Les Îles de la Madeleine et les Madelinots/10

Imprimerie Générale de Rimouski (p. 70-94).

COFFIN ET LA TENURE DES TERRES

Si nos Îles avaient pu élargir leurs cadres restreints et garder leurs fils, elles auraient actuellement onze paroisses de 2000 âmes. Mais les premiers départs ne furent pas causés tant par le besoin d’expansion des Madelinots que par le dégoût qui a ouvert les portes des Îles et fait reprendre le chemin de l’exil à ces gens : ils n’avaient plus un pouce de terre où reposer leur tête.

Quand les fils des Martyrs y abordèrent, ces îles étaient une terre vacante de la Couronne. Ils s’y fixèrent sans ordre au bord de la mer et se taillèrent de petits domaines qu’ils agrandirent et multiplièrent au besoin… Ils étaient les maîtres du lieu : chacun prenait la pointe de terre qui lui convenait et tout était dit. Quand l’Amiral Coffin, en 1781, sollicita de Dorchester la concession de cet archipel, il apprit que ces Îles n’étaient pas comme les autres terres de la Couronne. Mais les insulaires l’ignorant ne firent aucune démarche pour régulariser leur situation et prendre des titres de possession. En cela, ils eurent tort et grandement tort. Et je ne puis comprendre que les gens instruits de l’île n’aient pas flairé ces futures difficultés. Mais, auraient-ils obtenu quelque heureux résultat ? « Il semble que ce soit le sort de ce pauvre peuple de travailler pour autrui. » Ceux qui avaient pu s’échapper dans les bois lors de la dispersion et s’étaient fixés sur les bords de la Baie des Chaleurs eurent beaucoup de peine à obtenir du gouvernement des titres de possession pour les terres qu’ils avaient choisies et défrichées. En 1792, trente ans après leur établissement à Bonaventure, ils n’ont encore rien obtenu et se plaignent qu’on accorde à d’autres les terres qu’ils ont défrichées et améliorées. (Ferland, La Gaspésie, 1879, p. 194.)

Le gouvernement britannique, afin de tirer au net l’affaire de Gridley qui n’était pas un loyaliste, retarda pendant onze ans la demande de Coffin. Cependant, les insulaires ne donnèrent aucun signe de vie, prétendant, dirent-ils dans la suite, qu’ayant habité les Îles au temps où elles appartenaient au gouvernement de Terre-Neuve, ils bénéficiaient de la loi anglaise, alors en force, particulièrement l’acte 10 et 11 Wm. III, chap. 25, par laquelle « Toutes personnes qui depuis le 25 mars 1685 ont bâti, coupé ou fait, ou en tout temps ci-après, bâtiront, couperont ou feront des maisons, cabanes ou huileries ou toutes autres commodités pour la pêche qui n’ont pas appartenu aux bâtiments pêcheurs depuis ladite année, en jouiront paisiblement et librement et s’en serviront sans qu’aucune personne ne puisse les en empêcher. » Et ils croyaient que par l’Acte de Québec qui les unissait à cette province, ils étaient maintenus dans leurs droits. Mais le Colonial Office considéra ces textes de loi comme de vulgaires chiffons de papier. En 1798, il expédia, par lettres patentes, à Sir Isaac Coffin, la concession officielle des Îles de la Madeleine, réservant une partie de l’Île Coffin pour le clergé anglais et la permission à tout sujet britannique d’y faire librement la pêche… Ces terres devaient être tenues en franc alleu, comme en Angleterre.

Lors de leur concession à l’amiral Coffin, les Îles de la Madeleine renfermaient une population de 500 âmes.[1] Le nouveau seigneur lança une proclamation pour faire connaître ses droits aux insulaires qui n’en tinrent aucun compte. Trop occupé ailleurs, Coffin ne peut visiter ses terres qu’en 1806 ; à cette date, il écrit au gouverneur du Canada que 42 familles françaises échappées de Saint-Pierre et Miquelon, en se soustrayant à la vigilance du capitaine Malbon sur l’Aurora, se sont établies sur ses îles et, en dépit de plusieurs proclamations, refusent de le reconnaître comme seigneur ou de lui permettre d’y faire un établissement. Il affirme que ces gens sont des sujets français qui exècrent Sa Majesté Britannique, se livrent à une continuelle contrebande avec les Américains et s’obstinent à ne pas payer la rente annuelle ridicule (trifling) de 2 qtx de morue par famille. En conséquence, il demande que des mesures soient prises pour les déporter rapidement (speedy removal). Il annexe à sa lettre la liste des familles qui viennent de Miquelon, soient 223 personnes.[2] Cette liste ne peut pas être complète puisqu’en 1792, 250 âmes arrivèrent en ces lieux, et que plusieurs y vinrent en 1793-94 et 1804.

Dans une autre lettre, il mentionne 74 familles, ce qui serait un peu plus exact.

