Le Système d’Aristote/Chapitre VIII

Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 108-127).

HUITIÈME LEÇON


LE CONCEPT

Le plan de la logique d’Aristote est en gros facile à saisir. L’objet final de la logique étant l’ensemble des procédés scientifiques et, avant tout, la démonstration, il faut que la logique s’occupe des éléments dont la hiérarchie constitue la démonstration, c’est-à-dire du syllogisme, de la proposition ou du jugement, du terme ou du concept. Mais, lorsqu’on veut considérer ce plan d’un peu près, on trouve qu’il n’est pas parfaitement net. En effet le syllogisme suppose des opérations élémentaires qui produisent les propositions et les termes. Entre ces trois opérations l’ordre hiérarchique est visible. Examinons au contraire la démonstration et le syllogisme. La démonstration n’est pas une opération nouvelle et plus composée, dont le syllogisme soit l’élément ; c’est seulement un syllogisme dont les prémisses sont d’une nature particulière. Mais, s’il y a deux sortes de syllogismes, il y a sans doute aussi deux sortes de propositions ; ou, pour mieux dire, puisque c’est le caractère propre de ses prémisses qui fait que le syllogisme scientifique est scientifique, il est indubitable qu’il y a deux sortes de propositions, les unes scientifiques et les autres, non. Comment n’en serait-il pas de même des termes ? Comment n’y aurait-il pas des concepts scientifiques et des concepts non scientifiques ? Ainsi, ce qu’Aristote aurait dû faire, ce n’est pas de superposer la démonstration au syllogisme et, médiatement, aux éléments du syllogisme ; il aurait dû diviser toutes les opérations de la logique en scientifiques et non scientifiques. Nous aurions eu d’une partie concept, le jugement et le raisonnement scientifiques ; de l’autre, le concept, le jugement et le raisonnement dialectiques. Et, quant aux relations de ces deux hiérarchies entre elles, il aurait fallu dire, semble-t-il, pour traiter ce point conformément à l’esprit du système, que les trois opérations dialectiques sont des analogues, des imitations des trois opérations scientifiques, en ajoutant que, si les trois opérations scientifiques sont les premières en soi, ce sont au contraire les trois opérations dialectiques qui sont les premières par rapport à nous. Pour présenter les choses sous un autre aspect, moins aristotélique peut-être quoique plus traditionnel, on peut dire qu’Aristote aurait dû dédoubler chacune des trois opérations en une opération scientifique et une opération formelle, c’est-à-dire assez générale pour s’adapter à un autre contenu encore que le contenu scientifique. Mais, de quelque façon qu’on présente le dédoublement des opérations logiques, il est sûr que, pour obtenir la clarté partout, il aurait fallu dédoubler les trois opérations. Or, en fait, le dédoublement n’a été vraiment accompli par Aristote que pour une seule, le syllogisme. Cela étant, on éprouve quelque embarras pour savoir par où il convient de commencer une étude systématique de la logique d’Aristote. Peut-on aborder tout de suite le syllogisme pur et simple ? Faut-il essayer de dégager des quelques indications que nous possédons une théorie dialectique ou formelle du jugement et du concept ? Ou bien enfin faut-il donner la théorie du jugement et du concept scientifiques ?

En réalité il semble bien qu’Aristote, après le traité des Catégories comme prélude, a commencé sa logique par les Premiers analytiques. Car le Περὶ ἑρμηνείας semble avoir été ajouté après coup ; et même, si certains chapitres contiennent des allusions à Diodore le Mégarique, il devient absolument certain que l’ouvrage appartient aux dernières années de la vie d’Aristote (cf. p. 28, n. 2). Mais il est pourtant impossible, quoi qu’on en ait, de traiter du syllogisme sans s’appuyer sur une théorie, au moins ébauchée, du jugement et du concept. Aussi Aristote n’a-t-il pu éviter, au début des Premiers analytiques, quelques considérations sur ces deux points. Elles occupent les trois premiers chapitres et voici en quoi elles consistent. Il faut, avoue Aristote, déterminer ce que c’est qu’une proposition et ce que c’est qu’un terme (τί ἐστι πρότασις καὶ τί ὅρος, 24 a, 11). Une proposition est un discours qui affirme quelque chose de quelque chose, ou qui nie quelque chose de quelque chose[1]. Cette affirmation ou cette négation est, soit universelle, soit particulière, soit indéfinie (ib. a, 16-22). Un terme est ce en quoi se résout la proposition, c’est à savoir l’attribut et le sujet, soit que l’être s’y ajoute, soit que le non-être en soit séparé (24 b, 16-18)[2]. Dans le chap. 2 Aristote résume la théorie de la conversion des propositions simples. Dans le chap. 3 il s’occupe de la conversion des modales. Ces considérations, si peu de place qu’Aristote leur accorde, montrent qu’il faut, de toute nécessité, commencer la logique aristotélicienne par le jugement et le concept.

