Librairie Félix Alcan (p. 156-189).



CHAPITRE IV

LES LOIS DU MOUVEMENT BROWNIEN


Théorie d’Einstein.

68. — Le déplacement en un temps donné. — C’est grâce au mouvement brownien que s’établit la répartition d’équilibre d’une émulsion, d’autant plus rapidement que ce mouvement est plus actif. Mais cette plus ou moins grande activité n’influe en rien sur la distribution finale, toujours la même pour les grains de même taille et de même densité apparente. Aussi avons-nous pu nous borner jusqu’ici à étudier l’état de régime permanent, sans nous inquiéter du mécanisme par lequel il se réalise.

L’analyse détaillée de ce mécanisme a été faite par M. Einstein, en d’admirables travaux théoriques[1]. D’autre part, et bien que la publication en soit postérieure, il est certainement juste de citer, en raison de la différence des raisonnements, l’analyse seulement approchée, mais très suggestive, que M. Smoluchowski a donnée dans le même but[2].

Einstein et Smoluchowski ont caractérisé de la même façon l’activité du mouvement brownien. Jusqu’alors on s’était efforcé de définir une « vitesse moyenne d’agitation » en suivant aussi exactement que possible le trajet d’un grain. Les évaluations ainsi obtenues étaient toujours de quelques microns par seconde pour des grains de l’ordre du micron[3].

Mais de telles évaluations sont grossièrement fausses. Les enchevêtrements de la trajectoire sont si nombreux et si rapides, qu’il est impossible de les suivre et que la trajectoire notée est infiniment plus simple et plus courte que la trajectoire réelle. De même, la vitesse moyenne apparente d’un grain pendant un temps donné varie follement en grandeur et en direction sans tendre vers une limite quand le temps de l’observation décroît, comme on le voit de façon simple, en notant les positions d’un grain à la chambre claire de minute en minute, puis, par exemple, de 5 en 5 secondes, et mieux encore en les photographiant de vingtième en vingtième de seconde, comme ont fait MM. Victor Henri, Comandon ou de Broglie, pour cinématographier le mouvement. On ne peut non plus fixer une tangente, même de façon approchée, à aucun point de la trajectoire, et c’est un cas où il est vraiment naturel de penser à ces fonctions continues[4] sans dérivées que les mathématiciens ont imaginées, et que l’on regarderait à tort comme de simples curiosités mathématiques, puisque la nature les suggère aussi bien que les fonctions à dérivée.

Laissant donc de côté la vitesse vraie, qui n’est pas mesurable, et sans s’embarrasser du trajet infiniment enchevêtré que décrit un grain pendant un temps donné, Einstein et Smoluchowski ont choisi comme grandeur caractéristique de l’agitation le segment rectiligne qui joint le point de départ au point d’arrivée et qui, en moyenne, est évidemment d’autant plus grand que l’agitation est plus vive. Ce segment sera le déplacement du grain pendant le temps considéré. La projection sur un plan horizontal, directement perçue au microscope dans les conditions ordinaires de l’observation (microscope vertical) sera le déplacement horizontal.

69. — L’activité du mouvement brownien. — En accord avec l’impression que suggère l’observation qualitative, nous regarderons le mouvement brownien comme parfaitement irrégulier à angle droit de la verticale[5]. C’est à peine une hypothèse, et au surplus nous en vérifierons toutes les conséquences.

Ceci admis, et absolument sans autre hypothèse, on peut prouver que le déplacement moyen d’un grain devient seulement double quand la durée du déplacement devient quadruple, seulement décuple quand cette durée devient centuple, et ainsi de suite. De façon plus précise, on prouve que le carré moyen du déplacement horizontal pendant une durée grandit seulement de façon proportionnelle à cette durée.

Il en est de même par suite pour la moitié de ce carré, c’est-à-dire pour le carré moyen de la projection du déplacement horizontal sur un axe horizontal arbitraire[6]. En d’autres termes, pour un grain donné (dans un fluide donné) le quotient est constant. Évidemment d’autant plus grand que le grain s’agite davantage, ce quotient, caractérise pour ce grain l’activité du mouvement brownien.

Il faut cependant prendre garde que ce résultat cesse d’être exact si ces durées deviennent tellement faibles que le mouvement du grain n’est plus parfaitement irrégulier. Et cela arrive forcément, sans quoi la vitesse vraie serait infinie. Le temps minimum d’irrégularité est probablement du même ordre que le temps qui serait nécessaire à un granule lancé dans le liquide avec une vitesse égale à sa vitesse moyenne vraie d’agitation, pour que le frottement par viscosité réduise sensiblement à zéro son élan primitif (en même temps que, au surplus, les chocs moléculaires le lancent dans une autre direction). On trouve ainsi, pour un sphérule de 1 micron, dans l’eau, que le temps minimum d’irrégularité est de l’ordre du cent millième de seconde. Il deviendrait seulement 100 fois plus grand, soit de 1 millième de seconde, pour un sphérule de 1 millimètre et 100 fois plus petit pour un liquide 100 fois plus visqueux. Cela nous laisse bien au-dessous des durées jusqu’ici accessibles à l’observation du mouvement.

70. — Diffusion des émulsions. — On conçoit que si de l’eau pure est en contact avec une émulsion aqueuse de granules égaux, il se produira, grâce au mouvement brownien, une diffusion des grains dans l’eau par un mécanisme tout analogue à celui qui produit la diffusion proprement dite des matières en dissolution. De plus, il est évident que cette diffusion sera d’autant plus rapide que le mouvement brownien des grains sera plus actif. Le calcul précis, fait par Einstein, toujours en supposant seulement que le mouvement brownien est parfaitement irrégulier, montre qu’en effet une émulsion diffuse comme une solution[7] et que le coefficient de diffusion se trouve simplement égal à la moitié du nombre qui mesure l’activité de l’agitation

.

