Les Femmes poètes bretonnes/La princesse de Salm-Dyck (1767-1845)

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LA PRINCESSE DE SALM-DYCK

1767-1845



LA PRINCESSE DE SALM-DYCK



Marie-Constance de Théis naquit à Nantes, le 7 novembre 1767. Son père occupait alors dans cette ville la place de maître particulier des eaux et forêts. Elle mourut à Paris, le 13 avril 1845.

Mademoiselle de Théis était d’une beauté remarquable ; elle se maria, très jeune, à un médecin de vingt-deux ans, nommé Pipelet de Scury. Les jeunes époux vinrent habiter Paris (1789). Sedaine et Mentelle firent recevoir Mme Pipelet membre du Lycée des arts. Elle publia, à dix-huit ans, le Bouton de rose, mis en musique par Pradher, dans le tome ii des Chants populaires de France. Joseph Chénier nommait cette jeune femme la Muse de la raison.

Elle épousa, en deuxièmes noces (1803), le prince de Salm-Dyck, ancien comte du Saint-Empire, dont les domaines sur la rive gauche du Rhin faisaient alors partie de la France, et, dans le château de Dyck comme à Paris ou à Aix-la-Chapelle, elle sut réunir autour d’elle les littérateurs les plus distingués et tous les beaux esprits de l’époque. Son caractère était élevé, simple et généreux. Elle eut le malheur de perdre sa fille unique, à l’âge de trente-cinq ans, et mourut à Paris, après une maladie de trois jours, âgée de soixante-dix-huit ans (1845).

Ses Œuvres complètes se composent de 4 volumes in-18, Paris, librairie de Firmin-Didot et d’Artus Bertrand. En tête de l’ouvrage se trouve le médaillon de la princesse, sculpté par Roger, d’après Girodet-Trioson (1814).

Sapho, drame lyrique, représenté pour la première fois sur le Théâtre Louvois. Martini en fit la musique. Nous y trouvons ce vers charmant :

Un amant qui revient est-il jamais coupable ?

Madame de Salm dit quelque part :

« J’ai composé Sapho pendant la Terreur. Je me sentais le besoin d’éprouver de fortes émotions, et de m’isoler, au milieu des dangers. Ce drame m’occupa pendant une année ; il était terminé avant le Dix Thermidor et fut joué peu après ; je le dédiai à mon père :

Ô toi qui m’animas de cette pure flamme,
De ce séjour de paix où repose ton âme,

Jette sur mes travaux un regard bienfaisant…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un père généreux, agrandissant mon être,

M’apprit, dès le berceau, ce que je pouvais être…

»

Une des dernières scènes de Sapho semble avoir été imitée dans Adrienne Lecouvreur. Rachel eût été sublime dans cette scène vi, acte III.

Sapho (brusquement, d’un air égaré).

Pourquoi vous effrayer ? Non, je me sens tranquille,
Je n’ai plus dans mon sein cette flamme inutile,
Cet amour dévorant qui me suivait partout.
Au contraire, je sens un frisson, une glace,
Un poids qui cependant me gêne et m’embarrasse ;
Je ne sais… mais je crois que je souffre beaucoup !…

Sapho (montre le ciel, puis le rocher).

Je lui disais : là haut, là-bas, partout, ici,
N’est-il point là ?… je le vois. — Oui !
Que me disiez-vous donc ? Non, non, ce n’est pas lui !
Ce n’est pas lui, ce n’est rien… je frissonne.
Il n’est point là… cependant je le vois !
Je le vois là ! (elle chancelle.)
Non ! non, ma force m’abandonne.
Adieu, Phaon ! je meurs pour toi !

Quelle vérité de sentiments !… Voici maintenant son Épître aux femmes (fragment) :

Déjà plus d’une femme en sa fière vertu
Pour l’honneur de son sexe, ardente, a combattu.