Le gouverneur Craig, à qui Coffin avait adressé ses doléances, lui offrit d’envoyer en prison toute la partie mâle de la population et d’y abandonner les femmes et les enfants dont il ne savait que faire. C’était un moyen draconien qui peint bien le terrible et farouche Craig. Pâlis Winslow ! Craig te bat ! Tes méthodes sont surannées : il en invente une nouvelle pour se débarrasser promptement des rejetons de ceux qui t’ont joué. Coffin n’en voulut pas : disons-le à son honneur. Ce qu’il voulait, c’était nettoyer sa propriété de ce vil troupeau de pêcheurs qui riaient de lui et de ses titres de concession et défiaient toute intervention… À cinq cents milles de Québec, il n’était pas facile à la justice de se tenir là avec sa balance à la main. Après avoir tenté l’impossible auprès du trésorier de la force navale pour les expulser comme des étrangers, Craig entra dans une grande colère contre le gouvernement du Bas-Canada qui ne voulait envoyer ni shérif, ni croiseur pour faire déguerpir les intrus de ces îles. » Ayant appris que la loi du Bas-Canada obligeait de rembourser l’occupant de la valeur des biens expropriés, il tenta de faire annexer les Îles à la Nouvelle-Écosse où cette loi n’existait pas. Même échec. Enfin, il demanda au gouvernement de passer un ordre en conseil pour lui permettre d’amener sur ces Îles ses amis et parents des États-Unis, sans les obliger de s’enregistrer. Ils viendraient simplement faire la pêche durant la belle saison et retourneraient à Boston à l’automne. Toutes ces tentatives n’aboutissant à rien et les Madelinots soutenant avantageusement le siège, il finit par écrire à Lord Bathurst qu’ayant vainement essayé d’amener des familles anglaises sur ses îles et ayant déjà dépensé inutilement à cet effet une somme de 5000 livres, il ne voyait pas d’autres perspectives de tirer quelques profits de sa propriété que de la vendre ou la louer aux États-Unis qui en feraient un pied-à-terre avantageux pour les pêcheurs américains. « Car elles ne seront jamais d’aucune importance à la Grande Bretagne, tandis qu’elles rendraient de grands services aux Américains. »

De toute la volumineuse correspondance échangée entre Coffin, son agent, les Lords du Commerce, les gouverneurs du Canada et le gouvernement du Bas-Canada, il ressort que les habitants des Îles de la Madeleine exigeaient des titres allodiaux ou en franc-alleu, c’est-à-dire sans aucune redevance au seigneur, pour toutes les terres qu’ils possédaient et qu’ils avaient défrichées. Ils prétendaient avoir des droits indéniables, et ils les exposèrent à Sir James Kempt, dans une énergique requête, qu’on peut lire à l’appendice VII de ce volume.

Peine inutile ! Le Gouverneur n’accorda aucune considération à cette pétition et laissa Coffin et ses insulaires trancher cette embarrassante question. Tous ces échecs calmaient les esprits et domptaient les volontés. Le seigneur se fit plus conciliant et les Acadiens moins têtus. Ils consentirent à prendre des baux de 999 ans. C’était trop fort. Coffin leur en offrit pour 99 ans. Nenni ! Ces terres nous appartiennent depuis la conquête : vous voulez nous les enlever et nous forcer, par dessus le marché, à vous payer une rente annuelle, il est juste et raisonnable qu’au moins nous posions les conditions.

La rente que l’amiral voulait établir était la même pour tous, sans égard à l’étendue de la propriété.[3]

L’abbé Allain écrit à Monseigneur Burk en 1808 : « Si on fait quelques démarches à son sujet (Coffin) auprès de l’autorité, ce n’est pas qu’on lui contestât ses droits ou privilèges qui ont paru extraordinaires, c’est que l’habitant ne se trouvait pas en état de supporter les charges qu’il prétendait établir et qui ont été bien modérées par la suite. » Si on examine cette question avec les yeux et l’esprit du jour, on comprendra peut-être difficilement, à première vue, que deux quintaux de morue soient une redevance exorbitante. Cependant, ce serait aujourd’hui le joli montant de $15.00, au moins, par année, pour jouir de quelques acres de terre ou d’un morceau de rivage. Si les cultivateurs établis sur les seigneuries des comtés de Rimouski et de Matane, et qui payent encore rente, devaient verser chaque année au seigneur quelque $150.00 ou des produits en proportion, n’auraient-ils pas raison de se plaindre ? Pourtant, il est bien plus facile de tirer profit de son travail dans ces plantureux cantons qu’aux Îles de la Madeleine, il y a cent vingt-cinq ans. Pour comprendre la situation de ces gens, non seulement faut-il reculer plus de cent ans dans le passé, mais encore se transporter sur ces lieux isolés, sans débouché, sans protection et peuplés de pauvres gens, réchappés de bien des naufrages, avec de vieux haillons en partage. Avouons-le crûment, ils ont été traités comme de vils parias. Dans une lettre de l’abbé Brunet, en date du 27 septembre 1838, je lis que « Dans certains lieux un habitant est exposé à voir son habitation concédée à un autre individu, parce que celui qui concède un terrain ne se donne pas la peine d’examiner si ce terrain n’est pas déjà concédé à un autre. Outre cela, un habitant n’est pas maître pour ainsi dire chez lui. Le premier venu s’établira sur son terrain sans qu’il puisse l’en empêcher, à moins de s’en défaire en lui ôtant la vie, car il n’y a pas un homme auquel il puisse s’adresser pour se faire rendre justice. » La situation ne s’améliorait pas vite. Quatorze ans plus tard — le 12 octobre 1852 — l’abbé Charles-N. Boudreault, curé du Havre-Aubert, affirmait, dans une lettre officielle, que : « Certain nombre de ces terres sont occupées depuis dix, vingt, trente, quarante ans et plus, sans aucune tenure quelconque, les habitants n’ayant point voulu jusqu’à présent reconnaître de seigneur ; les autres occupent leurs terres en payant au capitaine Isaac Coffin ou à ses agents, une rente outre mesure, surtout pour le terrain qui leur est absolument nécessaire pour sécher leur poisson ; pour quelques pieds de grève que la mer couvre bien souvent, pour des dunes que je comparerais aux sables mouvants des déserts de l’Arabie et que la moindre tempête bouleverse et démantibule de fond en comble, sans avoir pu néanmoins jusqu’à présent obtenir un bail en bonne et due forme, car tous ceux qu’on a donnés, ne valent guère la peine d’être lus, comme me l’a fait remarquer plusieurs fois monsieur le juge Deblois… On a été même jusqu’à saisir de force des individus et leur faire signer malgré eux de ces baux. »[4] Ceux qui consentirent avec le temps à signer un contrat s’engageaient à payer leur rente annuellement. Si, pour une raison ou une autre, ils retardaient de deux ans, sans aucune autre forme de procès, ils perdaient tous droits, et leurs propriétés étaient louées à d’autres. Auraient-ils été sur cette terre depuis vingt-cinq ans ; y auraient-ils fait des améliorations, des constructions ; auraient-ils été en pleine moisson, rien ne les sauvait de cette criminelle sentence. Coffin prenait sa revanche… Mais, en définitive, cette propriété fut une source d’ennuis considérables et ne lui rapporta jamais aucun profit. Ses demandes au gouvernement du Bas-Canada et ses sommations aux Madelinots n’avaient encore abouti à rien, quand il mourut en Angleterre, le 23 juillet 1839, laissant sa propriété à son neveu John Townsend Coffin, avec substitution en faveur de son fils Isaac Tristram Coffin, à la mort duquel l’héritage passerait aux mains de ses héritiers mâles. John Townsed Coffin mourut le 29 avril 1882, sans avoir réglé cette question épineuse qui avait été étudiée par un comité spécial sous le gouvernement du Bas-Canada, en 1853 et en 1859, et sous celui de l’Assemblée Législative en 1872 et 1875.