D’autre part, nous sommes familiers avec l’idée que, dans une colonne verticale d’émulsion, la répartition de régime permanent se maintient par équilibre entre deux actions antagonistes, la pesanteur, qui tire sans cesse les grains vers le bas, et le mouvement brownien qui les éparpille sans cesse. On exprimera cette idée de façon précise en écrivant que, pour chaque tranche le débit par diffusion vers les régions pauvres équilibre l’afflux dû à la pesanteur vers les régions riches.

Dans le cas spécial où les grains sont des sphères de rayon , auxquelles on peut essayer d’appliquer la loi de Stokes (59) que au surplus j’ai en effet vérifiée pour des sphérules microscopiques (60), en admettant de plus que, à concentration égale, grains ou molécules produisent la même pression osmotique, on trouve ainsi que

est la viscosité du liquide, sa température absolue, le nombre d’Avogadro. Puisque le coefficient de diffusion est la moitié de l’activité du mouvement brownien, nous pouvons donner à cette équation la forme équivalente

où nous pourrions encore (35) remplacer par les 2/3 de l’énergie moléculaire moyenne .

Ainsi l’activité de l’agitation (ou la rapidité de la diffusion) doit être proportionnelle à l’énergie moléculaire (ou à la température absolue), et inversement proportionnelle à la viscosité du liquide et à la dimension des grains.

71.. — Mouvement brownien de rotation. — Jusqu’ici nous n’avons pensé qu’aux changements de position des grains, à leur mouvement brownien de translation. Or nous savons qu’un grain tournoie irrégulièrement en même temps qu’il se déplace. Einstein a réussi à établir, pour ce mouvement brownien de rotation, une équation comparable à la précédente, dans le cas de sphérules de rayon . Si désigne le carré moyen en un temps de la composante de l’angle de rotation autour d’un axe[8], le quotient , fixe pour un même grain, caractérisera l’activité du mouvement brownien de rotation, et devra vérifier l’équation

en sorte que l’activité de l’agitation de rotation est, comme pour la translation, proportionnelle à la température absolue, et inversement proportionnelle à la viscosité. Mais elle varie en raison inverse du volume et non plus en raison inverse de la dimension. Un sphérule de diamètre 10 aura une agitation de translation 10 fois plus faible, mais une agitation de rotation 1 000 fois plus faible qu’un sphérule de diamètre 1.

Sans pouvoir indiquer ici la façon dont s’établit cette équation, disons qu’elle implique pour un même granule, l’égalité entre l’énergie moyenne de translation et l’énergie moyenne de rotation, égalité prévue par Boltzmann (42) et que nous vérifierons si nous réussissons à vérifier l’équation d’Einstein.


Contrôle expérimental.

Telle est dans ses grandes lignes la belle théorie qu’on doit à Einstein. Elle se prête à un contrôle expérimental précis, dès qu’on sait préparer des sphérules de rayon mesurable. Je me suis donc trouvé en état de tenter ce contrôle, lorsque, grâce à M. Langevin, j’ai eu connaissance de la théorie. Comme on va voir, les expériences que j’ai faites ou dirigées en démontrent la complète exactitude.

72. — Complication de la trajectoire d’un granule. — Au seul aspect, nous avons admis, et c’est le fondement de la théorie d’Einstein, que le mouvement brownien (à angle droit de la pesanteur) est parfaitement irrégulier. Si probable que cela soit, il est utile de s’en assurer avec rigueur.

On mesurera au préalable, pour y arriver, les déplacements (horizontaux) successifs d’un même grain. Pour cela, il suffit de noter à la chambre claire (grossissement connu) les positions d’un même grain à intervalles de temps égaux. On a réuni sur la figure ci-jointe, à un grossissement tel que 16 divisions représentant 50 microns, trois dessins obtenus en traçant les projections horizontales des segments qui joignent les positions consécutives d’un même grain de mastic (de rayon égal à 0μ,53) pointé de 30 en 30 secondes. On voit sur la même figure qu’on a sans difficulté la projection Figure 7 : Exemples de mouvement brownien.
Fig. 7.
de chacun de ces segments sur un axe horizontal quelconque (ce seront les abscisses, ou les ordonnées, données par le quadrillage).

Incidemment, une telle figure, et même le dessin suivant, où se trouvent reportés à une échelle arbitraire un plus grand nombre de déplacements, ne donnent qu’une idée bien affaiblie du prodigieux enchevêtrement de la trajectoire réelle. Si en effet on faisait des pointés en des intervalles de temps 100 fois plus rapprochés, chaque segment serait remplacé par un contour polygonal relativement aussi compliqué que le dessin entier, et ainsi de suite. On voit assez comment s’évanouit Figure 8 : Exemple de mouvement brownien.
Fig. 8.
pratiquement en de pareils cas la notion de tangente à une trajectoire.

73. — Parfaite irrégularité de l’agitation. — Si le mouvement est irrégulier, le carré moyen de la projection sur un axe sera proportionnel au temps. Et en effet un grand nombre de pointés ont montré que ce carré moyen est bien sensiblement 2 fois plus grand pour la durée de 120 secondes qu’il n’est pour la durée de 30 secondes[9].

