E. Dentu (p. 155-164).


CHAPITRE XVII

EXAMEN ET SUITE DE DIVERS MARIAGES.


Quelques fantaisistes osent avancer : « Que l’amour ne se prouve pas par les grandes choses, mais par les petites. » L’amour, croyons-nous, se prouve par tous les actes de la vie ; mais plus un cœur est élevé, plus son dévouement doit être puissant. Les hommes, en général, manquent de ces délicatesses de détails dont les femmes ont seules le secret. Exiger d’eux ce qu’ils ne sentent pas, c’est compromettre son propre bonheur pour de futiles avantages.

Si les hommes sont gâtés, la faute en est aux femmes. Une bonne et douce influence peut réagir sur le plus revêche. Nous ne dirons pas, avec madame Dash, qui se trompe : « Les défauts, la sécheresse, l’acidité, l’égoïsme augmentent avec l’âge ; si vous ne pouvez sympathiser avec un homme, adopter ses idées et ses manières, résignez-vous. » Cette conséquence nous paraît peu sérieuse… Il est sec, avide, égoïste, ses défauts augmentent avec l’âge, et il faut adopter ses idées, se résigner ; en un mot, devenir comme lui, sèche, avide, égoïste !!!

Non, Mesdames, non, n’abdiquez pas votre dignité, ne faussez pas votre conscience jusqu’à vous corrompre pour n’avoir pu sympathiser avec celui qui vous a donné son nom. Loin d’adopter son égoïste sécheresse, assouplissez-le. Nous ne vous prêcherons jamais la révolte, nous vous conseillerons la fermeté. Ce ne serait pas comprendre le précepte biblique : « Femmes, soyez soumises à vos maris, » que de l’appliquer au mal comme au bien. La femme, pour prendre dans la société la place qui lui est due, doit se montrer digne de son élévation. Si elle subit, sans les combattre, les funestes influences, elle perpétue le mal et justifie l’état d’infériorité dans lequel l’homme a, dès lors, le droit de la tenir.

Il ne suffit pas au bon sens, à la droiture du cœur, à la conscience, d’avoir l’air vertueux, il faut la réalité de la vertu. L’hypocrisie, sous son masque, ne trompe que les niais ou les aveugles. Les gens de cœur découvrent toujours la larme cachée sous le sourire, la douleur qui se tait, la patience qui pardonne…

Il est triste de penser que l’on se marie ainsi que l’on met à la loterie, sur la chance d’un bon numéro, considérant le mariage comme une convenance, tandis qu’il doit être le lien d’un couple égal en droits. L’homme et la femme, différant de nature, sont destinés, chacun, à des fonctions appropriées à leur organisation diverse. L’un synthétise la vie, l’autre en voit les détails ; le mari s’occupe de l’avenir ; la femme, du présent. Lui, gagne en gros ; elle dépense au jour le jour. Il veut ses enfants élevés ; elle les élève. Il leur désire de l’instruction ; elle, de l’éducation. Lui, prétend voir se développer le cerveau de ses fils. Elle, aspire à voir améliorer leur cœur. Elle sent que, de la sainteté de l’union des couples, concourant à élargir ensemble les facultés de l’enfance, dépend le bonheur de la famille. Le jour où les époux auront reconnu leurs droits réciproques, le mariage sera vraiment de convenance, et avec ou sans amour, quand on se convient, l’on s’estime. Or, il est bien plus facile de passer de l’estime à l’affection raisonnable que de l’amour passionné à l’amitié pure.

Se marier pour ne pas coiffer sainte Catherine, pour faire une fin, c’est marcher tête baissée à sa perte. Mais la société telle qu’elle est, ne laisse pas d’alternative aux mères. À voir leur désir de marier leurs filles, on les dirait pressées de s’en débarrasser : elles craignent simplement de manquer un parti. Là est leur tort… Si les mères se montraient plus difficiles, les gendres se montreraient plus empressés. Au lieu de faire de leurs filles des minaudières, que les mères en fassent des femmes sérieuses.

On a écrit : « Une femme qui s’ennuie est capable de tout. » De prime abord, ce paradoxe a un air de vérité dont bientôt on sonde le vide. La femme qui s’ennuie, est un être inactif qu’il faut guérir de son ennui en donnant de l’essor à son esprit. Les heures ont pour tous la même durée, Madame Antier, jeune et charmante femme, unie de convenance à un époux qu’elle aime, nous disait : je trouve toujours le temps trop court ; c’est que celle-là s’occupe tandis que les autres s’ennuient…

S’ennuyer, vivre sur son apathie, ne rien désirer, ne rien aimer, ne rien vouloir ! Pardonnons cette existence aux inertes mollusques qui, pendant trois cent soixante-cinq jours, vivent du même abrutissement, et trouvent sans doute : « Que mieux vaut s’ennuyer fille que se risquer dans l’inconnu. »

Nous ne suivrons pas, dans ses déductions, le charmant auteur que nous avons cité çà et là. Nous le savons de bonne foi dans les conseils qu’il donne aux jeunes filles ; mais son livre, en dépit des vérités qu’il contient, est un long plaidoyer contre le mariage, dont il dissèque un à un les inconvénients, avançant toutefois « que la vieille fille a un écu à la place du cœur. »

Dieu nous garde de juger trop sévèrement une femme de talent qui, pour avoir fait fausse route, n’en est pas moins pleine de bonnes intentions pour son sexe qu’elle voit entraîné par le courant du siècle, et qu’elle croit incapable de lui résister. Chacun juge à son point de vue. Les myopes touchent plutôt qu’ils ne voient les objets ; les presbytes les discernent à grande distance. Ne nous plaçons ni trop près ni trop loin pour être dans le vrai.