Devra-t-on maintenant essayer de reconstituer, pour en faire les deux premiers chapitres de la logique, une théorie dialectique ou formelle du concept et du jugement, en réservant pour plus tard la théorie du concept et du jugement scientifiques ? En ce qui concerne la théorie du jugement, on n’aurait d’autre ressource que de développer verbalement les indications que nous venons de rapporter au sujet de la proposition. Mais ce développement verbal laisserait forcément subsister beaucoup d’obscurité sur les points importants et serait dès lors de peu de profit. En ce qui concerne le concept, il en serait encore de même. À la vérité, on pourrait ajouter à l’explication bien obscure de la nature des termes, telle que nous venons de la recueillir, les indications qu’Aristote donne ailleurs sur la définition de mots. Voici le passage le plus net peut-être de ceux où il indique, toujours brièvement, la distinction de la définition de mots et de la définition de choses[3]. D’après ce passage, une définition de mot c’est la définition d’une essence fictive. Si une telle essence fictive est prise au sérieux par un habile homme ou par l’opinion d’un grand nombre d’hommes, elle devient un objet considérable de raisonnements, de raisonnements dialectiques. D’ailleurs, fût-il simplement l’illusion d’un homme isolé et sans importance, que le bouc-cerf pourrait encore servir de fondement à des syllogismes, savoir à des syllogismes qui constitueraient une démonstration par l’absurde. Ainsi, en dehors des essences réelles, Aristote sait bien qu’il y a des essences imaginaires, et que les unes comme les autres peuvent servir de termes dans des syllogismes. Mais cette considération, jointe à la définition du terme que nous traduisions tout à l’heure, constitue, semble-t-il, tout ce qui chez Aristote pourrait servir à établir une théorie formelle ou dialectique du concept. Dans une telle théorie on trouverait moins de lumière encore que dans la théorie formelle du jugement.

Aristote, au moins dans ses premiers ouvrages scientifiques, n’a pas traité de la proposition pour elle-même, et il semble bien que jamais il n’a traité du concept pour lui-même. C’est pour cela que, au point de vue formel, ses indications se réduisent à si peu de chose. Et c’est pourquoi, même au point de vue scientifique ou métaphysique, elles ne sont pas encore très abondantes. Par conséquent donc il ne faut pas hésiter à étudier, au début même de la logique, le jugement et le concept au point de vue réel. C’est seulement ainsi qu’on pourra obtenir, par le rapprochement d’éléments en nombre suffisant, un peu de clarté. Au reste, même dans les Premiers analytiques, l’unique ouvrage où Aristote ait fait quelque chose qui approche de la logique formelle, les considérations matérielles interviennent sans cesse : témoin, entre autres, le fait qu’Aristote s’occupe tout de suite des propositions modales.

Nous allons donc nous demander quelles sont les vues d’Aristote sur le concept. Comme il n’en fait la théorie que d’une manière incidente et accessoirement, nous ne trouvons pas chez lui de définition expresse du concept. Il a bien un nom pour le désigner, à savoir le mot λόγος (voy. Bonitz, Ind. 434 a, 13 sqq.). Mais ce nom même, il le remplace le plus souvent par des équivalents et, dans tous les cas, Aristote n’y ajoute pas de définition. Pour obtenir une définition extérieure du concept qui puisse nous servir de point de départ, nous sommes réduits à l’extraire de ce que nous savons touchant le rôle de concept dans le syllogisme. Le syllogisme se compose de propositions et les propositions se composent de termes. Dans cette marche régressive du complexe au simple, le terme, une fois retiré du syllogisme, puis de la proposition elle-même, se présente comme une chose qui a cessé d’être en relations avec d’autres et qui est prise en elle-même. Autrement dit, la définition extérieure du concept semble n’être pas autre chose que celle de la catégorie. Le concept est quelque chose de ἄνευ συμπλοκῆς λεγόμενον. Et de fait nous verrons qu’il y a des concepts de toutes les catégories.

Mais, si le concept correspond ainsi à une chose prise en elle-même et exprime la chose en elle-même, il est clair qu’il représente la nature de la chose, puisque, retirée des relations où elle entre, la chose n’a plus en elle que sa propre nature. Le concept est donc l’expression par un seul mot de la définition de la chose, ou bien encore il est l’essence de la chose dans la pensée. Nous nous rendrons compte en avançant que c’est bien ainsi qu’Aristote se représente le concept. Mais, pour y arriver, il nous faut, sous les généralités extérieures par lesquelles nous venons de caractériser le concept, mettre des déterminations précises ; il nous faut voir de quoi se compose le concept et comment il s’établit.