Mais des vérifications plus complètes encore sont suggérées par l’extension aux déplacements de granules des raisonnements imaginés par Maxwell (35) pour les vitesses moléculaires, raisonnements qui doivent s’appliquer indifféremment aux deux cas.

En premier lieu, comme les projections des vitesses, les projections sur un axe des déplacements (de sphérules égaux pendant des durées égales) doivent se répartir autour de leur moyenne (qui, par raison de symétrie, est zéro) suivant la loi du hasard de Laplace et Gauss[10].

M. Chaudesaigues, qui travaillait dans mon laboratoire, a fait les pointés puis les calculs pour des grains de gomme-gutte ( = 0μ,212) que j’avais préparés. Les nombres de déplacements ayant leurs projections comprises entre deux multiples successifs de 1μ,7 (qui correspondait à 5 millimètres du quadrillage) sont indiqués dans le tableau suivant :

Projections Première série Seconde série
(en μ)
comprises entre

trouvé. calculé.

trouvé. calculé.
0,0 et 1,7 ..... 38 48 48 44
1,7 et 3,4 ..... 44 43 38 40
3,4 et 5,1 ..... 33 40 36 35
5,1 et 6,8 ..... 33 30 29 28
6,8 et 8,5 ..... 35 23 16 21
8,5 et 10,2 ..... 11 16 15 15
10,2 et 11,9 ..... 14 11 08 10
11,9 et 13,6 ..... 06 06 07 05
13,6 et 15,3 ..... 05 04 04 04
15,3 et 17,0 ..... 02 02 04 02

Une autre vérification plus frappante encore, dont je dois l’idée à Langevin, consiste à transporter parallèlement à eux-mêmes les déplacements horizontaux observés, de façon à leur donner une origine commune[11]. Les extrémités des vecteurs ainsi obtenus doivent se répartir autour de cette origine comme les balles tirées sur une cible se répartissent autour du but. C’est ce qu’on voit sur la figure ci-contre où sont réparties 500 observations que j’ai faites sur des grains de rayon égal à 0μ,367, pointés de 30 en 30 secondes. Le carré moyen de ces déplacements était égal au carré de 7μ,84. Les cercles tracés sur la figure ont pour rayons :

,,,etc…

Ici encore le contrôle est quantitatif et la loi du hasard permet de calculer combien de points doivent se placer dans les anneaux successifs de la cible. Figure 9 : Distribution empirique de la position finale de particules animées d’un mouvement brownien.
Fig. 9.
On lit dans le tableau de la page suivante, à côté de la probabilité pour que l’extrémité d’un déplacement tombe dans chacun des anneaux, les nombres calculés et trouvés pour les 500 déplacements observés.

Une troisième vérification se trouve dans l’accord constaté des valeurs calculées et trouvées pour le quotient du déplacement horizontal moyen par le déplacement quadratique moyen . Un raisonnement tout semblable à celui qui donne la vitesse moyenne à partir du carré moyen de la vitesse moléculaire montre que est à peu près égal aux 8/9 de . Et, en fait, pour 360 déplacements de grains ayant 0μ,53 de rayon j’ai trouvé égal à 0,886 au lieu de 0,894 prévu.

Déplacement
compris entre

par
anneau
calculé trouvé
00 et 0 ...... 0,063 032 034
0 et ...... 0,167 083 078
et ...... 0,214 107 106
et ...... 0,210 105 103
et ...... 0,150 075 075
et ...... 0,100 050 049
et ...... 0,054 027 030
et ...... 0,028 014 017
et ...... 0,014 007 009

D’autres vérifications de même genre pourraient encore être citées, mais ne semblent plus bien utiles. Bref, l’irrégularité du mouvement est quantitativement rigoureuse et c’est là sans doute une des plus belles applications de la loi du hasard.

74. — Premières vérifications de la théorie d’Einstein (déplacements). — En même temps qu’il publiait ses formules, Einstein observait que l’ordre de grandeur du mouvement brownien semblait tout à fait correspondre aux prévisions de la théorie cinétique. Smoluchowski, de son côté, arrivait à la même conclusion dans une discussion approfondie des données alors utilisables (indifférence de la nature et de la densité des grains, observations qualitatives sur l’accroissement d’agitation quand la température s’élève ou quand le rayon diminue, évaluation grossière des déplacements pour des grains de l’ordre du micron).

On pouvait dès lors sans doute affirmer que le mouvement brownien n’est sûrement pas plus que 5 fois plus vif, et sûrement pas moins de 5 fois moins vif que l’agitation prévue. Cette concordance approximative dans l’ordre de grandeur et dans les propriétés qualitatives donnait tout de suite une grande force à la théorie cinétique du phénomène et cela fut nettement exprimé par les créateurs de cette théorie.

Il ne fut publié, jusqu’en 1908, aucune vérification, ou tentative de vérification qui ajoute le moindre renseignement à ces remarques d’Einstein et de Smoluchowski[12]. Vers ce moment se place une vérification intéressante mais partielle, due à Seddig[13]. Cet auteur a comparé, à diverses températures, les déplacements subis de dixième en dixième de seconde par des grains ultramicroscopiques de cinabre jugés à peu près égaux. Si la formule d’Einstein est exacte, les déplacements moyens et aux températures et (viscosités et ) auront pour rapport

soit, pour l’intervalle 17°-90°,

.

L’expérience donne 2,2. L’écart est bien inférieur aux erreurs possibles.

