Le Système d’Aristote/Chapitre XXI

Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 393-410).

VINGT ET UNIÈME LEÇON


LA THÉORIE DE L’ÊTRE

Nous avons parcouru la logique et la physique d’Aristote. Or, si elle suppose le réel, attendu que, comme théoricien des méthodes et, à plus forte raison, comme théoricien de la connaissance, Aristote répudie le formalisme, la logique n’est pourtant pas l’ontologie elle-même : elle n’en est qu’un dérivé et même une contre-partie. Pour la physique, s’il est sûr qu’elle porte sur le réel, et cela dans un sens très fort du mot de réel, puisque, à la différence des mathématiques, elle s’occupe d’êtres concrets et non d’abstractions, elle ne spécule pas néanmoins sur ce qu’il y a de plus central et de plus fondamental dans le réel. Elle étudie les accidents des substances sensibles, à savoir le mouvement dans ses diverses espèces ; elle étudie en outre la nature, cause du mouvement des êtres sensibles. Mais, si la nature, est quelque chose de la substance, ce n’en est pas encore le fond dernier, puisque la nature n’est que ce qui porte l’être sensible vers son acte dernier, la terre ou le feu par exemple vers leur lieu naturel. La forme elle-même, vers laquelle l’être sensible se meut, n’est que le moteur, relativement ou absolument immobile, de cet être : c’est-à-dire que, dans la physique, la forme apparaît surtout comme fin ; c’est-à-dire encore comme tournée vers autre chose qu’elle-même. Donc la physique ne s’attache nulle part à la catégorie de substance prise en elle-même. Ajoutons enfin que, assujettie qu’elle est à considérer exclusivement des êtres sensibles, la physique ne pourrait jamais étudier la substance dans toute l’extension de cette catégorie, qu’elle ne pourrait pas même se poser la question de savoir s’il y a d’autres substances que la substance sensible ; car, si elle aboutit à une substance surnaturelle, c’est sans en avoir délibéré et sans l’avoir cherchée. La physique conduit donc seulement au seuil de la catégorie de substance. Une fois qu’elle s’est achevée, il reste au philosophe à se demander ce qu’est la substance comme substance et en thèse générale, puisqu’il peut y avoir une substance ou des substances supra sensibles, et même en tant qu’il s’agit de décider ce qu’est, en son dernier fond, la substance sensible. La théorie de la substance comme substance ou de l’être en tant qu’être est une science à part, la science suprême, celle qu’Aristote appelle la philosophie première et qu’on a appelée après lui la métaphysique.

Il est bien connu, et nous avons déjà eu l’occasion de rappeler (p. 93 sq.), que la théorie de la connaissance et la théorie de l’être chez Aristote sont, ou paraissent être animées chacune d’un esprit différent. Nous allons donc commencer par demander à la théorie de la connaissance quelles sont ses conclusions, et, sans dissimuler le désaccord qui peut exister entre elle et la théorie de l’être, nous aurons soin pourtant de signaler tous les efforts qu’elle fait pour s’accommoder avec celle-ci. Nous passerons ensuite à la théorie de l’être proprement dite et nous la suivrons jusqu’à la définition du premier des êtres.

D’une manière générale, la théorie de la connaissance d’Aristote conclut comme celle de Platon que l’objet de la science est l’universel. Cette conclusion revient à chaque page, pour ainsi dire, des Seconds analytiques. Mais il ne faut pas la prendre en gros et au pied de la lettre : ce serait un moyen trop commode et aussi trop injuste et trop inintelligent de se préparer à mettre Aristote en contradiction avec lui-même. Il faut voir comment il explique, complète et corrige cette proposition. Tout d’abord la sorte d’universel que réclame la science n’est pas celle que Platon avait cru. En effet, pour qu’il y ait démonstration, il faut qu’il y ait un moyen-terme, et, pour qu’il y ait un moyen-terme, il faut qu’il y ait de l’universel ; car l’essence, ou la définition, ou l’universel, ce sont là des expressions synonymes. Cependant l’universel qui constitue le moyen-terme du syllogisme démonstratif n’a pas besoin d’être, comme l’Idée platonicienne, extérieur aux choses. Certes le moyen-terme est constitué par ce qu’il y a de commun entre les divers cas dans lesquels se présente le mineur : il est l’unité de ces divers cas. Cela n’entraîne pas qu’il doive exister à part de ces divers cas : c’est une unité immanente aux choses, ἓν κατὰ πολλῶν ou ἐπὶ πολλῶν, non une unité transcendante, ἓν παρὰ τὰ πολλά (Anal. post. I, 11 déb.). Et, si cette unité est réalisée quelque part en dehors des termes dont elle est l’unité, ce ne peut être que dans l’âme[1]. Mais il y a plus. Non seulement l’universel, objet de la science, n’a pas besoin, pour que la science soit possible, d’être une chose à part. L’universel, bien considéré, est encore différent de ce que l’on pourrait croire qu’il est au premier abord. Sans doute l’universel est, en un sens, ce qui se dit de plusieurs choses, ce qui possède une extension capable d’envelopper tous les sujets dans lesquels se rencontre l’attribut ainsi désigné comme universel. Cette définition est dans Aristote[2] : elle tient une place certaine dans sa pensée. Elle en tient si bien une que, comme nous l’avons vu ailleurs (p. 127, n. 2), Aristote objecte un moment contre l’Idée platonicienne que celle-ci ne peut être définie et connue en tant qu’elle apparaît, ainsi qu’il arrive sous un certain aspect ou dans certains cas, comme un individu d’une nouvelle sorte, comme un être intelligible singulier. On ne définit pas le singulier, ὅσα μοναχά, dit-il à la fin du ch. 15 du livre Ζ de la Métaphysique. Mais, dans ce passage même, il finit par donner à son objection un sens autre que celui qu’on aurait attendu en commençant. Les caractères qui entrent dans une définition n’ont pas toujours de l’extension, ils sont seulement susceptibles d’en recevoir ἐπ’ ἄλλου ἐνδέχεται[3]. Cette universalité de droit est assez différente de l’universalité de fait. Si elle suffit, on peut donc en réalité penser un concept sans extension. C’est si bien là au fond l’opinion d’Aristote que, comme nous l’avons aussi indiqué, Alexandre assigne pour objet à la définition l’ensemble des caractères qui constituent la compréhension d’un concept, sans qu’on ait à se demander si ce concept est ou non répété en plusieurs exemplaires[4]. D’ailleurs l’acte essentiel de la connaissance n’est pas, nous le savons (p. 116 sqq.), le λόγος ou la discursion, c’est l’intuition. Or, si l’extension est naturellement afférente au λόγος, non moins naturellement l’intuition est un acte singulier. La preuve en est dans le rapprochement qu’Aristote établit entre l’intellection et la sensation. D’une part, il se sert de l’exemple de la sensation pour faire comprendre l’intellection des indivisibles ; de l’autre, il déclare que la sensation qui saisit l’homme dans Callias et la sensation des gens expérimentés qui savent voir sont intellection[5]. Lors donc qu’il dit que la sensation, ainsi identifiée avec l’intellection, a pour objet l’universel (ἡ δ’ αἴσθησις τοῦ καθόλου, An. post. II, 19, 100 a, 17), l’universel dont il s’agit n’est plus l’universel extensif. La source de toute connaissance inductive et, par conséquent, de toute connaissance, puisque ce qui ne se démontre pas se connaît par induction, la source de toute connaissance est un acte qui n’a rien à voir avec l’extension, point que nous avions signalé (p. 258) dans la leçon sur l’induction. Enfin, et c’est là le point le plus important et le plus décisif de tous, l’universel proprement dit, l’universel du genre, pris ou non avec extension, n’est pas le seul objet de la connaissance. Faisant appel à l’idée d’analogie que nous avons déjà rencontrée chez lui plusieurs fois, Aristote montre que, quand il n’y aurait pas d’universel générique, la science ne chômerait pas pour cela, et il tend même parfois à ramener l’universel générique à l’universel analogique : « Ce n’est pas seulement, dit-il dans le livre Γ de la Métaphysique, dans les choses qui ont un caractère commun qu’il faut voir l’objet d’une science ; des choses rapportées toutes à une même nature constituent aussi un pareil objet ; car ces choses ont, à leur façon, un caractère commun. Et c’est pourquoi il y a une science des êtres en tant qu’êtres ». De même la médecine s’occupe de tout ce qui a rapport à la santé, encore qu’il n’y ait pas à proprement parler d’unité générique pour relier entre eux l’agent, l’instrument, le réceptacle de la santé[6]. Si nous nous rappelons à ce propos ce que nous avons dit (p. 247) des axiomes, qui ne se répètent pas, mais se correspondent d’un genre à l’autre de l’être et trouvent dans cette correspondance une suffisante universalité, nous voyons qu’il résulte de la dernière considération à laquelle nous venons de nous attacher, comme cela résultait déjà des précédentes, que la science ne réclame pas pour objet aux yeux d’Aristote des universaux proprement dits. Elle se passe parfaitement de l’élément extensif dans les genres, et elle se passe même aussi des genres.

