Michel Gaillard (p. 8-23).
Comment Panurge partant de Salmigondin pour aller en Phrygie, rencontra Hegemon, lequel voulut eſtre & luy seruir de guide. Leur embarquement au port de Sigee auec le nom des Iſles & mers qu’ils paſſerent, les grands perils & hazards qu’ils ſouffrirent à cauſe des tempeſtes. Et comme Panurge fut ſauue miraculeuſement des flots par vn Dauphin, & porté contre tout eſperance en l’Iſle Imaginaire
Chapitre II.
Panurge.


APres que i’eus mis ordre, comme vous ſçauez en toute ma chaſtelenie de Salmigondin & Dipsoin ; que mes menus affaires furent conclus & rãgez le tout en bon ordre. Apres mille adieux, s’il vous en ſouuient la plus part noyez de larmes d’vn coſté & d’autre : ie me partis tout beau ſeulet à pied ſans lance, & prins le chemin à gauche tirant du coſté de Phrygie. Et pour ne laiſſer rien en arriere, ie n’auois encores cheminé plus d’vn cart de lieuë Italienne, que i’ouys vne voix qui crioit apres moy, Panurge, Panurge, redoublant par pluſieurs fois les meſmes mots ; qui fut cauſe que me tournant ie vis vn homme courant apres moy, auquel parlant ie luy demande : qui esſtes vous mon amy, que me criez vous ? que me voulez vous ? Ie ſuis dit il Hegemon cogneu par tout le monde. C’eſt moy qui meyne, qui conduis, & qui guide toutes bonnes gens au vray chemin où qu’ils aillent, ou qu’ils vueillent aller. Teſmoin m’en ſoit Alexandre le grand, il auoit beau reguingamber en ſon Macedoine, ja ſans moy n’auroit-il veu, ny conqueſté les deux Poles da monde. Eſtiez-vous de ce temps, luy dis-ie ? ouy dit-il, c’est moy-meſme qui le conduiſant le fis eſtre Seigneur de tourte la terre. Retournez vous en mon amy, luy dis-ie, vous n’auez iamais eſté bon guide. Par ſainct bodin, que ie tiens en ma beſace, ie ne me ſçaurois iamais fier à vous, à la fin vous me tromperiez comme vous trompâtes Alexandre. Teſte verde, pourquoy le menaſtes vous en Oxidraque, il y fuſt ſi bien eſtrillé. Hegem, Ce ne fut pas par mon conſeil, ie vous promets que i’eſtois encores endormy ſur le roſty, quand il partit ; ayant la puce à l’oreille gauche. Panurge. Commẽt, n’eſt-il pas bon auoir la puce à l’oreille gauche ? Hegemon, non ma foy, monſieur, il eſt beaucoup meilleur à la droite ; car de ce coſté arriuent toutes bonnes nouuelles & bons preſages. Panurge. Ie ſuis dõc d’auis de chãger la mienne de l’autre coſté, & croirois volontiers ton dire, car non eſt bonum ſignũ » : toute la nuict paſſee elle n’a fait que tintamarrer, i’ay peur que cas ita mal, Dieu le bon Dieu, garde de mal Panurge, & du mauuais preſage des puces. Hegemõ. Ie ſuis celuy qui guidois Iupiter par la mer Pontique, le tenant par vne de ſes cornes, lors que metamorphoſé en taureau, il emportoit la troiſieſme partie da monde, à ſçauoir Europe. Plus ie le guiday dans le bois qu'il y culbuta la fille d’Inache, & en pluſieurs autres lieux, où ie l’ay fait barelicoquer ſon beau plein ſaoul, auec Deeſſes, Demi deeſſes, Nymphes, Driades, Oreades, Hamadriades, & Nanoydes. Et iamais ſans moy il n’auroit de ſon calibis, calibiſtonné Alcmene, d’où ſortit ce muſarno d’Hercule. Panurge. S. Gobelin, tu ne me parles que des culbutades de ce paillard, tu me romps ma deuotion ; fi au diable, ie croi que tu es heretique. Si tu me preſchois guieres tu me ferois damner à plus de cinq charretées des petits diablotins. Fi, fi ; du coton, çà que ie bouche mes oreilles. Hegemon. ha ! pauuret tu me fais pitié, & où voudrois tu aller ainſi, vnicus, ſingularis ? Panurge, per quam regulam, ne