Ces mesures approchées de Seddig prouvent au reste l’influence de la viscosité beaucoup plus que celle de la température (7 fois plus faible dans l’exemple donné, et qu’il sera difficile de rendre très notable[14]).

Ayant des grains de rayon exactement connu, j’avais pu, vers la même époque, commencer des mesures absolues[15] et rechercher si le quotient

qui doit être égal au nombre d’Avogadro d’après l’équation d’Einstein, a en effet une valeur indépendante de l’émulsion, et sensiblement égale à la valeur trouvée pour .

Il s’en faut que cela parût alors tout à fait sûr[16]. Un essai cinématographique tenté par V. Henri où, pour la première fois, la précision était possible[17] venait de se montrer nettement défavorable à la théorie d’Einstein. Je rappelle ce fait parce que j’ai été très vivement frappé de la facilité avec laquelle on fut alors prompt à admettre que cette théorie devait contenir quelque hypothèse injustifiée. J’ai compris par là combien est au fond limité le crédit que nous accordons aux théories, et que nous y voyons des instruments de découverte plutôt que de véritables démonstrations.

En réalité, dès les premières mesures de déplacements, il fut manifeste que la formule d’Einstein était exacte.

75. — Calcul des grandeurs moléculaires d’après le mouvement brownien. — J’ai fait ou dirigé plusieurs séries de mesures, en changeant autant que j’ai pu les conditions de l’expérience, particulièrement la viscosité et la taille des grains. Ces grains étaient pointés à la chambre claire[18], le microscope étant vertical, ce qui donne les déplacements horizontaux (par comparaison avec un micromètre objectif). Les pointages ont été généralement faits de 30 en 30 secondes, à raison de quatre pour chaque grain.

J’ai mis en train la méthode (série I) avec l’aide de M. Chaudesaigues, qui a bien voulu se charger (séries II et III) des mesures relatives à des grains ( = 0μ,212) dont la répartition en hauteur m’avait donné une bonne détermination de . Il a utilisé un objectif à sec (dispositif d’ultramicroscopie de Cotton et Mouton). Les séries suivantes ont été faites avec l’objectif à immersion, qui permet de mieux connaître la température de l’émulsion (dont les variations importent, à cause des variations de viscosité qu’elles entraînent). J’ai fait la série IV (mastic) en collaboration avec M. Dabrowski, la série série VI (liquide très visqueux, où était de l’ordre de 2 μ par 5 minutes) en collaboration avec M. Bjerrum. La série V se rapporte à deux grains très gros de mastic (obtenus comme nous verrons bientôt) de diamètre directement mesuré à la chambre claire, et en suspension dans une solution d’urée de même densité que le mastic.

Le Tableau suivant, où on lit, pour chaque série, la valeur moyenne de la viscosité , le rayon des grains, leur masse et le nombre approximatif des déplacements utilisés, résume ces expériences.

100 nature de l’émulsion rayon
des grains.
masse
𝓂·1015.
déplacements
utilisés.
001
I. Grains de gomme-gutte 
0μ,50 600 100 80
001
II. Grains analogues 
0,212 48 900 69,5
4 à 5
III. Mêmes grains (35 p. 100) (température mal connues) 
0,212 48 400 55
001
IV. Grains de mastic 
0,52 650 1 000 72,5
001,2
V. Grains énormes (mastic) dans solution d’urée (27 p. 100) 
5,50 750 000 100 78
125
VI. Grains de gomme-gutte dans glycérine (1/10 d’eau) 
0,385 290 100 64
001
VII. Grains de gomme-gutte bien égaux 
0,367 246 1 500 68,8

Comme on voit, les valeurs extrêmes des masses sont dans un rapport supérieur à 15 000 et les valeurs extrêmes des viscosités dans le rapport de 1 à 125. Pourtant, et quelle que fût la nature du liquide intergranulaire ou des grains le quotient est resté voisin de 70 comme dans le cas ds la répartition en hauteur[19]. Cette remarquable concordance prouve l’exactitude rigoureuse de la formule d’Einstein et confirme de façon éclatante la théorie moléculaire.

Les mesures les plus précises (série VII) se rapportent aux grains les plus égaux que j’ai préparés. La préparation et l’objectif (à immersion) étaient noyés dans l’eau, ce qui permet la mesure exacte de la température (et par suite de la viscosité). Les rayons éclairants, assez faibles, étaient filtrés par une cuve d’eau. L’émulsion était très diluée. Le microscope était mis au point sur le niveau (6 μ au-dessus du fond) dont la hauteur est telle qu’un grain de la taille considérée a même probabilité pour se trouver au-dessus ou au-dessous de ce niveau. Pour ne pas être tenté de choisir des grains par hasard un peu plus visibles (c’est-à-dire un peu plus gros que la moyenne), ce qui élèverait un peu , je suivais le premier grain qui se présentait dans le centre du champ. Puis je déplaçais latéralement de 100 μ la préparation, suivais de nouveau le premier grain qui se présentait dans le centre du champ, à la hauteur , et ainsi de suite. La valeur obtenue 68,8 concorde à 1/100 près avec celle que m’a donnée la répartition d’une colonne verticale d’émulsion (no 67).

J’admettrai donc pour le nombre d’Avogadro la valeur

68,5·1022,

d’où résulte pour l’électron (en unités électrostatiques) la valeur

4,2·10−10 ;

et pour la masse de l’atome d’hydrogène (en grammes) la valeur

1,47·10−24.