On arrive à un résultat identique en prenant les choses à l’envers pour ainsi dire, et en portant son attention, non plus sur ce qui est propre, mais au contraire sur ce qui est impropre, selon Aristote, à servir d’objet à la science : « on ne peut pas savoir par le moyen de la sensation », « la sensation porte sur l’individuel, la science sur l’universel[7] ». Ainsi ce qui est impropre à servir d’objet à la science, c’est le sensible ou l’individuel. Or qu’est-ce que le sensible ou l’individuel ? Sans doute, en un sens, c’est le singulier, et c’est même ce mot qui traduit le plus littéralement l’expression aristotélicienne καθ’ ἕκαστον. Cependant il faut examiner s’il s’agit bien du singulier comme singulier. Nous avons vu tout à l’heure Aristote dire qu’on ne définit pas ὃσα μοναχά, et telle est la manière vraiment précise et sans ambiguïté dont il convenait de désigner le singulier comme singulier. Mais nous avons vu aussi que cette singularité, comme telle, n’allait pas, en fin de compte, jusqu’à empêcher la définition et la science. Nous devons donc ne pas entendre trop facilement dans le sens extensif les expressions par lesquelles Aristote indique la raison qui empêche à ses yeux la sensation de donner la science : « Bien que la sensation, dit-il, ait pour objet ce qui est de telle espèce et non cette chose particulière, néanmoins il est inévitable que ce soit cette chose ici et maintenant qui soit sentie[8] ». Le sensible et l’individuel, en tant qu’impropres à la science, sont donc cette chose qui est perçue ici et maintenant. En d’autres termes, ce qui est impropre à la science est caractérisé par le fait d’être situé en tel lieu et en tel instant. Or pourquoi ce fait est-il rebelle à la science ? À cette question il n’y a qu’une réponse possible : c’est que, par lui-même au moins, le fait d’être en tel lieu et en tel instant est arbitraire et sans raison. Assurément Aristote, dans sa théorie de l’espace et du temps, a été bien loin d’envisager ces deux choses comme des milieux homogènes. Il a écarté la considération de l’intervalle pour voir exclusivement les limites. Par conséquent, il tend à réduire l’espace et le temps, comme plus tard Leibnitz, à des ensembles de relations. Par contre, pourtant, il insiste sur la divisibilité indéfinie de l’étendue et, par suite, du temps. De ce chef il rétablit l’homogénéité, la possibilité, par conséquent, de poser la limite où on veut et sans autre raison. Sa pensée se porte donc sur l’espace et le temps homogènes quand il dit que le fait d’être ici ou là est caractéristique de l’individuel, et il veut dire, en dernière analyse, que l’individuel est impropre à être objet de science, parce qu’il est sans raison. L’individuel et le sensible ne sont pas, à vrai dire, des choses à nulles autres pareilles : ce sont des choses contingentes. — De ces considérations directes et inverses sur l’ensemble de la théorie de la connaissance d’Aristote, nous devons conclure en somme que ce n’est pas par l’universalité, mais bien plutôt par la nécessité qu’il définit la science, que ce n’est pas par l’idée de genre, mais par celle de raison : de sorte que la question d’extension n’a pas ici grand rôle à jouer et que le simple fait d’être seule de son espèce n’empêcherait pas une chose d’être connaissable scientifiquement. Cela nous mène fort loin de la théorie platonicienne de la connaissance, peut-être telle qu’elle est dans sa vérité, en tous les cas telle qu’Aristote la comprend. Et, en revanche, sans que toutes les difficultés, ni encore moins toutes les hésitations, soient supprimées, la théorie aristotélicienne de la connaissance, bien scrutée, cesse de se présenter comme destinée à contredire violemment la théorie de l’être. Nous ne serons pas, semble-t-il, condamnés à professer, ni surtout à professer sans réserve, que chez Aristote ce qui est connu n’est pas réel et que ce qui est réel n’est pas connu.

