Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 22p. 31-53).


CHAPITRE III.

L’ERMITE.


Il se sentit frappé d’une grande terreur, et son cœur se glaça de crainte et d’effroi. Il ne savait que penser de ce spectacle, ni ce qu’il devait dire, ni ce qu’il devait faire. Tantôt il soupçonnait qu’une illusion magique abusait ses sens, tantôt qu’une âme errante implorait la sépulture : peut-être un esprit aérien avait-il pris cette forme, peut-être était-ce quelque démon de l’enfer, évoqué par une science diabolique.
Spencer.


Les guerriers se préparèrent à quitter le lieu où ils venaient de prendre leur simple repas et de jouir d’un court moment de repos. Ils se prêtèrent avec courtoisie un secours mutuel pour rajuster les harnais et l’équipement dont ils avaient un instant débarrassé leurs fidèles coursiers. Tous deux semblaient familiarisés avec une occupation qui, dans ce temps, faisait partie d’un devoir indispensable. Tous deux aussi semblaient, autant du moins que le permettait la différence qui existe entre l’animal et la créature raisonnable, posséder la confiance et l’attachement du cheval qui était le compagnon constant des fatigues et des dangers de son maître. Quant au Sarrasin, cette intime familiarité faisait partie de ses premières habitudes ; car, dans les tentes des tribus militaires de l’Orient, le cheval d’un guerrier prend place immédiatement après sa femme et sa famille, à laquelle même il n’est pas toujours inférieur en importance ; et quant à l’Européen, les circonstances et la nécessité faisaient de son cheval de bataille presque son frère d’armes. Les braves coursiers se laissèrent donc paisiblement enlever à leur pâture et à leur liberté, et se mirent à hennir pour témoigner leur affection à leurs maîtres, tandis que ceux-ci les équipaient pour les conduire à de nouvelles fatigues. Tout en accomplissant cette tâche dans laquelle ils s’aidaient mutuellement, chacun des deux guerriers regardait d’un œil observateur l’équipement de son compagnon de voyage, et faisait ses remarques sur ce qui le frappait le plus dans le harnais étranger.

Avant de remonter à cheval pour continuer sa marche, le chevalier chrétien se désaltéra encore et trempa ses mains dans cette source d’eau courante ; puis il dit à son compagnon : « Je voudrais savoir le nom de cette délicieuse fontaine, afin d’en conserver un reconnaissant souvenir, car jamais eau n’étancha plus voluptueusement la soif la plus accablante.

— Son nom, en langue arabe, répondit le Sarrasin, signifie le Diamant du Désert.

— Elle mérite ce nom, dit le chrétien. Mes vallées natales renferment des milliers de sources, mais aucune ne me rappellera jamais un aussi précieux souvenir que cette fontaine solitaire qui dispense ses trésors liquides là où ils nous semblent non seulement délicieux, mais en quelque sorte même indispensables.

— Vous dites la vérité, répondit le Sarrasin, car la malédiction de Dieu est encore sur ce lac de mort : nul homme, nul animal ne boit de ses ondes : et cette rivière qui alimente le lac sans jamais le remplir, on n’ose même goûter de ses eaux, si ce n’est quand elle coule loin de ce désert inhospitalier. »

Ils remontèrent à cheval, et poursuivirent leur voyage à travers ces déserts sablonneux. L’ardeur du midi était passée, et il s’était élevé une brise légère qui calmait un peu cette température enflammée, quoiqu’elle soulevât des nuages d’une poussière impalpable. Le Sarrasin y faisait peu d’attention ; mais son compagnon à la pesante armure s’y trouvait tellement incommodé qu’il pendit son casque de fer à l’arçon de sa selle, et y substitua le léger bonnet de voyage, appelé, dans le langage du temps, mortier, d’après sa ressemblance avec un mortier ordinaire. Ils continuèrent leur route quelque temps en silence, le Sarrasin remplissant les fonctions de guide et observant, avec l’attention la plus minutieuse, l’aspect et la forme des rochers lointains, de la chaîne desquels ils se rapprochaient graduellement. Pendant un court espace de temps il parut aussi absorbé par cette occupation qu’un pilote dirigeant un vaisseau dans un détroit rempli d’écueils ; mais ils n’eurent pas fait une demi-lieue qu’il se montra sûr de sa route, et sembla disposé à entrer en conversation avec plus de franchise qu’on n’en trouvait généralement dans les manières de sa nation.

« Vous m’avez demandé, dit-il, le nom d’une muette fontaine qui a l’apparence, mais non la réalité de la vie. Pardonnez-moi si je vous demande à mon tour celui du compagnon avec lequel je me suis mesuré et près duquel je me suis reposé : c’est un nom que je ne puis croire inconnu, même dans les déserts de la Palestine.

— Il ne mérite pas encore d’être cité, dit le chrétien. Sachez pourtant que, parmi les soldats de la croix, on m’appelle Kenneth, le chevalier du Léopard. Dans ma patrie, je reçois d’autres titres, mais qui sonneraient désagréablement à une oreille orientale. Permettez-moi de vous demander également, brave Sarrasin, quelle est celle des tribus de l’Arabie qui vous a vu naître, et sous quel nom vous êtes connu.

— Sir Kenneth, répondit le musulman, je me réjouis que vous ayez un nom que je puisse prononcer aisément. Quant à moi, je ne suis pas Arabe, quoique je tire mon origine d’une race non moins sauvage, non moins guerrière. Sachez, sire chevalier du Léopard, que je suis Sheerkohf, le Lion de la Montagne, et que le Kurdistan, dont je suis sorti, n’a pas de famille plus noble que celle de Seljood.

— J’ai entendu dire, reprit le chrétien, que votre Soudan a puisé son sang dans la même source.

— Grâces en soient rendues au Prophète qui a daigné honorer nos montagnes au point de faire sortir de leur sein celui dont la parole est une victoire. Je ne suis qu’un ver devant le roi d’Égypte et de Syrie, et néanmoins dans mon pays mon nom n’est pas sans influence. Étranger, combien d’hommes as-tu amenés dans cette expédition guerrière ?

— Par ma foi, dit sir Kenneth, avec l’aide de mes amis et de mes parents, j’ai eu bien de la peine à fournir dix lances convenablement équipées, ce qui peut former cinquante et quelques hommes, archers et varlets compris. Quelques uns ont abandonné ma bannière malencontreuse, d’autres sont tombés sur le champ de bataille, d’autres encore sont morts de maladie, et un fidèle écuyer, pour les jours duquel j’ai entrepris ce pèlerinage, est maintenant retenu au lit par une dangereuse maladie.

— Chrétien, dit Sheerkohf, j’ai ici cinq flèches dans mon carquois, chacune empennée des plumes d’un aigle : lorsque j’envoie une de ces flèches vers mes tentes, mille guerriers montent à cheval. Si j’envoie la seconde, une force égale se met en route. À l’aspect de ces cinq flèches, cinq mille hommes sont à mes ordres ; et si enfin j’envoie mon arc, dix mille cavaliers viennent ébranler le désert. Et c’est avec tes cinquante cavaliers que tu es venu envahir une terre dont je suis un des plus chétifs maîtres ?