76. — Mesures du mouvement brownien de rotation. (Gros sphérules.) — Nous avons vu que la théorie généralisée d’Einstein s’applique au mouvement brownien de rotation, la formule s’écrivant alors

désigne le tiers du carré moyen de l’angle de rotation pendant le temps .

En vérifiant cette formule, on vérifie du même coup les évaluations de probabilité qui figurent dans sa démonstration et qu’on retrouve quand on veut établir l’équipartition de l’énergie, c’est-à-dire, dans le cas actuel, l’égalité moyenne des énergies de rotation et de translation. Les difficultés mêmes qu’on a vu récemment s’élever (41 à 43), au sujet des limites dans lesquelles s’applique cette équipartition, augmentent l’utilité d’une vérification.

Mais cette formule indique une rotation moyenne d’environ 8 degrés par centième de seconde, pour des sphères de 1μ de diamètre, rotation bien rapide pour être perçue (d’autant qu’on ne distingue pas de points de repère sur des sphérules si petits), et qui à plus forte raison échappe à la mesure. Et, en effet, cette rotation n’avait fait l’objet d’aucune étude expérimentale, même qualitative.

J’ai tourné la difficulté en préparant de très gros sphérules de gomme-gutte ou de mastic. J’y suis arrivé en précipitant la résine de sa solution alcoolique, non plus, comme d’habitude, par addition brusque d’un grand excès d’eau (ce qui donne des grains de diamètre généralement inférieur au micron), mais en rendant très progressive la pénétration de l’eau précipitante. C’est ce qui se passe quand on fait arriver très lentement de l’eau pure, au moyen d’un entonnoir à pointe effilée, sous une solution (étendue) de résine dans l’alcool, qu’elle soulève progressivement. Une zone de passage s’établit entre les deux liquides qui diffusent l’un dans l’autre, et les grains qui se forment dans cette zone ont couramment un diamètre d’une douzaine de microns. Aussi deviennent-ils bientôt tellement lourds, qu’ils tombent, malgré leur mouvement brownien, traversant les couches d’eau pure où ils se lavent, dans le fond de l’appareil, où il n’y a plus qu’à les recueillir par décantation. J’ai ainsi précipité toute la résine de solutions alcooliques de gomme-gutte ou de mastic sous forme de sphères dont le diamètre peut atteindre 50 μ. Ces grosses sphères ont l’aspect de billes de verre, jaune pour la gomme-gutte, incolore pour le mastic, qu’on brise facilement en fragments irréguliers. Elles semblent fréquemment parfaites et donnent à la façon des lentilles une image réelle reconnaissable de la source lumineuse qui éclaire la préparation (manchon Auer par exemple). Mais fréquemment aussi elles contiennent à leur intérieur des inclusions[20], points de repère grâce auxquels on perçoit facilement le mouvement brownien de rotation.

Malheureusement le poids de ces gros grains les maintient sans cesse au voisinage immédiat du fond, où leur mouvement brownien peut être altéré par des phénomènes d’adhésion. J’ai donc cherché, par dissolution de substances convenables, à donner au liquide intergranulaire la densité des grains. Une complication aussitôt manifestée consiste en ce que, à la dose nécessaire pour suspendre les grains entre deux eaux presque toutes ces substances agglutinent les grains en grappes de raisin, montrant ainsi de la plus jolie manière en quoi consiste le phénomène de la coagulation, peu facile à saisir sur les solutions colloïdales ordinaires (à grains ultramicroscopiques). Pour une seule substance, l’urée, cette coagulation n’a pas eu lieu.

Dans de l’eau à 27 p. 100 d’urée, j’ai donc pu suivre l’agitation des grains (série IV du Tableau précédent). J’ai de même, assez grossièrement, pu mesurer leur rotation. Pour cela, je pointais à intervalles de temps égaux les positions successives de certaines inclusions, ce qui permet ensuite, à loisir, de retrouver l’orientation de la sphère à chacun de ces instants, et de calculer approximativement sa rotation d’un instant à l’autre. Les calculs numériques, appliqués à environ 200 mesures d’angle faites sur des sphères ayant 13μ de diamètre, m’ont donné pour , par application de la formule d’Einstein, la valeur 65·1022 alors que la valeur probablement exacte est 69·1022. En d’autres termes, si l’on part de cette dernière valeur de , on prévoit, en degrés, pour , par minute, la valeur

14°

et l’on trouve expérimentalement

14°,5.

L’écart se trouve être bien inférieur aux erreurs permises par l’approximation médiocre des mesures et des calculs. Cette concordance est d’autant plus frappante qu’on ignorait a priori même l’ordre de grandeur du phénomène. La masse des grains observés est 70 000 fois plus grande que celle des plus petits grains étudiés pour la répartition en hauteur.

77. — La diffusion des grosses molécules. — Pour achever d’établir les diverses lois prévues par Einstein, il ne nous reste plus qu’à étudier la diffusion des émulsions et à voir si la valeur de qu’on en peut tirer par l’équation

concorde avec celle que nous avons déjà trouvée.

Il convient de citer d’abord, en ce sens, l’application qu’Einstein lui-même a faite de sa formule à la diffusion du sucre dans l’eau. Cette extension suppose : 1o  qu’on peut regarder les molécules de sucre comme à peu près sphériques, et 2o  que la loi de Stokes s’applique à ces molécules. (On ne pourrait donc être surpris si l’on ne retrouvait pas le nombre attendu.)

Ceci admis, l’équation en question, appliquée au sucre à 18°, devient[21]

= 3,2·1016.

Mais nous ne savons pas quel rayon attribuer à la molécule de sucre pour laquelle nous ne pouvons utiliser les calculs possibles pour les corps volatils.

