Lycée armoricain a publié d’elle de très belles poésies. Un savant l’ayant raillée sur son Épître contre le séjour à la campagne, en lui envoyant comme argument les églogues de Virgile, elle lui répondit par une page qui se termine ainsi :

De Virgile pour nous recueillez l’héritage,
Redites-nous toujours ses champêtres leçons ;
À la ville, il est doux de chanter les moutons
Qui nous ennuieraient au village.


SUR UN ALBUM

Ne me donnez pas un refus ;
Ce livre, ami, qui nous rassemble,
Nous fera retrouver ensemble,
Même quand nous ne serons plus !


Voici la dernière stance du chant intitulé les Cinq Actes de la vie :

Au cinquième arrivé, le corps, l’esprit s’affaisse ;
Chaque jour, chaque instant voit briser un lien ;
On pense, on parle encor, mais la toile se baisse,
Le spectacle finit, et l’homme n’est plus rien.


La France littéraire, de Quérard, renferme une table analytique des ouvrages de Mme de Salm. Elle écrivait aussi bien en prose qu’en vers. Le roman intitulé Vingt-quatre heures d’une femme sensible, et qui a eu l’honneur d’être traduit en anglais, me semble très exagéré comme style. Ainsi, l’auteur, qui ordinairement possède toujours la note juste, introduit cette fois le lecteur en pleine fournaise, à la manière de la Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques ; je m’arrête, cependant, à cette ligne sentie et vécue :

« Les roues de la voiture qui t’emportait me broyaient le cœur. »

Le livre des Pensées a été traduit en allemand ; il fait partie des œuvres complètes publiées par Mme de Salm en 1842. En voici quelques fragments :

À l’Amour il faut toujours plaire ;
On plaît toujours à l’Amitié.

« L’Amour est la fièvre de l’âme ; la passion en est le délire.

« La conversation des femmes, dans la société, ressemble à ce duvet, dont on se sert pour emballer les porcelaines : ce n’est rien, et sans lui tout se brise.

« À un certain âge, on a tant éprouvé, tant souffert, que le cœur et l’esprit ont épuisé tous leurs moyens de consolation. On ne cherche plus à adoucir ses peines, mais à les oublier ! »

Cette dernière pensée dénote une grande profondeur de sentiment ; ceux qui se plaisent aux choses mélancoliques, ont peu souffert ; le désespoir, la véritable désespérance veulent et cherchent l’étourdissement, à tout prix. Il y a une mesure pour toute chose humaine ; le cœur ne supporte pas plus la douleur aiguë, que les chairs sanglantes ne supportent le fer rouge : « Ôtez moi cela ! » Tel est le cri de la nature.


MADAME DÉSORMERY

1784-1868



MADAME DÉSORMERY



Louise-Françoise Galliot-Desperrières, fille d’un officier de marine, naquit à Lamballe, en 1784. Aussi remarquable par ses talents que par sa beauté, elle publia en 1828 un volume de poésies (Paris, Delangle). Il se divise en trois parties : les Elégies, les Hellénides et les Paraphrases des Livres saints.

Elle avait déjà fait paraître deux romans : Agnès de Méranie et le Nain de Bretagne.

Madame Désormery mourut le 9 février 1868, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Elle avait épousé Jean-Baptiste Désormery, digne d’elle sous tous les rapports. C’était un pianiste distingué ; il a composé 24 études dans les 24 tons.

Nous avons été à même d’apprécier le charme et les grâces de l’esprit de Madame Désormery, en lisant des lettres intimes qu’elle adressait à Madame Thierry, mère du conservateur de la Bibliothèque nationale.

Voici ce qu’elle écrit au sujet de ses poésies :

« Je n’ai jamais fait de vers pour devenir poète ; j’ai voulu seulement exprimer des émotions ou des rêveries dans un langage qui m’était déjà familier ; car, avant de savoir lire, avant de savoir qu’il y eût de la poésie, je composais des complaintes et des chansons, semblables à celles des sauvages ; dispositions naturelles, dues peut-être à une enfance solitaire et mélancolique, qu’ont assiégée de nombreux malheurs. »

FRAGMENT DES PARAPHRASES D’ISAÏE

Du sein de la céleste voûte
Un cri terrible est descendu :
C’est la voix du Seigneur, écoute,
Peuple que l’orgueil a perdu.
Il l’a prédit dans sa colère
Ce jour d’opprobe et de misère

Que tu vois naître avec effroi.
Où donc se cache ton audace ?
La foudre éclate, elle menace…
Je l’entends qui tombe sur toi !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Comme la paille se consume
Aux feux qu’ont attisé vos mains,
De même la discorde allume
Le bûcher fatal aux humains ;
Et de ses flammes dévorantes,
Qui jettent cent torches ardentes,
On verra de beaux rejetons
Brûlés par leurs jeunes racines ;
Ainsi les vengeances divines,
Sur l’arbre ont flétri les boutons.

Des forêts de pins ébranlées
Tombent sur les mausolées
Élevés aux premiers parents.
Et, mêlés à la fange impure,
Les corps ont servi de pâture
À des animaux dévorants !

La flèche étrangère épouvante
L’œil qui la poursuit dans les airs,
Et sa pointe aiguë et tranchante
S’ouvre un passage dans les chairs.
Des fiers guerriers la course agile

Courbe à peine l’épi mobile
Qui se relève sous leurs pas ;
Nul obstacle ne les arrête ;
Plus rapide que la tempête,
Leur char les entraîne au combat.

SARA

Or le Seigneur visita Sara.

Pourquoi, dans vos fureurs, vents glacés des montagnes,
Briser la fleur d’hymen mêlée à mes cheveux ?
Ah ! laissez-moi l’offrir à vos jeunes compagnes
Dont les cœurs sont heureux !

Avide d’un espoir qui séduit la jeunesse,
Chacun y saisira l’augure d’un beau jour ;
Les yeux ne verront pas s’effacer la promesse
De leur premier amour.

L’épine est dans la fleur et sa pointe cachée
A seule sous mes doigts osé se découvrir ;
Un éclair de bonheur ne l’a point détachée :
Son dard me fait mourir !

Mes nuit sont sans repos et la voix qui m’est chère
Ne m’a jamais redit les serments du passé ;
Ils sont restés pour moi comme un songe éphémère
Par le temps effacé.

À la félicité qu’un instant m’a ravie
Le ciel même semblait accorder un aveu,
Et pourtant aux plaisirs, aux charmes de la vie,
J’ai dit un long adieu.

Adieu… quoi ? pour toujours !… plutôt que d’être encore
Soumise aux traits cruels lancés par le destin,
Ne puis-je disparaître ainsi qu’un météore
Au souffle du matin ?

Mais quel nouveau transport me surprend et m’agite ?
Un regard du Seigneur est tombé jusqu’à moi ;
Bientôt je serai mère et mon sein qui palpite
Ne connaît pas l’effroi !

Comme l’azur des cieux brille après la tempête,
De même à la douleur succède le plaisir ;
L’avenir me promet encor des jours de fête :
Je ne veux plus mourir !

Ajoute à son bonheur le bonheur de sa mère,
Grand Dieu, dans cet enfant épuise ta bonté.
Que le cours de ses ans, pur comme une onde claire,
Ne soit point agité.

À ton ordre divin, à ta voix vengeresse,
Je reprends tous les droits que j’eus sur mon époux ;
Son cœur m’accorde enfin cette unique tendresse
Dont le mien fut jaloux.

Ah ! chantez avec moi, chantez les saints cantiques ;
Venez, mes jeunes sœurs, célébrons l’Éternel,
Et puisse la ferveur de nos accents magiques
S’élever vers le ciel !

Demandez à genoux, pour ce fils qui va naître,
La sagesse de l’âme, œuvre de la raison ;
Promettons au Seigneur qu’instruit à le connaître,
Il bénira son nom.

Les nuages du soir emportent nos louanges,
L’encens que nous offrons a traversé les airs ;
Mes sœurs, dormons en paix, le chœur sacré des anges
Répète nos concerts.

LES REGRETS

Elégie

« Nul crêpe ne voile vos charmes ;
Chantez, mes compagnes, chantez.
Mais quoi ? Vous répandez des larmes…
Est-ce un fils que vous regrettez ?

« Votre peine n’est point amère,
Moi seule j’excite vos pleurs.
Si vous pleurez comme une mère,
Vos accents briseront les cœurs.

« Par vos travaux ornez vos charmes ;
Filez, mes compagnes, filez ;
C’est à moi de verser des larmes :
Mes plus beaux jours sont envolés.

« J’ai vu deux fois, dans nos campagnes,
Couper la tige des moissons.
J’ai vu deux fois, sur nos montagnes,
La neige céder au gazon.

« Et je garde, en ma rêverie,
Un souvenir infortuné ;
On meurt aux plaisirs de la vie,
Lorsque l’on perd un premier-né.

« Votre joie augmente vos charmes ;
Chantez, mes compagnes, chantez ;
Mes yeux ne trouvent plus ces larmes,
Dont vos beaux yeux sont humectés.

« Bientôt vous deviendrez épouses.
Ah ! si l’hymen vous a souri,
Que l’oubli des Parques jalouses
Protège votre fils chéri.

« Mes compagnes, devenez mères.
Filez pour vos jeunes enfants ;
Je filais comme vous, naguères,
Et le bonheur dictait mes chants.

« Laissant et la gloire et l’armée,
L’époux dont je reçus la foi
Viendra revoir sa bien-aimée ;
Hélas ! quel sera son effroi !

« Une de vous, dans sa chaumière,
Fêtera-t-elle son retour ?
Lui direz-vous qu’au cimetière
J’endors le fils de nos amours ?

« Ne chantez plus, voilez vos charmes,
La pitié sait mieux consoler ;
Alors elle essuiera les larmes
Que vos récits feront couler.

« Adieu, mes compagnes chéries ;
Je vais au champ des longs regrets ;
Pensez à moi dans les prairies,
Que je ne reverrai jamais. »

Elle traverse la bruyère,
À pas lents, les cheveux épars,
Et vers le toit de sa chaumière
Jette encore un dernier regard.

L’oiseau de sinistre présage
Soudain pousse des cris confus :
L’époux revenait au village
Où sa compagne n’était plus !

[Illustrations à insérer]


MADAME MÉLANIE WALDOR

1706-1871



MADAME MÉLANIE WALDOR



Mélanie Villenave naquit à Nantes, le 29 juin 1796. Elle fut élevée par son père, avocat et littérateur, mort en 1846 ; son frère, Théodore Villenave, a publié un grand nombre de poésies.

Il était impossible que la jeune Mélanie, douée d’une imagination vive, ne devînt pas poète dans un tel milieu. Elle se maria sous la Restauration à M. Waldor, chef d’escadron d’infanterie. Les époux restèrent peu de temps ensemble. Il manquait une mère à Madame Waldor ; élevée par les hommes, elle en avait les qualités, mais en même temps un peu de leur rudesse ; nous l’avons connue : elle était bonne, charitable et très affectueuse pour ses nombreux amis.

Elle eut une seule fille, qui mourut jeune et s’était mariée deux fois ; celle-ci laissa elle-même une fille, que sa grand’mère affectionnait beaucoup.