Par le rapport de l’enquête de 1852, notre gouvernement connut la pénible situation de nos Madelinots, mais il ne fit rien pour les secourir. Le peu d’espoir qu’ils avaient entrevu ne leur apporta qu’une cruelle déception. Seuls encore à se défendre, et si pauvres, et si ignorants pour faire valoir leurs droits ! Mais, têtus et énergiquement persévérants comme des Bretons authentiques, confiants dans le succès de leur cause, ils refusent de déposer les armes et prennent l’offensive. Contester les droits du propriétaire devant les tribunaux est une entreprise hardie, bien au-dessus de leurs ressources pécuniaires, mais qui ne les épeure pas. Ils s’y hasardent, prêts à tous les sacrifices. Louis Boudreault et autres plaident devant la Cour Supérieure de Québec ; Ed. Vigneau et autres devant celle de Percé ; Louis Boudreault, fils, Alexandre Cormier et autres devant la Cour de Circuit des Îles de la Madeleine. Ils auraient sans aucun doute gagné leur cause, s’ils avaient pu continuer les procédures, mais empêchés par l’éloignement, la difficulté des moyens de transport et le manque d’argent, ils abandonnèrent la partie juste au moment précis où la balance semblait pencher en leur faveur. Quelques jugements confirmèrent Coffin dans ses droits, d’autres renvoyèrent les plaideurs dos à dos ou donnèrent gain de cause aux insulaires : à Alexandre Cormier, que son instruction mettait en mesure de se défendre avec le brio d’un éloquent disciple de Thémis.

On en était là, quand, à la session de l’Assemblée Législative, en l’année 1872, le député de Gaspé, M. Pierre Fortin, obtint la nomination d’un comité composé de l’honorable M. Irvine, de Messieurs Robitaille, Chauveau, de Rimouski, Roy, Gendron, Lavallé, Cassidy et Fortin comme président, pour s’enquérir de la tenure des terres aux Îles de la Madeleine et des meilleurs moyens à prendre pour l’améliorer.

Le long questionnaire suivant fut adressé aux habitants les plus en mesure d’y répondre :

1. — Quel est votre nom et depuis quand habitez-vous les I. M.?

2. — Occupez-vous une ou plusieurs terres dans ces îles et en êtes-vous propriétaire ou locataire ?

3. — Si vous en êtes propriétaire, veuillez dire en vertu de quel titre.

4. — Si vous n’en êtes que locataire, veuillez dire aussi en vertu de quel genre de bail.

5. — Veuillez fournir une copie authentique de votre bail.

6. — Avez-vous connaissance que des habitants des Îles aient contesté devant les tribunaux la validité des titres de l’Amiral Coffin ?

7. — Quelles étaient les prétentions des contestants ?

8. — Quel a été le jugement de la cour ?

9. — Y a-t-il eu appel de ce jugement ?

10. — Veuillez dire combien il y a de genres de baux sur les terres ?

11. — Y a-t-il eu et y a-t-il encore des baux de dix ans ?

12. — Y a-t-il dans ces baux des clauses qui permettent au propriétaire de déposséder le locataire à cause de la non-exécution de quelques-unes des clauses de ces baux ?

13. — Y a-t-il eu des cas de dépossession ou d’expropriation ? Veuillez les citer.

14. — Y a-t-il eu et y a-t-il encore mécontentement parmi la population des Îles à cause du genre de la tenure des terres.

15. — Quelles sont les causes de ce mécontentement ? Quelles en sont les conséquences pour la colonisation et l’agriculture et aussi pour l’industrie de la pêche ?

16. — Y a-t-il eu émigration à cause du mécontentement causé par le genre de la tenure des terres et à combien estimez-vous le nombre des personnes parties ?

17. — Cette émigration continue-t-elle encore ? Et quels en sont les mauvais effets ?

18. — Dans le cas où il n’y aurait aucun moyen légal de forcer le propriétaire de ces îles à changer le système de tenure des terres possédées par les habitants, seriez-vous disposés à recommander que le gouvernement achète les droits du propriétaire sur ces îles ?

19. — Dans le cas où le gouvernement deviendrait propriétaire de ces îles, le système établi par la loi dans cette province pour la vente des terres publiques conviendrait-il aux îles, surtout en ce qui regarde la vente des terres à bois ?

20. — Et sous ce système, les habitants des Îles auraient-ils plus ou auraient-ils moins de facilités qu’il en ont maintenant pour se procurer le bois de chauffage, le bois de service, nécessaire pour la construction de leurs granges et autres bâtiments servant aux exploitations agricoles, et le bois de clôtures ?

21. — Et si ce système ne convenait pas, veuillez dire quelles modifications au système de la vente des terres établi par la loi vous trouveriez nécessaire ?

