Les Femmes poètes bretonnes/Madame Désormery (1784-1868)
MADAME DÉSORMERY
1784-1868
MADAME DÉSORMERY
ouise-Françoise Galliot-Desperrières, fille
d’un officier de marine, naquit à Lamballe,
en 1784. Aussi remarquable par ses
talents que par sa beauté, elle publia en 1828
un volume de poésies (Paris, Delangle). Il se
divise en trois parties : les Elégies, les Hellénides
et les Paraphrases des Livres saints.
Elle avait déjà fait paraître deux romans : Agnès de Méranie et le Nain de Bretagne.
Madame Désormery mourut le 9 février 1868, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Elle avait épousé Jean-Baptiste Désormery, digne d’elle sous tous les rapports. C’était un pianiste distingué ; il a composé 24 études dans les 24 tons.
Nous avons été à même d’apprécier le charme et les grâces de l’esprit de Madame Désormery, en lisant des lettres intimes qu’elle adressait à Madame Thierry, mère du conservateur de la Bibliothèque nationale.
Voici ce qu’elle écrit au sujet de ses poésies :
« Je n’ai jamais fait de vers pour devenir poète ; j’ai voulu seulement exprimer des émotions ou des rêveries dans un langage qui m’était déjà familier ; car, avant de savoir lire, avant de savoir qu’il y eût de la poésie, je composais des complaintes et des chansons, semblables à celles des sauvages ; dispositions naturelles, dues peut-être à une enfance solitaire et mélancolique, qu’ont assiégée de nombreux malheurs. »
Du sein de la céleste voûte
Un cri terrible est descendu :
C’est la voix du Seigneur, écoute,
Peuple que l’orgueil a perdu.
Il l’a prédit dans sa colère
Ce jour d’opprobe et de misère
Que tu vois naître avec effroi.
Où donc se cache ton audace ?
La foudre éclate, elle menace…
Je l’entends qui tombe sur toi !
Comme la paille se consume
Aux feux qu’ont attisé vos mains,
De même la discorde allume
Le bûcher fatal aux humains ;
Et de ses flammes dévorantes,
Qui jettent cent torches ardentes,
On verra de beaux rejetons
Brûlés par leurs jeunes racines ;
Ainsi les vengeances divines,
Sur l’arbre ont flétri les boutons.
Des forêts de pins ébranlées
Tombent sur les mausolées
Élevés aux premiers parents.
Et, mêlés à la fange impure,
Les corps ont servi de pâture
À des animaux dévorants !
La flèche étrangère épouvante
L’œil qui la poursuit dans les airs,
Et sa pointe aiguë et tranchante
S’ouvre un passage dans les chairs.
Des fiers guerriers la course agile
Courbe à peine l’épi mobile
Qui se relève sous leurs pas ;
Nul obstacle ne les arrête ;
Plus rapide que la tempête,
Leur char les entraîne au combat.
SARA
Pourquoi, dans vos fureurs, vents glacés des montagnes,
Briser la fleur d’hymen mêlée à mes cheveux ?
Ah ! laissez-moi l’offrir à vos jeunes compagnes
Dont les cœurs sont heureux !
Avide d’un espoir qui séduit la jeunesse,
Chacun y saisira l’augure d’un beau jour ;
Les yeux ne verront pas s’effacer la promesse
De leur premier amour.
L’épine est dans la fleur et sa pointe cachée
A seule sous mes doigts osé se découvrir ;
Un éclair de bonheur ne l’a point détachée :
Son dard me fait mourir !
Mes nuit sont sans repos et la voix qui m’est chère
Ne m’a jamais redit les serments du passé ;
Ils sont restés pour moi comme un songe éphémère
Par le temps effacé.
À la félicité qu’un instant m’a ravie
Le ciel même semblait accorder un aveu,
Et pourtant aux plaisirs, aux charmes de la vie,
J’ai dit un long adieu.