Nous pourrions comme déjà nous l’avons fait (47) observer que nous avons une indication sur le volume « vrai » des molécules de la molécule-gramme de sucre en mesurant le volume (208 centimètres cubes) qu’occupe cette quantité de sucre à l’état vitreux. Einstein a plus heureusement résolu la difficulté en calculant ce volume à partir de la viscosité de l’eau sucrée. Il y est arrivé en montrant, par application des lois de l’hydrodynamique, qu’une émulsion de sphérules doit être plus visqueuse que le liquide intergranulaire pur, et que l’accroissement relatif de viscosité est proportionnel au quotient , par le volume de l’émulsion, du volume vrai des sphérules qui s’y trouvent présents. Le calcul primitif indiquait même l’égalité pure et simple entre et .

Extrapolant à l’eau sucrée cette théorie établie pour les émulsions, Einstein obtenait ainsi de façon approchée le volume vrai des molécules d’une molécule-gramme de sucre. Tenant compte de la valeur déjà trouvée pour le produit , il trouvait en définitive (1905) la valeur 40·1022 pour le nombre [22].

Quelques années après, M. Bancelin, qui travaillait dans mon laboratoire, désira vérifier la formule donnée pour l’accroissement relatif de viscosité (vérification facile pour des émulsions de gomme-gutte ou de mastic). Il vit aussitôt que l’accroissement prévu était certainement trop faible.

Averti de ce désaccord, M. Einstein s’aperçut qu’une erreur s’était glissée, non pas dans son raisonnement, mais dans le calcul, et que la formule exacte devait être

cette fois en accord avec les mesures. La valeur correspondante pour se trouve alors

65·1022

remarquablement approchée. Ceci nous force à croire que les molécules de sucre ont une forme assez ramassée, sinon sphérique, et, de plus, que la loi de Stokes est encore applicable (dans l’eau) pour des molécules sans doute relativement grosses, mais enfin dont le diamètre n’atteint pas le millième de micron.

78. — Dernière épreuve expérimentale. La diffusion des granules visibles. — D’après sa démonstration même, l’équation de diffusion d’Einstein

qui ne peut qu’être approchée pour des molécules, a chance d’être rigoureusement vérifiée pour les émulsions. En fait, puisque cette équation est la conséquence nécessaire de la loi de Stokes et de la loi de répartition en hauteur, elle peut être regardée comme vérifiée dans le domaine où j’ai vérifié ces deux lois.

Il est cependant d’un intérêt certain de faire des mesures directes de diffusion, si l’on fait les mesures de manière à étendre ce domaine.

Aussi, quand M. Léon Brillouin me fit part de son désir de compléter le contrôle expérimental de la théorie d’Einstein en étudiant la diffusion des émulsions, je lui conseillai la méthode suivante, qui utilise l’obstacle même qui m’avait empêché d’étudier un régime permanent dans la glycérine pure, où les grains se collent à la paroi de verre quand par hasard ils la rencontrent (65, note),

Considérons une paroi verticale de verre qui limite une émulsion, d’abord à répartition uniforme, de grains de gomme-gutte dans la glycérine, le nombre de grains par unité de volume étant . Cette paroi, qui fonctionne comme parfaitement absorbante, capture tous les grains que le hasard du mouvement brownien amène à son contact, en sorte que l’émulsion s’appauvrit progressivement par diffusion vers la paroi, en même temps que le nombre de grains collés par unité de surface va en croissant. La variation de en fonction du temps déterminera le coefficient de diffusion.

La paroi absorbante observée sera la face postérieure du couvre-objet qui limite une préparation maintenue verticalement à température bien constante, préparation dont l’épaisseur sera assez grande pour que, pendant les quelques jours d’observation, l’absorption par le couvre-objet soit ce qu’elle serait si l’émulsion s’étendait à l’infini[23].

Le raisonnement approché qui suit permet de tirer des mesures le coefficient de diffusion.

Soit toujours le carré moyen (égal à ), du déplacement pendant le temps qui s’est écoulé depuis la mise en expérience. On ne fera pas de grandes erreurs en raisonnant comme si chaque grain avait subi, soit vers le mur absorbant soit en sens inverse, le déplacement . Le nombre des grains arrêtés par l’unité de surface de la paroi pendant le temps est alors évidemment

d’où résulte, remplaçant par

ou encore

,

équation qui donne le coefficient de diffusion cherché.

M. Léon Brillouin a monté les expériences et fait les mesures, assez pénibles, avec beaucoup d’habileté. Des grains égaux de gomme-gutte (0μ,52 de rayon), débarrassés par dessiccation de l’eau intergranulaire, ont été longuement délayés dans la glycérine de manière à réaliser une émulsion diluée à répartition uniforme contenant 7,9·108 grains par centimètre cube (en sorte que le volume des grains n’atteint pas les 2/1000 de celui de l’émulsion). La diffusion s’est produite dans un thermostat à la température constante de 38°,7, pour laquelle la viscosité de la glycérine employée était 165 fois celle de l’eau à 20°. Deux fois par jour, on photographiait une même portion de la paroi où se fixaient les grains, et l’on comptait ces grains sur les clichés. Six préparations ont été suivies, chacune pendant plusieurs jours[24].