22. — Veuillez faire connaître l’importance des Îles au point de vue de la défense du pays, du commerce en général et de l’industrie de la pêche en particulier, de l’agriculture et de la colonisation.

23. — Enfin, veuillez faire connaître à ce comité toutes autres informations qui pourraient l’éclairer sur le sujet qui est référé par la Chambre.

24. — Y a-t-il des taxes scolaires et municipales aux Îles ; et de quelle manière sont-elles imposées ?

Plus de cinquante insulaires s’empressèrent de répondre le plus clairement possible à ces deux douzaines de questions, dans l’espoir que cette nouvelle démarche apporterait quelque solution à leurs inextricables difficultés. Voici très succinctement le résumé de toutes ces réponses suivant l’ordre des questions. Elles nous peignent la situation sur le vif.

1. — Tous les Acadiens qui ont répondu à l’enquête habitent les Îles depuis leur naissance ; Fontana, depuis 42 ans, Fox, 25 ans, Delaney, 25 ans, Painchaud, 23 ans.

2. — Chacun est locataire d’un simple lot, excepté Alexandre Cormier, plusieurs ; Richard Delaney, 3 ; John Fontana, 2 ; John Fox, 6 ; Édouard Borne, 3 ; Nelson Arseneault, plusieurs ; J.-B.-F. Painchaud, plusieurs : Bruno Thériault, 2 ; Prosper Turbide, un lot, mais paye rente pour deux depuis trois ans.

3. — Seuls, Borne et Painchaud, se disent propriétaires, ayant un bail emphytéotique vendable.

4. — Tous, en vertu d’un bail ou de dix, ou de cinquante, ou de quatre-vingt-dix-neuf ans, et d’aucuns à perpétuité.

5. — Voir copie d’un bail, appendice IX.

6. — Plusieurs ont contesté aux Îles et à Percé en 1846-47 et d’autres à Québec en 1858.

7. — Leurs prétentions étaient appuyées sur la prescription. Ils alléguaient que, possédant la terre par les ancêtres avant 1798, Coffin n’avait pas le droit de leur faire payer rente, que les baux étaient illégaux, trop onéreux et contraires au progrès de la colonisation permanente et assurée.

8. — Jugement en faveur de Coffin : abandon des terres par les récalcitrants. En 1846-47, les procédures furent abandonnées à cause de la difficulté des moyens de communication, chacun payant ses frais…

9. — Aucun appel n’eut lieu à cause de la pauvreté des gens impuissants à solder les dépenses, occasionnées par l’éloignement de la cour.

10. — Il y a des baux de dix ans, de trente ans, de cinquante ans, de quatre-vingt-dix-neuf ans, des baux — les premiers — pour une rente fixe, les autres pour quinze sous l’acre et le grand nombre à un chelin l’acre. Fontana, le chargé d’affaires de Coffin, répond que tout locataire payant une rente d’un chelin l’acre a droit d’exiger un bail à perpétuité, mais Alexandre Cormier affirme qu’il demande instamment des baux perpétuels comme en possèdent quelques rares privilégiés, mais que l’agent refuse opiniâtrement de lui en accorder. D’après Fox, les anciens baux, en vertu desquels les possesseurs auraient pu, avec chance de succès, plaider prescription, furent retirés sournoisement, par les agents, des mains de ces gens sans expérience et sans connaissance juridique et remplacés par d’autres moins équivoques.

11. — Oui, il y a encore des baux de dix ans, mais on n’en donne plus.

12. — Oui, après deux ans de non-paiement, le locataire perd sa terre avec toutes les améliorations, et en tout temps elle est hypothéquée.

13. — Firmin et Louis Boudreau, Dominique et Casimir Arseneau, Jean Chevérie, François, Vilbon et Fabien Lapierre ont été dépossédés. Voici le récit de ce dernier : « J’occupais ma terre depuis environ vingt-cinq ans, ayant toujours payé fidèlement ma rente. En 1863, je partis pour le Nord, ne sachant si je m’y fixerais ou non. Je laissai ma terre aux soins d’un nommé Basile Cormier et d’un nommé Émile Morin ; ils en jouiraient tous les deux pendant mon absence, mais à la condition expresse de l’entretenir, de payer la rente et de me la remettre à mon retour. Ils ont, en effet, payé la rente la première année ; la seconde, l’agent du propriétaire a refusé de la recevoir et il a pris possession de ma terre. De plus, il a défoncé ma maison qu’il a remplie du foin coupé dans ma prée ; ensuite, il a vendu ma terre à Désiré Chiasson.

« À mon retour, l’année suivante, lorsque je réclamai ma terre, il menaça de me chasser du pays ou de m’empêcher de couper du bois sur les Îles, si je poursuivais mes réclamations. Enfin, il a tout mis en œuvre pour m’intimider et me faire cesser mes poursuites judiciaires ; mais, encouragé par les sages conseils du Révérend M. Boudreault, notre dévoué curé acadien, j’ai tenu bon contre vents et marées, et j’ai enfin réussi à avoir la moitié seulement de ma terre. J’ai signé un nouveau bail qui m’oblige à payer un chelin par arpent ; l’autre moitié demeure la propriété de l’acheteur pour la somme de cinq louis. »

14. — Toutes les réponses sont unanimes :