— De par la croix ! Sarrasin, répondit le guerrier d’Occident, tu devrais savoir, avant de te vanter, qu’un gantelet de fer peut écraser tout un essaim de frelons.

— Oui, mais il faut auparavant mettre la main dessus, » dit le Sarrasin avec un sourire qui aurait pu porter atteinte à la nouvelle alliance des deux guerriers, s’il n’eût changé de sujet en ajoutant : « La bravoure est-elle donc si estimée des princes chrétiens, que toi, ainsi dépourvu d’hommes et de moyens, tu puisses offrir de me servir de protecteur et de sauve-garde dans le camp de tes frères.

— Sache, Sarrasin, puisque tu parles ainsi, dit le chrétien, que le nom d’un chevalier et le sang d’un gentilhomme lui donnent le droit de se placer au rang des premiers souverains en tout ce qui ne concerne pas l’autorité et la puissance royale. Si Richard d’Angleterre outrageait l’honneur d’un chevalier, même aussi pauvre que je le suis, il ne pourrait, d’après les lois de la chevalerie, lui refuser le combat.

— Il me semble, dit l’émir, que j’aimerais à contempler un spectacle aussi étrange, et à voir comment un baudrier de cuir et des éperons mettent le plus pauvre au niveau du plus puissant.

— Il faut y ajouter un sang noble et un cœur intrépide, reprit le chrétien, et alors vous aurez dit la vérité.

— Et avez-vous un aussi libre accès auprès des femmes de vos princes et de vos chefs ? demanda le Sarrasin,

— À Dieu ne plaise, dit le chevalier du Léopard, que le plus pauvre chevalier de la chrétienté n’ait la liberté, en tout honorable service, de dévouer son cœur et son épée, la gloire de ses actions et la constante idolâtrie de son cœur, à la plus belle princesse dont le front ait jamais été ceint d’une couronne.

— Il n’y a qu’un moment, dit le Sarrasin, que tu dépeignais l’amour comme le trésor le plus précieux que le cœur puisse renfermer. Tu as sans doute donné le tien à quelque haute et noble dame ?

— Étranger, » reprit le chrétien en rougissant, « nous ne sommes pas assez imprudents pour dire où nous avons placé nos trésors les plus précieux : qu’il te suffise de savoir que mon amour, comme tu le disais tout à l’heure, s’est donné à un noble et illustre objet, au plus noble, au plus illustre. Mais si tu aimes à entendre raconter des faits d’amour et des exploits guerriers, rends-toi au camp des chrétiens : tu y trouveras de quoi occuper tes oreilles, et peut-être ton bras. »

Le guerrier d’Orient, s’élevant sur ses étriers et brandissant sa lance en l’air, s’écria : « J’aurai de la peine, je crois, à trouver quelqu’un qui, portant l’arc sur l’épaule, veuille lutter avec moi au tir du jerrid.

— Je ne puis répondre de cela, répliqua le chevalier, quoiqu’il y ait dans le camp certains Espagnols qui ne manquent pas d’adresse dans votre manière orientale de lancer la javeline.

— Chiens et fils de chiens ! s’écria le Sarrasin, quel besoin ont ces Espagnols de venir ici combattre les vrais croyants, qui, dans leur pays, sont leurs seigneurs et leurs maîtres. Je ne voudrais me mêler avec eux dans aucun jeu guerrier.

— Prenez garde que les chevaliers de Léon et des Asturies ne vous entendent parler d’eux de cette manière, dit le chevalier du Léopard. Mais, » ajouta-t-il en souriant, car le souvenir du combat du matin se retraçait à son esprit, « si au lieu d’un roseau vous êtes disposé à braver la hache d’armes, il ne manquera pas de guerriers européens prêts à satisfaire votre désir.

— Par la barbe de mon père ! sire chevalier, » dit le Sarrasin en s’efforçant de rire, « c’est un jeu trop rude pour servir de passe-temps. Je ne l’éviterai jamais dans une bataille ; mais ma tête, » ajouta-t-il en passant la main sur son front, « ne me permettra pas de quelque temps de m’y exposer par plaisir.

— Je voudrais que vous vissiez la hache d’armes du roi Richard : celle qui pend à l’arçon de ma selle n’est qu’une plume en comparaison.

— Ou parle beaucoup de ce souverain insulaire, serais-tu un de ses sujets ?

— Je suis attaché à sa bannière dans cette expédition, et je m’en honore ; mais je ne suis pas son sujet, quoique né dans l’île où il règne.

— Que veux-tu dire ? avez-vous deux rois dans une misérable île ?

— Comme tu le dis, répondit l’Écossais (car sir Kenneth était né en Écosse). Il en est ainsi, et quoique les habitants des deux extrémités de cette île soient engagés dans des guerres fréquentes, cela ne les empêche pas de fournir encore, comme tu le vois, un corps de guerriers suffisant pour ébranler la puissance impie que ton maître a usurpée sur les villes de Sion.

— Par la barbe de Saladin ! Nazaréen, si ce n’était un acte puéril et digne d’un enfant, je serais tenté de rire de la simplicité de votre grand sultan qui vient ici faire des conquêtes de déserts et de rochers, et en disputer la possession à des princes qui peuvent disposer d’un nombre dix fois plus grand de soldats, tandis qu’il laisse une partie de la petite île où il naquit souverain, soumise à un autre sceptre que le sien. Assurément, sir Kenneth, vous et les autres vaillants hommes de votre pays, vous auriez dû vous déclarer sujets de ce roi Richard avant de quitter votre terre natale, divisée comme elle l’est intérieurement, pour suivre cette lointaine expédition. »

La réponse de sir Kenneth fut impétueuse et fière. « Non, de par la brillante clarté des cieux ! si le roi d’Angleterre ne fût parti pour la croisade que lorsqu’il aurait été souverain de l’Écosse, moi et tout loyal Écossais nous aurions permis au croissant de briller pour jamais sur les murs de Sion. »

Il en était là, lorsque, revenant tout-à-coup à lui-même, il murmura : « Meâ culpâ ! meâ culpâ ! moi, soldat de la croix, qu’ai-je à faire avec le souvenir de guerres entre les nations chrétiennes ? » Cette impétuosité de sentiments, réprimée par la voix du devoir, ne put échapper au musulman, qui, sans comprendre tous les sentiments de son compagnon de route, en vit assez pour rester convaincu que les chrétiens, comme les enfants du Prophète, avaient leurs ressentiments particuliers et leurs querelles nationales qui n’étaient pas toujours faciles à assoupir. Mais les Sarrasins appartenaient à une race arrivée peut-être au plus haut degré de civilisation que leur religion leur permît, et susceptible, en conséquence, des notions les plus raffinées en fait de courtoisie et de politesse ; ce furent ces sentiments qui ne permirent pas au guerrier de l’Orient de relever tout ce qu’il semblait y avoir de contradictoire dans les opinions de sir Kenneth, comme Écossais et comme croisé.