vois-tu pas ma gibeſſiere garnie de carrolus, & ce baculum ſenectutis, pour la deffendre. Hegem mais encore, permetez que i'aille auecques vous, où que diable ſoit. Panurge. Ie le veux, à cõdition toutesfois que tu ne me parleras plus de ces ruffiens des dieux que tu dis auoir ſeruis. Mais ie doute encore ; dis-moy, ſerois-tu point ce Mercure conſiſtorial, enuoyé pour enuoyer, de la part de ton paillard, maiſtre Caluin, ie voulois dire Iupin ? Hegem. ha, non ie le vous iure deuant & derriere, par la teſte, & par les pieds, & s’il en eſtoit beſoin, ie ferois icy le ſerment d’Atis, en danger d’auoit vn iour les (vous m’entendez bien) couppez à raſibus, deux doigts pres du fourreau de voſtre nez. Ie ſuis beaucoup plus que ce petit ruffien de Mercure. Et cot noir, ſans moy ce maquereau n’auroit iamais oſé entreprendre ſur Argus à tous ſes yeux de plumes ; ce fut moy qui guiday rhetoriquemẽt le coup de ſon courbé glaiue, deſſous le mentõ du ſurueillant, qui fit bondir ſa teſte en l’air comme ſi ce fuſt eſté la teſte d’vn petit chardõneret. Panurge. Quand i’eus ouy tous ſes diſcours, ie fus d’accord auec luy, à la charge toutesfois qu’il ne me couſteroit qu’vn peu du ſang de ma gibeſſiere. Parquoy apres nous auoir promis & iuré la foy l’vn à l’autre, nous voila en chemin. Et marchant enſemble, ie luy deſcouuris vne partie de mon deſſein. Pour faire court dixneuf iours apres nous arriuames en Phrygie, au port de Sigee, duquel partit autresfois Paris pour aller en Grece rauir Helene. Et là ayant fait aſſemblee des meilleurs Pilotes ; tous ſages & vieillards, ie leur demanday qui d’eux voudroit entreprendre de me conduire aux Iſles Canaries. Soudain ſe preſenterent à moy Glauque, fils de l’autre Glauque, iadis changé en poiſſon, & Polypheme nepueu du Dieu Neptune, deux forts ſages pilotes, & me dirent qu’il n’y auoit qu’eux deux en ces parties capables d’entreprẽdre ce voyage, & me promirent qu’à la bonne heure ils me rendroyent ſain & ſauue aux Canaries. Parquoy me demãdaiẽt comme ſçauans, en quelle des ſept ie voulois prendre terre, & leur ayant dit que c’eſtoit à S. Borondõ, ou Imaginaire, m’aſſeurerent de m’y rendre. Fut queſtion de partir, le vent eſtant fauorable : prouiſion faite pour dix ans, de toutes choses neceſſaires à la pauure nature humaine. On cõmence tout premierement de faire ſacrifice au grand Dieu Neptune, d’vne hecatõbe de forts taureaux, & demy hecatõbe de jeunes geniſſes, pour l’amour d’Amphytrite. Apres cela vous n’euſſiez ouy le ciel tõner à force de canonades, tambours, trompettes, &c. Et deuë colation faite on leue les rames, les voiles ſont dreſſees auec mille cris de ioye, & exclamations d’alegreſſe. Hegemon me promit bonne iſſue de ce nauigage. Nous ſinglames dõc vers la mer Heleſponte où Hegemon me monſtra le paſſage par lequel paſſa Iupiter portant Europe fille d’Agenor. Ainſi trauersant la mer Egée dite l’Archipel, enuirõnames pluſieurs Iſles Ciclades ; laiſſames Nigrepont à dextre & Candice à ſeneſtre, où par ſingularité Hegemon me monſtra vn grand plane ſous lequel (à ce qu’il me dit) Iupiter defflora Europe. En l’archipelague me fut auſſi monſtré le pont qui ioint Negrepont à l’europe baſti sur le canal qui eſt au coſté d’Attique. Et lors que nous aprochames le promontoire de la Malée, Morée, ou cap S. Ange ; ou bien l’Iſle S. Michel, pour crainte des perils qui s’y treuuent ; nous tournames aux ports de Cithærée, oppoſite à la grande cité de Lacedemone, où me furent monſtrees les ruines des deux