Platon avait déjà insisté sur ce premier point, que, lorsqu’on voulait exprimer la nature d’une chose, il fallait exclure les accidents au sens propre du mot, les attributs accidentels. Sur ce point Aristote regarde la cause comme entendue. Il donne la définition de l’accident dans un assez grand nombre de textes, dont un des plus nets est peut-être celui des Topiques, I, 5 : l’accident est un attribut de la chose qui peut lui appartenir ou ne pas lui appartenir[4]. Mais c’est à peine s’il indique que l’accident ne doit pas entrer dans la notion, tant la chose lui paraît évidente et facile à déduire de la définition même de l’accident. Tout au plus se contente-t-il d’opposer l’accident au par soi, au καθ’ αὑτό, ou, comme il le fait ailleurs, à l’οὐσία[5].

Mais ce n’est pas seulement l’accident, c’est-à-dire le prédicat non essentiel, qui n’est pas constitutif du concept ; c’est encore le prédicat qui, fondé dans l’essence, n’appartient pourtant pas à l’essence. Car Aristote distingue nettement de l’essence les prédicats dérivés, que le raisonnement sait dégager et qu’il a précisément pour fonction de dégager de l’essence[6].

De même encore le propre n’entre pas dans le concept. Le propre, au sens étroit du mot, est une détermination qui n’appartient qu’à une seule chose et appartient à cette chose dans toute son extension, de sorte qu’il se réciproque avec la chose. Malgré cette identité d’extension il n’y a pas identité de nature : le propre est au contraire traité par Aristote comme une marque extérieure et comme une détermination superficielle qui n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de se faire une notion d’une chose[7].

Sur quoi donc porte le concept, puisque ce n’est ni sur l’accident, ni sur l’attribut nécessaire mais dérivé, ni sur le propre ? C’est évidemment sur l’οὐσία, la substance. C’est ce qu’Aristote exprime ordinairement en disant qu’il n’y a définition que de l’οὐσία (Bonitz, Ind. 525 a, 8). Mais ce n’est pas encore là une manière assez précise de déterminer l’objet du concept et, par cet objet, la nature du concept ; car le concept n’est, bien entendu, que le reflet de son objet. L’objet du concept, si l’on veut le déterminer avec la plus grande précision, n’est donc pas seulement l’οὐσία, c’est une sorte particulière d’οὐσία. C’est l’οὐσία en tant qu’elle exclut la composition, en tant qu’elle est simple. Aristote nous dit en effet qu’il y a identité entre la chose prise en elle-même, entre chaque chose, c’est-à-dire entre la chose en tant qu’objet du concept, et la quiddité de la chose, lorsque la chose considérée est une πρώτη οὐσία. En d’autres termes, une chose est vraiment elle-même, elle est vraiment objet de concept lorsqu’elle est une substance première, πρώτη οὐσία[8]. — Qu’est-ce maintenant qu’une πρώτη οὐσία ? Il est clair que l’expression n’a aucunement le même sens que dans le chap. 5 des Catégories (cf. p. 103). Aristote nous explique d’ailleurs aussitôt ce qu’il entend : une οὐσία est première quand elle n’est pas attachée à autre chose qu’elle-même, quand elle n’est pas quelque chose dans autre chose[9]. Mais, ainsi définie, une πρώτη οὐσία est la même chose que les ἁπλᾶ, les natures simples dont parle ailleurs Aristote. Car ce qui caractérise ces natures simples, c’est précisément qu’il n’y a en elles aucune composition, aucune trace d’une chose rapportée à une autre. Et en effet, d’une part, Aristote fait du mot ἁπλᾶ un synonyme de τὰ τί ἐστι[10], et, d’autre part, il oppose ces natures simples au groupe formé par un sujet et un attribut et l’acte mental qui saisit ces natures simples, au jugement[11].

