Les Avadânas, contes et apologues indiens/99

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 81-84).


XCIX

LA CAILLE ET LE FAUCON.

(Estimez la prudence.)


Il y avait jadis un oiseau appelé Lava (Caille) qu’un Faucon avait pris et emporté au haut des airs. La Caille poussait des cris, et disait : « Par mon étourderie, je suis tombée dans le malheur ; je suis coupable d’avoir abandonné la patrie de mon père et de ma mère pour voyager dans d’autres pays. Voilà la cause de mon infortune. Comment se fait-il que je sois opprimée par un autre oiseau et que j’aie perdu ma liberté ?

— Dans quel endroit, lui dit le Faucon, trouverais-tu ta patrie et ta liberté ?

— C’est, répondit-elle, dans les sillons qu’on laboure que je trouverais ma patrie, et que je pourrais échapper au danger. C’est là qu’est la patrie de mon père et de ma mère. »

Le Faucon parla à la Caille d’un ton arrogant et lui dit : « Si je te lâchais et te permettais de retourner au milieu des sillons qu’on laboure, pourrais-tu t’échapper ? »

La Caille ayant réussi à s’échapper des serres du Faucon, s’en retourna au milieu des sillons, se fixa au pied d’une grosse motte de terre, qui était dure comme une pierre, et de dessus cette motte, elle provoqua le Faucon. Celui-ci se mit en colère et dit : « Eh quoi ! ce chétif oiseau ose lutter avec moi ! »

Sa colère étant montée au paroxysme, il s’éleva au haut des airs, et de là il fondit tout droit sur sa proie. La Caille se cacha sous la motte de terre, mais, dans son élan impétueux, le Faucon frappa sa poitrine contre la motte, se brisa le corps et mourut.

Dans ce moment, la Caille s’enfonça profondément sous la motte et prononça ces Gâthâs :

« Le Faucon est venu avec une force extrême. La Caille n’avait d’autre appui qu’une motte de terre. En s’abandonnant à la violence de sa colère, il s’est attiré le malheur et s’est brisé le corps. Moi qui étais douée d’une grande pénétration, j’ai trouvé mon salut dans mon propre pays. J’ai vaincu sa haine, et mon cœur a été rempli de joie. Vous aviez beau vous enorgueillir de votre force, vous étiez aussi stupide que méchant, et quand vous auriez eu la puissance de cent mille dragons ou éléphants, elle n’aurait pas tenu contre ma finesse et mon intelligence. Si l’on examine la victoire due à ma prudence, on reconnaît qu’avec la seizième partie (de cette qualité), j’ai vaincu et détruit le Faucon gris. »

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-youen-tchou-lin, livre LXV.)