Mélanie Waldor a publié :

L’Écuyer Auberon (1831) ; Le Livre des jeunes filles (1834) ; Poésies du cœur (1835) ; Heures de récréation (1836) ; La Rue aux Ours (1837) ; Pages de la vie intime (1839), 2 volumes ; L’Abbaye de Fontenelle (1839), in-18 ; Alphonse et Juliette (1839), in-18 ; L’École des jeunes filles, drame en 5 actes (1841) ; La Coupe de corail (1842), 2 vol. ; André le Vendéen (1843), 2 vol. ; Le château de Rambert (1844), 2 vol. ; Charles Mendel (1846) ; Les Moulins en deuil (1849), 4 vol. in-18 ; La Tirelire de Jeannette, comédie-vaudeville (1859), jouée à l’Ambigu.

Madame Waldor a ensuite écrit dans la Patrie et dans différentes revues sous la signature d’Un bas-bleu. Comme on le voit, c’était un écrivain fécond. Ses Poésies du cœur sont très belles ; nous en citerons quelques-unes.

Ce fut Madame Waldor qui commença à ouvrir la souscription pour le tombeau d’Élisa Mercœur. C’est elle qui disait, en parlant de cette pauvre enfant : « Dieu avait doué Élisa d’une de ces natures ardentes qui n’ont d’autre ressource que la passion et les arts. »

On pourrait appliquer ces mots à Madame Waldor elle-même.

Très dévouée à la cause impériale, son salon était fort recherché dans les dernières années de l’Empire. J’y ai rencontré tous les littérateurs du temps. Elle a composé un grand nombre de pièces en l’honneur de l’Empereur, de l’Impératrice Eugénie et du Prince impérial. Elle écrivait encore une ode à ce dernier, lorsqu’elle est morte, à Paris, le 14 octobre 1871.

LE BAL

Heureux temps, où mes pieds dans leur folle vitesse
Semblaient ne pas peser sur le parquet glissant,
Où mes regards, n’ayant ni langueur, ni tristesse,
Trouvaient tout ravissant !

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,
Du regard un regard, d’une main une main ;
Où le bal le plus beau, pour mon âme oublieuse,
Était sans lendemain ;

Où jamais, au retour, une pensée amère,
N’ayant entremêlé de pleurs un court adieu,
Je m’endormais, donnant un baiser à ma mère,
Une prière à Dieu.

Que l’on m’eût dit alors : « Tu deviendras rêveuse,
Puis triste, toujours triste ! » oh ! j’aurais ri longtemps,
Sans comprendre qu’on pût se trouver malheureuse
Plus de quelques instants.

Car ma jeune âme était paisible comme l’onde
Sur laquelle un beau jour, avant l’orage, a lui
Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde
Pour moi n’était pas Lui !…

LA BRETAGNE

À Mme ***


À cet amas de toits, de luxe et de misère,
Qui, s’appelant Paris, fait des lois à la terre,
Que vous avez bien fait d’échapper quelques jours,
Afin d’aller, rêveuse et seule, avec vous-même,
Créer autour de vous, dans un monde suprême,
Ces doux rêves du cœur qu’on cherche et perd toujours.

Ah ! que ne puis-je aussi, dans ces lieux que j’envie,
En respirant un air qui convient à ma vie,
Échanger, comme vous, contre l’ennui de tout,
Ces sublimes transports qui font l’âme plus grande,
Et qu’à la foule oisive en vain l’homme demande,
Quand son regard lassé se promène partout…

Qu’ils sont beaux, ces vieux rocs, enfants de l’Armorique,
Noirs débris de ces temps que le temps seul explique !
Qu’ils sont beaux ces ravins, dont l’imposant aspect
Aux voyageurs surpris redit les premiers âges,
La naïve splendeur ! qu’ils sont beaux et sauvages,
Et que leur sol inspire un sombre et saint respect !

Que je le voudrais voir, cet immense rivage,
Où la vague, à grand bruit apportant le ravage,

Du sol qui la reçoit s’empare lentement ;
Que je la voudrais voir, cette mer destructive
Dont chaque flot qui meurt est une voix plaintive
Qui remplit avec lui le terrible élément.

Ah ! que ne puis-je entendre, au lieu des bruits du monde,
Le bruit du vent qui siffle et qui s’engouffre et gronde
Au milieu des débris d’un manoir féodal ;
Puis l’aigre tintement de la cloche du pâtre
Rappelant près de moi, sur la roche noirâtre,
La chèvre qui bondit, docile à ce signal.

Oh ! que ne puis-je, au lieu des pavés d’une rue,
Fouler l’herbe des bois, dans les déserts accrue,
Et ne voir au delà que le ciel et la mer ;
La mer qui, m’emportant seule, errante, oubliée,
Comme une voile au loin sur elle repliée,
Endormirait peut-être un passé trop amer.

Ainsi dans un hamac, mollement balancée,
La jeune Indienne oublie, endormie et lassée,
L’orage du matin, quand le ciel, beau, le soir,
Sur des nuages d’or laisse flotter les songes,
Et que, sans oser croire à leurs riants mensonges,
Elle sourit pourtant à ce qu’ils lui font voir !

Dieu ! qu’être ainsi bercée au-dessus d’une vague,
Quand la terre qui fuit disparaît dans le vague,

Et qu’une planche flotte entre vous et la mort,
Donne au cœur qui frémit une haute existence
Et que la vie alors est de peu d’importance
Pour l’âme qui se joue et du monde et du sort.

Au bord de cette mer, que je n’ai jamais vue,
Au milieu de ces rocs dont l’immense étendue
D’abris et de tombeaux ont servi tour à tour,
Dans ces ravins déserts, dans ces grottes de fées,
Où l’on entend, semblable à des voix étouffées,
Le flot contre le flot se briser à l’entour ;

Dans cette pauvre église où Dieu, plus grand encore,
Donne à l’âme la foi de tout ce qu’elle ignore,
Partout enfin, partout, quand vous avez prié,
Ou que votre pensée errait, contemplative,
Sur ces grandes beautés des races primitives,
Que Paris, vu de là, doit vous faire pitié !

Ah ! comme à deux genoux, de frayeur toute pâle,
J’aimerais à prier sur la pierre inégale,
Quand l’orage, éclatant de rocher en rocher
Et d’échos en échos, roulerait sur ma tête,
Au milieu des éclairs, la mort et la tempête,
Sans qu’un pouvoir humain m’y voulût arracher !

La mort, belle et sublime, alors qu’on la défie
Et que, souriant presque à l’âme qui s’y fie,

Elle montre le ciel et non pas le néant,
La mort qui de la vie eut seule le mystère,
Quand seule elle rendra des mers et de la terre,
Aux grands jours du chaos, chaque gouffre béant ;

La mort qu’en s’endormant tous les soirs on essaie,
Sans qu’on y pense alors et sans qu’on s’en effraie,
Car le sommeil est doux, et sa pente conduit
Vers un monde idéal que l’homme n’eût, peut-être,
Sans lui jamais compris ; mais Dieu, qui lui dit d’être,
Veut qu’il soit à la mort ce qu’est l’ombre à la nuit.


L’AUTOMNE


Si, prenant en pitié mes pleurs et ma jeunesse,
Tu me vas, ô mon Dieu ! rappeler près de toi,
Grâce, oh ! grâce pour lui. Qu’il m’oublie, ou qu’il laisse
S’égarer sans remords, doux comme une caresse,
Son souvenir autour de moi !

Qu’un bon ange, envoyé de ta sphère céleste,
Endorme dans son cœur ses regrets, ses douleurs ;
Qu’il vienne chaque soir, à cette heure funeste
Dont un espoir de mort est tout ce qui me reste,
De son aile essuyer ses pleurs !

Qu’il lui dise qu’au ciel l’âme s’unit à l’âme,
Pour aimer sans souffrir, et que là seulement
L’amour, en épurant au feu du ciel sa flamme,
Change l’âme d’un homme en l’âme d’une femme,
Pour qu’il aime éternellement !

Ou que plutôt, mon Dieu, je sois alors cet ange,
Et qu’il me soit permis, fantôme, esprit voilé,
Me jouant à ses pieds, de donner en échange
Du mal qu’il sut me faire, en son erreur étrange,
La paix à son cœur consolé.

Ce que j’espère au ciel, ô mon Dieu, qu’il l’espère,
Il n’aime pas, celui qui jamais n’espéra :
À son âme de feu, presque au monde étrangère,
Que je puisse un seul jour montrer cette autre sphère
Où la mort nous réunira.

Je veux bien renoncer à lui dans cette vie ;
Mais dans l’autre, oh ! jamais ! c’est là que, tout à lui,
En l’aimant d’un amour à faire au ciel envie,
Je verrai naître encore, enivrée et ravie,
Le bonheur qu’il m’ôte aujourd’hui.

Premier mois de l’automne, ô mois par qui mon âme
Semble toute ma vie, adieu, tu vas finir ;
Et ma vie avec toi finit quand, sur la trame
De ces jours que le ciel en sa bonté réclame,
Était encor tant d’avenir !

Comme ils aimaient, mes yeux, quand ils quittaient la terre,
Et que, voilés d’amour, ils demandaient aux cieux
Quelques jours d’un bonheur dont le vague mystère
Se révélait à moi, quand sa voix mensongère
Vibrait en sons mélodieux ;

Quand sa main se posait dans les boucles flottantes
De mes cheveux, mêlés par le souffle du vent,
Et qu’alors, tressaillant, ses lèvres palpitantes
Cherchaient à retenir les feuilles inconstantes
Qui sur mon front volaient souvent ;

Quand à mes pieds, heureux, enivré de m’entendre,
Il écoutait mes chants, m’appelait ange, amour,
Et tout ému, disait : « Ton cœur est triste et tendre,
« Et ton chant vient du cœur, et seul, pour te comprendre,
« Moi, je n’ai besoin que d’un jour. »

Les feuilles sont encor par le vent emportées ;
La lune brille encor d’un éclat aussi pur ;
Mais rien ne vous ramène, heures tant regrettées,
Que son amour avait parmi mes jours jetées
Et qu’il couvre d’un voile obscur.

Mes yeux ne sont plus doux, ils sont fixes et sombres ;
Mes longs et beaux cheveux tombent en noirs flocons ;
Et je vais, triste et seule, errer parmi les ombres,

Quand la lune pâlit sous les nuages sombres
Que je vois rouler sur les monts.

Adieu, pâle soleil, et vous, roses d’automne,
Au parfum plus divin que la rose de mai ;
Adieu, je vous ai dû, lorsque tout m’abandonne,
Un souvenir qu’ici du moins rien n’empoisonne,
Seul reste de ce que j’aimai !



ELISA MORIN

1803-1885


ELISA MORIN


Mademoiselle Morin, celle qu’on appelait la Muse nantaise, est née à Paris, au mois de décembre 1803, et fut baptisée sous le nom d’Uranie.

Fille d’un peintre distingué de la manufacture de Sèvres, son enfance fut entourée de bonheur et presque de luxe ; elle reçut une éducation véritablement supérieure ; mais son père étant mort trop jeune pour que sa veuve eût droit à une retraite, Mme Morin et ses deux filles, n’ayant d’autres ressources que leurs talents, vinrent habiter Nantes. Elisa — c’est ainsi qu’elle se faisait appeler — se livra tout entière à l’étude. Fille tendre et dévouée, elle prodigua ses soins à une mère infirme et donna des leçons pour la faire vivre. Plus tard, sa sœur fut atteinte de paralysie, et Elisa lui vint encore en aide.

Elle a publié un ouvrage sur les Participes passés réduits à une seule règle (Paris, Hachette, in-12). Plusieurs membres de l’Institut lui ont écrit, à cette occasion. Quelque temps après, elle composa un Tableau du système métrique, à l’usage des écoles primaires ; il fut adopté par le recteur de l’Académie départementale.

