Les Avadânas, contes et apologues indiens/30

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 122-126).


XXX

LE RELIGIEUX ET LE DÉMON.

(Ne recherchez pas les hommes puissants.)


Il y avait jadis un religieux qui avait été chassé de son couvent. Rempli de chagrin et de colère, il s’abandonnait aux sanglots, et cheminait lentement en poussant des cris douloureux. Sur sa route, il rencontra un démon qui, pour avoir commis un crime, avait lui-même été chassé par le roi des dieux, Vâiçravan’a.

Ce démon interrogea le religieux et lui dit : « Que vous est-il arrivé pour marcher ainsi en pleurant ? »

Le religieux lui dit : « Pour une légère infraction à la discipline, j’ai été chassé par l’assemblée des religieux, et j’ai perdu à jamais les dons et les offrandes des bienfaiteurs du couvent. De plus, mon ignominie va se répandre de tous côtés. Voilà l’unique cause de mes pleurs et de mes gémissements.

— Je puis, reprit le démon, vous mettre en état d’effacer votre déshonneur, et d’obtenir en abondance des dons et des offrandes. Vous n’avez qu’à vous placer debout sur mon épaule gauche ; je vous transporterai à travers les airs, et je ferai en sorte que les hommes ne voient que vous, et n’aperçoivent pas mon corps. Mais si vous obtenez en abondance des dons et des offrandes, il faudra que vous commenciez par me les donner. »

Ce démon transporta d’abord le religieux au-dessus du village d’où il avait été chassé. Les habitants, le voyant marcher au milieu des airs, en furent émus et émerveillés, et pensèrent qu’il avait obtenu l’intelligence (qu’il était devenu un Bouddha). Ils se dirent alors entre eux : « Les religieux ont agi d’une manière odieuse en chassant injustement ce religieux. » Puis, ils coururent au couvent, et accablèrent les religieux de reproches et d’invectives. Sur-le-champ, les religieux conduisirent ce Bhikchou et l’installèrent dans le couvent, où il fut comblé de dons et d’offrandes.

Le Bhikchou, à mesure qu’il recevait des habits et des aliments, les donnait immédiatement au démon, et obéissait fidèlement au pacte qu’il avait fait. Un autre jour, le démon ayant encore promené le Bhikchou au milieu des airs, il fut justement aperçu par des démons qui étaient attachés au service du roi des dieux, Vâiçravan’a. Notre démon, se voyant découvert, fut saisi d’effroi, jeta à bas le Bhikchou et s’enfuit de toutes ses forces. Le pauvre religieux, étant tombé sur la terre, se brisa la tête et mourut.

Les novices apprendront par cet exemple qu’ils doivent se perfectionner sans cesse, et poursuivre leur but sans hésiter. S’ils recherchaient la protection d’un homme riche et puissant, et qu’un beau matin il vînt à succomber, ils auraient le même sort que ce religieux.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tchong-king-siouen-tsi-pi-yu-king.)