La simplicité des natures simples n’est d’ailleurs aucunement affaire de relation et de point de vue ; c’est une simplicité essentielle, ou, mieux encore, en prenant l’épithète dans toute sa force, une simplicité réelle. C’est ce dont on se rend compte, si l’on songe aux deux acceptions dans lesquelles Aristote paraît avoir pris ces expressions d’ἁπλᾶ, d’ἀδιαίρετα, d’ἀσύνθετα, choses simples, indivisibles, incomposées. — En un sens les natures simples sont pour lui toutes les formes pures sans exception. Il parle d’une unité et d’une indivisibilité qui consistent, sans plus, dans le fait de tomber d’un seul coup sous la pensée et d’être formellement ou spécifiquement une seule chose[12] ; et le chap. 6 du livre III du De anima se termine par la déclaration qu’il faut considérer comme des indivisibles tout ce qui est sans matière, ὅσα ἄνευ ὕλης[13]. Prise en ce sens, la simplicité de la nature simple n’exclut, pas plus que celle de la monade de Leibnitz, un certain genre de composition. C’est en ce sens assurément, que le plus réel des êtres, celui dont la nature a le plus de richesse, est une nature simple. Mais, même ainsi entendue, la simplicité n’est sûrement pas identique à celle qui résulterait de l’unification, toujours extérieure, d’une matière concrète ou presque concrète et d’une forme, comme par exemple la simplicité de l’essence de l’homme ou du camus. La simplicité d’une forme pure, même lorsque cette forme contient une matière logique, est une simplicité interne et nécessaire, précisément parce que l’absence de matière, dans l’acception propre du mot matière, supprime toute espèce de distance entre les parties de la forme, qui dès lors se pénètrent et s’unifient. — Quoi qu’il en soit du reste, peu importe. Car Aristote a encore une autre manière plus fondamentale de comprendre la simplicité des natures simples. Le type primitif de ces natures ne comporte même pas de matière logique. Au-dessus des natures simples, qui le sont à la façon du cercle, lequel a une matière logique savoir le genre figure plane, il y a les natures simples qui sont immédiatement ce qui s’appelle unes, savoir, avec quelques autres également primitives et irréductibles, ces notions qui n’ont pas de genre : l’être et les catégories, substance, qualité, etc.[14]. La simplicité des natures simples ainsi comprises se distingue absolument d’une unité de point de vue et de rapport ; cette simplicité n’est plus une affaire de point de vue : c’est une réalité par soi. S’il en est ainsi, l’objet du concept est une chose prise en elle-même ou un terme, c’est-à-dire une essence, c’est-à-dire une nature simple, c’est-à-dire quelque chose qui est simple inévitablement et par soi.

Mais de la nature de son objet suit immédiatement celle du concept, avec celle de l’acte par lequel il est conçu : au νοητόν simple correspondent un νόημα simple et une νόησις simple. Le concept est une intuition dans toute la force du terme. Il n’y a en lui aucune discursion. C’est une intuition, intellectuelle bien entendu ; et, enfin de compte, il n’y en a sans doute pas d’autre. Qu’elle soit intellectuelle, cela ne l’empêche pas d’être aussi véritablement, et même, a coup sûr, plus véritablement, étrangère à toute discursion que l’intuition sensible, qui peut cependant servir ici de terme de comparaison, comme étant quelque chose de plus connu pour nous. Le concept est, pour reprendre les termes par lesquels le De anima et la Métaphysique qualifient la perception des natures simples, une intuition comparable à la vision d’un objet propre de la vue, ou encore à l’acte de toucher[15].

Nous venons de voir ce qu’est le concept quand on le prend sous sa forme rigoureusement propre. Et c’est sous cet aspect qu’il fallait commencer par le considérer pour bien comprendre que, aux yeux d’Aristote, il y a entre lui et tout ce qui est opération discursive une distinction, non pas de degré, mais de nature. Car autrement nous aurions pu croire que le concept, selon Aristote, est quelque chose comme une discursion ramassée et unifiée. Or c’eût été là une manière de voir insuffisamment précise, à laquelle aurait échappé ce qu’il y a de vraiment propre dans le concept. — Mais, si le concept est, en lui-même et primitivement, une opération et presque une chose à part, dont l’unité n’est pas celle d’un rapport ou, autrement dit, d’une fonction, il est impossible cependant à toute doctrine de ne pas reconnaître, à côté de ce type essentiel et primitif, une autre sorte de concepts. Le concept, comme aperception absolument simple, peut bien rester l’idéal de tout concept : au-dessous de cet idéal, si l’on ne veut pas que presque toute la réalité échappe aux concepts, force est bien d’admettre des concepts moins radicalement distincts des opérations discursives, et dont la simplicité ne soit plus autre chose que celle d’un rapport et d’une fonction. — Nous allons tout à l’heure passer en revue ces concepts de second ordre. Avant de le faire, n’oublions pas de remarquer qu’Aristote a bien le sentiment de la parenté entre l’intuition et la discursion et qu’il a su assigner le point où elles passent, pour ainsi dire, l’une dans l’autre. Nous aurons prochainement à dire que la définition se compose du genre et de la différence ; peut-être ne faut-il pas prendre cette formule au pied de la lettre, au moins lorsque la définition s’applique à certains objets tout intelligibles : à parler exactement, le genre est dans certains cas, ainsi qu’un l’a fait remarquer, enveloppé dans la différence et ne fait qu’un elle[16]. Cependant, même lorsque la différence ne peut se concevoir sans le genre, Aristote admet qu’il faut procéder comme si la séparation était possible. Et, en conséquence, il proclame que toute définition est un discours[17]. Mais, d’autre part, le discours qu’est la définition n’est pas discursif en réalité. Car, comme disent les Seconds analytiques (II, 3, 90 b, 33), tandis que toute démonstration, par exemple, aboutit à attribuer quelque chose à autre chose, il n’y a dans la définition aucune attribution de cette espèce, puisque les deux termes sont identiques : ἐν δὲ τῷ ὁρισμῷ οὐδὲν ἕτερον ἑτέρου κατηγορεῖται. Ainsi, par la définition, le passage s’établit entre l’intuition et la discursion, entre le concept et le jugement. La possibilité de traduire une intuition par un jugement donne à penser qu’on peut réciproquement traduire un jugement par un concept. Ceci n’équivaut pas à dire que les deux opérations ne diffèrent qu’en degré. Néanmoins cela prépare bien à comprendre que, dans certains cas, le concept pourra se rapprocher du jugement et n’être plus que l’unité fonctionnelle d’une diversité.