Cependant, à mesure qu’ils avançaient, les lieux changeaient insensiblement d’aspect. Ils commençaient à tourner vers l’est, et avaient atteint la chaîne de montagnes nues et escarpées, qui, bordant de ce côté la plaine aride, apportent de la variété dans la surface du sol sans rien changer à son caractère de stérilité. Des masses de roches aiguës commencèrent à s’élever autour d’eux, et bientôt des pentes rapides, formidables par leur hauteur, et difficiles à gravir à cause du rétrécissement de la route, offrirent aux voyageurs des obstacles d’un genre différent de ceux qu’ils avaient eu jusqu’alors à combattre. De sombres cavernes, des abîmes au milieu des rochers, et ces grottes dont il est si souvent question dans l’Écriture, présentaient à leurs yeux, des deux côtés, leurs effrayantes profondeurs. L’émir apprit au chevalier écossais que ces antres étaient souvent le refuge des animaux de proie, ou d’hommes encore plus féroces, qui, réduits au désespoir par les guerres continuelles et l’oppression qu’exerçaient indistinctement les soldats de la croix et ceux du croissant, embrassaient la vie de brigands, et n’épargnaient dans leur violence ni le rang, ni la religion, ni le sexe, ni l’âge.

Le chevalier écossais écoutait avec indifférence ces récits des ravages commis par des animaux sauvages ou des hommes féroces : tant était grande sa confiance dans sa force et sa valeur personnelle ! Mais il fut saisi d’un vague effroi lorsqu’il se rappela qu’il était dans cet effrayant désert fameux par le jeûne de quarante jours, et dans les lieux mêmes qui furent témoins des tentations dont il fut permis au Principe du mal d’assaillir le Fils de l’homme. Son attention se détourna graduellement de la conversation légère et mondaine du guerrier infidèle, et quelque agréable que son esprit et son éclatante bravoure eussent pu lui rendre sa compagnie partout ailleurs, sir Kenneth sentait que, dans ces déserts sauvages et désolés où erraient les esprits impurs chassés des corps des mortels dont ils s’étaient emparés, un moine aux pieds nus lui eût mieux convenu pour compagnon que le brillant mais infidèle Sheerkohf.

Ces réflexions le mirent mal à son aise, d’autant plus que la gaîté du musulman semblait s’accroître à mesure qu’ils avançaient dans leur voyage. En effet, plus ils s’enfonçaient dans les sombres profondeurs des montagnes, plus sa conversation devenait enjouée et légère, tellement qu’en s’apercevant que son compagnon ne lui répondait pas, il se mit à chanter à haute voix. Sir Kenneth entendait assez les langues de l’Orient pour reconnaître que son compagnon chantait des hymnes d’amour, contenant ces éloges enflammés de la beauté sur lesquels les poètes orientaux aiment tant à s’appesantir, et qui par conséquent étaient fort mal adaptés au tour grave et religieux qu’avaient pris ses pensées depuis qu’il était entré dans le désert de la tentation. Par une inconséquence assez remarquable, le Sarrasin chantait aussi les louanges du vin, le rubis liquide des poètes persans, et sa gaîté finit par être tellement en opposition avec les sentiments tout contraires qui absorbaient le chevalier chrétien, que, sans le pacte d’amitié qu’ils s’étaient juré, sir Kenneth aurait probablement pris ses mesures pour lui faire changer de ton. Quoi qu’il en soit, il lui semblait avoir à son côté quelque démon licencieux et corrupteur qui cherchait à tendre des pièges à son âme, et à mettre en danger son salut éternel, en lui inspirant la pensée coupable des plaisirs mondains, et en troublant ses dévotions dans un moment où sa parole de chrétien et son vœu de pèlerin lui imposaient le devoir de se livrer à des pensées de piété et de pénitence. Il était donc fort embarrassé et fort indécis sur le parti qu’il prendrait, et ce fut d’un ton brusque et mécontent qu’il rompit enfin le silence ; il interrompit le lai du célèbre Rudpiki, dans lequel le poète déclare préférer le signe qui est sur le sein de sa maîtresse à toutes les richesses de Bokhara et de Samarcande.

« Sarrasin, » dit-il d’un ton sévère, « tout aveuglé, tout plongé que tu sois dans les erreurs d’une loi fausse, tu devrais pourtant comprendre qu’il y a des lieux plus saints que d’autres, qu’il en est aussi dans lesquels l’esprit du mal a plus que son pouvoir ordinaire sur les mortels pécheurs. Je ne te dirai pas pour quelle cause effrayante ces rochers, ces cavernes avec leurs sombres voûtes qui semblent conduire aux abîmes infernaux, sont regardés comme plus spécialement fréquentés par Satan et les anges des ténèbres. Il suffit que j’aie été averti depuis long-temps des dangers de ce lieu par de sages et saints hommes auxquels la nature de cette région dangereuse est bien connue. Suspends donc cette gaîté folle et déplacée, et tourne tes pensées sur quelque sujet plus convenable à ce lieu, quoique, hélas ! il ne puisse y avoir que péché et blasphème dans tes plus dévotes prières ! »

Le Sarrasin l’écouta avec quelque surprise, et lui répondit d’un ton de bonne humeur, et avec autant de gaîté que la politesse lui permit d’en mettre dans ses paroles : « Bon sir Kenneth, il me semble que vous en agissez un peu injustement avec votre compagnon. Je ne me suis pas offensé de vous voir vous gorger de chair de porc et de vin, et je vous ai laissé jouir de ce que vous appelez vos privilèges de chrétien, me contentant dans le fond du cœur de déplorer vos jouissances animales. Pourquoi donc seriez-vous scandalisé parce que je tâche d’égayer de mon mieux une triste route par quelques chants joyeux ? Le poète a dit : « La chanson est comme la rosée du ciel qui tombe sur le sein du désert ; elle rafraîchit le sentier du voyageur. »

— Ami Sarrasin, dit le chrétien, je ne blâme pas le goût de la musique et de la gaie science, quoique nous lui accordions peut-être trop de place dans nos pensées, que nous pourrions diriger vers un meilleur but. Mais les prières et les saints psaumes conviennent mieux que les lais d’amour et les chants bachiques à des hommes qui traversent cette vallée de l’ombre de la mort, remplie d’esprits malins et de démons que les prières des saints hommes ont chassés du séjour des humains et réduits à errer ici au milieu d’une nature aussi maudite que la leur.

— Ne parle pas ainsi des génies, répondit le Sarrasin ; car sache que tu t’adresses à un homme dont la famille et la nation tirent leur origine de cette race immortelle que votre secte craint et blasphème.

— Je pensais bien aussi, répondit le croisé, que ta race aveugle tirait son origine de l’esprit malin, sans l’aide duquel vous n’auriez jamais pu réussir à défendre cette bienheureuse terre de Palestine contre tant de vaillants soldats de Dieu. Je ne prétends pas parler ici de toi en particulier, Sarrasin, mais de ton peuple et de ta religion. Il me paraît étrange cependant, non que vous descendiez de l’esprit malin, mais que vous vous en vantiez.