Adieu… quoi ? pour toujours !… plutôt que d’être encore
Soumise aux traits cruels lancés par le destin,
Ne puis-je disparaître ainsi qu’un météore
Au souffle du matin ?
Mais quel nouveau transport me surprend et m’agite ?
Un regard du Seigneur est tombé jusqu’à moi ;
Bientôt je serai mère et mon sein qui palpite
Ne connaît pas l’effroi !
Comme l’azur des cieux brille après la tempête,
De même à la douleur succède le plaisir ;
L’avenir me promet encor des jours de fête :
Je ne veux plus mourir !
Ajoute à son bonheur le bonheur de sa mère,
Grand Dieu, dans cet enfant épuise ta bonté.
Que le cours de ses ans, pur comme une onde claire,
Ne soit point agité.
À ton ordre divin, à ta voix vengeresse,
Je reprends tous les droits que j’eus sur mon époux ;
Son cœur m’accorde enfin cette unique tendresse
Dont le mien fut jaloux.
Ah ! chantez avec moi, chantez les saints cantiques ;
Venez, mes jeunes sœurs, célébrons l’Éternel,
Et puisse la ferveur de nos accents magiques
S’élever vers le ciel !
Demandez à genoux, pour ce fils qui va naître,
La sagesse de l’âme, œuvre de la raison ;
Promettons au Seigneur qu’instruit à le connaître,
Il bénira son nom.
Les nuages du soir emportent nos louanges,
L’encens que nous offrons a traversé les airs ;
Mes sœurs, dormons en paix, le chœur sacré des anges
Répète nos concerts.
LES REGRETS
« Nul crêpe ne voile vos charmes ;
Chantez, mes compagnes, chantez.
Mais quoi ? Vous répandez des larmes…
Est-ce un fils que vous regrettez ?
« Votre peine n’est point amère,
Moi seule j’excite vos pleurs.
Si vous pleurez comme une mère,
Vos accents briseront les cœurs.
« Par vos travaux ornez vos charmes ;
Filez, mes compagnes, filez ;
C’est à moi de verser des larmes :
Mes plus beaux jours sont envolés.
« J’ai vu deux fois, dans nos campagnes,
Couper la tige des moissons.
J’ai vu deux fois, sur nos montagnes,
La neige céder au gazon.
« Et je garde, en ma rêverie,
Un souvenir infortuné ;
On meurt aux plaisirs de la vie,
Lorsque l’on perd un premier-né.
« Votre joie augmente vos charmes ;
Chantez, mes compagnes, chantez ;
Mes yeux ne trouvent plus ces larmes,
Dont vos beaux yeux sont humectés.
« Bientôt vous deviendrez épouses.
Ah ! si l’hymen vous a souri,
Que l’oubli des Parques jalouses
Protège votre fils chéri.
« Mes compagnes, devenez mères.
Filez pour vos jeunes enfants ;
Je filais comme vous, naguères,
Et le bonheur dictait mes chants.
« Laissant et la gloire et l’armée,
L’époux dont je reçus la foi
Viendra revoir sa bien-aimée ;
Hélas ! quel sera son effroi !
« Une de vous, dans sa chaumière,
Fêtera-t-elle son retour ?
Lui direz-vous qu’au cimetière
J’endors le fils de nos amours ?
« Ne chantez plus, voilez vos charmes,
La pitié sait mieux consoler ;
Alors elle essuiera les larmes
Que vos récits feront couler.
« Adieu, mes compagnes chéries ;
Je vais au champ des longs regrets ;
Pensez à moi dans les prairies,
Que je ne reverrai jamais. »
Elle traverse la bruyère,
À pas lents, les cheveux épars,
Et vers le toit de sa chaumière
Jette encore un dernier regard.
L’oiseau de sinistre présage
Soudain pousse des cris confus :
L’époux revenait au village
Où sa compagne n’était plus !
[Illustrations à insérer]