Abordons maintenant la théorie de l’être elle-même. La partie négative de cette théorie est célèbre et parfaitement nette. Si Aristote a pu être tout près parfois de reprendre pour son compte la doctrine que la science exige comme objet les Idées platoniciennes, jamais, dans sa théorie de l’être, il n’a cessé de combattre le Platonisme et de soutenir que l’Idée, bien loin d’être la réalité suprême, n’est nullement capable de subsister par soi. Il ne peut être question de reproduire ici dans son entier l’argumentation, indéfiniment prolongée et variée, d’Aristote contre la réalité des Idées. Rappelons seulement quelques-unes de ses raisons. L’Idée, en tant qu’universel extensif, est par là-même, aux yeux de Platon, transcendante, c’est-à-dire douée d’une existence séparée ; car ce qui est commun à plusieurs choses n’est, comme tel, enfermé dans aucune d’elles. Pour Aristote, c’est précisément là un caractère qui l’empêche d’être une réalité. En effet l’essence d’une chose, c’est ce qui est propre à cette chose. Ou bien donc toutes les choses qui participent d’une Idée ne font qu’une seule et même chose, ou bien l’Idée qui n’est adéquate à aucune des choses qui participent d’elle ne saurait en être l’essence et la substance (Métaph. Ζ, 13, 1038 b, 8-15). Si d’ailleurs il faut compter une Idée partout où se trouve un élément commun à deux ou plusieurs choses, ces prétendues réalités seront en nombre infini. En effet entre les hommes et l’Idée de l’homme il y a quelque chose de commun ; donc il existe une nouvelle réalité, le troisième homme, et, comme il y a encore quelque chose de commun entre ce troisième homme et les autres termes au-dessus desquels il s’est élevé, il faudra ériger une réalité de plus, et ainsi à l’infini[9]. Lorsqu’on voudra réunir ces diverses réalités pour constituer avec elles une réalité, par exemple l’homme, on n’y parviendra jamais car, chacune des Idées, qu’on la considère d’ailleurs maintenant ou qu’on ne la considère pas comme un universel, étant un être à part, l’homme sera formé du bipède, du pluripède, de l’animal pourvu de pieds, de l’animal, etc., et tout cela, au lieu de faire un être, ne sera jamais qu’un agrégat d’êtres (Métaph. Ζ, 14). Donc les Idées ne sont que des abstractions : il est impossible que la substance et ce dont elle est la substance soient deux choses à part : les formes intelligibles sont en puissance dans les formes sensibles, et il n’y a rien qui existe à part des choses sensibles et étendues[10]. Bref Aristote se montre profondément pénétré de l’esprit nominaliste lorsqu’il examine la conception que son maître s’est faite du réel. Il condamne de la façon la plus expresse le réalisme platonicien.

Mais cette critique du réalisme platonicien n’est encore qu’un préambule, et il s’agit de voir comment Aristote a, pour sa part, conçu et défini le réel. Il semble qu’il a conçu et défini le réel de deux points de vue différents, celui de la sensation et celui de la raison, de sorte qu’il restera finalement à se demander lequel de ces deux points de vue compte le plus et quel est, en dernière analyse, aux yeux d’Aristote, le réel le plus réel. — Qu’Aristote ait regardé les sens comme nous révélant des réalités, c’est ce qui ne saurait être un instant mis en doute. Rappelons-nous, par exemple, comment il prend en pitié ceux qui voudraient contester l’existence des êtres naturels, alors que leur existence nous est attestée par les sens (cf. p. 299). L’attitude des Éléates et des Mégariques, qui ne veulent pas déférer au témoignage de la sensation, est, pense-t-il, au-dessous de la critique. Placé à ce point de vue sensualiste, Aristote déclare que le réel, c’est ce qui tombe sous la sensation, à savoir le sensible et l’individuel. Qu’est-ce que la substance première, la seule vraie substance, par rapport à laquelle les genres n’ont qu’une substantialité seconde et empruntée ? C’est un homme ou un cheval : voilà ce qui n’est ni attribut d’un sujet ni astreint à résider dans un sujet[11] ; voilà ce qui existe en soi-même d’une existence séparée. Or qu’est-ce qui fait l’individualité et quel est le fond, quelle est la première propriété de la substance première et individuelle ? Ce qui fait l’individualité, le caractère coextensif à elle, c’est l’unité numérique[12]. L’universel commence ou finit avec l’espèce dernière : au-dessous d’elle, il y a l’infinité des individus[13], dont chacun se distingue des autres parce qu’il est comme une unité dans un nombre. Aristote ne fait qu’exprimer autrement la même pensée quand il dit : ὅσα ἀριθμῷ πολλά, ὕλην ἔχει (Métaph. Λ 8, 1074 a, 33 ; p. 268, 1). De sorte que, en un mot, sa doctrine de l’individualité revient à dire que ce qui fait l’individu c’est la matière. Se demander quel est le fond dernier de la substance individuelle, c’est seulement se poser en d’autres termes la même question : qu’est-ce que l’individu ? La réponse d’Aristote est aussi la même. La première et plus fondamentale propriété de la substance, c’est, étant numériquement une, d’être capable de recevoir comme attributs les contraires (Cat. 5, 4 a, 10 ; p. 103, n. 1). Comme ce qui reçoit ainsi les contraires sans perdre son unité c’est la puissance et la matière, la substance individuelle doit donc sa première et plus essentielle propriété à la matière. Par conséquent, voilà la réalité du sensible définie par la matière. Ce qui réalise les universaux, c’est qu’ils viennent résider dans une matière ou, pour mieux dire encore, dans cette matière ; car une matière prise en général est déjà quelque chose de formel.