— De qui le brave des braves se vanterait-il de descendre, si ce n’est du brave des braves ? dit le Sarrasin. À qui une race orgueilleuse pourrait-elle mieux attribuer son origine qu’à l’esprit des ténèbres, qui aima mieux se laisser précipiter du ciel par la force que de ployer volontairement le genou ? On peut haïr Éblis, étranger, mais il faut qu’on le craigne ; et les descendants d’Éblis, qui habitent le Kourdistan, sont semblables à leur père. »

Toutes les connaissances de l’époque se composaient de contes de magie et de nécromancie, et sir Kenneth entendit son compagnon faire l’aveu de son origine diabolique sans aucune incrédulité et sans trop d’étonnement, quoiqu’en frissonnant intérieurement de se voir dans un lieu si effrayant avec un compagnon qui convenait d’un tel lignage. Cependant, naturellement exempt de crainte, il se signa, et demanda bravement au Sarrasin l’explication de la généalogie dont il se vantait. Ce dernier consentit volontiers à la donner.

« Brave étranger, dit-il, apprends donc notre histoire. Pendant que le cruel Zohauk, un des descendants de Griamschid, occupait le trône de Perse, il forma une ligue avec les puissances des ténèbres, au milieu des voûtes mystérieuses d’Istakhar, voûtes que la main des esprits élémentaires avait creusées dans le roc vif, longtemps avant qu’Adam fût créé. Là il nourrissait avec des offrandes quotidiennes de sang humain deux serpents dévorants qui étaient devenus, suivant les poètes, une partie de lui-même, et pour l’aliment desquels il imposait chaque jour le nouveau tribut d’une victime humaine. Mais enfin, la patience de ses sujets étant épuisée, quelques uns tirèrent le glaive du fourreau. De ce nombre furent le vaillant forgeron et le victorieux Feridoun, par qui le tyran fut enfin détrôné et renfermé pour jamais dans les sombres cavernes du mont Damavend. Mais avant que l’affranchissement de la Perse eût pu s’effectuer, et tandis que la puissance de ce monstre sanguinaire était à son plus haut point d’élévation, une troupe d’esclaves ravisseurs, qu’il avait envoyée se pourvoir de victimes pour ses sacrifices journaliers, ramena sous les voûtes du palais d’Istakhar sept sœurs, toutes si belles qu’elles semblaient sept houris. Ces jeunes beautés avaient pour père un sage qui ne possédait d’autres trésors que ses filles et sa propre sagesse. Cette dernière ne lui suffit pas pour prévoir ce malheur que tous ses efforts ne purent empêcher. L’aînée des sœurs n’avait pas dépassé sa vingtième année, la plus jeune atteignait à peine sa treizième ; et telle était la ressemblance qui existait entre elles, qu’on eût eu de la peine à les distinguer sans la différence de leurs tailles, chacune s’élevant presque insensiblement au dessus de sa cadette, comme les degrés qui conduisent aux portes du paradis. Ces jeunes filles parurent si belles lorsqu’elles furent amenées sous les voûtes ténébreuses, et dépouillées de tous leurs vêtements, à l’exception d’une simarre de soie blanche, que leurs charmes attendrirent ceux qui n’étaient pas mortels. Le tonnerre gronda, la terre fut ébranlée, les rochers de la voûte s’entr’ouvrirent, et laissèrent passage à un être qui parut tout-à-coup habillé en chasseur, avec un arc et des flèches, et suivi de ses six frères. Ils étaient tous de grande taille, et, quoique leurs traits fussent sombres, ils étaient beaux à voir ; mais leurs yeux avaient plutôt l’effrayante fixité de ceux des morts, que l’éclat qui étincelle sous la paupière des vivants : « Zeineb, » dit le chef de la bande ; et, en parlant ainsi, il prit la main de l’aînée des sœurs à laquelle il s’adressait d’un ton de voix bas, doux et mélancolique : « Je suis Cothrob, roi du monde souterrain, et chef suprême du Ginnistan. Moi et mes frères nous sommes au nombre de ceux qui, créés du feu élémentaire, dédaignèrent, malgré l’ordre du Tout-Puissant, de se courber devant une masse d’argile, parce qu’elle avait le nom d’homme. Tu peux avoir entendu parler de nous comme cruels, vindicatifs, inexorables. Nous sommes par nature bons et généreux, ne nous livrant à la vengeance que quand on nous insulte, à la cruauté que quand on nous outrage. Nous sommes fidèles à ceux qui se fient à nous, et nous avons entendu les invocations du sage Mithrasp, ton père, qui, dans sa prudence, n’adresse pas seulement son culte à l’Origine du bien, mais encore à ce qu’on appelle le Principe du mal. Toi et tes sœurs vous êtes sur le point de périr : mais que chacune de vous nous donne seulement un cheveu de ses belles tresses en signe d’hommage, et nous vous porterons à plusieurs milles d’ici dans une retraite sûre, où vous pourrez défier Zohauk et ses ministres. » La crainte d’une mort imminente, dit le poète, est comme la verge du prophète Aaron, transformée devant Pharaon en un serpent qui dévora tous les autres ; et les filles du sage Persan étaient peu susceptibles de s’effrayer des hommages d’un génie. Elles donnèrent le tribut que Cothrob leur demandait, et en un moment les sœurs se trouvèrent transportées dans un château enchanté, sur les montagnes du Tugrut, dans le Kourdistan. Depuis lors aucun œil mortel ne les revit jamais. Mais dans la suite des temps, sept jeunes gens distingués à la guerre et à la chasse se montrèrent dans les alentours du château des Génies. Ils étaient plus bruns de peau, plus hauts de taille, plus orgueilleux et plus déterminés qu’aucun des habitants épars alors dans les vallées du Kourdistan. Ils prirent des femmes, et devinrent pères des sept tribus des Kourdmens, dont la valeur est connue par tout l’univers. »

Le chevalier chrétien écouta avec surprise cette légende bizarre (dont aujourd’hui encore on peut trouver des traces dans les traditions des Kourdes), et, après un moment de réflexion, il répondit : « Sur ma foi, sire Sarrasin, vous avez dit vrai. On peut haïr et craindre votre origine, mais elle n’est pas à mépriser. Je ne m’étonne plus de votre obstination dans une fausse croyance, puisque c’était une partie de la nature de vos ancêtres, ces chasseurs infernaux, de préférer l’imposture à la vérité. Je conçois encore que votre imagination s’exalte, et que vous vous abandonniez aux chants et à la joie quand vous approchez des lieux fréquentés par de malins esprits : ils doivent exciter en vous les sentiments de joie que nous éprouvons en approchant du pays de nos ancêtres.

— Par la barbe de mon père ! je crois que tu as raison, » dit le Sarrasin qu’amusait plus que n’offensait la liberté avec laquelle le chrétien avait exprimé ses réflexions. « Bien que le Prophète, béni soit son nom ! ait semé parmi nous les germes d’une croyance meilleure que celle qui fut enseignée à nos ancêtres sous les voûtes enchantées du château de Tugrut, cependant nous ne nous hâtons pas, ainsi que les autres musulmans, de frapper d’une damnation éternelle ces esprits élémentaires, redoutables et puissants, dont nous prétendons tirer notre origine. Ces génies, suivant notre croyance et notre espoir, ne sont pas entièrement réprouvés, mais ils ont encore les moyens de se sauver, et peuvent être récompensés ou punis dans l’éternité. Mais laissons ces matières aux imans et aux mollahs ; qu’il vous suffise de savoir que la connaissance du Coran n’a pas entièrement effacé en nous le respect que nous portons à ces esprits, et qu’il y en a encore qui chantent, en mémoire de l’ancienne foi de nos pères, des vers tels que ceux-ci. »

En parlant ainsi, il se mit à chanter des vers très anciens pour le langage et la construction, et qu’on attribuait à quelque adorateur d’Arimane, le Principe du mal.