Aux natures simples, tant à celles qui le sont au point de n’avoir pas même de matière logique, qu’à celles qui sont simples comme étant de pures quiddités bien qu’elles enveloppent des parties logiques, s’opposent les natures composées ; aux ἀπλᾶ, les choses doubles, qui ne s’expriment qu’au moyen d’une addition de quelque détermination à un sujet. L’opposition marquée, Aristote se demande aussitôt s’il y a définition, autant dire s’il y a concept, de ces natures composées[18]. Bien que la distinction et la question ainsi posées visent littéralement les substances composées seules, l’opposition et la question peuvent être généralisées, et il s’agit de savoir si les choses composées en général, même quand ces composés sont autre chose que des substances, admettent des définitions ou donnent lieu à des concepts. Évidemment il faut distinguer plusieurs cas. Non moins évidemment, le premier est celui des substances composées. Nous n’avons pas à exposer pour le moment la théorie de la substance, et il suffira d’indiquer qu’il y a pour Aristote des substances, ou au moins une substance, toutes formelles, et, d’autre part, des substances qui sont formées par la réunion d’une matière et d’une forme, ce qu’il appelle σύνολος οὐσία. Y a-t-il donc définition ou concept d’une σύνολος οὐσία, d’un homme, par exemple, qui est composé d’un corps et d’une âme ? Aristote est certainement tenté de répondre qu’il n’y a définition des substances composées que par leur forme. Ainsi, pour définir ou concevoir un homme, on ne définirait ou on ne concevrait que l’âme[19]. Si cette formule voulait dire que l’âme est tout l’homme, parce qu’elle implique tout le reste de l’homme, savoir un corps organique d’une certaine espèce, en tant que ce corps est considéré en général et non comme un corps individuel, on pourrait la considérer comme donnant la pensée définitive d’Aristote. Mais alors elle ne différerait que verbalement de la conclusion à laquelle nous allons aboutir tout à l’heure. Si au contraire la formule signifie qu’il faut prendre l’âme en elle-même, la définir d’une façon toute logique, à la manière, par exemple, de celui qui définirait la maison sans tenir compte des pierres, du bois et des tuiles et comme un abri protecteur contre les intempéries (De an., I, 1, 403 b, 3 sqq.), alors la formule n’exprime pas la pensée définitive d’Aristote. Car les substances composées sont des substances ; donc elles ont une unité et, partant, il faut bien qu’il y en ait un concept. Mais l’établissement de la définition ou du concept ne va pas sans difficulté. Les substances composées sont comparables à ces attributs qui enveloppent leur sujet. Ce n’est pas là, pour Aristote, le cas de tous les attributs ; c’est celui des attributs qui par soi appartiennent à un sujet ; le sujet ne les possède pas par lui-même, mais au contraire c’est eux qui, par eux mêmes, se rapportent à leur sujet : ainsi le pair, l’impair, le premier, le divisible sont des attributs qui enveloppent le nombre[20] ; le camus, τὸ σιμόν, qui sert ordinairement d’exemple à Aristote (Bonitz, Ind. 680 a, 40), suppose comme sa matière et son siège un nez. Or, comment définir de tels attributs et, par exemple, le camus ? Si « camus » veut dire « nez camus », ce qu’on aura à définir c’est en réalité « nez camus », et il faudra dire que c’est « un nez, nez concave »[21]. Cette répétition, inévitable si l’on veut être exact, décèle la dualité invincible qui se cache au fond des attributs dont il s’agit et, par conséquent, au fond des σύνολοι οὐσίαι dont le cas est exactement le même. Cependant, malgré cette difficulté, il faut bien dire qu’il y a définition ou concept des substances composées, mais c’est d’une autre façon que des quiddités pures ; car le mot de définition se prend en plusieurs sens (Métaph. Ζ, 5, 1031 a, 8). Dans le chap. 2 du livre Η de la Métaphysique, Aristote explique qu’il y a trois sortes de définitions : par la matière, par la forme, par la réunion des deux[22]. La définition par réunion de la matière et de la forme est même si bien une définition légitime que c’est la manière de définir propre à l’une des trois sciences théorétiques, c’est-à-dire à la physique[23].

