Les Avadânas, contes et apologues indiens/100

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 85-88).


C

LE BRÂHMANE ET LE FEU SACRÉ.

(De ceux qui s’écartent de la vraie voie[1].)


Un brâhmane voulant un jour voyager dans le monde, dit à un jeune garçon : « J’ai une petite affaire qui m’oblige de faire une courte excursion. Entretenez bien ce feu, et prenez garde qu’il ne s’éteigne. S’il vient à s’éteindre, il faudra percer un morceau de bois avec une tarière[2], prendre du feu et le rallumer. »

Après avoir donné ces instructions, il sortit de la forêt et se mit en route. Quand le brâhmane fut parti, le jeune garçon, qui aimait à s’amuser, n’eut garde de surveiller activement le feu sacré, de sorte que le feu ne tarda pas à s’éteindre. En revenant de jouer, il vit que le feu s’était éteint ; il souffla dans les cendres pour y chercher du feu, et ne put en obtenir. Il prit alors une hache et fendit du bois pour allumer le feu, et ne put encore y réussir. Il coupa ensuite ce même bois, le mit dans un mortier et le pila pour obtenir du feu, mais il n’eut pas plus de succès qu’auparavant. Sur ces entrefaites, le brâhmane revint de son excursion, et se rendit dans le bois qu’il habitait. Il interrogea ce petit garçon et lui dit : « Dernièrement, je vous avais ordonné de bien entretenir le feu sacré. Le feu ne s’est-il pas éteint ? »

Le petit garçon lui répondit : « Comme j’étais sorti pour aller jouer, j’ai manqué de surveiller assidûment le feu ; maintenant, il est éteint.

— Par quel moyen, demanda-t-il avez-vous cherché à rallumer le feu ?

— Comme le feu sort du bois, répondit-il, j’ai fendu du bois avec une hache afin d’obtenir du feu, et je n’en suis pas venu à bout. Je l’ai coupé ensuite par petits morceaux, et je l’ai pilé dans un mortier dans l’espoir de rallumer le feu, mais je n’y ai pas réussi. »

Dans ce moment, le brâhmane perça un morceau de bois avec une tarière, en tira du feu, et s’en servit pour allumer un tas de menu bois. Puis il parla au jeune garçon et lui dit : « C’est par ce moyen qu’il fallait vous procurer du feu, et non en fendant du bois ou bien en le pilant dans un mortier. »

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tchang-’o-han-king, en sanscrit Di’ghâgama soûtra, livre VII.)
  1. C’est-à-dire de ceux qui emploient des moyens impropres au but qu’ils se proposent, par exemple de ceux qui mettraient du sable sous un pressoir pour en tirer de l’huile, qui mettraient de l’eau dans une baratte pour obtenir du beurre, etc.
  2. On ne voit pas bien comment l’on peut obtenir du feu par ce procédé. Suivant quelques auteurs, on perçait un trou circulaire dans une pièce de bois, et l’on y introduisait une branche ronde que l’on enflammait par une friction rotatoire.
    (Note du traducteur.)