La population a toujours manifesté et manifeste encore du mécontentement au sujet de la tenure des terres, telle est toujours la grande et presque l’unique cause de l’émigration en masse, malgré l’opinion intéressée de Fontana, en horreur aux Îles, à cause de ses tyranniques exactions. Comment qualifier un tel régime qui par cabale et influence honteuse exonère le richissime seigneur de toute contribution scolaire et municipale dans de pauvres îles où le peuple est si indigent, quels que soient les rapports mensongers et exagérés des ressources et de la prospérité de la région ! Fontana prétend que ce mécontentement doit être attribué au caractère particulier et toujours mécontent de la population : « Il semble qu’il y a ici une grande méfiance contre les hommes qui occupent une position. » Fox, tout aussi bien renseigné et plus digne de foi, assure au contraire que la rente est exorbitante, comparée au prix des autres terres en ce pays, et donc le mécontentement général parfaitement fondé. « Il se trouve d’anciens colons qui peuvent sans doute payer leur rente et qui sont satisfaits de leur position, car celle-là n’est pas en proportion du nombre d’acres de terre qu’ils occupent. Plusieurs d’entre eux ont cent acres en état de culture florissante et ne payent en tout que quinze chelins ou un quintal et demi de morue par année ; tandis qu’un jeune colon qui désirerait la même étendue de terre inculte et sans bois, serait obligé de payer à présent vingt piastres par année. Il n’y a plus maintenant de comparaison entre les nouveaux et les anciens octrois de terre qui accordaient au jeune colon autant de terre qu’il désirait en clore pour trois piastres par année. De là le retard de la colonisation et le découragement des jeunes gens qui sont ainsi forcés d’aller chercher ailleurs à gagner leur misérable existence. »

15. — Rentes trop élevées, pas d’encouragement en haut lieu et découragement général de la population, pas plus riche qu’il y a cinquante ans. Comment espérer qu’ils amélioreront une terre dont ils ne pourront jamais être les vrais maîtres mais dont ils pourront être brutalement dépouillés au moindre retard de paiement. « Nous avons déjà plusieurs fois payé le plein prix de nos terres en rentes et rien ne nous reste, et ce qui nous afflige, nos enfants devront payer encore. » Les meilleures terres sont prises et les rentes sont plus élevées que jamais. N’est-ce pas de nature à décourager les jeunes colons les mieux trempés. « On doit avoir beaucoup d’égard pour ces colons qui, pour la plupart, sont ignorants ; leurs ancêtres, avant 1840, ne formaient qu’une seule famille et vivaient heureux et en paix ; n’étaient soumis qu’à la patriarcale autorité de leur prêtre en qui ils avaient confiance absolue ; c’est à lui qu’ils recouraient pour recevoir des avis désintéressés et des secours généreux. » (Fox). Fontana seul prétend que l’agriculture et les pêcheries n’en sont pas affectées. Les autres témoignent qu’on arrête ainsi le développement des Îles, en paralysant le commerce et en éloignant les étrangers qui pourraient y placer des capitaux. L’émigration et l’exode en masse de tout un peuple, voilà l’inévitable aboutissement d’un pareil état de choses.

16. — Oui, émigration continuelle : de 200 à 250 familles ont dû quitter les Îles, pour trouver un gîte et gagner librement et honorablement leur morceau de pain.

17. — L’émigration continue tout le temps et les meilleurs pêcheurs abandonnent les Îles, voilà le témoignage de tous les enquêteurs, excepté John Fontana qui allègue candidement que l’émigration se continue en petit nombre, sans nuire au propriétaire, parce qu’il se présente toujours de nouveaux sujets pour remplacer les partants. La cause de l’émigration est certainement la rareté du combustible, ajoute-t-il. La belle histoire !… Fox n’est point du même avis : un grand nombre ont déjà quitté, vendant à vil prix ce qu’ils ne pouvaient pas emporter, et beaucoup plus les auraient suivis, s’ils en avaient eu les moyens. Ceux qui restent tournent sans cesse leurs regards du côté de la terre promise. Ce printemps il est parti une goélette chargée de monde pour les Sept-Îles.

18. — Tous désirent vivement que le gouvernement achète les Îles, dans l’espoir de devenir ainsi réellement propriétaires. Plusieurs se disent prêts à racheter leurs terres à n’importe quel prix, pourvu qu’ils en soient effectivement les maîtres.

19. — Le système établi par la loi ne conviendrait pas pour les terres à bois que quelques-uns seulement accapareraient. Déjà on importe le bois de construction. Actuellement le bois est libre sur les terres inoccupées.

20. — Sous ce régime, il serait impossible aux habitants de se procurer le bois de chauffage, car les terres boisées sont inhabitables. Du bois de construction, il n’y en a plus ; et, quant aux clôtures, elles sont faites d’un mur en terre, en pierre ou en haie vive, ce qui est beaucoup trop coûteux pour le censitaire à rente, susceptible de déguerpir au premier froncement de sourcil de l’agent ; ce dernier devient presque toujours un peu tyrannique par l’influence qu’il exerce, surtout aux élections locales où, par menaces et fausses promesses, il réussit à faire élire aux fonctions publiques ses créatures, gens à tout faire et se vendant au plus offrant, qui n’oseront pas taxer le propriétaire. » (Alex. Cormier).

21. — Les habitants devraient avoir le droit de couper le bois de chauffage partout où il y en a ; sans cela ils seront presque tous forcés d’émigrer.

22. — L’importance des Îles au point de vue de la défense du pays a déjà été démontrée : elles peuvent abriter presque toute la formidable flotte d’Albion. Plus de 250 goélettes pêcheuses y restent en sûreté pendant les tempêtes, et souvent on y voit de 300 à 400 vaisseaux sur leurs ancres en même temps. Il se fait actuellement des travaux gigantesques pour le creusage des havres ; depuis peu on a élevé des phares et posé des bouées. L’agriculture y est maigrement encouragée, toutefois les habitants cultivent et élèvent du bétail qui fait grand honneur à leur laborieuse industrie. Plusieurs, tout en s’occupant de la pêche, portent d’année en année une plus grande attention à la culture du sol qui est à la fois bon et productif. Les grains et les végétaux y réussissent également bien.