Sombre Arimane, en qui l’Irak, notre patrie,
Voit la source des maux qui désolent la vie,
Au pied de tes autels notre regard troublé,
Contemplant l’univers par toi renouvelé,
À ton pouvoir sans borne, à ta force infinie
Ne trouve rien d’égal sous le ciel étoilé.

Si la main d’un pouvoir plus doux, plus pacifique,
Fait jaillir au désert la source prophétique
Où d’humbles pèlerins la soif va s’étancher,
Tu soulèves le flot qui frappe le rocher,
Tu souffles la tempête ; et le golfe Arabique
Voit périr le vaisseau qu’il prétend lui cacher.

En vain le Tout-Puissant commande à notre terre
De produire à l’envi la plante salutaire
Qui de l’homme souffrant doit calmer les douleurs :
Combien peu de mortels échappent aux malheurs,
Au poignard, au poison, à la peste, à la guerre,
Maux qui de ton carquois sont les traits destructeurs !

As-tu le sentiment, la forme, les images,
Ces pensers d’Orient que te prêtent les mages ?
Ton âme est-elle faite et de haine et de fiel ;

Habites-tu l’enfer, ou parcours-tu le ciel ?
Ta voix est-elle un foudre, et tes pas des orages ?
Ton règne avec nos maux sera-t-il éternel ?

Ou n’es-tu qu’une force unie à la nature,
Qui, sans fin corrompant la source la plus pure,
Change le bien en mal, en vice la vertu ;
Principe malfaisant, qui toujours combattu.
Et toujours renaissant de sa propre blessure,
Nous pousse vers le crime, et n’est jamais vaincu ?

Toujours tu suis de près le rayon de lumière
Qui parfois vient dorer ce vallon de misère ;
À nos instants de joie, hélas ! toujours présent,
Les couteaux destinés à nos banquets de fêtes,
Ta main les empoisonne, en menace nos têtes ;
Tu ris quand tu les vois se rougir dans le sang.

Ainsi, depuis le jour qui marque sa naissance,
Et tant que sur la terre il traîne sa souffrance,
De l’homme en souverain tu gouvernes le sort ;
Tu causes les tourments de son heure dernière ;
Et qui pourrait répondre, esprit tout de mystère,
Que la puissance enfin s’éclipse dans la mort[1] ?

Il est assez probable que ces vers sont dus à l’inspiration poétique de quelque philosophe à demi éclairé, qui ne voyait dans la divinité fabuleuse à laquelle on a donné le nom d’Arimane, que la prépondérance du mal physique et moral. Mais aux oreilles de sir Kenneth du Léopard, ils présentèrent un sens bien différent, et chantés comme ils l’étaient par un homme qui venait de se vanter de descendre des démons, ils lui avaient semblé une invocation adressée au malin esprit lui-même. Pendant que ces blasphèmes retentissaient dans le même désert où Satan avait été repoussé par celui dont il réclamait l’hommage, il se demanda si, en prenant brusquement congé du Sarrasin, ce serait lui témoigner assez d’horreur, ou si plutôt son vœu comme croisé ne l’obligeait pas à défier l’infidèle au combat sur le lieu même, et à y laisser son corps en pâture aux animaux du désert. Mais tout-à-coup son attention fut attirée par une apparition extraordinaire.

La clarté du jour s’affaiblissait et tirait à sa fin ; cependant elle permit au chevalier de remarquer que son compagnon et lui n’étaient plus seuls dans la forêt, mais qu’ils étaient poursuivis de près par une figure d’une taille très haute et très mince, qui sautait de rochers en rochers et de buissons en buissons, avec une agilité qui, jointe à l’aspect sauvage et surnaturel de l’individu, lui rappelait les faunes et les sylvains dont il avait vu les images dans les anciens temples de Rome. Par la même raison que l’honnête Écossais n’avait jamais douté un moment que ces dieux des anciens gentils ne fussent réellement des diables, il n’hésita pas à croire que l’hymne blasphématoire n’eût évoqué l’esprit infernal.

« Mais qu’importe ? » se dit en lui-même le brave sir Kenneth, « périssent le démon et ses adorateurs ! »

Il ne jugea pas cependant nécessaire d’avertir deux ennemis par un défi qu’il aurait certainement offert à un seul avant de commencer le combat. Déjà sa main était sur sa hache d’armes, et l’imprudent Sarrasin aurait payé sa poésie persane en se voyant fendre la tête sur le lieu même sans qu’on lui en eût expliqué la raison, lorsque d’autres circonstances vinrent épargner au chevalier écossais une action qui aurait souillé ses armes d’une tache honteuse. L’apparition, qu’il avait suivie des yeux pendant quelque temps, avait d’abord paru poursuivre les traces des voyageurs en se cachant derrière les rochers et les buissons, se servant avec beaucoup d’adresse des avantages que lui présentait le sol, et surmontant les irrégularités du terrain avec une agilité vraiment surprenante. Au moment où le Sarrasin finissait de chanter, cette figure, qui était celle d’un grand homme couvert de peau de bouc, s’élança au milieu du chemin, saisit dans chaque main une des rênes du cheval du musulman, attaquant ainsi de face et faisant reculer le noble animal : celui-ci, ne pouvant endurer la manière dont cet assaillant imprévu lui faisait sentir la puissance du mors et du caveston, qui, suivant la coutume d’Orient, était un solide anneau de fer, se cabra, et finit par tomber en arrière sur son maître, qui cependant évita le danger de la chute en se jetant légèrement de côté.

L’assaillant quitta aussitôt la bride du cheval pour sauter à la gorge du cavalier. Il se précipita sur le Sarrasin, et, en dépit de sa jeunesse et de sa vigueur, il le tint renversé sous lui et enlaça de ses longs bras ceux de son prisonnier. Le musulman s’écria d’une voix irritée, quoique riant encore à demi : « Hamako… fou que tu es… lâche-moi… ceci passe tes privilèges ; lâche-moi, te dis-je, ou je me servirai de mon poignard.

— De ton poignard ! chien d’infidèle, dit la figure couverte de peau de bouc, prends-le, si tu peux, » et en parlant ainsi il arracha cette arme de la main du cavalier, et la brandit au dessus de sa tête.

« Au secours, Nazaréen, » s’écria Sheerkohf, qui commençait à s’alarmer sérieusement, « au secours, ou le Hamako me tuera !

— Te tuer, reprit l’habitant du désert, tu as en effet mérité la mort en adressant tes hymnes blasphématoires, non seulement à ton faux prophète, qui est l’avant-coureur de l’esprit impur, mais encore à l’auteur du mal lui-même. »

Le chevalier chrétien était resté jusque là comme un homme pétrifié, tant l’événement et le résultat de cette rencontre avaient contredit toutes les conjectures auxquelles il s’était livré un moment auparavant ! Il sentit cependant à la fin que son honneur était intéressé à ce qu’il intervînt en faveur de son compagnon, et en conséquence il s’adressa ainsi au vainqueur vêtu de peau de bouc.