Mais est-ce donc vraiment cette conception de la réalité qu’Aristote oppose en fin de compte au Platonisme ? Il serait alors tout près d’Antisthène. Ce pur sensualisme ne saurait être l’expression définitive de sa pensée. À vrai dire, lorsqu’on s’étonne qu’Aristote ait eu recours à la matière pour définir le réel, il faut éviter de se méprendre et ne pas lui faire dire que c’est la matière comme telle qui est le réel. Ce qui est le réel, au moment de la pensée d’Aristote qui nous occupe, ce n’est ni la matière ni la forme, c’est le composé des deux. Le σύνολον est pour lui, à ce moment, la réalité véritable. Ces pierres, ce bois et ces tuiles, informés par la détermination générale : un abri contre le vent, la pluie et la chaleur ; et, réciproquement, cette détermination générale, matérialisée dans ces pierres, ce bois et ces tuiles, voilà le réel (cf. De an. I, 1, 403 a, 29-b, 8). La réalité n’appartient ni à la forme, ni à la matière : toutes deux y contribuent, et il n’y a de réel que par leur union. C’est ainsi qu’il faut présenter la pensée d’Aristote, si l’on veut ne pas la trahir. Toutefois cette doctrine de conciliation n’empêche pas qu’il est permis et même nécessaire de se demander auquel des deux facteurs de la réalité on doit attribuer la contribution la plus considérable ; elle n’empêche pas surtout qu’il faille chercher ailleurs le dernier mot d’Aristote sur la substance.

Si l’on avait proposé à Aristote de faire de la sensation la mesure de l’être, on se représente avec quelle vigueur il aurait repoussé la proposition. Le sensualisme de Protagoras n’a pas d’adversaire plus déterminé : il y voit avec raison l’anéantissement du principe de contradiction et, par conséquent, de la plus essentielle propriété de l’être (Métaph. Γ 4, 1007 b, 19-25 et 5 déb.). Si l’individualisme est le vrai, ce ne peut être au sens où il s’accorde avec le sensualisme de Protagoras, et réciproquement le sensualisme qui découle de la vraie théorie individualiste de la substance ne saurait être celui de Protagoras. De fait, rien de plus éloigné du sensualisme de Protagoras que le sensualisme d’Aristote. Le sens qui ne trompe pas, c’est, selon Aristote, celui de l’homme normal[14] : première manière de transformer la sensation en intuition rationnelle ; et la transformation est complète, quand on nous dit que la sensation a pour objet, non pas τὸ τόδε, mais τὸ τοιόνδε, et qu’elle est intellection (cf. p. 399, n. 1). Le réel, c’est donc ce que saisit l’intellect, bien plutôt que ce n’est ce que saisit la sensation. Corrélativement, si on le considère en lui-même et non plus par rapport à nous, le réel est constitué bien plutôt encore par la forme que par la matière. Le livre Ζ de la Métaphysique distingue les trois sortes de substances : la matière, le composé de matière et de forme et enfin la substance formelle, et c’est celle-ci qu’il met très décidément au premier rang. Sans doute le livre Ζ porte sur la substance comme objet de la définition, plutôt que sur la substance en elle-même. Cependant le livre Η, qui est le complément du livre Ζ, est d’un caractère ontologique, et d’ailleurs ce caractère marque la fin même du livre Ζ. On y trouve énoncée une conclusion vers laquelle tend en somme toute la doctrine d’Aristote sur la puissance et l’acte, sur la matière et la forme : la forme de la syllabe, distincte des éléments de la syllabe, est la cause de la syllabe. C’est donc la forme qui est la substance de chaque chose, parce qu’elle est la cause première de l’être de chaque chose[15]. Ainsi, à considérer les substances composées elles-mêmes, on voit que ce qu’il y a de plus substantiel en elles c’est la forme : la matière ne joue dans la constitution de ces réalités qu’un rôle subordonné.

Quand même d’ailleurs la part de la forme ne serait pas aussi manifestement prépondérante dans la réalité des substances composées, cela serait de peu d’importance, puisque ces substances ne sont pas encore ce qu’il y a de plus substantiel et que, selon Aristote, l’être en tant qu’être ne doit pas être cherché parmi elles, ni même, à proprement parler, au fond d’aucune d’entre elles. L’objet de la philosophie première, dit Aristote, est l’être en tant qu’être[16]. Mais il ne faut pas croire que l’être en tant qu’être est un universel, un caractère commun à tous les êtres. Ici Aristote appelle à son aide une dernière fois la distinction de l’unité générique et de l’unité d’analogie. Tous les êtres ont de l’être. Mais ce qu’ils ont de l’être n’est pas une partie, même conceptuelle, de l’être. C’est l’identité du rapport qu’ils soutiennent, chacun avec ses attributs ou les autres êtres, et du rapport que soutient l’être en tant qu’être avec ses propres prédicats. Si l’être, en tant qu’il se retrouve à propos de tous les êtres, peut être dit universel, c’est d’un genre particulier d’universalité : il est universel parce qu’il est premier et fondement d’analogie[17]. L’être en tant qu’être, étant premier, devient un type, il est imité par d’autres êtres. Chacun d’eux se règle sur lui. Mais il est à part d’eux tous, et cela réellement, non logiquement ; et le vrai nom de la philosophie première, c’est Théologie (Ε, 1, 1026 a, 18). En un mot, l’objet de la philosophie première est un individu. Or cet individu, comme Aristote le répète sans cesse avec des expressions diverses, est une pure forme (cf. p. 407, n. 2). Il est une pure forme, parce que sa fonction est d’expliquer les autres êtres et que la véritable explication consiste à invoquer la fin et, en dernière analyse, la forme. La forme explique tout le reste et se suffit à elle-même.