Venons maintenant à la femme poète.

Elle a donné beaucoup de poèmes dans la Revue des Provinces de l’Ouest. En 1853, elle offrit à l’Académie Nantaise des Poésies détachées.

Elle a chanté tour à tour les gloires et les tristesses de la patrie. Sa dernière pièce de vers fut la Délivrance du territoire français, in-8o. On ferait plusieurs volumes de ses poésies éparses. Elle a aussi composé un beau et long poème en vers, intitulé : L’Acropole d’Athènes, ou la Grèce ancienne et moderne. Malheureusement elle n’avait pas les ressources nécessaires pour se faire imprimer.

Elle est morte à Nantes, le 2 février 1885, à l’âge de quatre-vingt deux ans.

LA BRETAGNE

Bretagne aux genêts d’or, aux tapis de bruyères,
Pays des vieux clochers, des dolmens, des menhirs,
Bocage plein de nids qu’on appelle chaumières,
Ouvre ton champ où croît la fleur des souvenirs ;
    Etale tes toits de feuillages
    Et ta ceinture de rivages.
    Où se brisent les océans ;
    Près des noirs autels druidiques,
    Montre les saintes basiliques
    Où s’agenouillent tes enfants.

Depuis les temps lointains où tes hautes falaises,
Qu’entourait le rempart de tes nombreux vaisseaux,
Virent au vent fatal de tes heures mauvaises
La flotte de César s’avancer dans tes eaux,
    Depuis ce temps, antique reine,
    Ton front couronné de verveine

Sous bien des souffles s’est bruni.
Deux mille ans ont fait ton histoire,
Mais de tes luttes, de ta gloire,
Le poème n’est pas fini !

L’ANGELUS

Mais bientôt des lueurs aux teintes argentines
Blanchissent le sommet des plus hautes collines,
    La nuit n’est plus.
L’aube à peine a glissé des monts sur le feuillage,
Qu’on entend retentir la cloche du village :
    C’est l’angelus !

LA CLOCHETTE DES ROGATIONS

Au bruit de la clochette
Tintant près du buisson,
Gazouillent la fauvette
Et le joyeux pinson.

Mille plantes vermeilles,
Blanches, jaunes, carmin,
Etalent leurs corbeilles
Sur le bord du chemin.

La goutte d’eau qui brille
D’éclat toujours changeant,
D’un pur reflet scintille
Devant la croix d’argent.

L’insecte ému bourdonne
Son hymne matinal,
Et le ruisseau résonne,
En roulant son cristal.


MADAME HARELLE ou HAREL

1780-1834



MADAME HARELLE OU HAREL



Madame Harelle ou Harel, née à Nantes en 1780, est morte à Paris, le 28 juillet 1834.

Un an après sa mort, on a publié d’elle quatre volumes, intitulés Branches de bruyères bretonnes. Paris, 1835, Charles Lachapelle, éditeur.

Ces volumes sont ornés de lithographies : la première représente le portrait de Mme Harel sur la fin de sa vie ; sa physionomie est fine et mélancolique ; elle est coiffée d’une fanchon de dentelle sous un chapeau ; elle porte une robe plissée avec collerette et ceinture à large boucle.

N’ayant pas à nous occuper de prose, nous passons sous silence ses nouvelles, mais la dernière, intitulée Gilles de Laval, est suivie d’un petit poème, d’une centaine de vers, qui relate un voyage poétique à ce site sauvage des bords de l’Erdre désigné sous le nom de Bois de Barbe-Bleue. Nous n’avons pu nous procurer que ce fragment :

Au mât suspendue,
La voile est tendue,
L’esquif est paré,
La rame s’élance
Et frappe en cadence,
D’un coup mesuré ;

L’onde qui tournoie,
Scintille et flamboie
Aux feux du soleil,
Et la digitale
Sur la rive étale,
Son bouquet vermeil ;

Sur le sol champêtre,
Du chêne et du hêtre,

Du saule argenté
Se projette l’ombre
Et leur abri sombre
Tempère l’été.


MADEMOISELLE SOPHIE
ULLIAC-TRÉMADEURE

1794-1862


MADEMOISELLE SOPHIE ULLIAC-TRÉMADEURE


Mademoiselle Sophie Ulliac-Trémadeure, fille d’un colonel du génie, née à Lorient, le 19 avril 1794, commença à écrire en 1815, et mourut à Paris, en avril 1862.

Elle signa ses premiers articles : Dudrezène, nom additionnel de son oncle le général de Trémadeure ; c’est sous ce nom qu’elle a publié des articles dans les tomes 7, 8, 9, 10, 16 et 17 du Lycée Armoricain : La Bague de crin, l’Épreuve, Amour et vérité, Léna et Arvin, Mina, Lisbeth, Rêveries, Trois Mois à Paris, et, enfin, l’ode que nous reproduisons, et qui a pour titre : Aux Muses de la Patrie. Mlle Dudrezène devait alors avoir trente-six ans (1830).

Plus tard, elle écrivit, sous son véritable nom, des livres de morale et de pédagogie, qui furent adoptés par le Comité central des Écoles de Paris ; plusieurs ont été couronnés par l’Académie française.

Elle a encore collaboré au Journal des Jeunes Personnes, dont elle était directrice, au Journal des Femmes, de 1832 à 1835, au Journal de Paris, 1834, au Voleur, etc.

1830, Contes aux Jeunes Artistes.

1832, Laideur et Beauté ; Histoire de Jean-Marie ; le Petit Bossu ; ce volume a eu 50 éditions et a obtenu le prix Monthyon.

1840, Claude Bernard, couronné par l’Académie.

1842, Les Contes de la Mère l’Oie.

D’après ces citations, on peut juger de la fécondité de cet écrivain. Quérard ajoute : « Mlle Dudrezène a traduit de l’allemand le roman d’Auguste Lafontaine, sous le nom de Trémadeure. Elle a traduit Frédérik Bronk, puis deux ouvrages pour la jeunesse, Le Portefeuille vert, traduit de l’allemand (Comps) ; l’Histoire et Voyage du Petit Jacques, traduit de l’anglais (Day) ; La Forêt de Veronetz, Paris, Gil Hubert, 1831, 4 vol. in-12 ; Henri ou l’Homme Silencieux ; l’Oiseleur, 1825, 1 vol. in-12, Paris, Boullonet dans le Lycée Armoricain, sous son véritable nom, etc… » Quérard prend le nom de Trémadeure pour un pseudonyme.

La Bibliothèque de Nantes possède 32 lettres de Mlle Trémadeure, adressées au général Mellinet. On y voit l’expression de sa sollicitude pour ses parents. Une lettre de son père semble lui attribuer un poème en vers, intitulé : Les Quatre Parties du Jour sur les côtes de Bretagne.

On nous assure qu’elle a encore publié deux volumes très curieux, intitulés : Souvenirs d’une vieille Fille. Nous n’avons pu nous les procurer.

AUX MUSES DE LA PATRIE

Éveillez-vous, Muses de la Patrie !
Le canon tonne en nos murs ébranlés ;

Éveillez-vous ! la liberté vous crie :
« Mes défenseurs sont déjà rassemblés. »

Quoi ! ces enfants ? En un jour de bataille,
Tous ces enfants deviennent des héros.
Sans sourciller ils bravent la mitraille,
Et de leurs rangs sortent des généraux.
Éveillez-vous, Muses de la Patrie !…

Vous les voyez accourir, ces fantômes,
Que la misère accueillit au berceau ;
De leurs sueurs s’engraissent les royaumes :
Leur sang bientôt va couler en ruisseau.
Éveillez-vous, Muses de la Patrie !…

Oui, les voilà ! mais les voilà sans armes.
Ils en auront ! Ils en auront demain !
Dès aujourd’hui s’apaisent les alarmes ;
De la Victoire ils savent le chemin.
Éveillez-vous, Muses de la Patrie !…

Elle dira, l’impartiale Histoire,
De ces trois jours les soins laborieux ;
Elle dira les combats, la victoire,
Tant de hauts faits et d’efforts glorieux.

L’Histoire encor, dans sa plus belle page,
Pourra tracer ce mot : Humanité,

Elle dira des soldats le courage
Cédant aux droits de la fraternité.

Muses, à vous il appartient de dire
Des citoyens le noble dévouement.
Montrez les pleurs se mêlant au sourire,
Et des adieux le terrible moment.

Muses, montrez ces femmes intrépides
Donnant la mort, ou donnant du secours.
Hier encor, tremblantes et timides,
Elles fuyaient au seul bruit des tambours.

Que nos guerriers dorment sur cette arène,
Qui s’abreuva de leur sang généreux !
De verts lauriers et de branches de chêne,
Tous, nous irons couvrir ce sol poudreux !

Éveillez-vous, Muses de la Patrie !
Le canon tonne en nos murs ébranlés ;
Éveillez-vous ! la Liberté vous crie :
« Mes défenseurs sont déjà rassemblés ! »


ÉLISA MERCŒUR

1809-1835


[Illustrations à insérer]

ÉLISA MERCŒUR


Née à Nantes, le 24 juin 1809, décédée à Paris, le 7 janvier 1835.

En lisant les détails que sa mère nous donne sur son enfance, j’ai été touchée de voir cette enfant conserver précieusement les feuilles mortes en souvenir des arbres qui les avaient portées. Cela ne fait-il pas songer à cette boucle de cheveux que la pauvre jeune fille a léguée à la Bibliothèque de Nantes, boucle que nos jeunes poètes vont baiser pieusement ?

À douze ans, Elisa donnait des leçons de littérature et de français aux jeunes filles. À seize ans, elle fit une pièce de vers pour Mme Ponchard, de passage à Nantes ; ces vers produisirent une grande sensation, tous les yeux se fixèrent sur cette jeune fille, qui vivait seule avec sa mère, dans un état voisin de la gêne. On sut qu’Élisa avait un volume de poésies en portefeuille ; on le fit imprimer chez M. Mellinet-Malassis, par souscription ; l’auteur le dédia à Châteaubriand.

Tends une main propice à celui qui chancelle ;
J’ai besoin, faible oiseau, qu’on veille à mon berceau,
Et l’aigle peut du moins à l’ombre de son aile
Protéger le timide oiseau.

Châteaubriand lui répondit une lettre très flatteuse. « La gloire que vous avez si noblement chantée, lui disait-il, ne sera point ingrate envers vous, » etc.

Lamartine, après avoir lu son volume, s’écria : « Cette petite fille nous effacera tous. »

Les éloges étaient peut-être exagérés, mais qui peut savoir quelle eût été la puissance d’un chant dont nous n’avons connu que les préludes ?

Mme Mercœur connaissait un ancien professeur qui donnait gratuitement à sa fille des leçons de littérature, d’anglais et même de latin. Elisa lui avait voué une tendresse toute filiale ; mais, lorsque l’enfant, devenue jeune fille, réunit à la beauté les charmes du savoir et de l’intelligence, son professeur, en admirant cette nouvelle Galathée formée par lui, en devint amoureux. En vain, Elisa essaya de retrouver un père dans ce vieillard : il était atteint d’une de ces passions séniles dont on meurt ; la jeune fille, effrayée, décida sa mère à partir avec elle pour Paris.