Par une première extension il y a définition ou concept des substances composées, aussi bien que des quiddités. Cette première extension est suivie de plusieurs autres. Et d’abord, il y a définition ou concept des choses qui tombent sous les autres catégories, aussi bien que des substances. La manière dont Aristote l’explique nous fait pénétrer très avant dans sa pensée et nous permet de comprendre comment, d’une façon générale, il peut et doit y avoir définition et concept d’autre chose que des quiddités. L’être se dit en plusieurs sens, savoir selon chacune des catégories. N’y a-t-il rien qui rattache ces sens les uns aux autres ? Certes il n’y a pas d’élément commun, entre les diverses catégories. Mais chacune d’elles se rapporte au même terme primordial et c’est ce rapport à un même terme qui fait qu’il y a de l’être dans chacune des catégories : entre une plante médicinale, un instrument médical, une œuvre médicale il n’y a pas d’élément commun ; mais chacun de ces termes se rapporte à un même terme primordial, l’art de produire la santé. C’est précisément la même chose pour les catégories par rapport à la substance : chacune, pour ainsi dire, imite selon sa mesure la substance. Et c’est pour cela que, à côté de la définition ou du concept de la substance, il y aura des définitions ou des concepts de la qualité, de la quantité, etc.[24].

Non seulement il y a définition ou concept des qualités, des quantités etc. ; il y a définition du groupe formé par un sujet et un attribut. En principe cela paraît impossible, car il y a là quelque chose de multiple et de disjoint, qu’on peut bien désigner si l’on veut par un nom unique, comme le mot « Iliade » désigne les vingt-quatre chants d’Homère ; mais le mot employé ne constituera pas plus un concept que le mot « Iliade » (Métaph. Ζ, 4, 1030 a, 2-17). Cependant Aristote, parmi les différents sens de l’être, compte, en le rapprochant des catégories, l’être comme copule[25]. Ainsi la liaison : « l’homme est blanc » est quelque chose qui est. Nous ne sommes donc pas surpris d’entendre Aristote déclarer qu’il y a définition ou concept de l’homme blanc (Métaph. Ζ, 4 fin.). Enfin il y a définition ou concept du groupe formé, non plus par un sujet et un attribut, mais par une manière d’être qui, au lieu d’être attribuée à un sujet, est placée dans un sujet, comme un élément dans une chose à laquelle il vient s’ajouter comme, ou presque comme, une partie intégrante. Aristote cite et accueille des définitions de cette sorte données par Archytas : le silence des vents (νηνεμία), c’est le repos de la masse de l’air ; le calme (γαλήνη), c’est l’égalité de niveau dans la mer[26].

Nous pouvons dire maintenant, d’une manière générale qu’il y a définition ou concept de tout ce qui n’est pas seulement juxtaposé, comme les vers de l’Iliade, mais de tout discours qui est un, et il y a autant de sens de l’un que de sens de l’être[27]. Nous étions partis du concept comme chose ; nous voyons depuis longtemps se développer les diverses formes du concept comme fonction. S’il faut ne pas oublier qu’il n’existe que parce qu’il imite, d’une manière prochaine ou éloignée, le concept absolument simple, dont l’objet est une quiddité indécomposable, c’est cependant ce concept-fonction, ce concept unité d’une multiplicité, qui occupe dans le système le plus de place et celui dont la logique et la dialectique s’occupent en fait à peu près uniquement. En effet le concept absolument simple est quelque chose de tout fait : on ne le construit ni ne le reconstruit en aucun sens. Il en est autrement du concept relativement simple. Indiquons comment il se constitue d’après Aristote.

La définition ou le concept porte sur l’espèce et résulte de la réunion du genre prochain et des différences[28]. Le genre est ce en quoi deux choses, diversifiées par des différences spécifiques, sont essentiellement identiques (Métaph. Ι, 8, 1057 b, 37), ou encore ce qui est commun à plusieurs espèces, mais de telle façon que ce soit un élément essentiel de ces espèces, quelque chose qui puisse s’attribuer à elles dans la catégorie de la substance (ἐν τῷ τί ἐστι κατηγορούμενον), quelque chose qu’on puisse donner comme réponse à la question : qu’est-ce qu’une certaine espèce, par exemple qu’est-ce que l’homme ? On répondra : c’est un animal, et en effet « animal » est bien le genre de « homme » (Top. I, 5, 102 a, 31 sqq.)[29]. Le genre tient donc une place considérable dans la définition ou le concept. Il tient une place considérable en ce qu’il est la première base du concept[30]. Mais la différence joue un rôle qui n’est pas moins considérable ; car, étant ce qu’il y a de plus propre à une chose, elle est ce qui est le plus constitutif de l’être de la chose. C’est pourquoi Aristote va quelquefois jusqu’à dire que ce qui constitue le concept d’une chose, c’est l’ensemble des différences ou, ce qui revient au même, la dernière différence. Mais il faut observer qu’il entend par là, non les différences prises abstraitement, mais bien en tant qu’elles enveloppent le genre comme leur base[31]. À la prendre abstraitement, en effet, une différence peut n’être pas propre à son espèce, et c’est seulement en réunissant plusieurs différences les unes aux autres, et surtout en réunissant les différences avec le genre, que l’on constitue un ensemble de caractères qui a exactement la même extension que l’objet à définir ou concevoir, et qui en exprime adéquatement la nature. Ainsi le nombre trois est un nombre impair, premier dans les deux sens, c’est-à-dire qui n’est ni un produit ni une somme de nombres ; le caractère d’être premier dans les deux sens appartient aussi au nombre deux ; mais d’être en même temps impair et premier dans les deux sens, cela n’appartient qu’au nombre trois[32]. Ainsi les différences unies au genre constituent un propre du défini qui se réciproque avec lui[33]. Du reste les différences ne sont nullement des dénominations externes : tout comme le genre, elles s’attribuent à leur sujet en τῷ τί έστι[34]. Par le moyen du genre et de la différence on reconstitue donc, à l’aide d’éléments antérieurs à elle et en soi plus connus qu’elle (Top. VI, 3, 141 b, 25-34), l’οὐσία de la chose à définir ou concevoir.