Nous reviendrons tout à l’heure sur l’être en tant qu’être pour le considérer en lui-même et approfondir son essence. Commençons par comparer cette essence avec celle des autres êtres. Que les autres êtres doivent plus ou moins leur réalité à la forme, cela, avons-nous dit, importe peu, puisque le premier de tous les êtres est forme pure, de sorte que la suprématie reste inéluctablement à la forme. Cependant il y a quelque chose de choquant dans le fait que l’individu suprême soit une forme pure, tandis que les autres sont des individus précisément par leur matière. C’est là dans le système d’Aristote une incohérence qu’on ne peut nier. Mais il reste à savoir si, tout en étant une vérité historique, elle est aussi une vérité philosophique ; si, en d’autres termes, elle est exigée par l’esprit du système. Il semble bien qu’il n’en est rien. Tout dans le système, nous avons essayé de le montrer, est orienté vers la forme comme aussi vers l’affirmation de l’individu ou, mieux encore, des individus. Le point faible, nullement exigé par la logique de la doctrine, est la théorie de l’individualité. Entre les deux conceptions de l’individualité qui se trouvent dans la lettre d’Aristote, une seule est compatible avec les principes directeurs de la pensée aristotélicienne : l’individualité de Dieu lui vient de ce qu’il se suffit ; c’est parce qu’il a une réalité positive pleinement suffisante, qu’il est un être séparé[18]. Au contraire c’est par des caractères négatifs que s’expliquerait l’individualité des autres individus : ce privilège de l’existence séparée, qui est en lui-même réellement un signe d’excellence et de réalité positive, leur viendrait d’un défaut. Cette manière de voir platonicienne se comprend dans Platon, qui ne place pas très haut dans son estime l’individu. On ne comprend pas qu’Aristote l’ait adoptée. La logique lui aurait conseillé d’en adopter une autre. Il aurait dû, obéissant au mouvement d’ensemble de sa pensée, définir tous les individus par la forme. Par la matière il aurait pu expliquer pourquoi les individus sensibles ne sont pas des dieux, c’est-à-dire pourquoi ils ne sont pas des êtres suffisamment séparés, indépendants, individuels ; car ces trois mots expriment la même notion. Il ne pouvait demander à la matière d’expliquer ce qu’il y a de positif dans l’individu : un tel mode d’explication revient en effet à traiter l’individualité comme une infirmité. Les Platoniciens d’Alexandrie, qui lui doivent tant d’ailleurs, ont été plus aristotéliciens qu’Aristote quand, éclairés, il est vrai, par la doctrine stoïcienne des raisons séminales, ils ont admis une Idée de Socrate, une Idée de chaque individu[19]. Si Aristote avait rompu sur ce point avec son maître, toute sa doctrine de l’être se serait aussitôt éclairée d’une vive lumière et développée d’un bout à l’autre dans un parfait accord avec elle-même. Elle eût été partout anti-universaliste ou individualiste, sans cesser d’être un rationalisme, puisqu’elle eût été partout formaliste. La notion de la forme, complètement rectifiée, eût été sans hésitation envisagée du point de vue de la compréhension.

Mais nous n’avons encore fait qu’esquisser le contour extérieur de l’individu suprême. Il faut pénétrer un peu plus avant dans son essence, nous demander ce qu’est au fond l’être en tant qu’être. Ce fond de l’être en tant qu’être se présente, semble-t-il, sous trois caractères : c’est la forme, la forme concrète, et enfin la forme vivante[20]. Aristote était trop pénétré de l’esprit de la philosophie conceptuelle pour céder, lorsqu’il s’agissait de définir la réalité suprême, à la tendance qui le reporte souvent vers le réalisme des Physiologues, en haine de celui de Platon. Il fallait bien qu’il définit par la forme le principe souverainement explicatif et souverainement réel. C’est ce qu’il a fait de la façon, non seulement la plus expresse, mais aussi la plus conséquente et la plus consciente. Il ne se contente pas de dire sans cesse que Dieu est tout en acte. Il écarte encore de lui la quantité[21], ce qui, à moins de réussir à rendre intelligible la quantité elle-même, était le moyen décisif de donner à cet être des êtres une essence conceptuelle. Si les Idées de Platon ne sont pas dans le lieu, le premier moteur est inétendu, et même, puisqu’Aristote distingue du temps l’éternité, Dieu, tout en durant peut-être, n’est pas dans le temps au sens ordinaire des mots[22]. Il est donc bien entendu qu’il ne reste au fond de l’être suprême aucune trace de matière ou de support. Mais cette façon de définir la réalité suprême ne constitue pas, par elle-même, un progrès sur Platon. On n’en saurait dire autant à propos du second caractère fondamental de l’être en tant qu’être. On a quelquefois été tenté de considérer sa nature comme très abstraite, et le fait est qu’Aristote n’a peut-être pas assez fait ressortir combien, dans sa pensée, l’être en tant qu’être est loin de ressembler à l’être de Parménide ou à l’Idée de Platon. En dépit de tendances contraires, l’Idée de Platon est d’autant plus réelle qu’elle est plus générale, c’est-à-dire plus vide. La forme d’Aristote est au contraire quelque chose de concret ; car l’espèce a plus d’être que le genre[23]. Dieu, être simple, c’est-à-dire sans parties, comme eût avec raison commenté Leibnitz, n’est pas pour cela un être sans attributs. C’est au contraire l’être souverainement réel[24]. Reste enfin un dernier caractère de l’être en tant qu’être, qui suppose les deux autres et les dépasse en excellence et en signification : l’être des êtres, c’est l’esprit[25]. Non seulement Aristote l’affirme, mais il a au moins le sentiment, sinon l’idée adéquate, de la portée de son affirmation. Sans doute il a dit quelque part que la pensée, c’est les pensées[26], ce qui paraîtrait ramener le sujet à l’objet, même après qu’il n’est plus question d’une dualité de l’intelligible et de l’intelligent, ni d’une action exercée sur l’intellect par l’intelligible. Cependant ce n’est pas là, semble-t-il, le dernier mot d’Aristote. Il affirme trop énergiquement la vie de Dieu pour en revenir à faire de lui, par un détour, une Idée platonicienne, une loi morte. Dieu, pour Aristote, est et reste sujet en même temps qu’objet, et l’assertion qu’il est l’esprit mérite d’être prise dans le sens le plus propre et le plus plein. S’il est vrai que les autres êtres imitent le premier des êtres[27], on voit que la philosophie conceptuelle, idéalisme tout objectif chez Platon, tend déjà fortement chez Aristote à passer à l’idéalisme complet, pour qui un être est la synthèse d’un objet ou d’un sujet.


