Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard/1878-04-27

LE GRAND BALLON CAPTIF À VAPEUR
DE M. HENRI GIFFARD.
(Suite. — Voy. p. 295 et p. 305.)

La confection du ballon captif s’exécute dans un grand atelier qui mesure 28 mètres de longueur sur 14 de large. Cet atelier est construit dans la cour des Tuileries, du côté du pavillon de Flore, à l’un des angles du terrain qui a été concédé à M. Henri Giffard.

L’étoffe dont nous avons donné la description a été livrée en 46 pièces de 90 mètres de longueur environ, sur 1m,10 de large. Chacune de ces pièces est d’abord soumise à un étirage qui a pour but d’éprouver sa résistance et de vérifier sa solidité.

Notre figure 2 représente cette intéressante opération. Chaque extrémité de la pièce déroulée est pincée entre deux tiges de fer, serrées à l’aide de boulons ; l’une des extrémités de l’étoffe est attachée à un poteau et maintenue fixe ; l’autre extrémité que notre gravure montre sur le premier plan, est reliée à un treuil par l’intermédiaire d’un peson qui mesure en kilogrammes l’effort auquel l’étoffe est soumise. Quatre hommes tournent le treuil jusqu’à ce que le peson indique un effort de 1 000 kilogrammes ; cet effort dépasse de trois fois au moins celui que la pression du gaz devra exercer sur le tissu quand l’aérostat sera gonflé. Il est le tiers de celui qui serait nécessaire pour rompre l’étoffe.

Pendant cet étirage, l’étoffe s’allonge d’une manière très-notable, de 5 pour 100 de sa longueur environ. On la laisse soumise à l’action de la traction de 1 000 kilogrammes pendant 15 minutes. L’opération n’a pas seulement pour but de vérifier la solidité du tissu ; elle est aussi destinée à prévenir ses déformations postérieures sous l’influence de la dilatation du gaz, et à éviter que le vernis superficiel, beaucoup moins extensible, ne puisse craquer ; cela se produirait infailliblement si l’étoffe qui lui sert de support venait à s’allonger. Nous dirons d’ailleurs, une fois pour toutes, que rien n’est abandonné au hasard dans la confection du ballon captif ; M. Henri Giffard, dans cette construction colossale, a tout soumis au calcul, comme il soumet tout à l’épreuve.

Fig. 2. — Étirage des pièces d’étoffe du grand ballon captif de M. Henri Giffard.

Quand la pièce d’étoffe est étirée, elle est enroulée autour d’un cylindre de bois et placée dans un support, en face de la table où l’on procède à la coupe des fuseaux.


Fig. 1. — figure montrant l’un des 104 fuseaux du ballon captif de M. Henri Giffard. (Ce fuseau est décomposé en ses 14 panneaux.)
M. Giffard a étudié l’épure du ballon de manière à obtenir le moins de déchet possible et à multiplier les coutures ; celles-ci, pourvues de leurs bandes, forment en effet un réseau de nervures qui consolident considérablement l’aérostat. Il a voulu enfin que les coutures horizontales ne fussent pas irrégulières, mais formassent sur la surface de la sphère une série de parallèles équidistants.

La figure 1 représente, dédoublé en deux parties, depuis le pôle nord jusqu’à l’équateur et depuis l’équateur jusqu’au pôle sud, l’un des 104 fuseaux qui constituent la sphère. Le rayon des soupapes supérieure et inférieure est de 1m,02 ; une surface circulaire de 2m,04 de diamètre est donc réservée au pôle nord et au pôle sud Chaque fuseau comprend 14 panneaux d’étoffe ; ceux du haut et du bas ont 1m,60 de longueur ; tous les autres 4m,20. Les 14 panneaux sont figurés ci-contre (fig. 1). Il faut en couper 104 de chaque espèce. La totalité des panneaux numérotés 0-1, 1-2, 2-3,… jusqu’à 13-14, est, par conséquent, de 1 456. La coupe de l’étoffe s’exécute à l’aide d’un tranchet spécial, monté sur une solide poignée de bois. L’extrémité du manche de bois est appuyée sur l’épaule du coupeur, qui guide et fait agir l’instrument tranchant avec ses deux mains. Huit épaisseurs d’étoffe sont superposées sur la table de découpage (fig. 2) ; on fixe les tissus sur la table à l’aide de clous enfoncés dans l’épaisseur de leur bord ; on les maintient en outre au moyen d’étaux de bois qui les pincent de distance en distance. La coupe s’opère avec le tranchet, que guide une grande règle plate en acier. Le tracé du panneau à couper est fait au crayon en suivant exactement les contours d’un patron en papier.

Fig. 3. — Coupe des fuseaux.

Le panneau 2-3 est compris deux fois dans la largeur de la pièce ; le panneau 1-2 se coupe dans la largeur avec le panneau 3-4 ; le panneau 0-1 avec le panneau 4-5. La surface presque entière des pièces est ainsi utilisée, et les déchets sont insignifiants.

La figure 1 donne les cotes des panneaux dont la surface totale forme la sphère de 4 000 mètres carrés, mais dans la coupe on augmente les dimensions des panneaux de 3 centimètres, afin de réserver la largeur de l’étoffe que nécessite la couture.

Le dessin et les cotes d’un des 104 fuseaux nous donnent exactement toutes les mesures du ballon captif. On voit que les panneaux numérotés 6-7 et 7-8 (fig. 1) ont 1m,07 de largeur à l’équateur. En multipliant ce chiffre par 104, nous avons la circonférence de la sphère : 111m,28. Nous avons encore la circonférence, en additionnant les hauteurs des panneaux qui forment un fuseau. Soit 12 panneaux à 4m,20 = 50m,4 ; ajoutons à ce chiffre 3m,20 pour les deux panneaux polaires de 1m,60, 2m,04 pour les deux rayons des soupapes ; nous arriverons au total de 55m,64 pour la demi — circonférence. Multiplions par 2, nous retrouverons 111m,28 pour le méridien comme pour l’équateur. La circonférence de 111m,28 nous donne pour la sphère un diamètre de 35m,42 correspondant à un volume de 25 000 mètres cubes. Mais avec la tension du gaz dans le ballon gonflé, le volume sera augmenté. M. Giffard a calculé que cette tension pourra donner une pression de 3 centimètres d’eau à la soupape inférieure. L’aérostat, sous cette pression, et par suite de son élasticité, atteindra 30 mètres de diamètre, correspondant à un cube qui dépasse 25 000 mètres.

Gaston Tissandier.

— La suite prochainement. —