Son début fut heureux ; enivrée de promesses, elle adressa des vers au ministre de l’intérieur, M. de Martignac, qui lui obtint une pension de douze cents francs. Elisa crut alors son existence assurée et se mit avec ardeur au travail. Elle avait déjà commencé une tragédie et un roman, lorsque, quinze jours après, les journées de juillet lui enlevèrent son protecteur, la pension fut supprimée. Mme Récamier, Victor Hugo, la duchesse d’Abrantès s’intéressèrent à elle ; on n’obtint rien ; cependant M. Guizot lui donna deux cents francs de ses propres deniers ; M. Thiers en fit autant ; mais bientôt la misère revint.

Elisa avait présenté à la Comédie Française une pièce en cinq actes et en vers, Boabdil. Le baron Taylor la fit refuser. La pauvre enfant, ayant mis là toutes ses espérances, fut frappée en plein cœur.

Une maladie de langueur s’empara d’elle. Le docteur Broussais la soigna avec dévouement ; retirée à la campagne, elle s’éteignit le treizième mois de sa maladie, le 7 janvier 1835, un vendredi, jour redouté par elle. « Sauvez-moi pour ma mère ! » fut son dernier cri.

Mme Mélanie Waldor fit une collecte pour lui élever un tombeau ; Mme Desbordes-Valmore ouvrit une souscription pour faire imprimer ses œuvres. Hélas ! pourquoi ne pas l’avoir fait vivre ?

On grava sur son tombeau plusieurs vers composés par elle ; entre autres, celui-ci :

Qui laisse un nom peut-il mourir ?

Quelques jours avant sa mort, elle écrivait :

C’est quand on a vécu qu’on sait ce qu’est la vie,
Que, l’on voit le néant des biens que l’on envie,
Que, fatigué du jour, on n’attend que le soir.
Désenchanté de tout, lorsque la nuit arrive,
À quel banquet encore et près de quel convive
Pourrait-on désirer s’asseoir ?

L’Académie de Nantes l’avait admise dans son sein.

LISTE DE SES OUVRAGES

Poésies diverses, élégies ; Boabdil, tragédie ; Les Italiennes ; Jeanne Gray, tragédie non achevée.

La nature avait tout fait pour Elisa, et la société ne fit rien.

Oui, dire que cette jeune fille admirablement belle, éloquente, passionnée, entourée de tous les charmes de la séduction, est restée pure et que jamais la calomnie même n’a osé l’atteindre !

En vain les périls de l’inexpérience l’ont environnée ; en vain les épreuves de la misère et de la faim sont venues la tenter ; semblable aux célèbres épées du moyen âge qui résistaient à toutes les attaques parce qu’elles étaient mieux trempées que les autres, l’héroïque jeune fille a su tomber à vingt-six ans, en pleine poésie, en pleine fleur, dans son cercueil virginal.

N’a-t-elle pas le droit d’être appelée la Muse bretonne ? N’est-elle pas la digne fille de cette province à la chaste devise :

Potius mori quam fœdari ?

LA FEUILLE FLÉTRIE

Pourquoi tomber déjà, feuille jaune et flétrie ?
J’aimais ton doux aspect, dans ce triste vallon.
Un printemps, un été, furent toute ta vie ;
Et tu vas sommeiller sur le pâle gazon.

Pauvre feuille ! il n’est plus le temps où ta verdure
Ombrageait le rameau dépouillé maintenant.
Si fraîche au mois de mai ! faut-il que la froidure
Te laisse à peine encore un incertain moment !

L’hiver, saison des nuits, s’avance et décolore
Ce qui servait d’asile aux habitants des cieux ;

Tu meurs, un vent du soir vient t’embrasser encore,
Mais ses baisers glacés pour toi sont des adieux.

LA GLOIRE

Du sommeil du passé le souvenir t’éveille,
Rome ! il te rajeunit de trente siècles morts.
Il dit au lendemain tes gloires de la veille,
Dont le Tibre conserve un reflet sur ses bords.

Étoile solitaire à l’immortelle flamme,
L’oubli n’ose opposer son voile à ta clarté,
Vénus des nations, toujours jeune pour l’âme,
C’est au miroir du cœur que se peint ta beauté.

Tes débris sont des pas laissés par ta puissance,
Ton deuil est ta parure aux yeux de l’univers,
Le génie inspiré comprend ton grand silence ;
Les ombres de tes fils repeuplent tes déserts.

Géant tombé, qui dors sous le poids de ta gloire,
Le temps que dévora ton avide mémoire,
A frappé sur ton front un sceau de majesté.
Qui pourrait comparer sa force à ta faiblesse ?
Quel empire aujourd’hui pourrait à ta vieillesse
Égaler sa virilité ?

Écoute !… Rien !… J’ai cru… Sur ton muet théâtre
La mort depuis longtemps a tendu le rideau,

Et l’écho ne redit que les accents du pâtre
Qui rappelle son lent troupeau.

Le palais est sans maître et l’autel sans idole.
Il ne résonne plus sous un char triomphal,
Ce pavé qui jadis menait au Capitole,
Et qu’une herbe jalouse a su rendre inégal.

Comme tes murs sacrés s’écroula ta fortune :
Plus d’encens, de victoire et de triomphateur,
Dans ces lieux où Sylla jeta de la tribune
Sa couronne de dictateur.

De ta palme civique et de ton diadème,
Toi qui t’embellissais dans ta grandeur suprême,
Aigle, si près des cieux dans ton vol arrêté,
Réponds, toi qui le sais, combien coûte la gloire ?

Combien s’achète un mot d’histoire ?
Combien as-tu payé ton immortalité ?…

Du sang de ses deux fils Brutus paya la sienne.
Le Volsque recueillit l’exilé Marcius.
Le Gaulois pesait l’or… La roche tarpéienne
Fut la tombe de Manlius.

Mais déjà tu souillais la toge consulaire :
Ce n’était plus le temps de ta vertu sincère,
Où des Cincinnatus, fiers de la pauvreté,
S’inclinaient, orgueilleux, sur la charrue antique,

Pour entr’ouvrir ton sol au laurier poétique,
      Au chêne de la liberté.

Ce n’était plus ce temps… Sur l’africain rivage
      Déjà l’ombre de Régulus
S’étonne au bruit des pas du proscrit Marius
Demandant un asile aux débris de Carthage.

En mendiant le trône et donnant l’univers,
Jusqu’au dernier degré César monte… il s’arrête,
Tombe, et de son manteau cache en mourant sa tête.
Aux cris des assassins répond un bruit de fers.
Le sort se fatiguait et ton bouillant génie
      Désapprenait à triompher,
Lorsque la liberté touchait à l’agonie,
      Quand s’entr’ouvraient pour l’étouffer
      Les serres de la tyrannie.

La rive d’Actium a son dernier regard.
      Un triomphe te rend esclave,
      Et sur la tombe de César
      S’élève le trône d’Octave.

Là de Catilina le sublime rival
Cicéron, du forum ce maître sans égal,
Livrait les traits brûlants de sa mâle éloquence
      À l’enthousiaste silence
      Du soldat et du sénateur.
Bientôt dans ce lieu même, où ses lèvres de flamme

Avaient prêté naguère un asile à son âme,
Jusqu’aux pieds teints de sang d’un ingrat oppresseur
Sa tête vint bondir et sa bouche muette,
       D’un cœur libre noble interprète,
Semblait encor s’ouvrir pour un accent vengeur.

Germanicus, chargé de couronnes de guerre,
Mourut pour expier sa victoire et son nom :
La gloire le suivit… Dans les mains d’un Néron
       Passa le sceptre d’un Tibère.

Méprisant des héros la simple majesté,
Lorsque son froid regard tombe sur leur souffrance
       Dans sa tranquille obscurité,
L’égoïste raison insulte à leur démence.
Aux yeux du monde aveugle inutile flambeau,
La gloire de tout temps trouva l’ignominie.
Comme un sceptre caché sous un brillant manteau,
L’or couvrit les tyrans, et quelque vieux lambeau
       Devint la pourpre du génie.

       Rome ! tes enfants outragés
Déposaient, en bravant une vulgaire injure,
       Cette chaîne des préjugés,
Dont chacun des anneaux laisse une meurtrissure,
Et, jaloux de souffrir leurs sublimes tourments,
Plus grands sous le fardeau de leur noble misère,

Contre cet avenir qu’ils léguaient à leur mère
Tes fils d’un jour d’orage échangeaient les moments.

Tes pleurs, versés pour eux, te rendirent plus belle.
Qu’à leur pur souvenir ton regret soit fidèle !
Comme ton Panthéon, temple de tous les dieux,
Le cœur a son autel pour chacune des ombres,
       Dormant au sein de tes décombres,
       Dans leur cercueil silencieux.

Et toi qui, réchauffant au foyer de la gloire
Tes membres engourdis par le froid de tes fers,
Va, dans la liberté vengeant tes maux soufferts,
De son fatal exil rappeler la victoire,
N’as-tu pas vu (jadis si longtemps infécond),
       Plein des flots d’une sève amère,
       Un rameau du cyprès d’Homère
Mêler son noir feuillage au laurier de Byron ?

Homère !… il apparut presque au matin du monde,
L’univers s’enferma dans son âme profonde.
En livrant son esquif aux tempêtes du sort,
Du culte poétique, hélas ! prêtre et victime,
Lui seul se comprenait dans sa douleur sublime,
       Et pour vivre attendait la mort.

Mendiant, fugitif sous les cieux d’Ionie,
Tu prodiguas l’outrage à son malheur sacré.
L’infortune ici-bas est la sœur du génie :

Sa main de plomb s’étend sur un front inspiré,
Mais elle pèse en vain sur sa tête indigente :
Il chante, souffre, meurt, et son ombre géante
Reçoit de l’avenir des siècles pour instants.
Le passé dans son gouffre abîme en vain les âges :
Sur une mer de gloire, aux ondes sans rivages,
Homère est là, debout, en monarque du temps.

De sa grande raison laissant briller la flamme,
Socrate sur tes dieux lève les yeux de l’âme ;
Et lui seul ose voir la suprême clarté.
Bientôt, calme à leur bruit quand se heurtent ses chaînes,
Quand le poison bouillonne et dévore ses veines,
Il meurt, en méditant son immortalité.

À ce qui vient des cieux l’ignorance et l’envie
Ont-elles jamais pardonné ?
Le Tasse et Camoëns n’ont-ils pas bu la vie
Comme un nectar empoisonné ?
Ce monde, qui semblait rougir de les comprendre,
A pourtant eu des pleurs pour en mouiller leur cendre
Mais c’est sur leur tombeau que l’on s’est prosterné.

Toi qui, vers de jeunes rivages
Guidant de l’Espagnol les incertains vaisseaux,
Des astres du midi sur de nouvelles plages
As vu briller les feux nouveaux,
Colomb, de pas hardis tu sus empreindre l’onde :

Cette esclave, à ta voix, sous toi s’incline encor,
Et la coupable Espagne, en recevant un monde,
Te donne un cachot pour trésor.

Galilée arrachait son vieux sceptre à la terre ;
Son front pâle et sexagénaire
S’est incliné, captif, sous un joug imposteur.
L’infortuné, qu’atteint un arrêt despotique,
S’accuse en frémissant de démence et d’erreur ;
Et, rendant le vulgaire à sa nuit fanatique,
Échappe au fer des lois, au glaive inquisiteur.

Oui ! partout où la gloire a placé son idole,
Où la voix du passé redit quelque grand nom,
Soit sous les murs sacrés du divin Capitole,
Dans l’enceinte du Parthénon,
Dans les temples chrétiens, au culte solitaire,
Partout les fers, l’exil, l’outrage et la misère…
Mais l’heure vient des maux du sort
Celui qu’on insultait vengé par sa mémoire,
En esclave affranchi se revêt de sa gloire
Dans la liberté de la mort !

