Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume III/Chapitre I/I


 
Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1893.
Annales du Musée Guimet, Tome 24.


INTRODUCTION
CHAPITRE I
L’Avesta moderne et l’Avesta sassanide
I.
L’Avesta moderne est le débris de l’Avesta sassanide. — Analyse de l’Avesta sassanide dans le Dînkart. — Fragments inédits. — Les vingt et un Nasks sassanides.


I

L’Avesta, tel que nous le possédons, n’est que le débris d’une littérature beaucoup plus vaste, divisée en vingt et un livres ou Nasks, que l’on possédait au temps des Sassanides.

L’Avesta sassanide lui-même, suivant la tradition parsie, n’était que le débris d’une collection antérieure, détruite en grande partie par Alexandre. Alexandre, dit un Rivâyat, fit traduire en grec les Nasks qui traitaient d’astronomie et de médecine et fit brûler les autres. Après lui, les grands prêtres se réunirent, écrivirent chacun les parties de l’Avesta qu’ils se rappelaient, et ainsi fut restauré ce que l’on possède de l’Avesta. Il ne resta qu’un Nask complet, le Vendidad 1[1].

Les Rivâyats modernes nous ont transmis les noms des vingt et un Nasks, avec une analyse sommaire de leur contenu. Mais ces noms sont corrompus et présentent des variantes considérables d’après les divers Rivâyats ; et d’autre part les analyses sont trop vagues et trop sommaires pour permettre de se faire une idée exacte du contenu des Nasks. Aussi, si nous en étions réduits à ces Rivâyats, nous ne pourrions ni nous prononcer sur l’authenticité de cette tradition, ni la corriger ou l’interpréter. Pendant longtemps, en fait, la tradition des vingt et un Nasks est restée quasi légendaire, et le rapport de notre Avesta avec cet Avesta ancien est resté problématique et nébuleux.

Deux ordres de documents nouveaux viennent tout récemment d’entrer en ligne de compte et permettent d’établir que notre Avesta actuel est en effet le débris d’un vaste Avesia antérieur, l’Avesta sassanide, quel que soit d’ailleurs le rapport de celui-ci avec une littérature plus ancienne. D’un côté, les fouilles faites par M. West dans des couches plus profondes de la tradition ancienne nous mettent en face des sources mêmes des Rivâyat modernes. En effet, le Dînkart, vaste compilation pehlvie rédigée au courant du ixe siècle et qui est une sorte de Somme théologique du Zoroastrisme, contient une large analyse des vingt et un Nasks, tels qu’on les possédait sous les Sassanides et tels qu’on les connaissait encore deux siècles après la conquête arabe. D’autre part, les nombreux fragments inédits que nous publions dans ce volume, et dont un grand nombre se laissent identifier sans peine et sans incertitude aucune avec tel ou tel passage analysé par le Dînkart, prouvent que la littérature analysée par le Dînkart est une littérature réelle et authentique et nous font toucher du doigt les Nasks sassanides. Il devient par là possible d’établir une comparaison générale entre l’Avesta, en grande partie perdu, des Sassanides, tel qu’on l’entrevoit à travers le Dînkart, et l’Avesta fragmentaire que nous possédons. C’est par cette comparaison que nous devons commencer. Le rapport entre cet Avesta sassanide et un Avesta achéménide est un problème différent, qui naturellement ne peut être abordé qu’après celui-ci.