L’examen des clichés successifs a montré que le carré du nombre des grains fixés est bien proportionnel Figure 10 : Diffusion de sphérules animés du mouvement brownien.
Fig. 10.
au temps, en sorte que, dans un diagramme où l’on porte en abscisse et en ordonnée, les points qui représentent les mesures se placent sensiblement sur une droite passant par l’origine, comme on le voit sur la figure ci-contre. Le coefficient égal, à , s’ensuit aussitôt. Il s’est trouvé égal à 2,3·10−11 pour les grains employés après fixation de plusieurs milliers de grains, ce qui correspond à une diffusion 140 000 fois plus lente que celle du sucre dans l’eau à 20° !

Pour vérifier l’équation de diffusion d’Einstein, il ne reste plus qu’à voir si le nombre est voisin de 70·1022. Or ce nombre, à ±3 pour 100 près, est égal à

69·1022.

79. — Résumé. — Ainsi les lois des gaz parfaits s’appliquent dans tous leurs détails aux émulsions, ce qui donne une base expérimentale solide aux théories moléculaires. Le domaine de vérification paraîtra sans doute assez considérable si l’on réfléchit :

Que la nature des grains a varié (comme-goutte, mastic) ;

Que la nature du liquide intergranulaire a varié (eau pure, eau contenant un quart d’urée ou un tiers de sucre, glycérine à 12 p. 100 d’eau, glycérine pure) ;

Que la température a varié (de −9° à +58°) ;

Que la densité apparente des grains a varié (de −0,03 à +0,30) ;

Que la viscosité du liquide intergranulaire a varié (dans le rapport de 1 à 330) ;

Que la masse des grains a varié (dans le rapport énorme de 1 à 70 000) ainsi que leur volume (dans le rapport de 1 à 90 000).

Cette étude des émulsions a donné pour les valeurs suivantes :

68,2 d’après la répartition en hauteur ;

68,8 d’après les déplacements de translation ;

65 d’après les rotations ;

69 d’après les diffusions ;

ou, si on préfère, cette étude a donné pour la masse de l’atome d’hydrogène, évaluée en trillionièmes de trillionième de gramme, respectivement les valeurs 1,47 — 1,45 — 1,54 et 1,45.

Nous allons voir que d’autres faits traduisent la structure discontinue de la matière, et, comme le mouvement brownien, livrent les éléments de cette structure.


  1. Ann. de Phys., t. XVII, 1905, p. 549 et t. XIX, 1906, p. 371. On trouvera la théorie d’Einstein complètement exposée dans mon Mémoire sur Les preuves de la réalité moléculaire (Congrès de Bruxelles sur La théorie du rayonnement et les quanta, Gauthier-Villars, 1912).
  2. Bulletin de l’Acad. des Sc. de Cracovie, juillet 1896, p. 577
  3. Ce qui, incidemment, assignerait aux grains une énergie cinétique 100 000 fois trop faible.
  4. Continues parce que nous ne pouvons imaginer que le granule passe d’une position à une autre sans couper un plan quelconque de part et d’autre duquel se trouvent ces deux positions.
  5. Il ne l’est pas dans la direction de la verticale, à cause de la pesanteur du grain.
  6. En projetant chaque déplacement sur deux axes horizontaux perpendiculaires l’un à l’autre, appliquant le théorème sur le carré de l’hypoténuse, et prenant la moyenne, on voit immédiatement que est égal à .
  7. Considérons un cylindre parallèle à Ox, ayant l’unité de surface pour section droite, et plein de solution. Supposons que la concentration a une même valeur pour tous les points d’une même tranche (comme il arrivera si l’on a superposé avec précaution de l’eau pure et de l’eau sucrée). Le débit au travers d’une tranche sera, à chaque instant, la masse de matière dissoute qui la traverse en une seconde, des régions riches vers les régions pauvres. La loi fondamentale de la diffusion consiste en ceci que ce débit est d’autant plus grand que la chute de concentration près de la tranche est plus brusque :
    .

    Le coefficient , qui dépend de la matière dissoute, est le coefficient de diffusion. Par exemple, dans le cas du sucre, dire que est égal à 0,33/86 400 exprime que, pour une chute de concentration maintenue égale à 1 gramme par centimètre, il passe au travers de la section droite considérée, en un jour, 0,33 gramme de sucre, soit 86 400 fois moins, par seconde.

    Ceci rappelé, à défaut du raisonnement tout à fait rigoureux, je peux au moins indiquer un raisonnement approché (également d’Einstein) qui conduit à la formule en question :

    Soient dans un cylindre horizontal et les concentrations des grains en deux sections et séparées par la distance . La chute de concentration pour la section médiane sera et cette section se laissera traverser vers , pendant le temps , par le nombre de grains . D’autre part, en admettant que les résultats seraient les mêmes si chaque grain subissait pendant le temps , soit vers la droite, soit vers la gauche, le déplacement , on trouve que traversent vers et vers , ce qui fait vers le flux total

    d’où résulte

    ou bien

    qui est précisément l’équation d’Einstein.

  8. On devra, pour que cette décomposition en trois rotations soit légitime, se limiter à des rotations ne dépassant pas quelques degrés.
  9. Il n’est même pas nécessaire de suivre le même grain, ni de connaître sa grosseur. Il suffit de noter pour une série de grains les déplacements et relatifs aux durées 1 et 4. Le quotient a 2 pour valeur moyenne.
  10. C’est-à-dire que sur segments considérés, il y en aura :

    qui auront une projection comprise entre et (le carré moyen étant mesuré comme nous avons vu).