Cités Citharee, & Chranac, enſemble le temple de Venus iadis tant renõmé pour s’y eſtre ladite Deeſſe apparue premier qu’en autre part du monde. Pres de Chranaé me fuſt auſſi monſtré le lieu où Paris print terre, amenant quant & ſoy la femme de Menelaüs, où il la cogneut pour la premiere fois. Et par ſingularité nous cueilliſmes de l’herbe Helenium, iadis ſortie des yeux de la belle Heleine. Puis prenant le Ponant nous voila en Achaie, à laquelle, comme on dit, Achée fils de Iupiter donna le nom. Ie priay mes pilotes de me faire prendre terre pour aller à Corinthe voir le temple de Venus, & pour achepter quelques choſes neceſſaires à ma ſanté, la mer m’ayant deſia baillé force attaques, & debilité mõ eſtomach, à force de vomiſſement. Puis de là nous fiſmes voile en Delos l’vne des Ciclades, & nous fut monſtré le lieu où Latone accoucha d’Apollon, & Diane, auec pluſieurs autres ſingularites que ie laiſſe pour abreger. Partant de Delos comme nous fuſmes aſſez auant en la mer, voilà vne forte tempeſte qui s’eſleua, Boreas, aquilon cum ſociis eius ſouffloient, petoyent, veſſoyent tant & ſi impetueusement contre noſtre pauure vaiſſeau, que ſans l’aide du bon Dieu, & le ſage gouuernement de Polypheme, qui inuoca son grand oncle Nepetune, coniura Amphitrite ſa tante, & adiura tous les Tritons ; Nous eſtiõs tous perdus : iamais Panurge, le pauure Panurge ne fuſt venu à Beaucaire, c’eſtoit fait de luy, & de toute ſa fortune. Hegemon me iura qu’il auroit voulu eſtre à ces heures deſjeunant de petits paſtez à Salmigondin. Mais comme Dieu n’oublie iamais les ſiens, les vents ayant ceſſé, & la mer s’eſtant rendue bonaſſe ; nous nous trouuames au dela de la ligne equinoctiale, huict degrés du pole Antartique, dixſept degrez & demy du tropique de Capricorne. Lors que Glaugaec eut remarqué l’aſſiete du pays il recogneut que nous ayant eſchappé les orages & tẽpestes de la mer, eſtions tombés en la terre des Margajacs, peuple du tout cruel & barbare, comme ceux qui ſont Antropophages. Helas ! ſi le pauure Panurge fut tombé entre leurs mains, ſans doute il fut eſté boucané ; mais Dieu m’en garentit, comme aurtresfois il m’auoit sorti de la broche tout lardé. Nous euitames ce danger & vinſmes en l’Amerique, qui eſt vn pays fort agreable, l’air y eſtant fort doux, & les gens du tout debonnaires. Ils vont tous nuds tant hommes que femmes ; qui fut cauſe qu’iceux ayant aborde noſtre vaiſſeau pour nous faire vne bien venue, tous nos gens ; ou ie me donne à S. Borondon ; voyant ces jeunes popines ainſi nues, belles, & fraiſches, ne pouuoient depeſtrer leurs yeux de deſſus leurs beautez Ameriquaines, tant que mõ paillard d’Hegemon en ayant ſaiſi vne, choiſie ſur toutes les autres, marchãdoit à leur patois de langage, à combien le picotin de l’auoine . Ce que voyant de peur de quelque trahiſon, apres auoir fait aiguade, & rafrechy nos viures, nous ſinglames en haute mer, & vinſmes en l’Iſle de Cuba, ou Fernandine. La nous fut aduis que le Soleil eclypçoit, pour la multitude des oyſeaux de paſſage, leſquels offuſquoient l’air de l’ombre de leurs aiſles, tenant iceux la route du Nord, au Sud. Sortans de ceſt’Iſle, toſt apres nous entraſmes en la mer herbue sous le tropique de Cancer. Là il nous fallut auoir des coignees au manche long, & autres ferremẽts pour couper ces herbes qui ſont fort eſpaiſſes flottantes ſur la mer, leſquelles empeſchoient le cours de noſtre vaiſſeau, non ſans grand peril. Et lors que nous euſmes franchy ce peril, voila la