E. Dentu (p. 95-104).


CHAPITRE XI

LA FEMME ENSEIGNANTE.


S’il est une carrière ingrate et mal rétribuée, c’est celle de l’enseignement, surtout en ce qui concerne les femmes : sans leur demander beaucoup de science, on exige d’elles des études qui leur prennent plusieurs années d’un travail assidu ; leurs examens passés, elles appartiennent, de par leurs diplômes, à l’enseignement, et peuvent se consacrer à l’éducation publique ou privée ; les unes, avec le titre de sous-maîtresse, entrent dans les pensionnats, y remplissent les fonctions de répétitrices et y jouent un rôle équivalent à celui des maîtres d’études dans les lycées. Celles-ci sont les esclaves du genre, les subalternes du professorat, sorte de domesticité, déclassée au salon, à l’office et moins payée pour ses soins qu’une bonne à tout faire ; les autres, sous le nom de gouvernantes, sont admises dans les familles, placées au-dessous de la mère, au-dessus de la femme de chambre, le plus souvent sans autorité sur les enfants ; il leur est rarement laissé un droit de direction ou d’initiative quelconque. De là, l’inefficacité de leur concours, l’insuffisance de leur tâche. L’enseignement, qui devrait être un apostolat, est un métier. Le respect, que jadis l’on accordait aux maîtres, est remplacé par le mépris. On n’impose plus aux enfants l’obéissance, on leur permet l’insubordination. Dans les lycées, dans les colléges, le professeur a, sur ses élèves, une sorte d’autorité ; dans les institutions de jeunes filles, pour la sous-maîtresse, se faire obéir, c’est lutter. Il y a peu d’exceptions à cette règle, et la directrice en chef, qui devrait inspirer le respect pour ses aides, est la première à oublier ce qu’elle leur doit d’égards. En créant des maisons d’éducation, quelques-unes obéissent à leur amour pour l’enseignement ; mais le plus grand nombre ne demande au professorat que le moyen de gagner de l’argent. Pour l’éducation des femmes, tout est à la surface. Paraître semble plus urgent qu’être. Les arts d’agrément, la danse, la musique prennent le temps des études aux jeunes filles et les empêchent de se préparer à remplir dignement les devoirs que leur imposent la famille d’une part, la société de l’autre. Les éducations de nos jours ont du brillant, elles n’ont pas de fond. L’œil s’y trompe, l’esprit ne s’y trompe pas ; c’est du Ruolz, rien de plus.

Est-ce ainsi que la société s’élèvera à ses propres yeux, et pourquoi l’enseignement des femmes, tient-il, par si peu de points, à l’Université ? On associe des hommes instruits à des femmes ignorantes ; des caractères réfléchis à d’insignifiantes poupées, et l’on s’étonne des mauvais mariages, de la dissolution des mœurs ? Il faudrait s’étonner qu’entre deux êtres si dissemblables, il n’y eût pas plus d’anomalies. Les femmes sérieusement élevées réussissent à tout, devrait-on les priver du droit de savoir ? L’humanité ne sera harmonisée que le jour où, se comprenant et s’aimant, les époux se prêteront un mutuel appui. Il n’y a pas de familles désunies où le père et la mère sont d’accord.

On paie une enseignante le moins possible, on lui ôte toute initiative ; au moindre caprice de l’enfant, on modifie ou l’on proscrit telle méthode qu’elle avait adoptée ; ses convictions doivent céder à l’ignorance ; sa volonté, à la routine. Bon nombre de mères s’imaginent qu’il faut des hommes pour professeurs à leurs filles ? Madame Pleyel a beau être un génie musical ; le Conservatoire a beau s’enorgueillir des classes qu’il confie à des femmes, la vogue des professeurs hommes se maintient : La raison du plus fort est encore la meilleure.

De cette sorte d’exclusivisme résulte l’insuffisance de l’enseignement général pour les femmes. On n’exige d’elles que des notions élémentaires. Un peu de tout. Tel est leur programme. Se bien présenter, se bien tenir dans un salon, c’est, pour le plus grand nombre, la suprême éducation. Heureuses encore les jeunes filles qui n’ont appris que cela et dont les oreilles sont restées pures ! L’enseignante, par notre temps d’immoralité, s’impose peu de devoirs, ferme les yeux et laisse les jeunes cœurs confiés à sa garde se déflorer avant leur épanouissement.

Pour une élève pure, combien ont devancé leur âge ? Pour une institutrice prudente, combien d’insensées qui laissent lire à leurs jeunes pupilles des romans immoraux dans lesquels l’amour faux et l’inconstance sont préconisés ; vidant ainsi, goutte à goutte, la coupe de fiel dont les bords emmiellés trompent l’adolescente.