  1. De an. II, 5, 417 b, 23 : ταῦτα [sc. τὰ καθόλου] δ’ ἐν αὐτῇ πώς ἐστι τῇ ψυχῇ. Cf. III, 4, 429 a, 27 : καὶ εὖ δὴ οἱ λέγοντες τὴν ψυχὴν εἶναι τόπον εἰδῶν, πλὴν ὅτι οὔτε ὅλη ἀλλ’ ἡ νοητική, οὔτε ἐντελεχείᾳ ἀλλὰ δυνάμει τὰ εἴδη. Voir Rodier, op. cit., II, p. 261 et 439.
  2. Métaph. Ζ, 13, 1038 b, 11 : τοῦτο γὰρ λέγεται καθόλου ὃ πλείοσιν ὑπάρχειν πέφυκεν. Δ, 26, 1023 b, 29 : τὸ μὲν γὰρ καθόλου… οὕτως ἐστὶ καθόλου ὡς πολλὰ περιέχον τῷ κατηγορεῖσθαι καθ’ ἑκάστου καὶ ἓν ἅπαντα εἶναι ὡς ἕκαστον… Cf. Bonitz, Ind. 356 b, 4 sqq.
  3. Une partie de ce texte a été citée p. 126, n. 4 ; cf. Bonitz, Metaph. II, p. 356. L’Idée platonicienne est un véritable individu et, pour cette raison, ne peut être définie : voir en particulier Métaph. Μ, 9, 1086 a, 32-35 et Ζ, 15, 1040 a, 8-14 ; b, 2 sq.
  4. Alexandre, Ἀπορίαι καὶ λύσεις, I, 11 b, 23, 23-32 Bruns (cf. supra, p. 126). Voir Rodier, op. cit., II, p. 19.
  5. Voir p. 116, n. 2. Cf., en outre des textes cités à cet endroit, De an. III, 4, 429 a, 13 : εἰ δή ἐστι τὸ νοεῖν ὥσπερ τὸ αἰσθάνεσθαι, ἢ πάσχειν [cf. Rodier, p. 436] τι ὑπὸ τοῦ νοητοῦ ἤ τι τοιοῦτον ἕτερον… [cf. p. 385, n. 3] ὁμοίως ἔχειν, ὥσπερ τὸ αἰσθητικὸν πρὸς τὰ αἰσθητά, οὕτω τὸν νοῦν πρὸς τὰ νοητά. 8, 432 a, 2 : … ὁ νοῦς εἶδος εἰδῶν καὶ ἡ αἴσθησις εἶδος αἰσθητῶν [cf. p. 379, n. 1]. C’est à l’aide de métaphores empruntées au contact et à la vision qu’Aristote décrit l’intellection, Métaph. Θ, 10, 1052 a, 3 : ni l’erreur, qui est le fait d’une synthèse incorrecte, ni l’ignorance ne sont comparables à la cécité, ἡ μὲν γὰρ τυφλότης ἐστὶν ὡς ἂν εἰ τὸ νοητικὸν ὅλως μὴ ἔχοι τις. Λ, 7, 1072 b, 20 : l’intellect se pense lui-même κατὰ μετάληψιν τοῦ νοητοῦ… θιγγάνων καὶ νοῶν… τὸ γὰρ δεκτικὸν τοῦ νοητοῦ καὶ τῆς οὐσίας νοῦς. Éth. Nic. I, 4 (6), 1096 b, 28 : ὡς γὰρ ἐν σώματι ὄψις, ἐν ψυχῇ νοῦς… et de même Top. I, 17, 108 a, 11. — Sur le rapport de l’intellection et des intuitions de l’expérience, cf. Éth. Nic. VI, 12 (11), 1143 b, 4, 11 : ἐκ τῶν καθ’ ἕκαστα γὰρ τὸ καθόλου· τούτων οὖν ἔχειν δεῖ αἴσθησιν, αὕτη δ’ ἐστὶ νοῦς… ὥστε δεῖ προσέχειν τῶν ἐμπείρων καὶ πρεσβυτέρων ἢ φρονίμων ταῖς ἀναποδείκτοις φάσεσι καὶ δόξαις οὐχ ἧττον τῶν ἀποδείξεων· διὰ γὰρ τὸ ἔχειν ἐκ τῆς ἐμπειρίας ὄμμα ὁρῶσιν ὀρθῶς. Cf. aussi p. 384, n. 1.
  6. Métaph. Γ, 2 déb. : τὸ δ’ ὂν λέγεται μὲν πολλαχῶς, ἀλλὰ πρὸς ἓν καὶ μίαν τινὰ φύσιν, καὶ οὐχ ὁμωνύμως, ἀλλ’ ὥσπερ καὶ τὸ ὑγιεινὸν ἅπαν πρὸς ὑγίειαν, τὸ μὲν τῷ φυλάττειν, τὸ δὲ τῷ ποιεῖν, τὸ δὲ τῷ σημεῖον εἶναι τῆς ὑγιείας, τὸ δ’ ὅτι δεκτικὸν αὐτῆς· καὶ τὸ ἰατρικὸν πρὸς ἰατρικήν·… οὕτω δὲ… τὰ μὲν… ὅτι οὐσίαι ὄντα λέγεται, τὰ δ’ ὅτι πάθη οὐσίας, τὰ δ’ ὅτι ὁδὸς εἰς οὐσίαν… καθάπερ οὖν καὶ τῶν ὑγιεινῶν ἁπάντων μία ἐπιστήμη ἔστιν, ὁμοίως τοῦτο καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων. οὐ γὰρ μόνον τῶν καθ’ ἓν λεγομένων ἐπιστήμης ἐστὶ θεωρῆσαι μιᾶς, ἀλλὰ καὶ τῶν πρὸς μίαν λεγομένων φύσιν· καὶ γὰρ ταῦτα τρόπον τινὰ λέγεται καθ’ ἕν. δῆλον οὖν ὅτι καὶ τὰ ὄντα μιᾶς θεωρῆσαι ᾗ ὄντα ἄπαντα. Cf. p. 121, n. 1.
  7. An. post. I, 31 déb. : οὐδὲ αἰσθήσεως ἔστιν ἐπίστασθαι. De an. II, 5, 417 b, 22 : … τῶν καθ’ ἕκαστον ἡ κατ’ ἐνέργειαν αἴσθησις, ἡ δ’ ἐπιστήμη τῶν καθόλου.
  8. An. post. (à la suite de la phrase citée note précédente) : εἰ γὰρ καὶ ἔστιν ἡ αἴσθησις τοῦ τοιοῦδε καὶ μὴ τοῦδέ τινος, ἀλλ’ αἰσθάνεσθαί γε ἀναγκαῖον τόδε τι καὶ ποὺ καὶ νῦν.
  9. Voir Bonitz, Metaph. II, p. 111 sq.