« Qui que tu sois, dit-il, bon ou mauvais esprit, sache que j’ai juré d’être pour le moment le fidèle compagnon du Sarrasin que tu tiens abattu ; je te somme donc de le laisser se relever, autrement je te livrerai combat pour sa défense.

— Ce serait une querelle bien honorable pour un croisé ! En faveur d’un chien d’infidèle, il tournerait ses armes contre un des frères de sa sainte croyance ! es-tu venu dans le désert pour défendre le croissant contre la croix ? Voilà un digne soldat de Dieu, qui écoute chanter les louanges de Satan ! »

Tout en parlant ainsi, il s’était relevé, et permettant au Sarrasin de se relever aussi, il lui rendit son cangiar ou poignard.

« Tu vois à quel danger imminent ta présomption t’a exposé, » continua l’homme à la peau de bouc, en s’adressant à Sheerkohf, « et par quels faibles moyens ton adresse consommée et l’agilité dont tu es fier peuvent être mises en défaut quand telle est la volonté du ciel. Prends donc garde, ô Ilderim ! car sache que s’il n’existait pas un point scintillant dans l’astre de ta naissance qui te promet une marque de la bonté et de la miséricorde de Dieu quand ton heure sera arrivée, sache, dis-je, que nous ne nous serions pas séparés que je n’eusse déchiré cette gorge qui tout à l’heure faisait entendre de si horribles blasphèmes.

— Hamako, » dit le Sarrasin sans montrer le moindre ressentiment de ce langage violent, et de l’assaut plus violent encore qu’il venait de supporter, « je t’en prie, bon Hamako, fais attention une autre fois de ne pas porter si loin tes privilèges ; car, quoique en bon musulman je respecte ceux que le ciel a privés de leur portion ordinaire de raison pour les douer de l’esprit de prophétie, cependant je n’aime pas qu’on porte les mains sur la bride de mon cheval, ni sur ma personne. Dis donc tout ce que tu voudras, sûr d’être à l’abri de mon ressentiment ; mais tâche de recueillir assez de bon sens pour comprendre que si tu viens encore m’attaquer avec violence, je ferai tomber ta tête velue de tes maigres épaules. Et quant à toi, ami Kenneth, » ajouta-t-il en remontant à cheval, « je suis forcé de te dire que j’aime mieux dans un camarade du désert de bons services que de belles paroles. Tu ne m’as pas épargné les dernières, mais tu aurais mieux fait de t’empresser davantage de venir à mon secours lorsque je luttai avec cet Hamako, qui a pensé me tuer dans sa frénésie.

— Sur ma foi ! j’avoue que je suis en défaut, et que j’ai été un peu tardif à te donner le secours dont tu avais besoin ; mais l’étrangeté de l’assaillant, la rapidité de cette scène… On aurait dit que ton chant impie et blasphématoire avait évoqué le diable au milieu de nous ; et telle fut ma confusion, qu’il s’écoula deux ou trois minutes avant que je pusse avoir recours à mes armes.

— Tu es un ami froid et réfléchi, et si la frénésie de l’Hamako avait été une ligne plus loin, ton compagnon aurait été tué sous tes yeux, à ton éternel déshonneur, sans que tu eusses levé un doigt pour venir à son aide, quoique tu fusses bien monté et pourvu de bonnes armes.

— Sur ma parole, Sarrasin, si tu veux que je te parle clairement, j’ai cru que cette étrange figure était le diable lui-même : or, comme vous êtes du même lignage, j’ignorais si vous n’aviez pas quelque secret de famille à vous communiquer pendant que vous vous rouliez amoureusement sur le sable.

— Ton sarcasme n’est pas une réponse, frère Kenneth. Lors même que mon assaillant eût été le prince des ténèbres, tu n’en étais pas moins obligé de lui livrer combat pour défendre ton camarade. D’ailleurs, ce qu’il peut y avoir d’impur ou de diabolique dans cet Hamako appartient plus à votre lignage qu’au mien : tu vois en lui l’anachorète que tu vas visiter.

— Lui ! dit sir Kenneth contemplant la figure gigantesque mais décharnée qu’il avait devant les yeux. « Lui ! tu railles, Sarrasin. Ce ne peut être là le vénérable Théodoric ! »

— Qu’il te le dise lui-même, si tu ne veux pas me croire, » répondit Sheerkohf ; et il avait à peine achevé ces mots que l’ermite prenant la parole les confirma positivement.

« Je suis Théodoric d’Engaddi, dit-il ; je suis le gardien du désert, l’ami de la croix, le fléau de tous les infidèles, hérétiques et adorateurs du diable ; hors d’ici ! hors d’ici ! Périssent Mahomet, Termagant et tous leurs sectateurs ! » En parlant de la sorte, il tira de dessous son vêtement grotesque une espèce de fléau ou de gros bâton garni de fer, qu’il brandit autour de sa tête avec une adresse singulière.

« Tu vois là ton saint, » dit le Sarrasin en riant pour la première fois de l’étonnement inexprimable avec lequel sir Kenneth regardait les gestes sauvages et écoutait les murmures bizarres de Théodoric. Celui-ci, après avoir agité son bâton dans tous les sens sans paraître s’inquiéter de ce que cet exercice pouvait avoir de dangereux pour la tête de ses compagnons, finit par donner un échantillon de sa force et de la bonté de son arme en brisant en morceaux une grosse pierre qui était près de lui.

« C’est un fou, dit sir Kenneth.

— Il n’en est pas moins bon saint pour cela, » reprit le musulman, parlant d’après la croyance bien connue de l’Orient, que les fous sont sous l’influence d’une inspiration immédiate. « Sache, chrétien, que lorsqu’un œil est fermé, l’autre en devient plus clairvoyant ; quand une main est emportée, celle qui reste a plus de force et d’adresse : de même quand notre raison est détruite ou troublée relativement aux affaires humaines, notre contemplation du ciel en devient plus nette et plus parfaite. »

Ici la voix du Sarrasin fut couverte par celle de l’ermite, qui se mit à crier à haute voix d’un ton sauvage et qui formait une espèce de chant : « Je suis Théodoric d’Engaddi ; je suis le flambeau du désert, le fléau des infidèles ! Le lion et le léopard seront mes camarades et viendront se réfugier dans ma cellule, et le chevreau n’aura pas peur de leurs griffes… Je suis la torche et le flambeau ! Kyrie eleison ! »

Là-dessus il se mit à courir, et termina sa course par deux ou trois bonds en avant qui lui auraient fait beaucoup d’honneur dans une école de gymnastique, mais qui allaient si étrangement à son caractère d’ermite que le chevalier écossais en demeura confondu. Le Sarrasin parut mieux le comprendre. « Vous le voyez, dit-il : il s’attend à ce que nous le suivions dans sa cellule, et c’est en effet le seul lieu de refuge que nous puissions avoir pour cette nuit. Vous êtes le léopard, d’après l’empreinte gravée sur votre bouclier ; moi je suis le lion, comme mon nom le fait entendre, et sous l’emblème du chevreau, il veut parler de lui-même, par allusion à la peau de cet animal dont il est couvert. Il ne faut pas le perdre de vue cependant, car il est aussi agile qu’un dromadaire. »

Cette tâche n’était pas effectivement très facile : quoique leur révérend guide s’arrêtât de temps en temps et leur fît signe de la main comme pour les exhorter à avancer, cependant, bien familiarisé lui-même avec toutes les passes et tous les défilés du désert, et doué d’une activité extraordinaire que l’égarement de son esprit contribuait à tenir perpétuellement en exercice, il conduisit les chevaliers à travers des précipices et des sentiers étroits où le Sarrasin lui-même, armé à la légère et monté sur un coursier bien dressé, ne fut pas sans courir de dangers : on en conclura facilement que l’Européen encaissé dans son armure de fer, avec son cheval accablé de son poids, se trouva dans un péril si imminent qu’il aurait préféré cent fois celui d’un champ de bataille. Ce ne fut donc point sans une certaine satisfaction qu’il vit se terminer cette marche dangereuse : le saint homme qui leur servait de guide était arrêté devant l’entrée d’une caverne, tenant à la main une grande torche, faite d’un morceau de bois trempé dans du bitume, qui jetait une clarté vive et flamboyante, et répandait une forte odeur de soufre.