Pour achever de nous rendre compte de la nature du concept, il ne nous reste plus qu’à nous demander de quelle sorte d’οὐσία il est ici question. Qu’est-ce, en d’autres termes, qui est saisi dans le concept, quelle est la valeur ontologique du concept ? Considérons deux aspects du concept ou de l’οὐσία sur laquelle il porte : d’abord l’unité du concept, ensuite son contenu.

L’unité du concept est conçue par Aristote sur le modèle de la chose. Le concept, au moins le concept des choses qui admettent quelque composition, doit être un, parce que la chose conçue est une (Métaph. Ζ, 11, 1037 a, 18). Or la chose est une parce que la forme et la matière sont faites pour s’unir, et l’unité de la définition ou du concept s’explique, elle aussi, par ce rapport, d’espèce réelle, entre la matière et la forme (Métaph. Η, 6). Le genre joue le rôle de matière, la différence, celui de forme (Métaph. Δ, 24, 1023 b, 2 ; cf. Bonitz, Ind. 787 a, 19). Mais, quoique d’espèce réelle, la relation de matière et de forme est bien générale et bien souple, et, lorsqu’elle s’applique au genre et à la différence, elle n’est plus guère peut-être qu’une métaphore.

Passons à la considération du contenu du concept. Le chapitre 10 du livre Ζ de la Métaphysique cherche longuement ce que sont les parties que peut contenir la définition ou le concept. Et il répond que ces parties sont des parties de la forme. Sans doute, si toute substance était pour Aristote, comme sa substance suprême, une substance formelle, on pourrait dire que des parties formelles peuvent bien être en même temps des parties substantielles, dans le sens le plus propre du mot substantiel. Mais on sait d’autre part qu’il n’y a pour Aristote qu’une seule substance formelle, à savoir précisément la substance suprême. — Au reste, et c’est ce qui achève de préciser la signification de l’expression « parties de la forme », ces parties sont toutes, selon Aristote, des universaux. Sans doute il ne faut pas se méprendre et attribuer au point de vue de l’extension chez Aristote une prédominance absolue : il s’en faut bien que les genres et les espèces soient chez lui des titres de classe. D’autre part, en effet, l’universel lui-même, tel qu’il le définit, n’est pas seulement un universel. Car Aristote distingue de la façon la plus nette entre le κατὰ παντός et le καθ’ αὑτό, que nous allons voir entrer dans la notion du καθόλου[35]. Il déclare que, quand on sait par énumération complète de tous les cas, on ne sait pas véritablement, de la façon à laquelle il réserve la qualification d’universelle[36]. Le véritable universel, c’est, dit-il, ce qui n’est pas seulement κατὰ παντός, mais encore καθ’ αὑτό[37]. D’autre part, Aristote pense certainement, comme l’a fait Alexandre, par exemple, dans le morceau de ses Ἀπορίαι καὶ λύσεις (I, 3) qui est intitulé : τίνων εἰσίν οἱ ὁρισμοί;, que les définitions portent sur un ensemble de caractères dont l’existence en plus ou moins d’exemplaires est assez indifférente (8, 12-17, éd. Bruns, 21, 6, éd. Spengel ; cf. infra, leçon XXI). — Mais il y a une contre-partie. D’abord, l’extension tend à être quelque chose de plus qu’un signe et un moyen de contrôle de la compréhension. Car il y a chez Aristote cette étrange notion du ὡς ἐπὶ τὸ πολύ, c’est-à-dire de ce qui se reproduit avec une certaine fréquence, et ce commencement de constance suffit, sans autre raison, à faire de la chose qui en porte le caractère un opposé de l’accident[38]. Ensuite, ce qui est plus significatif encore, il n’y a pas selon Aristote de définition ou de concept du singulier : tous les prédicats qu’on peut attribuer à une chose singulière ont, ou au moins sont susceptibles d’avoir, de l’extension ; s’il y avait plus d’un soleil, le second soleil répéterait le premier ; donc le concept de soleil est un concept général[39]. Les caractères qui entrent dans les concepts sont donc tous des universaux. Le contenu du concept n’est donc pas substantiel au sens le plus profond du mot.