  10. Métaph. Α, 9, 991 b, 1 (Μ, 5, 1079 b, 38) : ἔτι δόξειεν ἂν ἀδύνατον εἶναι χωρὶς τὴν οὐσίαν καὶ οὗ ἡ οὐσία. ὥστε πῶς ἂν αἱ ἰδέαι οὐσίαι τῶν πραγμάτων οὖσαι χωρὶς εἶεν ; De an. III, 8, 432 a, 3 : ἐπεὶ δὲ οὐδὲ πρᾶγμα οὐθὲν ἔστι παρὰ τὰ μεγέθη… τὰ αἰσθητὰ κεχωρισμένον, ἐν τοῖς εἴδεσι τοῖς αἰσθητοῖς τὰ νοητά ἐστι…
  11. Cat. 5 déb. : οὐσία δέ ἐστιν ἡ κυριώτατά τε καὶ πρώτως καὶ μάλιστα λεγομένη…, οἷον ὁ τὶς ἄνθρωπος ἢ ὁ τὶς ἵππος.. Cf. supra, p. 103.
  12. Métaph. Β, 4, 999 b, 33 : τὸ γὰρ ἀριθμῷ ἓν ἢ τὸ καθ’ ἕκαστον λέγειν διαφέρει οὐθέν. οὕτω γὰρ λέγομεν τὸ καθ’ ἕκαστον τὸ ἀριθμῷ ἕν… Cf. Cat. 2 s. fin. : ἁπλῶς δὲ τὰ ἄτομα καὶ ἓν ἀριθμῷ κατ’ οὐδενὸς ὑποκειμένου λέγεται…
  13. Top. II, 2, 109 b, 14 : σκοπεῖν δὲ κατ’ εἴδη καὶ μὴ ἐν τοῖς ἀπείροις… Cf. Platon, Philèbe 16 d.
  14. Métaph. Κ, 6, 1062 b, 35 : … οὐδέποτε γὰρ τὸ αὐτὸ φαίνεται τοῖς μὲν γλυκὺ τοῖς δὲ τοὐναντίον, μὴ διεφθαρμένων καὶ λελωβημένων τῶν ἑτέρων τὸ αἰσθητήριον καὶ κριτήριον τῶν λεχθέντων χυμῶν.
  15. Ζ, 10, 1035 a, 2 : … οὐσία ἥ τε ὕλη καὶ τὸ εἶδος καὶ τὸ ἐκ τούτων… Sur la primauté de la forme, cf. 3, 1029 a, 5 (cité p. 268, n. 7). — Ce qui fait que la syllabe est quelque chose en dehors des lettres, voyelles ou consonnes, dont elle est composée, c’est la cause qui fait que telle matière est syllabe et précisément telle syllabe, 17, 1041 b, 11 jusqu’à la fin du chapitre, et surtout b, 27 : οὐσία δ’ ἑκάστου μὲν τοῦτο· τοῦτο γὰρ αἴτιον πρῶτον τοῦ εἶναι.
  16. Métaph. Γ, 1 début : ἔστιν ἐπιστήμη τις ἣ θεωρεῖ τὸ ὂν ᾗ ὂν καὶ τὰ τούτα ὑπάρχοντα καθ’ αὑτό…
  17. Métaph. Ε, 1 fin : … καὶ καθόλου οὕτως ὅτι πρώτη. Pour l’universalité d’analogie, voir p. 397, n. 1.
  18. Métaph. Λ, 7, 1073 a, 4 : … ἔστιν οὐσία τις ἀίδιος καὶ ἀκίνητος καὶ κεχωρισμένη τῶν αἰσθητῶν… Cf. 10 déb. et Κ, 7, 1064 a, 34-b, 1. Le divin est ce qui se suffit, De caelo I, 9, 279 a, 21 : … τὴν ἀρίστην ἔχοντα [sc. τἀκεῖ a, 18, c’est-à-dire les natures divines qui sont au-dessus du premier ciel] ζωὴν καὶ αὐταρκεστάτην… cf. a, 35 ; Éth. Nic. X, 7, 1177 a, 27 : ἥ τε λεγομένη αὐτάρκεια περὶ τὴν θεωρητικὴν [sc. διαγωγὴν] μάλιστ’ ἂν εἴη, et la vie théorétique est précisément celle de Dieu (Métaph. Λ, 7, 1072 b, 14). Cf. aussi Éth. N. I, 5 (7), 1097 b, 7 sq.
  19. Voir Plotin, Ennéade V, vii, par ex. 1 : … εἰ μὲν ἀεὶ Σωκράτης καὶ ψυχὴ Σωκράτους, ἔσται αὐτοσωκράτης, καθ’ ὅ ᾗ ψυχὴ καθέκαστα καὶ ἐκεῖ· εἰ δ’ οὐκ ἀεί, ἀλλὰ ἄλλοτε ἄλλη γίνεται ὁ πρότερον Σωκράτης, οἷον ὁ Πυθαγόρας ἤ τις ἄλλος, οὐκέτι ὁ καθέκαστα οὗτος κἀκεῖ.. Sur cette conception dans la doctrine stoïcienne des raisons séminales, cf. Némésius, Nat. hum. 38, p. 277 (Arnim, St. vet. fragm. n. 625, II, p. 190, 16).
  20. C’est la forme pure et l’acte pur, Métaph. Λ, 8, 1074 a, 35 : τὸ δὲ τί ἦν εἶναι οὐκ ἔχει ὕλην τὸ πρῶτον· ἐντελέχεια γάρ. ἓν ἄρα καὶ λόγῳ καὶ ἀριθμῷ τὸ πρῶτον κινοῦν… 7, 1072 a, 25 : … ἀίδιον καὶ οὐσία καὶ ἐνέργεια οὖσα. Cf. b, 8 ; 6, 1071 b, 19 sq., 22 et saep. C’est une forme vivante, ibid. 7, 1072 b, 26 : καὶ ζωὴ δέ γ’ ὑπάρχει· ἡ γὰρ νοῦ ἐνέργεια ζωή, ἐκεῖνος δὲ ἡ ἐνέργεια· ἐνέργεια δὲ ἡ καθ’ αὑτὴν ἐκείνου ζωὴ ἀρίστη καὶ ἀίδιος. φαμὲν δὴ [Bonitz, au lieu de δὲ] τὸν θεὸν εἶναι ζῷον ἀίδιον ἄριστον, ὥστε ζωὴ καὶ αἰὼν συνεχὴς καὶ ἀίδιος ὑπάρχει τῷ θεῷ. τοῦτο γὰρ ὁ θεός. Cf. b, 16 sq. ; De caelo II, 3, 286 a ; I, 9, 279 a, 20-22 (supra, p. précéd., note).