L’auteur de l’analyse ne l’a point faite sur le texte original, sur ce que nous appelons abusivemenl le texte zend 1[2] ; il l’a faite sur les traductions avec commentaires, rédigées en pehlvi, que l’on possédait de toute la littérature. Pour prendre les termes exacts, il a travaillé non pas sur l’Avesta, mais sur le zend 1. Il a du par suite lui arriver parfois de faire entrer dans son analyse des données qui n’appartiennent pas à l’original, mais à la traduction avec commentaire sur laquelle il travaille. On en a des exemples dans son analyse du Vendidad 2[3] et du Nîrangistan 3[4], textes pour lesquels nous possédons à la fois et l’original et le commentaire. Par suite, il ne faut pas prendre cette analyse comme représentant exclusivement l’Avesta ; et dans l’analyse des Nasks pour lesquels nous ne possédons pas les mêmes moyens de contrôle, il y a aussi plus d’un détail qui évidemment n’a pas dû appartenir à l’original : telles sont par exemple les mentions de personnages sassanides qu’elle contient parfois 4[5] et qui viennent certainement du commentaire. Mais ces réserves faites, l’exemple même des analyses du Vendidad et du Nirangistân nous prouve la fidélité ordinaire de cette analyse, fidélité telle que, pour nous retrouver dans la suite des idées du Nirangistàn, nous n’avons pas eu d’autre guide que l’analyse du Dînkart 1[6].

Les Nasks sont au nombre de vingt et un, répondant aux vingt et un mois de l’Ahuna vairya 2. Ils sont divisés en trois classes, de sept Nasks chacune, répondant aux trois lignes de l’Ahuna 2[7].

La première classe comprend les Nasks relatifs aux Gâthas, gâsàn ; la seconde classe, les Nasks de la Loi, dât ; la troisième, ceux du Hadhamàthra. Selon le Dînkart, les Nasks gathiques ont pour objet la connaissance théorique et pratique du monde spirituel, du monde supérieur 3[8] : les Nasks datiques, la connaissance théorique et pratique du monde matériel, du monde inférieur 4[9] ; les Nasks hadha-màthriques ont pour principal objet la connaissance et la pratique intermédiaires entre les deux 5[10]. On pourrait donc définir ces trois groupes : le groupe de la Théologie, le groupe de la Loi, le groupe mixte. Le Dînkart d’ailleurs observe lui-même que cette division n’est pas stricte et que chaque groupe contient des matières qui appartiennent plus logiquement à l’autre.


  1. 1. Rivâyat de Dastûr Barzû Qiyâm-uddin ; l’auteur habitait à Nausàri dans la première moitié du xviie siècle. — Ce Rivâyat traduit par Anquetil dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, t. XXXVIII, 239-254, et un autre Rivâyat de même nature, qui n’est guère plus précis, publié dans les Fragments relatifs à la religion de Zoroastre de Olshausen et Mohl, 1829, ont été pendant près d’un siècle les seuls documents consultés sur la question. — M. West a traduit une série de documents de ce genre à la suite de son Dînkart (Pahlavi Texts, IV, 418-447).
  2. 1. Rappelons que zend signifie le sens, le commentaire ; le texte s’appelait Apastâk, Avesta. « Avesta et Zend » (Apastâk u-zand) désignait l’ensemble de la littérature originale et de son commentaire traditionnel (cf. vol. I, xl).
  3. 2. Cf. §§ 6, 18, 24, 26 de l’analyse (West, Dînkart, VIII, 44).
  4. 3. La plus grande partie des §§ 11-12 de l’analyse du Nîrangistân (West, ibid., VIII, 29).
  5. 4. Par exemple, la mention d’Atarpât Mahraspandàn dans le Cîtradât (ibid., VIII, 13, 18), dans le Sûtkar (ibid.. IX, 8, 4) ; l’assimilation des Sassanides ans Hvâfrita dans le Cîtradât, § 46 : cf Yt. V. 130, note 166.
  6. 1. Cf. Rivâyat de Bahman Pûnjyah, ap. West, Dinkart, 418.
  7. 2. Cf. West, Dînkart, VIII, 1, 6-7 et tout le chapitre.
  8. 3. apartar minôi-dânishnih minôi-kârîh (ibid., § 5).
  9. 4. azîrtar gîtî dânishnîh u-gîti-kàrîh (ibid.).
  10. 5. avîrtar âkâsîh u-kàr-î madam zak-i mîyân hand 2 [ibid.).