Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Almanach/1535

Alphonse Lemerre (Tome IIIp. 257-260).

Almanach pour l’an 1535.[1] calculé ſur la noble Cité de Lyon, à l’eleuation du Pole par xlv. degrez, xv. minutes en Latitude, & xxvj. en Longitude.

Par Maiſtre François Rabelais,
Docteur en Medecine,
& Medecin du grand Hoſpital dudit Lyon.
La diſpoſition de cette Année, 1535.


Les anciens Philoſophes, qui ont conclud à l’immortalité de nos ames n’ont eu argument plus valable à la prouuer & perſuader, que l’aduertiſſement d’vne affection qui eſt en nous, laquelle deſcrit Ariſtoteles Lib. i. Metaph. diſant que tous humains naturellement deſirent ſçauoir. C’eſt à dire, que nature a en l’homme produit conuoitiſe, appetit, & deſir de ſçauoir & apprendre, non les choſes preſentes ſeulement, mais ſingulierement les choſes aduenir, pource que d’icelles la cognoiſſance eſt plus haute & admirable. Parce doncques qu’en cette vie tranſitoire ne peuuent venir à la perfection de ce ſçauoir (car l’entendement n’eſt iamais raſſaſié d’entendre comme l’œil n’eſt iamais ſans conuoitiſe de voir, ny l’aureille de ouyr Eccles. i.) & nature n’a rien fait ſans cauſe, ny donné appetit ou deſir de choſe qu’on ne peuſt quelquefois obtenir, autrement ſeroit iceluy appetit ou fruſtratoire ou depraué, s’enſuit qu’vne autre vie eſt aprez cette-cy, en laquelle ce deſir ſera aſſouui. Ie dis ce propos, pour autant que ie vous voids ſuſpens, attentifs, & conuoiteux d’entendre de moy preſentement l’eſtat & diſpoſition de cette année 1535. Et reputeriez en gaing mirifique, ſi certainement on vous en prediſoit la verité. Mais ſi à cettuy feruent deſir voulez ſatisfaire entierement, vous conuient ſouhaiter (comme S. Pol diſoit Philipp. i. Cupio dissolui & esse cum Christo[2]) que vos ames ſoient hors miſes cette chartre tenebreuſe du corps terrien, & iointes à Ieſus le Chriſt. Lors ceſſeront toutes paſſions, affections, & imperfections humaines, car en iouyſſance de luy aurons plenitude de tout bien, tout ſçauoir, & perfection, comme chantoit iadis le Roy Dauid, pſal. 16. Tunc satiabor, cum apparuerit gloria tua[3]. Autrement en predire, ſeroit legereté à moy, comme à vous ſimpleſſe d’y adiouſter foy. Et n’eſt encores depuis la creation d’Adam né homme, qui en ait traité, ou baillé choſe, à quoy l’on deuſt acquieſcer & arreſter en aſſeurance. Bien ont aucuns ſtudieux reduit par eſcrit quelques obſeruations qu’ilz ont pris de main en main. Et c’eſt ce que touſiours i’ay proteſté, ne voulant par mes prognoſtics eſtre en façon quelconque conclud ſur l’aduenir, ains entendre que ceux, qui ont en art redigé les longues experiences des Aſtres, ont ainſi decreté comme ie le deſcrits. Cela que peut ce eſtre ? moins certes que neant. Car Hippocrates dit, Aphor. i. Vita breuis, Ars longa[4]. De l’homme la vie eſt trop brieue, le ſens trop fragile, & l’entendement trop diſtrait pour comprendre choſes tant eſloignées de nous. C’eſt ce que Socrates diſoit en ſes communs deuis, Quæ supra nos, nihil ad nos[5]. Reſte doncques que ſuiuans le conſeil de Platon in Gorgia ou mieux la doctrine Euangelique, Matth. 6, nous deportons de cette curieuſe inquiſition au gouuernement & decret inuariable de Dieu tout puiſſant, qui tout a creé & diſpenſé ſelon ſon ſacré arbitre : ſupplions & requierons ſa ſainte volonté eſtre continuellement parfaite tant au ciel comme en la terre. Sommairement vous expoſant de cette année ce que i’ay peu extraire des Auteurs en l’art, Grecs, Arabes, & Latins, nous commencerons en cette année ſentir partie de l’infelicité de la conionction de Saturne & Mars, qui fut l’an paſſe, & ſera l’an prochain le xxv de May. De ſorte qu’en cette année ſeront ſeulement les machinations, menées, fondemens, & ſemences du malheur ſuiuant : Si bon temps auons, ce ſera outre la promeſſe des Aſtres : Si paix, ce ſera non par defaut d’inclination & entrepriſe de guerre, mais par faute d’occaſion. Ce eſt qu’ilz diſent. Ie dis quant eſt de moy, que ſi les Roys, Princes, & communitez Chriſtianes ont en reuerence la diuine parole de Dieu, & ſelon icelle gouuernent ſoy & leurs ſuiets, nous ne veiſmes de noſtre aage année plus ſalubre es corps, plus paiſible és ames, plus fertile en biens, que ſera cette-cy, & voirons la face du ciel, la veſture de la terre, & le maintien du peuple, ioyeux, gay, plaiſant, & benin, plus que ne fut depuis cinquante ans en ça. La lettre dominicale ſera C. Nombre d’or xvj. Indiction pour les Romaniſtes viij. Cycle du Soleil iiij.


  1. Almanach povr l’an 1535. Fragment donné par Ant. Le Roy (lib. I, c. 26, p. 130).
  2. Cupio… Chriſto. « Je désire mourir et être avec le Christ. »
  3. Tunc.., tua. « Alors je serai rassasié, lorsque ta gloire aura apparu. »
  4. Vita… longa. « La vie est courte, l’art est long. »
  5. Quæ… nos. « Ce qui est au-dessus de nous n’est rien pour nous. »
    Dans une de ses lettres (t. III, p. 346), Rabelais dit : « Ie vous envoye auſſi vn Almanach pour l’an qui vient 1536. » Il s’agit sans doute de l’un des siens ; mais il ne nous en reste rien, pas même le titre.