23 et 24. — Alexandre Cormier, secrétaire-trésorier de 1846 à 1868, ne réussit qu’en 1861 à faire fonctionner le système scolaire et municipal, quoique la municipalité eût été fondée en 1846. Pendant quinze ans, elle a été en léthargie. Avant 1861, les contributions scolaires étaient volontaires. L’amiral avait bien promis une souscription annuelle, mais son agent ne voulut la donner qu’une seule fois. ($20.) Les insulaires se plaignent amèrement de ce que le propriétaire ne contribue en rien à l’organisation locale. Les taxes scolaires sont de 1% à 1½% et les taxes municipales consistent en deux jours de corvée ou $0.80 par jour.

(Signé)

Arseneau, Élie
Arseneau, Calixte
Arseneau, Zéphirin
Arseneau, J.-Nelson
Arseneau, Hector
Arseneau, Fidèle
Arseneau, Dominique
Arseneau, Casimir
Born, Édouard
Boudreault, Chs-N.
Boudreault, Félix
Boudreault, Zacharie
Boudreault, Gilbert
Bourgeois, Charles
Bourgeois, Évé
Chevrier, Edmond
Chevérie, Jean
Chevérie, Olivier
Chiasson, Jean
Chiasson, Étienne
Chiasson, Germain
Cormier, Alfred
Cormier, Alexandre
Cyr, Nazaire
Delaney, Richard
Fontana, John
Giasson, Édouard
Gaudet, Julien
Hébert, André
Hébert, Émile
Hébert, Hippolyte
Jomphe, Timothé
Jomphe, Laurent
Jomphe, Étienne
Lapierre, Vilbon
Lapierre, Fabien
Lebel, Noël
McPhail, Robert
Painchaud, J.-B.-F.
Poirier, Jean
Renaud, Simon
Richard, Hippolyte
Richard, Simon
Thériault, Édouard
Thériault, Alexandre
Thériault, Bruno
Thériault, G.-William
Turbide, Prosper
Vigneau, Évé

Le 13 février 1875, M. Fortin, président, faisant rapport au gouvernement du travail accompli par son comité, termine ainsi : « Ces Îles sont habitées par une population active, laborieuse, forte et désireuse de profiter des avantages que lui offre un sol très propice à la culture. »

Treize ans après, M. Chs-A. Lebel, avocat de Montréal, chargé d’une autre enquête sur le même sujet qu’il étudia sur place, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de cette population « travailleuse, frugale et courageuse, qui ne compte absolument que sur ses propres forces pour assurer son bien-être… En un mot, les habitants des Îles sont heureux et vivent aussi bien que possible. Leurs besoins ne sont pas matériels mais purement moraux ; ils souffrent de la situation inférieure et humiliante qui leur est faite, comme citoyens de notre pays, et des restrictions opposées à leur développement et à leur établissement stable. »

Après avoir relaté les misères de la tenure des terres au gouvernement qui se les entend répéter pour la centième fois, il conclut de la même façon que Fortin en 1875 : « Le seul remède, c’est l’achat par le gouvernement du domaine de l’île et la revente des terres aux occupants. L’achat de ces îles par le gouvernement serait une œuvre patriotique : l’agrandissement de notre domaine provincial ; une œuvre utile, car elle apporterait un revenu assuré ; enfin, ce serait aussi une œuvre sociale, car elle améliorerait le sort de 8000 braves Canadiens qui, par leur magnifique et leur énergique endurance, ont des droits sacrés à notre appui et à nos sympathies. »

Eh bien ! malgré toutes ces enquêtes — il y en eut une autre l’année suivante — et ces beaux rapports, le gouvernement ne se décidait à rien.

Le propriétaire croyait enfin le moment venu de faire fortune avec son héritage, aussi voulut-il saisir la balle au bond. Dès 1872, il promet $4,000. à son agent, John Fontana, s’il réussit à arracher au gouvernement 20,000 livres pour sa seigneurie. Ses instructions à l’endroit de l’habitant sont de plus en plus exigeantes, dans l’espoir probable de forcer le gouvernement à accepter ses conditions draconiennes.[5]

Tant que les anciens baux ont subsisté, en dépit de leur « illégalité et de leur teneur onéreuse », les habitants ont plutôt plié l’échine et s’y sont conformés à contre-cœur. Mais un beau jour, Monsieur Aurmont Sybrand David Van Barneveld, nouvel agent de Coffin, leur apprend qu’ils devront désormais en accepter d’autres beaucoup plus exorbitants, avec mille tracasseries nouvelles.[6] C’était trop fort : on avait déjà trop souffert de l’ancien système pour se laisser piétiner et écraser davantage. Indignée, toute la population se leva, comme un seul homme, pour protester et opposer la plus énergique résistance. Durant l’hiver 1888-89, de multiples assemblées publiques furent tenues dans les diverses municipalités de l’archipel et la pressante et énergique requête suivante fut préparée, puis transmise le 6 mai aux honorables membres du Conseil Exécutif de notre province.

Messieurs,

L’humble requête des soussignés habitants les Îles de la Magdeleine, dans le comté de Gaspé.

Expose :

Que ces Îles sont presqu’entièrement habitées par les descendants de ces braves et malheureux Acadiens qui, chassés de leur pays par la conquête, vinrent chercher un refuge sur leurs bords inhabités, dans l’espoir d’y trouver enfin le repos et la tranquillité qu’ils croyaient avoir assez chèrement achetés par leurs interminables infortunes imméritées.

Que depuis cette première occupation, ces Îles sont passées entre les mains d’un seigneur habitant l’Europe, lequel ne s’y intéresse que pour en exprimer la substance, en y maintenant un système de rentes qui fait obstacle à leur prospérité et fait plier les habitants sous un fardeau insupportable. C’est une nouvelle Irlande en plein cœur de la libre Amérique.