tempeſte qui ſoudainement ſe leuant en la mer : nous fit toſt recognoiſtre l’inconſtance de ceſt Element : le ciel, la mer & la terre n’eſtoyẽt plus qu’vn ; Tous les elements ſembloyent retourner à leur premier chaos, noſtre vaiſſeau s’attachoit tãtoſt aux cornes de la Lune, & puis ſoudain redeſcendoit iuſques au fonds des abyſmes ; nos patrons ſe rendent à la mercy des vagues, leur ſcience prend fin, le courage leur manque, adieu pauure Panurge. Hegemon criant miſericorde, de peur, de crainte, d’eſtonnement, print vn grand flux de ventre & chia fort copieuſement. L’incagade de Fargueiroles ny de Mornay, ne fut iamais plus copieuſe, l’vne a Niſmes, & l’autre à Fontaine beleau, Tout le monde crie miſericorde, & moy ne voyant aucun ordre dans ce deſordre : ſentant deſia la mort me ſaiſir le colet, noſtre vaiſſeau preſques remply des flots eſcumans, caſſé & briſé de la force des vagues, i’allois exhortãt mes pilotes, & taſchois de leur remettre le cœur au vẽtre, mais en vain, ils eſtoyent froids comme glace. Hegemon n’auoit plus qu’à rendre l’ame. Sur ces entrefaites il me vint en memoire l’hiſtoire de Ionas le Prophete, que i’auois leuë le iour precedent : parquoy me pensa que quelqu’vn de nous deuoit eſtre comme luy la cause de ces orages, & qu’il ſeroit bon de ietter le ſort pour le cognoiſtre, & puis ietter ce mal-heureux en la mer, afin d’apaiſer la tourmente. Ou bien le ſacrifier à Neptune, puis qu’à l’heure nous n’auions point de bœufs, que poſſible il ſe contenteroit d’auoir vn veau pour ceſte fois. Mais voicy le mal-heur ioinct à vne bonne fortune, le ſort tombe ſur le pauure Panurge, tellement que voila Panurge, le pauure Panurge, voſtre camarade Panurge, panurge voſtre bon amy, qui s’eſtant couppé de ſon couſteau, condamné de ſa propre bouche, le voila, le voila mes amis qui s’en va boire à vos bonnes graces. Toutesfois on me donne le chois, ou d’eſtre immolé à Neptune cõme vn veau, ou d’eſtre ietté entre les bras d’Amphitrite. Ie les pria de me donner à ceſte Deeſſe. Tandis le ciel tonnoit, la mer eſcumoit, Apollõ & Diane, de crainte, cõme ie croy, eſtoyent r’entrés au ventre de leur mere Latone. Et tous les Dieux & corps celeſtes. s’eſtoyent retirez ſur le grand Olympe. Deſia Iupiter auoit enuoyé Mercure aſſembler ſon conſeil, croyant que la guerre gigantine ne fut de retour. I’eſtois là à la miſericorde de Dieu & de mes pilotes, & ce qui augmentoit ma douleur, eſtoit que moy meſme eſtois cauſe de mon malheur. Ie me prepare pour boire plus que manger, dis adieu à Hegemon qui pleuroit comme vn veau : Ie prie que s’il ſe ſauue qu’il apporte de mes nouuelles à Salmigõdin & Dipſoin. Et qu’il face entendre ces tristes nouuelles à quelqu’vn de mes camarades croyãt que pour l’amour de moy, il feroit sonner toutes les cloches de Paris. Ces adieux acheués, il me print enuie de faire la mort d’vn Cygne, affin qu’on dit que Panurge auoit eu autant de courage en la mort qu’en la vie. Parquoy ie ſors de ma gibeſſiere mes cymbales, & me mettant ſur le bord du Nauire, commençay à iouër & chanter melodieuſement,

Et le filon, tire lire lire,
Et le filon tire lire bon.

Et puis.

Neptune, grand Dieu de la mer,
Vous qui commandez ſes riuages,
Faites vn peu ſes vents calmer,
Et me gardez de ſes naufrages,
Si i’arriue à Sainct Borondon,
Ie vous donneray mon bourdon.

Et apres encores plus ioyeuſement.

Pauures huguenots que le cœur vous tremble
Quand l’Aigle & le Lys ſe ſont ioints enſemble,
Guerindon, guerindon, guerindaine, guerindon.