Rien n’est dangereux pour la jeunesse comme la séduction du vice déguisé. La mère qui introduit une gouvernante sous son toit, doit, avant de l’engager, s’assurer non-seulement de ce qu’elle est, mais de ce qu’elle a été et de ce que fut sa mère. « Dis-moi de qui tu viens, je te dirai qui tu es. »

Oui, vices ou vertus, l’enfant tient tout de son père et de sa mère. Cette dernière peut être privée d’allaiter son nouveau-né, elle ne sera point empêchée de lui donner de sages enseignements, de salutaires exemples.

Le traitement d’un instituteur ou d’une institutrice devrait l’indemniser du temps que lui ont coûté ses études et lui garantir l’avenir. Pour relever l’enseignement, relevez les enseignants.

Nous sacrifions à nos besoins matériels le meilleur de nos revenus, et ce qui nous rend supérieurs à l’animal, l’éducation, nous lésinons avec elle. Nous voulons bien, pour nous, l’autorité, nous ne la voulons pas pour celui ou celle que nous appelons à nous remplacer auprès de nos enfants. Notre amour-propre accepte qu’on nous supplée ; notre orgueil n’accepte pas que l’on soit à notre niveau.

Et y a-t-il beaucoup de couples qui se consultent sur la direction à donner à leur jeune famille ? Tient-on compte des aptitudes de l’enfant, de ses instincts innés ? Dieu a mis au front de chacun de nous le signe des facultés auxquelles il est propre. La phrénologie, la physiognomonie, sont deux sciences d’observation, auxquelles tout chef de famille ou tout enseignant devrait s’appliquer afin de détourner tels penchants pour en développer tels autres. Non-seulement nous pouvons réprimer nos mauvais instincts par la force de notre volonté, mais nous pouvons en faire éclore de bons. Gall, Spurzheim, Idgiès et Castle, ont établi tout un système sur les proéminences osseuses de la mappe humaine, dans ses trois divisions frontale, coronale, occipitale. Les facultés intellectuelles se reflètent sur les traits du visage ; le sentiment religieux domine le crâne ; les instincts sensitifs se répercutent sur le cervelet. Un même foyer contient les trois forces, un même principe les produit ; mais nécessairement, tel organe cultivé acquiert de la prédominance, tandis que tel autre, inactif, se déprime, ainsi le veut la loi des forces humaines et de leur pondération. De nos facultés, divinement combinées, résulte l’équilibre normal ; avoir égard à nos dispositions natives, les faciliter si elles sont bonnes ; leur en substituer qui les effacent, si elles sont mauvaises, c’est ce que la phrénologie rend possible. Les protubérances de notre boîte cérébrale, sont les signes palpables à l’aide desquels les enseignants, les physiologistes, les savants, peuvent élever l’enfance, développer la jeunesse et diriger la société. Dans cette voie la femme a sa part comme l’homme. Il lui est donné, à elle, de former le cœur de ses fils ; de diriger l’éducation de ses filles ; d’améliorer les mœurs et, enfin, de conquérir non cet amour qui, jeune, met l’homme à ses pieds comme un esclave ; mais cette considération qui, dans la famille, fait d’elle un bon ange et, dans la société, l’inspiratrice du bien. Mères, types du dévouement et du sacrifice, seront-elles dignes de vous suppléer, ces enseignantes subalternisées, déchues dans leur propre considération et si peu soucieuses de leur charge qu’elles la prennent en dégoût ? Sans doute, quelques-unes, dignes parmi les plus dignes, marchent dans la voie du progrès en apôtres du bien ! Telles sont, à notre connaissance, et sans nuire aux inconnues, Mesdames de Marscheff-Gérard, Leclerc, Coulon de Meuron, D’Ocagne, Bachellery, Thiébaut, etc., etc. Celles-là ont franchi tous les degrés de l’enseignement et ont trouvé, dans leur cerveau, de l’instruction pour les pauvres comme pour les riches. C’est à de pareilles femmes, enseignantes par vocation, que devrait être confiée la direction d’un institut normal. Paris, où les diplômes d’institutrices sont devenus des titres incontestés de capacité, Paris, possède en inspectrices des femmes hors ligne, poëtes, comme Mademoiselle Drouet ; prosateurs, comme Madame Chevrot ; universelles, comme Mademoiselle Sauvan ; modestes comme Madame Millet ; mais parmi ces fronts qui rayonnent, que de fronts courbés ; au sein de ces brillantes étoiles, que de nébuleuses !!… Mesdames les enseignantes, regardez à ces types, faites de votre profession un apostolat, et la société que vous aurez régénérée par les jeunes filles, ne vous paiera plus comme d’obscures mercenaires vendant l’enseignement ; mais comme d’honorables directrices prenant charge d’âmes envers la fille du peuple, la bourgeoise et l’oisive qui, un jour, auront à répondre, comme épouses et comme mères, de leur mission ici-bas.

Résumons-nous et constatons que si, en général, les hommes inculquent aux jeunes filles plus de science, elles sont exposées, avec eux, à plus de dangers. Aux femmes donc l’éducation des femmes. Mais pour élever le niveau social, ayons des enseignantes morales, instruites, mieux rétribuées, n’oubliant jamais que si les hommes font les lois, les femmes font les mœurs.