Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard/1878-05-25
La couture de l’aérostat a été terminée récemment ; deux étagères semblables à celle que nous figurons ci-dessous (fig. 2) avaient été construites à chaque extrémité de l’atelier ; la première contenait les panneaux destinés à former l’hémisphère nord, la seconde, l’hémisphère sud. Chaque rayon des étagères contenait les 104 panneaux de même grandeur, destinés à former les 104 côtes de la sphère. La couture de cet aérostat de 4 000 mètres de surface, a été exécutée à la machine à coudre, par 40 ouvrières travaillant sous l’habile direction de M. Roger, auquel M. Giffard a déjà confié la couture de ses ballons captifs de Paris en 1867 et de Londres en 1868. Pour joindre les 1 456 panneaux et unir les 104 fuseaux du ballon, il a fallu faire plus de 15 000 mètres de couture simple ; ce travail a exigé l’emploi de 100 bobines de 500 mètres de gros fil, soit une longueur totale de 50 000 mètres de fil.
Toutes les coutures ont été recouvertes intérieurement et extérieurement de bandes d’étoffe collées au caoutchouc. Le poids des bandes employées dépasse 550 kilogrammes ; elles ont exigé plus de 110 kilogrammes de solution de caoutchouc. Le ballon va être verni par cent ouvriers, puis enduit de deux couches de peinture au blanc de zinc. Il ne restera plus qu’à procéder au gonflement qui se fera incessamment à l’aide du grand appareil à gaz hydrogène pur que M. Henri Giffard a construit, et qui peut produire 2 000 mètres cubes de gaz à l’heure.
Le ballon seul avec ses deux soupapes pèse 5 000 kilogrammes, le filet et les cordes 4 500 kilogrammes, la nacelle et son arrimage 1 600 kilogrammes, les cercles de l’aérostat, le peson et les tendeurs de caoutchouc inférieurs, 750 kilogrammes. Le poids total du matériel fixe est donc de 11 850 kilogrammes, auquel il faut ajouter le câble de 650 mètres qui pèse 3 000 kilogrammes. Mais la puissance ascensionnelle de l’aérostat sera de 25 000 kilogrammes. Le ballon pourra donc facilement enlever tout ce matériel avec un excédant de force considérable, et les cinquante personnes qui monteront dans la nacelle, ne seront qu’une plume pour le géant aérien.
Notre figure 1 donne le plan et la coupe du tunnel souterrain, où s’engage le câble pour passer du treuil T où il s’enroule, jusqu’à l’ouverture de la cuvette CD où il est fixé au cercle de l’aérostat par l’intermédiaire d’un peson placé au milieu de l’espace annulaire de la nacelle. Le câble traverse le tunnel qui a 60 mètres de longueur ; il passe dans la gorge d’une poulie à joint universel adapté au fond de la cuvette conique et s’élève jusqu’à l’aérostat. Ce câble long de 650 mètres a 0m,085 de diamètre à l’extrémité supérieure, 0m,065 de diamètre à l’extrémité inférieure qui demeure fixée au treuil de fonte.
Le ballon sera amarré à terre par huit cordes de 0m,085 qui seront attachées à son cercle d’acier, et qui passeront dans les gorges de huit poulies fixées à des scellements de maçonnerie B, B, B… Huit autres scellements de maçonnerie A, A, A… permettront d’attacher ces câbles à des barres de fer et de les tendre au moyen de treuils. Seize autres scellements sont places circulairement sur une circonférence de 80 mètres de diamètre, et serviront à attacher les cordes d’équateur pendant le gonflement. Deux de ces scellements sont représentés sur notre plan en E, E.
Le ballon captif qui a en nombre rond 4 000 mètres carrés de surface (exactement 3 924 mètres) offre en projection à l’effort du vent une surface de 1 000 mètres carrés. Il a fallu que M. Giffard songeât à construire l’aérostat de telle façon qu’il puisse résister aux plus grands vents quand il est amarré à terre.
S’il survenait un ouragan d’une violence extrême, de 40 mètres à la seconde, l’effet de cet ouragan se traduirait sur l’aérostat par une action mécanique correspondante à un poids de 35 000 kilogrammes. En admettant que cet effort exerce son effet sur deux cordes d’amarrage seulement, ces cordes auront à résister chacune à une traction de moitié, soit de 17 500 kilogrammes. Pour donner une juste idée de la solidité du matériel, il nous suffira de dire qu’il faudrait un effort près de trois fois plus considérable, de 50 000 kilogrammes, pour rompre chacune des cordes d’amarrage prise isolement, et qu’il en faudrait un de 100 000 kilogrammes pour arracher l’un des scellements de maçonnerie. Ajoutons en outre que les vents de 40 mètres à la seconde que l’on considère dans ce calcul, ne se sont observés à Paris que tout à fait, exceptionnellement, et dans des localités bien moins abritées que ne l’est la cour des Tuileries.
Pour donner une idée complète du monument aéronautique que M. Henri Giffard a construit, il nous resterait à parler de la partie mécanique du système, des chaudières à vapeur, des machines, du treuil de fonte, pièce gigantesque pesant 40 000 kilogrammes, il nous faudrait décrire la nacelle, les soupapes de l’aérostat, le peson ; la poulie à joint universel, l’appareil à gaz qui sert à produire 25 000 mètres cubes d’hydrogène. Nous réservons ces détails complémentaires pour le moment où le grand ballon captif à vapeur aura fait sa première ascension ; nous les publierons quand il aura inauguré la série des voyages aériens qui permettront aux visiteurs de l’Exposition universelle de contempler à 600 mètres d’altitude, l’imposant spectacle du panorama de Paris.