Lettre de M. de Chateaubriand à Élisa Mercœur.

« Paris, le 18 juillet 1827.

« Si la célébrité, Mademoiselle, est quelque chose de désirable, on peut la promettre, sans crainte de se tromper, à l’auteur de ces vers charmants :

« Mais il est des moments où la harpe repose,
Où l’inspiration sommeille au fond du cœur.

« Puissiez-vous seulement, Mademoiselle, ne regretter jamais cet oubli, contre lequel réclament également votre talent et votre jeunesse. Je vous remercie, Mademoiselle, de votre confiance et de vos éloges ; je ne mérite pas les derniers, je tâcherai de ne pas tromper la première. Mais je suis un mauvais appui ; le chêne est bien vieux, et il s’est si mal défendu des tempêtes, qu’il ne peut offrir d’abri à personne.

« Agréez de nouveau, je vous prie, Mademoiselle, mes remerciements et les respectueux hommages que jai l’honneur de vous offrir.

« CHATEAUBRIAND. »


MADAME AUGUSTE PENQUER

1817-1889


MADAME AUGUSTE PENQUER

Madame Penquer naquit en 1817, au château M de Keroulatz, en pleine Armorique. Elle y passa la plus heureuse des enfances, idolâtrée par sa mère :

« Ma mère, écrit-elle, était la fille d’un général de l’Empire ; elle avait suivi son père en Italie, et cette vie de voyage avait développé en elle toutes les forces du corps et celles de l’âme.

« Ma mère, c’est la source où j’ai puisé l’amour du bien, la passion du beau, la religion de l’idéal, l’idée de l’infini. »

Son père était M. de Hersant ; il a laissé à Brest les plus honorables souvenirs. Son mari était non seulement digne de l’amour de sa femme, mais il possédait encore l’affection de tous ceux qui le connaissaient.

Madame Penquer a eu trois enfants : sa fille aînée est mariée à un amiral ; la seconde à un ingénieur des ponts-et-chaussées.

Aucun bonheur n’a manqué à sa vie. Elle possédait plusieurs petits-enfants, cette dernière ivresse, comme dit le poète. Aussi, tout est lumière et harmonie dans son style. Elle était d’une grande beauté : c’était bien la créature privilégiée qui demande :

Est-ce que dans l’éden la terre était plus belle ?
Et l’homme a-t-il vraiment perdu son paradis ?

Le cœur de Madame Penquer semble, en effet, nager en plein ciel et l’on songe, en lisant ses vers, à cette phrase du Père Gratry :

« Je ne puis penser aux habitants des autres mondes, sans qu’aussitôt ma raison et ma foi se redressent et reprennent toute leur vigueur et leur élan. Je les vois, ces merveilleux frères, et, dans cette multitude, il en est bien probablement de plus grands, de plus beaux, de plus nobles et de plus avancés que nous, plus capables d’amour et de foi créatrice !

« Grâce à Dieu, déjà sur notre terre quelles nobles et splendides beautés ! quels anges visibles envoyés de Dieu pour parler à nos âmes, et pour ouvrir nos cœurs ! Que seront donc ces beautés plus grandes et plus nobles ? » (Lettres sur la Religion).

Lisez dans Madame Penquer : Un beau jour ou le 16 septembre, et vous verrez en effet que nul n’est plus capable d’amour et de foi.

LISTE DES OUVRAGES :

Chants du foyer, 3e édition, 1864, Didier, Paris.

Révélations poétiques, 1866, Didier.

Velléda, poème, 3e édition, in-18, 1887.

L’Œillet rose, comédie.

Retrouvé dans le Parnasse contemporain : Mes Nuits, 1891, œuvre posthume publiée pieusement par Mme Willotte, fille de Mme Penquer (Lemerre, Paris).

Le magnifique poème de Velléda est véritablement une révélation ; il émane d’une nature supérieure. Il faudrait tout citer ; car tout y reste à la même hauteur.

De même que les ailes de nos vaisseaux les emportent vers la haute mer, celles de Madame Penquer l’emportent vers les régions de l’infini.

Avant de citer les vers, qu’il nous soit permis de détacher une page de prose, d’une de ses préfaces :

« Sans la poésie je défie Chimène de savoir aimer, je défie Marion de Lorme de savoir pleurer, je défie Camille de savoir maudire, je défie Dona Sol de savoir mourir. « La poésie, c’est l’essor de la passion, c’est l’élan de la vengeance, c’est le courage du repentir, c’est l’enthousiasme du sacrifice, c’est tout ce qui est noble, tout ce qui est grand, c’est tout ce qui est bien, c’est tout ce qui est beau ; c’est à la fois l’œil qui contemple et la main qui cueille, le souffle qui aspire, et le feu qui embrase, l’aigle qui plane, et le vol qui parcourt tous les espaces et tous les mondes. C’est la vibration du son divin dans la voix humaine ; c’est la suprême harmonie, c’est l’art incréé et éternel ! »

Il me semble que nul ne saurait mieux décrire la poésie que celle qui est morte en chantant, le 17 décembre 1889.

Voyons maintenant des fragments de Velléda.

VELLÉDA

chant ixe

Le chrétien lui jeta le regard de détresse
Du naufragé qui va sombrer ; mais la prêtresse
Ne vit pas ce regard, ou ne le comprit pas.
Elle arrachait des fleurs aux tiges des bruyères,
Et regardait rouler les fleurs avec les pierres.
Puis elle murmurait ces mots : « C’est moi, toujours !
« Ce sont mes jours tombés dans le torrent des jours :
Pierres et fleurs, roulant de ma vie aux abîmes,
Pareilles à ces fleurs, à ces pierres des cimes ! »

Son délire avait pris un air plus langoureux
Et plus tendre ; sa voix, un ton plus douloureux
Et plus triste.

Elle dit : « Si tu m’avais aimée,
La nature en serait elle-même charmée.

Vois ce beau jour, si beau pour toi, pour moi cruel,
Il eût sanctionné notre amour mutuel.
Si tu m’avais aimée, Eudore, ce qu’il jette
De trésors sous tes pieds eût couronné ma tête,
Et pour la fiancée et pour le fiancé
Le sentier du bonheur était sûr et tracé ;
Nous en eussions gravi la pente transcendante
Avec ravissement, avec la joie ardente
De deux aigles qui vont cacher dans le soleil
Les splendeurs d’un hymen céleste et sans pareil.

« Si tu m’avais aimée, Eudore, ajouta-t-elle,
Comme pour nous la vie était douce, était belle !…
Quelle douceur !… toujours ensemble !… pour nos yeux
Quel charme !… Voir la terre et vivre dans les cieux !… »
Velléda s’arrêta sur la cime rocheuse
De la montagne. À l’est, la côte lumineuse
Pâlissait sous les feux pâlissants du zénith ;
Les oiseaux du grand jour s’approchaient de leur nid ;
Le vent chaud tiédissait ; une fraîcheur exquise
Et suave tombait du souffle de la brise ;
Le calme se faisait partout : dans les buissons,
Moins de bruissements, dans l’air moins de chansons,
Plus d’haleine et, pourtant, moins d’ailes palpitantes ;
Dans la fleur, bientôt moins de teintes éclatantes ;
C’était le jour encor, mais calmé, mais serein,
Comme un prince abdiquant le pouvoir souverain,

Le bruit pour le repos, la lumière pour l’ombre.
Cependant nulle part rien n’est froid, rien n’est sombre ;
Le ciel est toujours bleu, l’astre toujours vermeil ;
C’est le recueillement, ce n’est pas le sommeil.
Les roches de granit aux fronts blanchis et chauves,
Aux flancs jaunes, moussus comme des bêtes fauves,
Semblent subir aussi, dans ce recueillement,
Le charme de l’extase et de l’apaisement.

. . . . .



Elle quitta le mont et revint vers la plaine :

« Vois la ronce où l’agneau perd ses flocons de laine ;
J’y déchire ma robe et mes voiles divins,
Quand je poursuis ton ombre à travers les ravins. »

Puis retrouvant enfin ses douces rêveries :

« Quel bonheur d’admirer ensemble, en nos prairies,
« Ces fleurs d’or que les dieux sèment sur nos gazons,
« Qui poussent sans culture et dans toutes saisons !…
« Et la bruyère rouge, ornement des collines,
« Et les mûriers fleuris en touffes cornalines,
« Et parmi les bourgeons qui viennent de s’ouvrir,
« La moisson que mes yeux ne verront pas mûrir !…
« Quel bonheur pour nous deux, dans la saison nouvelle,
« Si tu m’avais aimée à l’heure où se révèle
« L’amour aux nids de mousse, aux arbres verdissants,
« Aux végétations, aux êtres frémissants !…

« Quel bonheur dans le mois des roses, arrosées
« Par ces pleurs du matin qu’on appelle rosées ;
« Dans avril, qui secoue au vent l’herbe et la fleur ;
« Dans juin, qui rit et chante enivré de chaleur ;
« Dans septembre, qui tremble aux suaves caresses
« Qu’un zéphyr amoureux met sur ses blondes tresses !
« Et, plus tard, quel bonheur, même au sein des hivers,
« Si tu m’avais aimée, ici, dans ces déserts !… »

Tout à coup le regard errant de la vestale
Se fixa, retenu par unie fleur d’opale,
Lis stérile à moitié flétri, déjà penché
Vers le sol, et mourant d’un mal lent et caché.

« Vois cette pâle fleur qu’un insecte dévore,
« Là, sur ce frais gazon que le soleil colore ;
« Son sort m’attend. Déjà, comme ce lis mourant,
« Je cache dans mon sein un poison dévorant…
« La mort ! je porte, ainsi que la fleur abattue
« Et stérile, je porte un poison qui me tue !…

« Pourtant je n’aurais pas voulu mourir… Mourir,
« C’est affreux !… As-tu vu les roses se flétrir
« Et perdre, feuille à feuille, au vent des agonies,
« Leurs formes, leurs beautés, leurs grâces réunies ?
« As-tu vu quelquefois les ailes se fermer,
« La colombe tomber, ou l’aigle s’abîmer,
« Ou le cygne chantant son dernier chant de joie

« Devant le noir milan dont il devient la proie ?
« C’est affreux !… As-tu vu la mort, spectre odieux,
« Prendre l’âme à la chair, prendre le jour aux yeux,
« Et faire du vrai beau l’horrible, le cadavre ?…
« Je n’aurais pas voulu mourir. Cela me navre
« De mourir, quand je songe aux beautés de mon corps ;
« Mais peut-être que l’âme est belle chez les morts ;
« Peut-être aimeras-tu dans le pays des astres,
« Séjour de paix, séjour sans luttes ni désastres,
« Où les âmes sont sœurs, où les cœurs sont unis,
« Où les moindres amours s’appellent infinis…
« Peut-être voudrais-tu que je fusse auréole
« Pour ton front, et soleil pour tes yeux…
                                       
                                       « Je suis folle !…
« Folle !… que dit ce mot que je ne connais pas,
« Mot scellé dans mon sein, mot tracé sous mes pas ?
« Peint-il le sort d’une âme à jamais délaissée,
« À jamais solitaire et pour toujours blessée ?
« Veut-il dire être faible et superstitieux,
« Ou bien être inspiré, lire et voir dans les cieux ?
« Veut-il dire être ingrat, manquer à sa parole,
« Trahir des vœux sacrés pour une vaine idole,
« Tout quitter pour n’avoir qu’un lien, qu’un trésor,
« Qu’un rêve, qu’un désir, qu’un élan, qu’un essor,
« Qu’un amour, qu’une seule et coupable espérance
« Résumant tout en elle, et bonheur et souffrance ?…

« Folle ! serait-ce avoir dans le cœur, dans l’esprit,
« Ce rêve dont ma fièvre ardente se nourrit,
« Ce poids lourd sous lequel mon âme est oppressée,
« Un voile sur les yeux, un gouffre en la pensée,
« Plus de ténèbres, plus d’épouvante en sa nuit ?…

« Tout à l’heure, voyant ce doux soleil qui luit,
« Je disais : « Il devait m’éclairer dans ma route,
« Me reconduire au port. » Il le voudrait sans doute,
« Et ne peut. Ce soleil, resplendissant pour toi,
« Auprès de ton regard est sans splendeur pour moi.
« C’est toi, sans le vouloir, je le sais bien, Eudore,
« C’est toi qui me guidas de la nuit à l’aurore,
« De l’aurore au matin, du matin au grand jour,
« De la plus froide vie au plus ardent amour.

