Les Avadânas, contes et apologues indiens/39

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 150-151).


XXXIX

LE FOU ET LES FILS DE COTON.

(Ne faites rien de trop.)


Jadis un fou donna du coton à un filateur, et le pria de le filer extrêmement fin. L’ouvrier y mit tous ses soins, et lui livra des fils d’une ténuité extraordinaire ; mais le fou en fut mécontent et les trouva trop gros. Le filateur se mit en colère, et lui montrant l’air du bout du doigt[1], il lui dit :

« Voici des fils extrêmement fins.

— Comment se fait-il que je ne les voie pas ? demanda le fou.

— Ils sont tellement fins, reprit le filateur, que même mes meilleurs ouvriers ne sauraient les voir, à plus forte raison un étranger. »

Le fou fut transporté de joie. Il donna une nouvelle commande au filateur et le paya généreusement, quoique la chose montrée fut une pure chimère.

(Extrait de la biographie de Kieou-mo-lo-chi, en sanscrit Koumâradjîva.)
  1. C’est-à-dire : faisant semblant de lui montrer avec le doigt quelque chose dans l’air.