Que ce système est tellement incertain et oppressif, qu’il nous retire jusqu’au courage de cultiver nos terres et d’y faire aucune amélioration, car nous vivons perpétuellement sous la crainte d’une expulsion arbitraire, et cette crainte n’est certes pas chimérique car, outre les nombreuses expulsions dont nous avons été les témoins indignés, nous voyons aujourd’hui que les notifications sont déjà faites par le ministère du notaire public pour l’expulsion en bloc des habitants des îles Entrée et Brion, (environ quinze familles) sous le fallacieux prétexte que leurs baux sont expirés, mais en réalité parce que leurs terres, devenues très fertiles et très productives, feraient la fortune de quelques protégés éhontés d’un propriétaire sans entrailles. Rien ne nous dit qu’une pareille spoliation ne nous soit pas réservée dans un avenir plus ou moins éloigné.

Qu’en rentes annuelles seulement nous estimons avoir payé plusieurs fois la valeur de nos terres, et que néanmoins après plus d’un siècle de ce système, aucun ne peu se flatter de posséder le coin de terre nécessaire pour creuser sa tombe.

Que jusqu’à présent le propriétaire, par ses agents, a réussi, à force d’intimidation et d’autres moyens inavouables, également réprouvés par le droit divin et par le code criminel, à éluder la loi pour s’exempter de toutes taxes municipales et scolaires sur les propriétés non concédées.

Que, pour comble d’injustice, l’agent actuel a déjà essayé d’annuler les titres maintenant en force, pour leur substituer des titres semblables à ceux dont nous vous transmettons ci-inclus une copie ;[7] nous sommes fermement convaincus que la seule lecture de cet odieux document aura plus d’éloquence que tous les anathèmes dont nous pourrions le charger.

Que cette forme de bail dont l’adoption équivaudrait, sous une autre forme, à une deuxième expulsion en masse, plus inique encore que la première, nous nous déclarons ici à la fois incapables d’en remplir les conditions et crânement décidés à la repousser vigoureusement, quelles que puissent être d’ailleurs les lourdes conséquences de notre refus. Telle est la teneur de notre requête librement et unanimement exprimée en diverses assemblées publiques, tenues à cet effet en ces Îles.

La puissance du Canada se glorifie à juste titre d’être le pays libre par excellence : tout citoyen possède le coin de terre qu’il cultive ; seules les Îles de la Magdeleine sont encore en servage ; voilà ce qui augmente l’amertume de nos regrets et nous fait envisager d’un œil d’envie la prospérité de la Puissance en général et de la province de Québec en particulier, prospérité à laquelle notre position géographique, nos travaux, surtout nos malheurs, nous donnent bien le droit d’aspirer. Pour plus amples informations et afin d’étayer nos plaintes sur des faits indiscutables, nous vous référons humblement au rapport du comité nommé par la législature de Québec en 1875, avec mission de s’enquérir de la tenure des terres en ces Îles et des moyens de remédier au plus vite à un état de choses déjà alors reconnu intolérable.

En conséquence de ce que dessus, vos pétitionnaires, confiants dans la justice de leur cause et comptant sur la solidarité qui doit unir tous les citoyens d’un même pays, et sur l’esprit de justice qui vous anime, concluent humblement que, conformément aux conclusions du susdit comité, le gouvernement de Québec devienne acquéreur des droits du propriétaire des Îles de la Magdeleine, afin de revendre ensuite les terres aux habitants à telles conditions qu’il lui plaira d’imposer pour en obtenir le remboursement.

Nous, vos humbles pétitionnaires, nous nous déclarons prêts à tous les sacrifices possibles pour briser les lourdes chaînes de notre honteux esclavage ; et, pour prouver à nos libérateurs magnanimes que nous ne sommes ni des dégénérés ni des ingrats, notre reconnaissance sera à la hauteur des services rendus et de la sainte liberté reconquise. Et nous ne cesserons de prier.

Îles de la Magdeleine, 1889.

Les huit cent trente-huit signataires de cette respectueuse et énergique supplique attendaient avec une bien légitime confiance une réponse au moins encourageante et sympathique. Mais, hélas ! ils ne reçurent que la sèche et laconique missive suivante :

« La requête des habitants des Îles de la Magdeleine par vous adressée à l’honorable Premier Ministre, le 6 mai dernier, a été prise en sérieuse (?) considération, et je regrette beaucoup d’avoir à porter à la connaissance des nombreux pétitionnaires, dont les noms figurent au bas de cette requête, que le gouvernement se trouve actuellement dans l’impossibilité d’acquiescer à cette demande.

3 juin 1889.E.-E. TACHÉ, Com…re T. C.

Le 29 juin, nouvelle assemblée des habitants qui décident unanimement de poursuivre les démarches commencées auprès du gouvernement. — Le 8 juillet suivant, le préfet, John Ballantyne, s’adressant au Premier Ministre, lui-même, l’honorable Honoré Mercier, résume de nouveau leur position :… « Un examen attentif de ce bail convaincra votre honorable gouvernement, je le suppose, qu’il est impossible à des citoyens ayant droit à la liberté des sujets anglais de se soumettre aux conditions y contenues… Cette question n’est pas nouvelle, car elle a été soumise au gouvernement de Québec, il y a une quinzaine d’années, et les habitants ont montré une patience extraordinaire en attendant si longtemps sans obtenir aucune réforme ; et le temps est arrivé où le gouvernement de Sa Majesté à Québec doit faire quelque chose, avant que des troubles n’éclatent entre le propriétaire et ces citoyens si pacifiquement disposés. Par votre réponse du 3 juin, vous placez, plus que jamais, la population entre les mains de l’agent… »

Hélas ! la réponse du Premier Ministre fut aussi décevante que l’autre, car le gouvernement n’avait pas du tout l’intention d’acheter cette propriété, suivant le témoignage du commissaire des terres de la couronne, Georges Duhamel, en date du 24 décembre 1888, dans une lettre à M. Barneveld.