  21. Voir supra, p. 402 le texte de Métaph. Λ, 8, 1074 a, 33 et 7, 1073 a, 5-11 : dans ce dernier passage Aristote renvoie à une démonstration antérieure, δέδεικται δὲ καὶ ὅτι μέγεθος οὐδὲν ἔχειν ἐνδέχεται ταύτην τὴν οὐσίαν [sc. τὴν ἀίδιον καὶ ἀκίνητον] ; c’est celle de la Physique, VIII, 10, 267 b, 17 à la fin (voir p. 349 sq.).
  22. Phys. IV, 12, 221 b, 3 : … τὰ ἀεὶ ὄντα, ᾗ ἀεὶ ὄντα, οὐκ ἔστιν ἐν χρόνῳ. D’autre part les natures simples qui sont l’objet de la pensée divine sont pensées dans un temps indivisible, De an. III, 6, 430 b, 14 : τὸ δὲ μὴ κατὰ τὸ ποσὸν ἀδιαίρετον ἀλλὰ τῷ εἴδει νοεῖ ἐν ἀδιαιρέτῳ χρόνῳ καὶ ἀδιαιρέτῳ τῆς ψυχῆς… Ces textes permettent de comprendre le remarquable passage sur lequel s’achève le ch. 9 de Métaph. Λ, 1075 a, 5 : ἔτι δὴ λείπεται ἀπορία, εἰ σύνθετον τὸ νοούμενον [l’objet de la pensée divine]· μεταβάλλοι γὰρ ἂν [la pensée divine] ἐν τοῖς μέρεσι τοῦ ὅλου. ἢ [mais ne faut-il pas dire plutôt] ἀδιαίρετον πᾶν τὸ μὴ ἔχον ὕλην ; ὥσπερ ὁ ἀνθρώπινος νοῦς, ἢ ὅ γε [ou en général tout intellect qui a pour objet…] τῶν συνθέτων, ἔχει ἔν τινι χρόνῳ [cf. 7, 1072 b, 15, 25 : μικρὸν χρόνον ἡμῖν, ὡς ἡμεῖς ποτέ]· οὐ γὰρ ἔχει τὸ εὖ ἐν τῳδὶ ἢ ἐν τῳδί [sc. χρόνῳ], ἀλλ’ ἐν ὅλῳ τινὶ τὸ ἄριστον, ὂν ἄλλο τι [quoique ce parfait soit distinct de lui ; à plus forte raison si ce parfait était la pensée même qui le pense, comme c’est le cas pour Dieu]· οὕτως δ’ ἔχει αὐτὴ αὑτῆς ἡ νόησις τὸν ἅπαντα αἰῶνα. Cf. Bonitz, Metaph. II, p. 517 sq.
  23. Cat. 5, 2 b, 7 : τῶν δὲ δευτέρων οὐσιῶν μᾶλλον οὐσία τὸ εἶδος τοῦ γένους· ἔγγιον γὰρ τῆς πρώτης οὐσίας ἐστίν.
  24. Il l’est en tant que forme pure et acte pur, fin suprême et bien suprême, et c’est pourquoi il se suffit à lui-même (cf. p. 406, n. 1). Cf. Métaph. Λ, 1, 1072 a, 27 : ce qui est souverainement et immédiatement intelligible et désirable, autrement dit ce qui a le plus d’être, est une seule et même chose : τούτων τὰ πρῶτα τὰ αὐτά. a, 31 sq. : … ταύτης [sc. τῆς συστοιχίας τῆς νοητῆς καθ’ ἑαυτήν] ἡ οὐσία πρώτη, καὶ ταύτης [sc. τῆς οὐσίας ἡ μάλιστα πρώτη] ἡ ἁπλῆ καὶ κατ’ ἐνέργειαν. 34-b, 1 : dans la même série se trouvent le bien et le désirable par soi, καὶ ἔστιν ἄριστον αἰεὶ ἢ ἀνάλογον τὸ πρῶτον. b, 10 sq. : ἐξ ἀνάγκης ἄρα [au sens de τὸ μὴ ἐνδεχόμενον ἄλλως ἀλλ’ ἁπλῶς, 13] ἐστὶν ὄν· καὶ ᾗ ἀνάγκῃ, καλῶς, καὶ οὕτως ἀρχή.
  25. Ibid. 9, 1074 b, 33 : … τὸ ἄριστον ἡ νόησις [lorsque, au lieu d’être, comme en nous, l’actualisation d’une puissance, elle est la pensée immédiatement actuelle]. αὑτὸν ἄρα νοεῖ [sc. ὁ νοῦς], εἴπερ ἐστὶ [sc. ὁ νοῦς] τὸ κράτιστον, καὶ ἔστιν ἡ νόησις νοήσεως νόησις. 1075 a, 3 : οὐχ ἑτέρου οὖν ὄντος τοῦ νοουμένου καὶ τοῦ νοῦ, ὅσα μὴ ὕλην ἔχει, τὸ αὐτὸ ἔσται καὶ ἡ νόησις τῷ νοουμένῳ μία.
  26. De an. I, 3, 407 a, 7 : ἡ δὲ νόησις τὰ νοήματα.
  27. De caelo I, 9, 279 a, 28 : ὅθεν [à partir de cette substance immortelle et divine qui est la fin de l’univers] καὶ τοῖς ἄλλοις ἐξήρτηται, τοῖς μὲν ἀκριβέστερον τοῖς δ’ ἀμαυρῶς, τὸ εἶναί τε καὶ ζῆν. C’est aussi sous le rapport de la finalité que le livre Λ de la Métaphysique, envisage cette action du modèle suprême, 7, 1072 b, 3, 14 : κινεῖ δὴ ὡς ἐρώμενον… ἐκ τοιαύτης ἄρα ἀρχῆς ἤρτηται ὁ οὐρανὸς καὶ ἡ φύσις. Par contre, dans le De gen. et corr. I, 3, 318 a, 1 sq., il la considère comme celle d’une cause efficiente : οὔσης δ’ αἰτίας μιᾶς μὲν ὅθεν τὴν ἀρχὴν εἶναί φαμεν τῆς κινήσεως… Cf. 7, 324 b, 43 sq. où les deux points de vue sont expressément opposés l’un à l’autre.