Les Avadânas, contes et apologues indiens/40

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 152-154).


XL

LA TÊTE ET LA QUEUE DU SERPENT[1].

(De ceux qui veulent quitter le rôle que la nature leur a assigné.)


Un jour, la tête et la queue d’un serpent se disputaient ensemble. La tête dit à la queue : « Je dois être la première. »

La queue dit à la tête : « C’est moi qui dois être la première. »

La tête dit : « J’ai des oreilles et je puis entendre ; j’ai des yeux et je puis voir ; j’ai une bouche et je puis manger. Dans la marche, je vais en avant. Vous n’avez aucun de ces avantages. Voilà pourquoi je dois être la première. »

La queue dit : « C’est moi qui vous fais marcher ; sans moi, vous ne pourriez faire un pas. Si je ne marchais point, si je m’enroulais trois fois autour d’un arbre, et que je ne le quittasse point pendant trois jours, vous ne pourriez chercher votre nourriture, et vous ne tarderiez pas à mourir de faim. »

La tête dit à la queue : « Vous pouvez me laisser ; je vous permets d’être la première. » En entendant ces mots, la queue l’abandonna. La tête parla de nouveau à la queue et lui dit : « Maintenant que vous êtes la première, je vous permets de marcher en avant. »

La queue se plaça donc en avant, mais à peine avait-elle fait quelques pas, qu’elle tomba dans une fosse profonde et y périt.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-youen-tchou-lin, livre LXXVIII.)
  1. La même fable se trouve, mais fort abrégée, dans le livre XLVII, fol. 22, dans la section intitulée : « Du danger des dissentiments. »