« Moi je n’étais pas folle autrefois : j’étais vaine ;
« Je régnais, je planais ; j’étais la souveraine
« Ou la divinité. J’étais puissante alors,
« Et sage ; j’ignorais la honte, le remords.
« Si tu m’avais connue au temps de ma puissance,
« Forte dans ma sagesse et dans mon innocence,
« Le regard rayonnant et le front radieux,
« Fille d’archidruide et l’égale des dieux,
« C’est moi qui régnerais sur ton sort, sur ton âme.
« J’étais fée autrefois ; à présent je suis femme :
« L’amour m’a transformée et soumise ; … imposant


« Son joug à ma défaite, il est maître à présent ;
« Après m’avoir vaincue, il me flagelle et cloue
« Son signe sur mon front, son stigmate à ma joue !… »

DÉJA VIEUX


(Mes Nuits. — Œuvres posthumes)


« Nous étions déjà vieux. Cependant il entrait
« Avec empressement chez moi. J’étais charmée ;
« Je lui tendais ma main, qu’aussitôt il serrait,
« Et je sentais alors combien j’étais aimée.

« Le soir, un seul baiser, sur mon front, m’enivrait ;
« Sur ma joue… Ah ! ma joue en était allumée !…
« Nous étions déjà vieux : quel âge ?… On l’ignorait,
« Tant l’âme dans l’amour est jeune et ranimée.

« Nous vivions l’un pour l’autre et nous étions heureux
« Des mêmes souvenirs, si doux et si nombreux ;
« Des mêmes intérêts, de la même espérance.

« Nous vivions dans la paix, tous deux, et dans l’accord.
« C’est fini je suis seule à présent. Il est mort.
« Seule, non !… J’ai mon deuil, sa tombe et ma souffrance !


MADAME RIOM


MADAME RIOM

Une anthologie des femmes poètes de Bretagne au XVIIIe et au XIXe siècle serait incomplète, si la notice de Madame Eugène Riom, connue dans le monde des lettres sous les pseudonymes de Louise d’Isole et de comte de Saint-Jean, ne s’y trouvait pas.

Petite-nièce de Fouché, duc d’Otrante, elle est née comme lui au Pellerin (Loire-Inférieure). Son nom de jeune fille était Adine Broband. Elle s’est mariée jeune avec un notaire de Nantes, et a toujours vécu tranquille à son foyer, remplissant avec exactitude ses devoirs de famille et de religion. Aimant la littérature, elle a réuni, dans le salon de son hôtel du boulevard Delorme à Nantes, un grand nombre de prosateurs et de poètes de cette ville et de la Bretagne, de Paris et même de l’étranger. Citons, au hasard, MM. Joseph Rousse, Emile Péhant, Eugène Lambert, le vicomte de la Villemarqué, de l’Institut, Eugène Manuel, Olivier Biou, l’abbé Pétard, Émile Oger, Émile Blin, Honoré Broutelle, Louis Tiercelin, Olivier de Gourcuff, qui a joué là, en 1874, Jean-Marie, l’admirable petit drame breton d’André Theuriet, avec son confrère dans le journalisme parisien, M. André Treille. Madame Riom a donné l’hospitalité, pendant son séjour en France, en 1888, au poète canadien Louis Fréchette, qui a sculpté dans l’albâtre les traits de notre muse nantaise et qui a composé dans son ermitage du Pellerin son beau livre : La Légende d’un peuple.

« Poète en vertu d’un art supérieur à l’art même, » comme l’a si bien dit Lacaussade, Madame Riom a écrit dans les rares loisirs qui lui laissaient les occupations de son foyer de nombreux volumes en prose et en vers : Oscar, poème (1850), La Chapelle de Bethleem, roman (1854), Reflets de la lumière, poésies (1857), Flux et reflux, poésies (1867), Passion, poésies (1864), Après l’amour, poésies (1867), Mobiles et Zouaves Bretons, roman (1871), Merlin, poème (1872, et seconde édition en 1887), Histoires et Légendes Bretonnes, poésies (1873, et seconde édition, augmentée et illustrée, en 1881), Salomon et la Reine de Saba (1875), Les Oiseaux des Tournelles, acte en prose qui a eu dix-huit représentations au troisième Théâtre Français, en 1877, Michel Marion, roman historique (1879), Fleurs du passé, poésies (1880), Légendes bibliques et orientales, poésies (1882), Les Routes croisées, roman inédit (1884), La Houn, roman (1889).

Elle a collaboré à la Revue contemporaine, à la Revue Française, à la Revue de Paris, à la France littéraire, de Lyon, au Musée des Familles, à la Revue de Madrid, à la Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg, qui a récemment publié d’elle le Sentiment de la mort chez les Bretons, et à la Revue des Provinces de l’Ouest, qui donne en ce moment ses Souvenirs d’une Nantaise.

Les principaux critiques de notre temps ont tour à tour rendu hommage au talent élevé et passionné de Madame Riom, qui a été en correspondance avec le Père Félix, le Père Lacordaire, André Theuriet, Théodore de Banville, Roumanille, Mistral, Lamartine et Victor Hugo.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire[2], les pensées de Madame Riom sont élevées et religieuses. Si son style est parfois négligé, il est souvent, en revanche, plein d’éclat et d’énergie. Plusieurs de ses poésies ne semblent pas l’œuvre d’une main féminine. De fins connaisseurs, Manuel et le Père Libercier, s’y sont trompés. Le premier n’a-t-il pas écrit au comte de Saint-Jean, après l’envoi de Merlin : « Je ne sais de vous que votre nom, mais, en vous lisant, je crois que vous êtes jeune, je sens que vous êtes noble aussi de cœur, et j’affirme que vous êtes poète. »

Madame Riom appartient à l’école de Lamartine et l’on pourrait porter sur elle ce jugement de Charles Nodier sur Turquety et dire : « Ce qui la distingue, c’est que sa poésie est animée par une foi pure et une conviction profonde. Ce n’est plus l’élan indéfini d’un spiritualisme admiratif qui honore Dieu dans ses œuvres, mais sans savoir à quel Dieu inconnu il doit porter ses hommages ; c’est l’hymne exhalé aux autels du Christianisme et tel qu’il a été recueilli par Klopstock dans les concerts mêmes des Anges. »

Mais Madame Riom n’est pas seulement bonne chrétienne, elle est encore bonne patriote : elle joint à son amour pour le Christ et son Église celui de la Bretagne, dont elle a narré en prose[3]la lutte pour l’indépendance et qu’elle a souvent chantée en beaux vers. Mais bien que Madame Riom réussisse à merveille dans la poésie religieuse et patriotique, ce n’est pas là, à notre avis, le côté le plus original de son talent ; où elle triomphe, c’est dans la peinture des sentiments qui agitent l’âme de la jeune fille, de l’épouse et de la mère, dans Après l’amour et surtout dans Passion.

Rien n’est plus juste que l’appréciation de Jules Janin, sur ce dernier livre : « Louise d’Isole écrit des vers brûlants, mais chastes ; elle aime, elle est aimée ; elle pleure, elle prie.

« Ami, vous le savez, de vous mon âme est pleine,
Sous le regard de Dieu je la porte avec peine ;
Un seul souffle, un rayon la ferait déborder.
Ah ! passer sans rien dire et sans me regarder ! »

La Société nationale d’encouragement au Bien et la Société Académique de Nantes ont couronné l’auteur de Michel Marion et de Routes croisées.

Madame Riom est officier d’Académie.

DOMINIQUE CAILLÉ.

LA PREMIÈRE LETTRE

Je tremble, et mon cœur bat, c’est sa première lettre !
Mais je ne puis l’ouvrir ainsi devant témoin ;
Déjà tout le bonheur qu’elle semble promettre
Brille à mes yeux en pleurs ; voilons-les avec soin !
Enfin, il est donc vrai, j’ai là votre pensée,
Pour moi seule enfermée en ce fragile écrit…
C’est votre lettre, ami, qu’ici je tiens pressée :
Vous parlez, je réponds, et ma lèvre sourit !

I


Oh ! n’oubliez-vous rien ? Me dites-vous les choses
Comme elles sont là-bas, le jardin, la maison ?
Mesurez-moi l’espace et comptez-moi les roses,
Je veux avec mon cœur voir tout votre horizon !
Puis, dites-moi surtout quand la lumière ou l’ombre
Passe à votre fenêtre à chaque heure du jour,
Afin qu’au ciel brillant comme dans l’azur sombre,
Je cherche le rayon qui vous voit à son tour !
De vos nouveaux amis parlez-moi sans contrainte ;
Contre eux je n’aurai pas de jalousie. Oh ! non !…

Je romps votre cachet ; voyez j’ouvre sans crainte,
Et déjà de baisers j’ai couvert votre nom !

Cependant au bonheur mon cœur se livre à peine,
Il sait que de hasard l’avenir est rempli…
Que la distance, hélas ! rend toute lutte vaine…
Et qu’il suffit d’un jour pour amener l’oubli !

II

Que votre lettre est triste !… Oh ! dites-moi, quel charme
Trouvez-vous à pleurer ainsi nos longs adieux !
Pas un mot d’espérance, ami, partout des larmes
Sortent de votre cœur pour entrer dans mes yeux !

« Sur la terre d’exil, humide et désolée,
« La neige, dites-vous, tombe depuis trois jours :
« Son linceul frissonnant a couvert la vallée. »
Et vous dites : « Encore !… Elle tombe toujours !!! »

Ces mots sont comme un glas répétant dans l’espace
De moment en moment ses trois lugubres coups ;
Je vois de loin, je sens ces frimas, cette glace :
Le soleil brille ici, mais j’ai froid avec vous.

Vous avez admiré cette toile émouvante
De notre Ary Scheffer, où le brouillard neigeux
Enveloppe et pâlit la Francesca du Dante ?
Eh bien, votre récit la retrace à mes yeux…

Oui, ce chef-d’œuvre semble animer cette page
Que je relis encor. Quand vous m’avez écrit,
Dites, y pensiez-vous ? Oh ! reprenez courage ;
Hélas ! le ciel rayonne et le printemps sourit !