Pour temporiser, on multipliait les enquêtes dans l’espoir de trouver une solution satisfaisante et acceptable par tous. En février de l’année 1890, la question fut de nouveau mise sur le tapis, devant l’Assemblée Législative qui ordonna la production de tous les documents relatifs à cette affaire épineuse.[8]

Cette importante question, capitale pour nos Madelinots, allait être bientôt résolue à la satisfaction de tous. Encore quatre ans et le gouvernement de la province de Québec, à la quatrième session de la huitième législature, 1894-95, allait voter une loi concernant la tenure des terres aux Îles de la Magdeleine. C’est l’honorable E.-J. Flynn, alors commissaire des terres de la couronne et député du comté de Gaspé, qui en fut le courageux promoteur.

La population s’élevait à cette époque à plus de 5,000 âmes ; il y avait 820 occupants à des titres différents : 14 à perpétuité, concédés par Isaac Coffin, 12 à perpétuité, non rachetables, concédés par John Townsend Coffin, 794 rentes emphytéotiques à vingt sous l’acre. De ces 794 rentes emphytéotiques, pour 99 ans, 27 étaient concédées par John Townsend Coffin et les autres par Isaac Tristram Coffin qui ne pouvaient pas, ni l’un ni l’autre, accorder de titres pour plus que la durée de leurs droits et trompaient, par le fait même, ceux qui les prenaient pour 99 ans.

La loi de 1895 porte que : 1. — toutes les terres concédées à date appartiendront à l’avenir à leurs propriétaires ; 2. — tous ceux qui occupent des terres, sans titres, mais qui payent une rente annuelle verront leurs droits reconnus ; 3. — tout occupant, avec ou sans titres, qui paye une rente annuelle, deviendra propriétaire en propre de son lot, avec la seule obligation de payer la rente au seigneur, ou de la racheter, en payant un capital qui produira à l’avenir la même rente, au taux légal d’intérêt au temps du rachat ; 4. — ce rachat peut se faire par versements annuels ou en une seule fois.

Trois amendements subséquents furent apportés à cette loi : le premier, à la session suivante — en l’automne de 1895 — modifiait les conditions de rachat qui ne se ferait plus qu’en un seul paiement, entre le premier de mai et le premier de novembre de chaque année ; le second, deux ans après, permettait au locataire de devenir propriétaire par le paiement d’une somme qui produirait à l’avenir la même rente, au taux légal d’intérêt, qu’à l’époque du rachat : les deux tiers de cette somme étant payés par l’acheteur et l’autre tiers par le gouvernement, à même les fonds consolidés de la province. Ceux qui avaient déjà effectué ce rachat pouvaient jouir des mêmes privilèges. Le troisième amendement, sanctionné le 5 mars 1915, déterminait que le paiement des deux tiers pourra se faire en un, deux, trois ou quatre versements, mais avec intérêt à 6% sur les versements à échoir, le racheteur consentant à perdre ses titres au rachat, s’il néglige de faire ses paiements aux dates fixées. Dans ce cas, ce qu’il a payé lui sera remis et la rente rétablie.

Un grand nombre d’habitants se sont prévalus de cette loi pour acquérir les titres définitifs de leurs propriétés.[9] C’est ce qu’ils voulaient depuis cent ans. Il y avait bien près de cinquante ans que la tenure seigneuriale était abolie dans la province, que le colon canadien pouvait être maître et seigneur chez lui, et le Madelinot était encore forcé de prendre des titres sans valeur aucune, courant continuellement le risque d’être exproprié un jour ou l’autre.


  1. V. app. VII
  2. Voir app. VIII
  3. Il y avait cependant quelques exceptions : Quand Sir Isaac Coffin, conduisant Lord Dorchester à Québec, arriva en vue des Îles, le temps n’était pas clair, ni le ciel serein, mais les nuages roulaient avec violence et une furieuse tempête s’annonçait. Coffin jugea bon de chercher un abri, mais il ne connaissait pas les Îles. Ayant eut la chance, avant le mauvais temps, d’aller à terre, il prit pour pilote un nommé Germain Arsenault qui lui évita beaucoup de désagrément.

    Une fois propriétaire de l’archipel, Coffin se souvint de Germain Arseneault et, pour lui prouver sa gratitude, lui accorda le privilège, à lui et aux siens, de prendre toute la terre qu’ils voudraient à une rente bien minime. (Hipp. Thériault). C’est probablement une explication à la remarque de Faucher de Saint-Maurice : « Plusieurs d’entre eux ont cent acres en état de culture pour lesquelles ils ne payent annuellement que quinze chelings ou un quintal de morue. Ce sont les rois de l’archipel ceux-là, et ils font bien des envieux autour d’eux. »
    Op. cit. p. 193.

  4. Voir app. IX
  5. Voir app. X
  6. Voir app. XI
  7. Voir app. ΧΙ
  8. C’est dans la réponse à cet ordre que j’ai trouvé les renseignements précédents. Je dois mille remerciements à l’aimable bibliothécaire du Parlement d’Ottawa, M. J. de L. Taché qui, après bien des recherches, a déniché ce document dans un recoin de la bibliothèque et l’a gracieusement mis à ma disposition.
  9. La rente moyenne est actuellement de 20 sous l’acre ; pour les lots de grève qui n’ont pas plus d’une acre, elle varie de une à quatre piastres.

    Nota : Les réserves du clergé protestant abolies par le gouv. furent vendues par le dép. des terres, de 1874 à 1884. (1276 acres).

    La Eastern Canada Fisheries Limited qui avait acquis les droits des Coffin fit faillite en 1924. Les terres vacantes et les lots à rente de l’archipel furent achetés par M. Maurice L. Roy de Montréal, et son établissement du Cap-aux-Meules pour l’exploitation de la pêche, par Wm Leslie & Cie.