Sans se laisser arrêter par cette vapeur suffocante, le chevalier se jeta à bas de son cheval et entra dans la caverne qui ne promettait pas un logement fort commode. L’inférieur était divisé en deux parties : dans la première était un autel de pierre et un crucifix de roseaux : cet endroit servait de chapelle à l’anachorète. Ce fut dans cette caverne extérieure que le chevalier chrétien, non sans éprouver quelque scrupule provenant de la vénération que lui inspiraient les objets qui l’entouraient, se décida enfin à attacher son cheval et à l’arranger pour la nuit, à l’imitation du Sarrasin, qui lui fit entendre que c’était la coutume du lieu. Pendant ce temps l’ermite s’occupait à mettre en ordre sa cellule intérieure afin d’y recevoir ses hôtes, qui ne tardèrent pas à l’y joindre. Au fond de la grotte extérieure, une petite ouverture fermée par une porte composée d’une planche grossière conduisait à la chambre à coucher de l’ermite, qui était un peu plus commode. À force de travail, il en avait aplani le sol et l’avait couvert d’un sable fin qu’il arrosait tous les jours de l’eau d’une petite source qui coulait du rocher à l’un des coins de la grotte ; et dans ce climat étouffant, le murmure de l’onde semblait déjà rafraîchissant à l’oreille avant qu’elle désaltérât le palais. Une couche de joncs entrelacés était dans un coin de la cellule, dont les murs grossièrement taillés étaient ornés de quelques plantes et de quelques fleurs. Deux torches de cire, que l’ermite alluma, donnèrent un air de gaîté à ce lieu que rendaient agréable les émanations végétales et la fraîcheur qu’on y respirait. Dans un des coins de la grotte étaient des instruments de travail ; dans un autre, une niche qui contenait une statue grossière de la Vierge. On y voyait une table et deux chaises qui paraissaient être l’ouvrage de l’anachorète, leur forme différant entièrement de celle des meubles d’Orient. La table était couverte non seulement de racines et de légumes, mais aussi de viandes séchées, arrangées de la manière la plus propre à exciter l’appétit de ses hôtes. Cette démonstration de politesse, quoique muette et exprimée par des gestes seulement, parut difficile à concilier dans l’esprit de sir Kenneth avec les manières sauvages et violentes dont le saint homme leur avait précédemment donné un échantillon. La démarche de l’ermite était calme et composée, et une expression d’humilité religieuse empêchait seule ses traits amaigris par l’austérité de son genre de vie de paraître nobles et majestueux. Il parcourait sa cellule comme un homme qui semble fait pour gouverner ses semblables, mais qui avait abdiqué son empire pour devenir le serviteur de Dieu. Cependant on doit convenir que sa taille gigantesque, la longueur de ses cheveux et de sa barbe, ses yeux animés et enfoncés dans leur orbite, semblaient plutôt les attributs d’un soldat que ceux d’un solitaire.

Le Sarrasin lui-même paraissait regarder l’ermite avec quelque vénération pendant qu’il faisait les honneurs de sa cellule, et il dit à voix basse à sir Kenneth : « L’Hamako est dans un de ses bons moments ; mais il ne parlera pas que nous n’ayons mangé, tel est son vœu. »

Ce fut donc par un geste silencieux que Théodoric engagea l’Écossais à prendre place sur une des chaises, tandis que Sheerkohf, suivant l’usage de sa nation, s’assit sur un coussin de nattes. Alors l’ermite éleva les mains comme pour bénir les rafraîchissements qu’il avait placés devant ses hôtes, et ils se mirent à manger en gardant un silence profond. Cette gravité était naturelle au Sarrasin, et le chrétien imita sa taciturnité, tout en réfléchissant intérieurement à la singularité de sa situation. Quel contraste en effet entre les gesticulations sauvages et furieuses, les cris aigus et les actions violentes de Théodoric, lors de leur rencontre, et la manière calme, grave et presque majestueuse dont il remplissait les devoirs de l’hospitalité !

Quand le repas fut achevé, l’ermite, qui n’avait rien mangé lui-même, enleva les restes, et plaçant devant le Sarrasin un vase rempli de sorbet, présenta un flacon de vin à l’Écossais.

« Buvez, dit-il, mes enfants, » et c’étaient les premiers mots qu’il prononçait ; « buvez : les dons de Dieu sont faits pour qu’on en jouisse, pourvu qu’on n’oublie pas leur dispensateur. »

Après ces paroles il se retira dans la première cellule, probablement pour se livrer à ses dévotions, et laissa ses hôtes ensemble dans l’appartement intérieur. Kenneth adressa différentes questions à Sheerkohf pour apprendre de lui ce qu’il savait de leur hôte. Sa seule curiosité ne le portait pas à prendre ces renseignements : s’il était difficile de concilier les procédés violents du solitaire à son premier abord avec le calme et l’humilité de ses manières actuelles, il était plus difficile encore de les accorder avec la haute considération que cet ermite, d’après ce que sir Kenneth avait entendu dire, s’était acquise parmi les théologiens les plus éclairés du monde chrétien. Théodoric, l’ermite d’Engaddi, avait été le correspondant des papes et des conciles, et, dans ses lettres pleines d’une éloquente ferveur, il avait dépeint les misères que les mécréants faisaient souffrir aux chrétiens latins, dans la Terre-Sainte, avec des couleurs presque aussi énergiques que celles dont se servit Pierre l’Ermite, devant le concile de Clermont, lorsqu’il prêcha sa première croisade. Confondu d’avoir trouvé dans un personnage aussi vénérable et aussi vénéré les manières frénétiques d’un fakir furieux, le chevalier chrétien eut besoin de réflexion avant de se décider à lui confier certaines affaires importantes dont il avait été chargé par un des chefs de la croisade.

