Les Avadânas, contes et apologues indiens/48

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 176-179).


XLVIII

LE VIEILLARD PAUVRE ET LA HACHE PRÉCIEUSE.

(De ceux qui méconnaissent le véritable emploi des choses[1].)


Il y avait jadis un vieillard pauvre et sans famille, qui n’avait aucun moyen d’existence. Étant allé un jour au marché, il acheta une hache, qui était la chose la plus précieuse du monde ; mais il n’en connaissait pas la valeur. Il l’emporta et s’en servit pour couper des bâtons qu’il vendait afin de subvenir à ses besoins. À force de servir, la hache s’usa presque entièrement. Le vieillard rencontra un grand marchand d’un royaume étranger, qui s’appelait Sarva. Dès que celui-ci eut vu la hache, il en comprit la valeur et demanda au vieillard s’il voulait la vendre. « Elle me sert, répondit-il, à couper des bâtons pour gagner ma vie ; je ne la vends pas.

— Je vous donnerai cent pièces de soie, lui dit Sarva ; pourquoi ne la vendriez-vous pas ?

— Je n’y puis consentir, répondit le vieillard.

— Pourquoi refuser mes offres ? demanda Sarva. Je vous donnerai deux cents pièces de soie. »

Le vieillard parut désappointé et mécontent.

« Si vous trouvez que c’est trop peu, repartit Sarva, j’élèverai encore mes offres. Pourquoi paraissez-vous mécontent ? Je vous donnerai cinq cents pièces de soie. »

Le vieillard poussa de grands cris et dit en pleurant : « Je ne me plains pas du petit nombre des pièces de soie. Je suis un homme simple et borné. Cette hache était longue d’un pied et demi ; le tranchant est tellement usé qu’il n’a plus que cinq pouces de large ; c’est là la seule cause de mon chagrin. Je demande encore cinq cents pièces de soie.

— Je ne veux pas que vous ayez de regrets, lui dit Sarva ; je vous donnerai mille pièces de soie. »

Cela dit, il conclut le marché et emporta la hache, qui était la chose la plus précieuse du monde, sans s’inquiéter si le tranchant était large ou étroit. Il posa la hache sur un amas de bois sec auquel il mit le feu. Quand le bois fut consumé, la hache se trouva changée en un monceau de diamants d’une valeur inestimable.

(Extrait de l’ouvrage, intitulé : le Livre des comparaisons du roi Açôka.)
  1. Par exemple : celui qui lancerait une escarboucle pour tuer un moineau, qui se servirait d’un grand char pour transporter une souris, ou qui ferait cuire un poulet dans une chaudière assez grande pour contenir un bœuf. (Extrait du même ouvrage.)