Et d’où naîtrait en nous une crainte servile ?
Ce feu qui nous dévore, est-il donc inutile ?
Les hommes vainement raisonnent sur nos goûts,
Ils ne peuvent juger ce qui se passe en nous.
Qu’ils dirigent l’État, que leur bras le protège,
Nous leur abandonnons ce noble privilège,
Nous leur abandonnons le prix de la valeur ;
Mais les arts sont à nous, ainsi que le bonheur !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Laissez-nous plus de droits et vous en perdrez moins !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Comme on sent la bonté de son cœur, dans son Épître aux Gens de lettres :

Cessez, cessez enfin d’applaudir lâchement
À l’art pernicieux de faire un vers méchant ;
L’esprit n’est pas en vers tout ce que l’on souhaite :
Il faut être honnête homme avant d’être poète.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


L’art de blesser n’est pas un art si difficile ;
N’est-on pas tous les jours piqué par un reptile ?
Qui veut toujours frapper doit atteindre souvent ;
La haine a ses hasards ainsi que le talent.

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Il est si doux d’aimer et d’admirer ensemble !

La pièce du Mari jaloux renferme une scène et un sentiment fort justes contre la séparation. Voici la jeune mère maintenant :

LA JEUNE MÈRE

Objet sacré de mon amour,
Toi que j’aime avant ta naissance,
Ô cher enfant, qui dans ce jour
M’as fait sentir ton existence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Les mères ont un Dieu pour elles,
Déjà quel courage divin
Passe en mes veines maternelles !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Entends ma voix, ô Dieu puissant ;
De ce courage accrois la somme,
Je t’implore pour un enfant,
Mais cet enfant doit être un homme.


Son Epître à Sophie (depuis baronne de Triquetti) est toute virile. Elle a aussi composé des idylles délicieuses de grâce et de fraîcheur. Le Lycée armoricain a publié d’elle de très belles poésies. Un savant l’ayant raillée sur son Épître contre le séjour à la campagne, en lui envoyant comme argument les églogues de Virgile, elle lui répondit par une page qui se termine ainsi :

De Virgile pour nous recueillez l’héritage,
Redites-nous toujours ses champêtres leçons ;
À la ville, il est doux de chanter les moutons
Qui nous ennuieraient au village.


SUR UN ALBUM

Ne me donnez pas un refus ;
Ce livre, ami, qui nous rassemble,
Nous fera retrouver ensemble,
Même quand nous ne serons plus !


Voici la dernière stance du chant intitulé les Cinq Actes de la vie :

Au cinquième arrivé, le corps, l’esprit s’affaisse ;
Chaque jour, chaque instant voit briser un lien ;
On pense, on parle encor, mais la toile se baisse,
Le spectacle finit, et l’homme n’est plus rien.


La France littéraire, de Quérard, renferme une table analytique des ouvrages de Mme de Salm. Elle écrivait aussi bien en prose qu’en vers. Le roman intitulé Vingt-quatre heures d’une femme sensible, et qui a eu l’honneur d’être traduit en anglais, me semble très exagéré comme style. Ainsi, l’auteur, qui ordinairement possède toujours la note juste, introduit cette fois le lecteur en pleine fournaise, à la manière de la Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques ; je m’arrête, cependant, à cette ligne sentie et vécue :

« Les roues de la voiture qui t’emportait me broyaient le cœur. »

Le livre des Pensées a été traduit en allemand ; il fait partie des œuvres complètes publiées par Mme de Salm en 1842. En voici quelques fragments :

À l’Amour il faut toujours plaire ;
On plaît toujours à l’Amitié.

« L’Amour est la fièvre de l’âme ; la passion en est le délire.

« La conversation des femmes, dans la société, ressemble à ce duvet, dont on se sert pour emballer les porcelaines : ce n’est rien, et sans lui tout se brise.

« À un certain âge, on a tant éprouvé, tant souffert, que le cœur et l’esprit ont épuisé tous leurs moyens de consolation. On ne cherche plus à adoucir ses peines, mais à les oublier ! »

Cette dernière pensée dénote une grande profondeur de sentiment ; ceux qui se plaisent aux choses mélancoliques, ont peu souffert ; le désespoir, la véritable désespérance veulent et cherchent l’étourdissement, à tout prix. Il y a une mesure pour toute chose humaine ; le cœur ne supporte pas plus la douleur aiguë, que les chairs sanglantes ne supportent le fer rouge : « Ôtez moi cela ! » Tel est le cri de la nature.