Le but principal de son pèlerinage, dans lequel il suivait une route tout-à-fait détournée, avait été de s’acquitter de cette mission. Cependant ce qu’il avait vu et entendu cette nuit l’avait porté à attendre encore avant de se confier à l’ermite. L’émir lui-même ne put lui donner des renseignements bien satisfaisants ; voici à peu près le résumé de ce qu’il lui apprit. Théodoric, d’après ce que le Sarrasin avait entendu dire, avait été jadis un brave et vaillant guerrier, sage dans le conseil et victorieux dans les combats, ce qui ne lui paraissait pas difficile à croire d’après la grande force et l’étonnante agilité qu’il lui avait souvent vu déployer… Il s’était montré à Jérusalem, non pas en pèlerin, mais comme un homme qui s’est consacré à passer le reste de sa vie dans la Terre-Sainte. Bientôt après il fixa sa résidence au milieu des lieux sauvages qu’il habitait encore maintenant, respecté des Latins, à cause de sa dévotion austère, comme il l’était des Turcs et des Arabes, eu égard aux symptômes de démence qu’il avait montrés et qu’ils attribuaient à une inspiration divine. Ce furent eux qui lui donnèrent le nom d’Hamako, qui, dans la langue turque, exprime cette idée. Sheerkohf lui-même semblait embarrassé quant au jugement qu’on devait porter de ce personnage. On voyait, disait-il, qu’il avait été autrefois un sage, et quelquefois il pouvait encore développer, pendant plusieurs heures de suite, sans la moindre incohérence, les principes de la sagesse et de la vertu. Dans d’autres moments il était égaré et furieux, mais jamais pourtant le Sarrasin ne l’avait vu si dangereux que ce jour-là. La moindre apparence d’insulte à sa religion excitait sa fureur : on racontait que quelques Arabes errants ayant insulté son culte et mutilé son autel, il les avait attaqués et tués avec le court fléau qu’il portait pour arme. Cet événement avait fait beaucoup de bruit ; et c’était autant par crainte du fléau de l’ermite, que par respect pour son caractère d’Hamako, que les tribus errantes respectaient sa demeure et sa chapelle. Sa renommée s’était étendue si loin que Saladin avait donné des ordres particuliers pour qu’il fût épargné et protégé. Le soudan lui-même, accompagné de seigneurs musulmans du premier rang, avait visité plus d’une fois sa cellule, où ils avaient été attirés par le désir de voir l’Hamako chrétien, ainsi que par l’espoir d’obtenir d’un homme aussi savant quelque révélation sur l’avenir. « Il a, continua le Sarrasin, un rashid ou observatoire d’une grande élévation, disposé pour la contemplation des corps célestes, et surtout pour l’observation du système planétaire. » Or, on sait qu’à cette époque musulmans et chrétiens croyaient également que le cours de la vie humaine était réglé et pouvait être prédit d’après le cours et l’influence des planètes.

Telles furent en substance les communications de l’émir. Après les avoir reçues, sir Kenneth se demandait encore si les accès de démence de l’ermite provenaient réellement de la ferveur souvent excessive de son zèle, ou si ce n’était pas plutôt un caractère fictif qu’il avait revêtu à cause du privilège qui s’y attachait. Cependant il lui sembla que les musulmans portaient la complaisance à un degré peu commun, vu le fanatisme qui caractérise les sectateurs de Mahomet, au milieu desquels Théodoric vivait tranquille quoique en ennemi avoué de leur foi. Il crut voir aussi qu’il y avait entre l’ermite et le Sarrasin une connaissance plus intime que les paroles du dernier ne le faisaient entendre. Enfin il ne lui était pas échappé que le solitaire avait donné à l’émir un nom tout autre que celui de Heerkohf. Toutes ces considérations étaient de nature à faire naître la prudence, sinon le soupçon. Il résolut donc d’examiner son hôte de plus près, et de ne pas trop se presser de lui communiquer l’important message qui lui était confié.

« Prends garde, Sarrasin, dit-il, car il me semble que l’imagination de notre hôte s’égare au sujet des noms aussi bien que sur d’autres points. Tu t’appelles Heerkohf, et il vient tout-à-l’heure de te nommer autrement.

— Mon nom, quand j’habite la tente de mon père, est Ilderim, reprit le Persan, et c’est celui-là que beaucoup de gens me donnent encore… À la guerre et parmi les soldats on m’appelle le Lion de la Montagne, car c’est le nom que ma bonne épée m’a gagné… Mais chut ! l’Hamako revient, c’est pour nous avertir de nous livrer au repos… Je connais sa coutume… Personne ne doit être témoin de ses veilles. «

L’anachorète entra en effet, et croisant ses bras sur sa poitrine, en se tenant debout devant ses hôtes, il dit d’une voix solennelle : « Béni soit le nom de celui qui a voulu qu’une nuit de repos suivît un jour de fatigue, et qu’un sommeil paisible vînt réparer la lassitude des membres et rafraîchir l’agitation de l’esprit ! »

Les deux guerriers répondirent amen, et se levant de table, se préparèrent à se rendre à leur couche que leur hôte leur indiqua d’un signe de main. Enfin, les saluant tous deux, il sortit de l’appartement.

Le chevalier du Léopard se débarrassa de sa pesante armure, son camarade le Sarrasin l’aidant officieusement à défaire les agrafes de sa cuirasse ; après quoi sir Kenneth resta vêtu d’un justaucorps de peau de chamois que les chevaliers et les hommes d’armes avaient coutume de porter sous leur armure. Si le Sarrasin avait admiré la force de son adversaire quand il était couvert d’acier, il ne fut pas moins frappé alors des proportions exactes de ses membres nerveux et bien taillés… Le chevalier, de son côté, lorsque par un échange de courtoisie il aida le Sarrasin à quitter ses vêtements de dessus, afin de pouvoir dormir plus commodément, se demanda en lui-même comment ces proportions minces et déliées pouvaient se concilier avec la vigueur qu’il lui avait vu déployer pendant le combat.

Les deux guerriers prièrent avant de se livrer au repos : le musulman se tourna du côté du Kébla, le point vers lequel les prières de tout sectateur du Prophète devaient être dirigées, et murmura ses oraisons profanes. Mais le chrétien, s’éloignant de son compagnon, comme s’il eût craint d’être souillé par le voisinage de l’infidèle, planta debout sa haute épée, dont la poignée était en forme de croix, et s’agenouillant comme en présence du signe de la rédemption, il dit son rosaire avec une ferveur qu’augmentait encore le souvenir des événements qui venaient de se passer et des dangers auxquels il avait échappé dans le cours de la journée… Les deux guerriers, accablés par la fatigue du voyage, furent bientôt profondément endormis chacun sur une couche séparée.



  1. Le digne et savant ecclésiastique par qui cette espèce d’hymne a été traduite, désire que, pour éviter toute maligne interprétation, le lecteur soit prié par nous de vouloir bien se rappeler qu’elle a été composée par un païen, auquel les causes réelles des maux physiques et moraux étaient inconnues, et qui regardait leur prépondérance dans le système de l’univers comme doivent l’envisager tous ceux qui n’ont pas participé aux bienfaits de la révélation chrétienne. Quant à nous, nous demandons la permission d’ajouter que le style du traducteur semble tenir de la paraphrase plus qu’il ne paraîtra convenable à ceux qui connaissent l’original, morceau singulièrement curieux. Le traducteur paraît avoir désespéré de rendre en vers anglais les mouvements de la poésie orientale, et peut-être aussi, comme d’autres hommes savants et ingénieux ; ne pouvant venir à bout de trouver le sens de l’original, y aura-t-il substitué le sien.