Filles, mères ou veuves, les femmes sont-elles ce qu’elles doivent être ?

Dans la famille et dans l’État, leur condition est-elle heureuse ?

Dépend-il d’elles d’améliorer leur sort, de le changer et de réagir efficacement sur la société par la puissance de leur exemple ?

Là nous semble être la solution du grand problème humanitaire, auquel tout penseur doit sa part de méditations.

La femme, dès son plus bas âge, reçoit une éducation qui fausse ses aptitudes, comprime ses élans et rétrécit ses idées. On ne l’empêche pas seulement de penser ce qu’elle dit, on lui défend de dire ce qu’elle pense. Son père, sa mère, ont, devant elle, un langage pour le monde, un langage pour l’intimité. Leurs actes contredisent leurs paroles, et l’enfant, dans ce chaos, flotte, indécise, ne sachant sur quoi arrêter sa pensée. La religion lui défend le mensonge ; la politesse lui apprend à le glisser doucement, sans blesser personne ni elle-même.

Cet écueil, les deux sexes y sont pris ; mais combien plus la jeune fille y succombe ! Il y a pour elle, du côté de la pudeur, des nuances si délicates, qu’aisément la mère inexpérimentée peut les transformer en bégueuleries et pousser son enfant à grimacer la décence plus qu’à la pratiquer réellement.

Ces deux mots : décence et modestie, qui semblent faits l’un pour l’autre, diffèrent cependant beaucoup et changent d’acception selon les peuples et les pays. Il est indécent, en Angleterre, de parler des vêtements qui touchent au corps ; il n’est point impudique, aux femmes, de se montrer la gorge nue ? En Turquie, elles se cachent le visage et montrent leurs talons. En Europe, ce qui est accepté dans le monde n’est pas reçu dans l’intimité. Une femme va au bal décolletée ; elle rougirait d’être vue, le matin, en robe basse. La pudeur est donc de convention ? Elle s’inspire, elle ne s’explique pas.

Une jeune fille sait-elle pourquoi sa mère ne reçoit personne dans sa chambre à coucher, sinon son médecin et son coiffeur ? Prend-on la peine de justifier à ses yeux tels ou tels usages ? Non ; aux questions qu’elle fait, l’on répond : Cela est reçu.

Reçu pourquoi ?

Par la force des préjugés, cet abus des temps passés.

Il est à peu près reconnu, et il est du moins certain, que paraître semble plus obligatoire qu’être. On se fait une vie factice, pour des devoirs et des habitudes factices. Célimène médit d’Arsinoé ; Arsinoé médit de Célimène ; mais l’une et l’autre, autour du fiel, mettent du miel et grimacent sous des sourires ; tel est le monde… Chaque mère sent bien que sa fille court des dangers ; elle voudrait l’empêcher d’aller boire à la source des misères communes ; mais qu’a-t-elle fait pour la prémunir contre le mal ? Lui a-t-elle donné une éducation rationnelle ; mis dans les mains de bons livres et cherché pour elle le premier des biens, une sage amie ? Qu’attend-elle de son enfant devenue jeune fille, si elle n’a pas fait germer en son cœur les principes de vertu qui doivent plus tard y fructifier ?

Nous n’avons pas en France, comme en Angleterre, de petits traités pratiques, enseignant à chaque âge ce que la morale lui demande. Mais en son cœur, si elle le voulait, la mère la moins expérimentée trouverait un traité complet d’éducation à l’usage de sa fille. Les femmes énergiques sont celles que leurs mères ont constamment suivies et dirigées.

Que sont ces définitions de sexe fort et de sexe faible ? Chacun, selon son tempérament propre, a sa force et sa faiblesse ; mais peut-on appeler faible le sexe qui porte, allaite et élève les enfants ? Aux femmes, la plus douce, mais aussi la plus rude tâche, celle qui prend l’enfance au berceau pour la suivre sans interruption jusqu’à la jeunesse. Est-ce là ce que font toutes les mères ?

Si la réponse était affirmative, l’humanité chercherait-elle encore sa voie en tâtonnant, et l’égoïsme, qui grandit sans cesse, ne serait-il pas enrayé ?

L’homme juste, celui qui regarde dans l’avenir, ne voit pas dans la femme un être inférieur fait pour lui obéir. Il voit en elle l’affranchie d’hier, inexpérimentée encore aujourd’hui ; mais il voit en elle aussi la compagne destinée à le compléter, à l’inspirer, pour qu’en eux soit le couple manifestant Dieu.

L’homme est-il cet époux digne de l’épouse aimante, inspirée, régénérée ?

Tous deux sont à vivifier. Le mariage, de nos jours, est une parodie du mariage selon la vraie justice et la religion : nous essaierons de le prouver.