« Je ne la verrai plus, mais qu’elle soit heureuse ;
« Seigneur, tout ce bonheur que j’osais espérer,
« Donnez-lui ! Devant nous la vie est ténébreuse !
« Tendez les bras vers elle, et laissez-moi pleurer !… »

Non, je n’accepte pas ces vœux, mais il me semble
Que jamais votre amour ne s’est mieux exprimé !
M’aimiez-vous donc autant, quand nous étions ensemble ?
Méritiez-vous autant qu’aujourd’hui d’être aimé ?

Quand un rameau fleuri touchera votre tête,
Quand de légers parfums, ou quelques chants bien doux,
Viendront comme un oiseau dans votre cœur en fête,
Fermez les yeux, c’est moi qui serai près de vous !

(Passion).
LA FOLLE

Il était une folle aux grands yeux désolés,
Qui tout le jour cherchait des sentiers isolés ;
On la voyait courir, s’élancer, hors d’haleine,
Poursuivre les oiseaux ou les faons dans la plaine,
Crier, les appeler longtemps et tendrement.

Et puis, sentant venir le découragement,
Demeurer immobile, et les yeux dans le vide…
Parfois on aurait dit que sur ce front livide
Un nuage passait… la femme sanglotait ;
C’était le souvenir au flot noir qui montait !
« Mon enfant, de ta tombe ils ont fermé les portes ;
Vainement je voudrais rentrer dans le passé.
Tes cheveux adorés tombant en boucles mortes,
Voilà de mon bonheur tout ce qu’ils m’ont laissé.
Où donc vont les enfants quand ils quittent la terre ?
Pourquoi nevient-on pas au moins dire à leur mère
Ce qu’ils sont devenus ? — Seigneur, qu’avez-vous fait ?
Aviez-vous à venger quelque immense forfait ?
— Je porte mon fils mort depuis ses funérailles,
Comme je l’ai porté vivant dans mes entrailles.
Ne venez rien chercher où vous avez tout pris,
Car de moi maintenant vous n’êtes plus compris.
Avec mes jours heureux, ma foi, mon âme est morte.
Le jour, la nuit, le bien, le mal, rien ne m’importe ;
La mort et ses dangers pour moi n’ont plus d’horreur,
Depuis qu’il n’est plus là, je n’ai jamais eu peur !
Vous ne pensiez donc pas aux malheureuses mères
Quand vous avez laissé le doute et les mystères
Errer sur les tombeaux ? Dites-moi seulement
Si vous avez mon fils ! — Dans cet affreux moment
Où je perdais l’espoir, du fond des noirs abîmes
J’appelais… vous fuyiez, et de cimes en cimes.

J’ai cessé maintenant tous ces cris superflus.
Puisque tout est fini, je n’appellerai plus !
Je pense, lorsqu’un fruit se présente à ma bouche,
À ceux qu’il réclamait sur sa funèbre couche.
Je hais les animaux parce qu’ils sont vivants,
Et j’arrache les fleurs pour les jeter aux vents ;
Je me venge des fleurs parce qu’elles sont belles
Et parce que je crois mon fils moins heureux qu’elles.
On devient si méchant quand on souffre toujours !
Dieu l’a dit, les damnés n’auront jamais d’amour.
— Oh ! comme j’ai souffert depuis ta longue absence !
Attire-moi ! prends-moi, là-bas, dans ton silence.
Viens, prolonge ma nuit, alourdis mon sommeil.
Pas de bruit, pas de jour, surtout pas de réveil !
C’est toujours au réveil que le souvenir porte
Ses coups les plus cruels ! — Dis ! suis-je déjà morte ?
Ta tombe, que je presse, a murmuré tout bas.
Si froide elle me vient que je ne la sens pas !
Mais le ver du sépulcre, immonde solitaire,
Répond : Ce n’est pas là ma pâture ordinaire,
Ce corps est incomplet, il lui manque le cœur !
— La mort ne me veut pas ! —… Pitié, grâce, Seigneur !
Quand je prie, à présent, c’est pour bien peu de chose ;
Je dis que tout rayon, tout enfant, toute rose,
S’éloignent de ma vue, aujourd’hui seulement :
Demain, je serai forte, oui, mon Dieu, maintenant
Effacez le sillage, éteignez la pensée,

 « Laissez tomber l’oubli sur la crise passée,
« Abrégez par pitié chaque heure qui s’enfuit,
« Et, surtout, laissez-moi dormir un peu la nuit ! »
Ainsi parlait la folle, et puis dans son délire
Ne trouvant plus de larme, elle éclata de rire.
Et je dis en fuyant ces rires étouffants :
Pourquoi Dieu prend-il donc aux mères leurs enfants ?

(Fleurs du passé.)
SAINTE THÉRÈSE

Oh ! choisis-moi pour ton amante,
Mon Sauveur, mon Christ adoré !
Prends-moi pour ton humble servante,
À genoux au temple sacré,
Pour ton esclave bienheureuse,
Qui veut qu’à ta croix glorieuse
Tous ses désirs restent liés.
Oh ! non, j’ai dit plus que je n’ose :
Seigneur, prends-moi pour quelque chose
Où tu puisses poser les pieds !

Ah ! dans mon cœur cherche une place,
Place d’amour, place d’honneur,
Où devant ton nom tout s’efface,
Où tu sois à jamais vainqueur.
Non, monte encor. Vois dans mon âme,

Plus haut que la plus chaste flamme,
Le trône où je veux t’élever.
Que je te suive où tu t’élances,
Et que jusqu’à toi mes offenses
Ne puissent jamais arriver !

À Jéricho, ville des roses,
Au bord du lac, près des palmiers,
Dans le Cénacle aux portes closes,
Près des disciples bateliers,
Oh ! laisse-moi toujours te suivre !
Un seul instant, laisse-moi vivre
Avec Jean ravi de bonheur,
Qui pendant la cène divine,
En s’endormant sur ta poitrine,
De ses lèvres pressait ton cœur.

Que ne puis-je, avec Madeleine,
Vivre toujours à tes genoux,
Et de l’amphore toujours pleine
Verser les parfums les plus doux ;
Te voir avec Marthe et Marie ;
Pauvre femme de Samarie,
Sans comprendre écouter ta voix ;
Comme Lazare dans la bière,
Me relever à ta prière,
Pour vivre en t’adorant deux fois !

Oh ! viens, viens soulever mon âme ;
Que vers toi monte mon amour,
Avec les parfums et la flamme,
Avec les chants, avec le jour ;
Que ton souffle brûlant m’oppresse,
Qu’il puisse, en m’enivrant sans cesse,
Prendre ma vie en s’échappant,
Comme le torrent des montagnes,
Qui, s’élançant dans les campagnes,
Brise sa digue et se répand.

(Légendes bibliques et orientales.)

RAOUL DE NAVERY

1831


RAOUL DE NAVERY

C’est sous ce pseudonyme qu’écrivait Eugénie-Marie de Safray, née près de Ploërmel, en 1831, et morte le 17 mai 1885, au château de Reuil (Seine-et-Marne).

Elle se maria au sortir du couvent, put dès lors se livrer à son goût pour la littérature et compléter son éducation, en visitant les principaux États de l’Europe.

Elle publia en 1855 les Marguerites, 1 vol. de vers ; La Crèche et la Croix (1856) ; les Prismes, 1 vol. de vers (1858) ; un recueil de Pièces et de Mystères, destinés à être joués dans les couvents de jeunes filles.

Ses romans, au nombre de plus de 60, sont empreints d’idées catholiques. En voici quelques titres : Un Drame Judiciaire ; Hermis le Corsan ; Jean-Marie ; la Fille du Coupeur de Paille ; les Chevaliers de l’Écritoire ; la Femme d’après saint Jérôme ; la Confession de la Reine (1867) ; Patira, etc.

Madame de Safray a aussi écrit sous le nom de Marie David.


MADAME SOPHIE HUE



MADAME SOPHIE HUE


Madame Sophie Hue est née à Lorient.

Son père, M. Sachs, lieutenant de vaisseau, quitta la marine de l’État pour le commerce, en 1815, et alla s’établir aux colonies, où il est mort.

La famille revint en France et Mademoiselle Sachs épousa à Lorient un magistrat, M. Benjamin Hüe, qui a fait toute sa carrière en Bretagne, et, depuis 1862, a été mis à la retraite comme président de chambre à la Cour de Rennes.

Mme Hüe a publié en 1865 les Maternelles, 1 vol. in-12. Elles ont obtenu un succès prodigieux : de nombreux tirages en ont été faits ; la cinquième édition, corrigée et augmentée, a paru chez Hachette, en 1875 ; une autre chez Plihon et Hervé, à Rennes, en 1885.

Les Maternelles ayant été admirées et répandues partout, nos éloges sur cette publication seraient inutiles ; qu’il nous soit seulement permis d’ajouter qu’il est impossible de rencontrer une femme plus sympathique que Madame Sophie Hüe.

Elle a un grand nombre de poésies en portefeuille. On espère qu’elle publiera bientôt un volume sous le titre de L’Oiseau bleu.

L’ÉPINE BLANCHE

  On me néglige, on me délaisse,
  Disait une épine en bouton,
  Et pour chercher sous l’herbe épaisse
Je ne sais quoi de sombre, un avorton,
  Qui semble à peine une fleurette.
  Qu’a-t-elle, cette violette,
  Pour faire aux gens perdre leurs pas ?
Un oiseau qui passait lui répondit tout bas :
  — Elle embaume et ne pique pas.

PETITE MÈRE, C’EST TOI

La nuit lorsque je sommeille,
Qui vient se pencher sur moi ?
Qui sourit quand je m’éveille ?
  Petite mère, c’est toi !

Qui, pour que je sois bien sage,
Doucement prie avec moi ?
Qui d’un ange a le visage ?
  Petite mère, c’est toi !

Qui gronde d’une voix tendre,
Si tendre que l’on me voit
Repentant rien qu’à l’entendre ?
  Petite mère, c’est toi !

Qui pour tous est douce et bonne ?
Au pauvre ayant faim et froid,
Qui m’apprit comment on donne ?
  Petite mère, c’est toi !

Quand te viendra la vieillesse,
À mon tour veillant sur toi,
Qui te rendra ta tendresse ?
  Petite mère, c’est moi !


UN VIEUX PORTRAIT


C’est un très vieux portrait d’une très jeune fille,
Quelque aïeule sans doute : on ne sait plus son nom ;
Dans un grenier rempli d’épaves de famille,
Hier, on l’exhuma des fouillis d’un caisson.

Elle est charmante avec sa coiffure poudrée,
Un simple velours noir autour de son cou blanc,
Sa taille longue et mince, étroitement serrée
Sous les nœuds-papillons du corsage collant.

Son chat sur ses genoux, à la main une rose,
Elle s’alanguissait en un demi-sommeil ;
Et l’artiste a fixé sa ravissante pose,
Sans avoir attendu le moment du réveil.

Les yeux sont presque clos ; un reflet de pervenche
Glisse à peine au travers de leurs longs cils brunis.
La bouche rit encor : du jeune front qui penche
Les rêves enchantés ne se sont pas ternis.

Comme elle s’abandonne à la molle caresse
De sa grande bergère en lampas du Levant,
Où le temps est si court, si douce la paresse,
Qu’elle doit y venir se câliner souvent.

Son chat sur ses genoux, confiante, vermeille,
Aurore, frais printemps, vie en sève, elle dort ;
Et le peintre cruel, pendant qu’elle sommeille,
À posé devant elle une tête de mort !

Les lugubres débris qui furent un visage,
Des lèvres et des yeux pleins de charmes vainqueurs,
Semblent lui parler bas, haineux jetons, sans âge,
Sans prunelles, sans voix, sinistrement moqueurs.