  11. Cela revient à considérer des grains qui auraient même point de départ.
  12. Je ne peux faire exception pour le premier travail consacré par Svedberg au mouvement brownien (Z. für Electrochemie, t. XII, 1906, p. 853 et 909 ; Nova Acta Reg. Soc. Sc., Upsala 1907). En effet :

    1o Les longueurs données comme déplacements sont de 6 à 7 fois trop fortes, ce qui en les supposant correctement définies, ne marquerait aucun progrès, spécialement sur la discussion due à Smoluchowski ;

    2o Et ceci est beaucoup plus grave, Svedberg croyait que le mouvement brownien devenait oscillatoire pour les grains ultramicroscopiques. C’est la longueur d’onde (?) de ce mouvement qu’il mesurait et assimilait au déplacement d’Einstein. Il est évidemment impossible de vérifier une théorie en se fondant sur un phénomène qui, supposé exact, serait en contradiction avec cette théorie. J’ajoute que, à aucune échelle, le mouvement brownien ne présente de caractère oscillatoire.

  13. Physik Zeitschr., t. IX, 1908, p. 465.
  14. On dit souvent qu’on voit le mouvement brownien s’activer quand la température s’élève. En réalité, à simple vue, on ne pourrait rien affirmer du tout si la viscosité ne diminuait pas.
  15. Comptes Rendus, t. CXLVII, 1908, Ann. de Ch. et Phys., Sept. 1909, etc.
  16. Voir par exemple Cotton, Revue du Mois (1908)
  17. Comptes Rendus, 1908, p. 146. La méthode était tout à fait correcte, et avait le mérite d’être employée pour la première fois. J’ignore quelle cause d’erreur a faussé les résultats.
  18. Une difficulté réelle est de ne pas perdre de vue le grain, qui monte et descend sans cesse. Les déplacements verticaux n’ont été mesurés que dans la série VI.
  19. On peut adjoindre à ces résultats des mesures postérieures de Zangger (Zurich, 1911) faites sur les déplacements latéraux de gouttelettes de mercure tombant dans l’eau. Ces mesures ont ceci d’intéressant qu’on peut les faire porter sur une seule goutte, dont le rayon s’obtient d’après la vitesse moyenne de chute, Mais cette application de la loi de Stokes a une sphère liquide tombant dans un liquide ne va pas sans une correction qui affecte le résultat trouvé pour (60 à 59), et qui d’après un calcul de Rybezinski, élèverait ce résultat de 10 unités environ.
  20. Ces inclusions ne modifient pas appréciablement la densité du grain : dans une solution aqueuse d’urée, des grains de mastic se suspendent pour la même teneur en urée, qu’ils contiennent ou ne contiennent pas d’inclusions. J’ai discuté ailleurs la nature de ces inclusions, faites probablement d’une pâte visqueuse renfermant encore une trace d’alcool.

    De façon exceptionnelle il arrive qu’un grain soit formé de deux sphères accolées tout le long d’un petit cercle, résultant évidemment de la soudure de deux sphères pendant qu’elles étaient en train de grossir autour de leurs germes respectifs. Au double point de vue de la naissance de germes et de leur vitesse d’accroissement, ces apparences présentent de l’intérêt en dehors du but ici poursuivi.

  21. Nous savons en effet (35, note) que est égal à 83,2·106, que est égal à 0,3386 400/{{{3}}} (70, note) et que est égal à (273 + 18). Enfin, à cette température, la viscosité de l’eau pure intermoléculaire, à laquelle s’applique le raisonnement (et non pas la viscosité globale de l’eau sucrée) est 0,0105 (46, note).
  22. On peut rapprocher de ce résultat une vérification postérieure de la formule de diffusion, par Svedberg (Z. für Phys. Chem., t. LXVII, 1909, p. 105) pour des solutions colloïdales d’or, à grains amicroscopiques. Le diamètre des grains, évalué, d’après Zsygmondy, à 0,5·10−7 et le coefficient de diffusion (égal aux 4/5 de celui du sucre) donneraient pour environ 66·1022. La grande incertitude dans la mesure (et même dans la définition), du rayon de ces granules invisibles (qui sont probablement des éponges irrégulières de tailles très variées) rend en somme ces résultats moins probants que ceux qu’Einstein avait tirés de la diffusion de molécules pas plus invisibles, à peine moins grosses, et du moins identiques entre elles.

    De plus, Svedberg a fait d’intéressantes mesures relatives où il compare la diffusion de deux solutions colloïdales d’or, les grains de l’une étant (en moyenne) 10 fois plus petits que les grains de l’autre : il a tiré de mesures colorimétriques cette conclusion qu’au travers de membranes identiques, il passe 10 fois plus de ces petits grains que des gros. C’est bien ce qui doit arriver, par application de la formule (si toutefois les pores du parchemin sont assez gros).

  23. Les grains, un peu plus légers que la glycérine, monteront lentement (environ 1 millimètre en deux semaines à la température des expériences). Cela n’a aucune influence sur si la préparation est assez haute pour que la surface étudiée reste au-dessus des couches inférieures privées par cette ascension de leurs grains.
  24. De façon qualitative, M. L. Brillouin a aussi examiné des préparations maintenues dans la glace fondante, à la température de laquelle la viscosité de la glycérine devient plus que 3 000 fois celle de l’eau. Le mouvement brownien, déjà difficilement perceptible pour la viscosité précédente, semble alors absolument arrêté. Il subsiste pourtant et des photographies successives montrent que les grains diffusent lentement vers la paroi, le nombre des grains qui viennent s’y coller croissant avec le temps de façon raisonnable, sans qu’il ait été possible d’attendre assez longtemps pour faire des mesures précises.