Soudain voila vne troupe de Dauphins qui arriuent charmés de ceſte melodie, & cernans noſtre vaiſſeau faiſoient gambades parmy les flots & les vagues, & Panurge touſiours à ioüer & chanter comme deſſus. Tandis on me deçoit, Polypheme me pouſſe par derriere en la mer ; voila le pauure Panurge fricaſſé : faisant bouillõner les ondes beuuant touſiours d’autant. Toutesfois ie iouois touſiours de mes cymbales, ayant perdu ma canterelle, quand voila vn amoureux Dauphin, celuy meſme ( ſi ie ne me trompe) qui auoit sauvé autresfois Ariõ qui me charge ſur ſon eſchine nouãt en plaine mer. Ie fus poſſible dix ans à cheual sur le dos de ce Dauphin ſans prendre terre ioüant touſiours des cymbales. Le vnzieſme ie commençay à deſcouurir Polux & Castor, Heleine eſtant abſente. Ses feux me donnarent preſage que les tempeſtes ceſſeroyent bien toſt, ce qui fut vray ; car toſt apres ie vis le ciel ſerain, la mer demeura calme, à cauſe des Alcions qui pour lors couuoyẽt leurs œufs. I’aperçeu de loin la terre, & y euſſe deſia voula eſtre ; quand mon cheual habile nageur m’y ietta. Et de bonne fortune me treuſuay-je en l’Iſle Imaginaire où tendoit de tout temps mon voyage, ayant ſauué quand & moy, Dieu mercy, ma besace, mon bourdon & ma bouteille, pour ma gibeſſiere elle pendoit touſiours à ma ceinture, croyant que ſi quelque poiſſon la deuoroit, que par hazard on la pourroit treuuer dans ſon ventre, comme fit autresfois Maguelonne le Sendal où eſtoient pliez les bagues deſquelles elle auoit fiancé ſon Pierre de Prouence. Et que tel les recouureroit qui diroit vn In viam pacis, ou vn Requieſcat in pace, pour le pauure Panurge. Mõ Dauphin m’ayant ietté à terre, d’alegreſſe fit trois ou quatre ſoubreſſaux, & me dit adieu & moy à luy, en le remerciant à la pareille. Pour le pauure Hegemon i’en fus long temps en peine, enſemble de mes bons Pilotes, quoy que Polypheme m’eut ietté en la mer. Car i’ay touſiours creu qu’il ne l’auoit fait de malice. Ils arriuerent en fin apres la tẽpeste de l’Iſle de fer vne des Canaries ou fortunées comme i’ay ſçeu en l’autre monde ſains & ſauues Dieu ſoit loüé : il est vray qu’ils furent long temps à chercher l’Iſle Imaginaire, mais leur imagination ne la ſçeut oncques imaginer. Si iamais vous les voyés mes amis, demandez leur des nouuelles, ils vous en diront. Taumaſte. Aportez de pain, de vin, & de viande, hola Madame, & viſte depeſchés-vous courez touſiours, faites toſt, à la haſte, à la faim. Cor noir, Panurge mõ bon amy, vous auez ieuiné dix ans & demy ſauf le droit de plus, encores ne parlez-vous de manger ny de boire. Creophile. mon petit mignõ criez à la faim, à la faim. Panurge. Tout beau Taumaſte, ſçachez qu’vne des filles du grãd Atlas, donna autresfois à ma grãd mere vne riche pomme, & d’admirable vertu, qu’elle auoit cueillie au iardin de ſes ſœurs les heſperides. Sçachez auſſi l’ante qui porte ces põmes, eſt venu du Paradis terreſtre. Aſtolphe leur en auoit donné les greffes : car il y fut du temps qui cerchoit le ſens de Roland deuenu furieux pour l’amour d’Angelique : le Prophete Henoc les luy auoit donnez, & luy auoit apprins la vertu, qui eſt telle que l’homme qui la porte sur soy n’a iamais ny faim ny ſoif, que ſi l’vn ou l’autre luy arriue, en prenant ſeulement l’odeur de ceſte pomme, il ſe trouuera ſoudain guery. Et par droit de ſucceſſion i’ay acquis ceſte pomme, que ie porte touſiours ſur moy. Epistemon. Ce ſont d’autres nouuelles, ça donc continuez s’il. vous plait voſtre hiſtoire.