C’est un très vieux portrait d’une très jeune fille :
Fronton rubanné d’or et biseaux de cristal,
Plus triste à regarder dans son cadre qui brille
Que sous de pâles fleurs un cercueil virginal.

Celle qu’on couche là peut-être eut sa chimère,
Et, cœur en deuil, au moins de souffrir a cessé ;
Celle qui dort ici, qu’attend la vie amère,
N’avait pas encor commencé.



LOÏC TREMOR (Mme VAUGEOIS)

1841



LOÏC TRÉMOR (Mme VAUGEOIS)



Madame Marie-Edmée Vaugeois, née le 1er avril 1841, à Nantes, s’est mariée en 1863. Elle manifesta de bonne heure son goût pour la poésie, mais ne se mit sérieusement à l’œuvre qu’après avoir eu le malheur de perdre un enfant (1880). Sans doute, la pauvre mère éprouvait le besoin d’écrire, pour échapper à la concentration de pensée qu’amène la douleur.

Elle a pris le pseudonyme de Loïc Trémor. En août 1889, la Société de la Pomme a couronné sa charmante légende normande : Les Fées de Pirou.

Espérons que ses loisirs lui permettront d’accomplir le projet qu’elle forme en ce moment ; il s’agirait, je crois, de rassembler les traditions populaires et les chansons de la Loire-Inférieure.

Il nous semble que, sous cette plume poétique, ce recueil aurait un grand succès.

LE TOMBEAU DES CARMES

Dans le manteau ducal, aux plis pleins d’opulence,
Sur le marbre pompeux, dernier lit conjugal,
Entourés des Vertus, cortège triomphal,
Les deux nobles époux reposent en silence.

La Sagesse au compas règle sa vigilance ;
La Tempérance tient le mors et le fanal ;
La Force au bras puissant brise l’effort du Mal ;
La Justice, en ses mains, porte glaive et balance.

Nul ne sait où placer ta tombe et ton berceau.
Dieu le sut, c’est assez… Mais de ton fier ciseau
Le chef-d’œuvre immortel a traversé les âges.

Quel monument superbe, orgueil du genre humain,
Ferait plus pour ton nom que l’œuvre de ta main,
Ô grand Michel Columb ! ô vieux tailleur d’images !

26 octobre 1891.

LES PIGEONS DE SAINT-MARC

À M. Jacques Wagrez.

Les deux sœurs aux yeux bleus, fleurs de l’Adriatique,
Se sont assises là, contemplant à loisir
Les pigeons de Saint-Marc, qui sur le blanc portique
Roucoulent tout le jour leur amoureux désir.

Non loin d’elles, pourtant, le bas-relief antique
Cache un beau jouvencel, haletant de plaisir,
S’enivrant de leur vue, et, d’un air extatique,
Disant : « Entre elles deux qui donc pourrait choisir ?

« À leurs pieds les oiseaux viennent à tire d’ailes…
« Laure aux cheveux dorés est belle entre les belles,
« Mais plus charmante encor (si l’on peut dire ainsi)

« La brune Béatrix à la bouche de rose !
« Ô bienheureux oiseau, qui sur sa main se pose !
« Que ne suis-je un pigeon, pour m’approcher aussi !


Nantes, 17 décembre 1886.

LA CHAPELLE DE LA MADELEINE
À MALESTROIT (MORBIHAN)

TABLEAU DE M. A. BLOCH
À M. Émile Grimaud.

« Un détachement du régiment de la Guadeloupe, envoyé par le général Canclaux, le 15 nivôse an III, a surpris dans la chapelle un petit groupe de chouans, qui se défendent désespérément, et se font tuer jusqu’au dernier. » (Archives du Morbihan).

Canclaux a parlé… Les bleus ont surpris
Les chouans armés, qui, dans la chapelle,
Avant le combat que leur zèle appelle,
Veillaient et priaient, sans peur du mépris.

Désespérément, sous les saints lambris,
Résiste et se bat le groupe fidèle…
Le nombre a vaincu… Le dernier rebelle
Tombe et meurt enfin, parmi les débris.

Le sanglant combat dure à peine une heure…
Les morts gardent seuls la sainte demeure ;
Tous ils sont tombés, martyrs de leur foi.

Héros ignorés, sans apothéose,
Gloire à vous, soldats d’une noble cause,
Mourant sans regret, pour Dieu, pour le Roi !



SYLVANE (MADAME LEBORGNE)

1850



SYLVANE (MADAME LEBORGNE)



Louise-Amélie l’Helgoualc’h, née à Landivisiau, en mars 1850, mariée en juillet 1879, à M. Leborgne, habite Vannes.

Son père était médecin ; il a laissé des mémoires manuscrits et des contes pour ses enfants.

Mme Leborgne a commencé à écrire dans la Poupée modèle, et dans plusieurs journaux rédigés par Mme Claire de Chandeneux, qui avait pour elle une affection toute particulière.

Elle a publié, sous le nom de Sylvane :

Dominique (1880) ; Petit Poème en vers, très bien accueilli du public, et réédité chez Jouaust, ainsi que deux monologues (1886) ; Songes et Visions (1886), poésies, in-18, chez Lemerre ; Jours d’Hiver (1891), plaquette chez M. Caillière, à Rennes ; chez le même éditeur, une autre plaquette, En pays breton.

Mme Leborgne avait, en outre, publié des nouvelles, à Grenoble, vers 1883 : Réalités, Saltimbanques, Coins de Bretagne.

Dans l’intervalle, elle a écrit des comptes rendus dans les journaux de Rennes et des articles dans l’Avenir de Lorient, etc.

Sylvane, dont le caractère est franc et très gai, a cependant la note mélancolique ; on en pourra juger par les citations suivantes :

SONNET

Enveloppe-toi de mystère,
Ô mon âme !… fuis vers les cieux ;
Voile à l’ombre du sanctuaire,
Voile ce front, s’il est joyeux.

Cache ces pleurs ; vis solitaire ;
Et non pas pour ces oublieux
Qui changent l’exil de la terre
En saturnale sous nos yeux.

Joie ou pleurs, quand la mort réclame
Ce corps, qui de droit lui revient,
Joie ou pleurs : tout cela n’est rien.

Brûle donc, immortelle flamme !
Joie ou pleurs, qu’importe, ô mon âme ?…
Le Dieu qui t’aime le sait bien.

UN SOIR À CASTELLIN

Rives de Castellin, combien vous étiez belles,
À cette heure paisible où, dans l’ombre du soir,
Vous dérobiez soudain les splendides dentelles
De vos bois endormis, qui, sur l’horizon noir,
Découpaient leur profil, et regardaient, sans nombre,
Leurs fantômes géants courir parmi l’eau sombre !

Encadré par les joncs, j’aimais, ô Castellin,
Ce beau miroir perdu dans une vasque immense ;
J’aimais ta solitude et le profond silence
Que troublait seulement l’écluse du moulin.

Et quand dans le ciel bleu paraissaient les étoiles,
Comme leurs clairs rayons poétisaient la nuit !
Comme alors sur les prés, du brouillard qui s’enfuit
On voyait se tisser au loin les fines toiles…
C’était bien l’heure sainte, où le monde, envahi

Par un calme divin, jusqu’au matin repose ;
Mon Dieu ! vous avez fait si belle toute chose !

Jamais, ô Castellin, mon cœur épanoui
N’oubliera ces instants de calmes rêveries.
Mon cœur te cherche, il t’aime, et veut revoir encor
Ton beau lac immobile… et l’imposant décor
Que vous êtes, le soir, solitudes fleuries,
Quand des astres sans nom, traçant leurs sillons d’or,
Illuminent le ciel au-dessus des prairies.



MADEMOISELLE EUGÉNIE GENDRON

1859



MADEMOISELLE

EUGÉNIE GENDRON



Mademoiselle Eugénie Gendron, née au Pellerin, le 1er février 1859, a commencé à faire des vers en sortant du couvent. Elle a obtenu plusieurs prix, à différents concours organisés par les revues.

Quelques-unes de ses poésies, intitulées Contre le flot, ont été couronnées à la Société Académique de la Loire-Inférieure, en novembre 1889 (médaille d’argent grand module).

Voici une pièce de vers tirée de ses manuscrits :


MÈRE ET FRANÇAISE


Tu dis : — Elle viendra, l’heure de la revanche. —
Et plus bas, sous ces mots, mon front triste se penche,

En t’écoutant, mon cœur ne peut que soupirer.
Amollir ton courage, enfant, à Dieu ne plaise !
Quand l’heure sonnera, va, je serai Française !
D’ici là je suis mère, oh ! laisse-moi pleurer !…

Oh ! laisse-moi pleurer !… Les larmes sont aux mères ;
Le Dieu qui sut créer leurs souffrances amères,
Dans leur âme, en creusant l’abîme des douleurs,
Ouvrit, en même temps, la source intarissable
De leurs yeux, de leurs cœurs, coulant inépuisable ;
C’est aux mères surtout qu’il a donné les pleurs.

En me voyant passer sous mon voile de veuve,
Beaucoup disent : — La joie accompagne l’épreuve,
Car je souris encore, appuyée à ton bras.
Ils pensent : — Le passé brisa cette pauvre âme,
Mais du moins l’avenir va rendre à cette femme
Tout son bonheur. — Hélas ! c’est qu’ils ne savent pas.

C’est qu’ils ne savent pas que je suis condamnée
À l’éternelle angoisse ; et que chaque journée
Vers une heure attendue approche sûrement ;
Cette heure, unique but de ma triste existence,
Mon tourment, mon espoir, mon rêve, ma souffrance,
L’heure où je t’armerai pour tenir mon serment.

Serment terrible et saint ! Lorsque fut apportée
De ton père martyr l’épée ensanglantée
Sur ton berceau d’enfant… folle, je te saisis

Entre mes bras, jurant, dans un transport suprême,
Qu’un jour pour le venger je t’armerais moi-même ;
« Grandis ! » te dis-je alors… Hélas !… et tu grandis !

Tu grandis ! Mais, depuis, chaque nuit et sans trève,
Un cauchemar affreux revient, au lieu d’un rêve,
À mon chevet maudit tourmenter mon sommeil ;
Je vois mon fils, mon fils ! au sein de la bataille,
Chanceler et tomber sous l’horrible mitraille ;
Je vois, je sens couler son sang chaud et vermeil.

Puis l’affreux meurtrier, à mes cris de détresse,
Cruel, ne me répond, dans sa froide allégresse,
Que par son long sarcasme et son rire moqueur,
Disant : Tu l’as voulu ; si ton âme est meurtrie,
C’est ta faute : pourquoi faire aimer la patrie
À ton fils et vouloir te venger du vainqueur ?

Tu dis — Elle viendra l’heure de la revanche. —
Et plus bas, sous ces mots, mon front triste se penche ;
En t’écoutant, mon cœur ne peut que soupirer.
Amollir ton courage, enfant, à Dieu ne plaise !
Quand l’heure sonnera, va, je serai Française !
D’ici là je suis mère, oh ! laisse — moi pleurer !



TABLE




Nantes. — Imp. Émile Grimaud.
  1. Vapereau, Quitard, Quérard affirment qu’elle est née à Nantes. Dans un long article signé Parisot, le Dictionnaire de Michaud soutient la même opinion.
  2. Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, juillet 1891.
  3. Michel Marion, roman, dont le héros est emprunté à une étude historique de M. Arthur de la Borderie.