Par conséquent, les genres et les différences ont beau être attribués aux choses dans la catégorie du τί ἐστι, ils ont beau, par leur assemblage, reconstituer des οὐσίαι, ces οὐσίαι non seulement ne sont pas le réel, mais même ne sont pas des équivalents complets du réel. Le traité des Catégories dit excellemment que le genre et la différence signifient une sorte particulièrement élevée de ποιόν, le ποιὸν de la substance[40]. Le même traité dit encore très bien que les genres et les espèces des substances premières, c’est-à-dire ici des individus, sont aux genres et espèces dans les autres catégories, ce que les substances premières sont elles-mêmes par rapport aux autres catégories (ibid., 3 a, 1-4). En un mot le concept n’atteint pas les substances : il n’atteint pas même toute l’essence des substances, si par essence on entend tout ce qui constitue la nature d’un être. La réalité de l’individu ne se définit pas et ne se conçoit pas, sauf l’exception de l’individu suprême. La réalité de l’individu lui vient de la matière, non de la matière qui est un universel et entre comme telle dans les définitions et les concepts, mais de la matière concrète, celle qui n’est pas des pierres et du bois en général, mais cette pierre et ce bois. Nous nous heurtons pour la première fois à la dualité du connaître et de l’être, que nous retrouverons sans cesse chez Aristote. Et pourtant il a bien vu lui-même que, si les quiddités et les choses font deux, il n’y aura pas de science des êtres et que ce dont il y aura science ne sera pas[41].


  1. a, 16 sq. : πρότασις μὲν οὖν ἐστὶ λόγος καταφατικὸς ἢ ἀποφατικός τινὸς κατά τινος.
  2. ὅρον δὲ καλῶ εἰς ὃν διαλύεται ἡ πρότασις, οἷον τό τε κατηγορούμενον καὶ τὸ καθ’ οὗ κατηγορεῖται, ἡ προστιθεμένου ἢ διαιρουμένου εἶναι καὶ μὴ εἶναι.
  3. An. post. II, 1, 92 b, 5 : τὸ γὰρ μὴ ὂν οὐδεὶς οἶδεν ὅ τι ἐστίν, ἀλλὰ τί μὲν σημαίνει ὁ λόγος ἢ τὸ ὄνομα, ὅταν εἴπω τραγέλαφος, τί δ’ ἐστὶ τραγέλαφος, ἀδύνατον εἰδέναι.
  4. 102 b, 4 : συμβεβηκὸς δέ ἐστιν ὃ μηδὲν μὲν τούτων ἐστί, μήτε ὅρος μήτε ἴδιον μήτε γένος, ὑπάρχει δὲ τῷ πράγματι, καὶ ὃ ἐνδέχεται ὑπάρχειν ὁτῳοῦν ἑνὶ καὶ τῷ αὐτῷ καὶ μὴ ὑπάρχειν, οἷον τὸ καθῆσθαι ἐνδέχεται ὑπάρχειν τινὶ τῷ αὐτῷ καὶ μὴ ὑπάρχειν, ὁμοίως δὲ καὶ τὸ λευκόν· τὸ γὰρ αὐτὸ οὐθὲν κωλύει ὁτὲ μὲν λευκὸν ὁτὲ δὲ μὴ λευκὸν εἶναι. ἕστι δὲ τῶν τοῦ συμβεβηκότος ὁρισμῶν ὁ δεύτερος βελτίων· τοῦ μὲν γὰρ πρώτου ῥηθέντος ἀναγκαῖον, εἰ μέλλει τις συνήσειν, προειδέναι τί ἐστιν ὅρος καὶ ἴδιον καὶ γένος, ὁ δὲ δεύτερος αὐτοτελής ἐστι πρὸς τὸ γνωρίζειν τί ποτ’ ἐστὶ τὸ λεγόμενον καθ’ αὑτό. — Cf. d’autres références dans Zeller, p. 204, n. 4.
  5. Par ex. Métaph. Γ, 4, 1007 a, 31 : τούτῳ γὰρ διώρισται οὐσία καὶ τὸ συμβεβηκός· τὸ γὰρ λευκὸν τῷ ἀνθρώπῳ συμβέβηκεν, ὅτι ἔστι μὲν λευκὸς, ἀλλ’ οὐχ ὅπερ λευκόν (Cf. Δ, 7 début). Ou encore Anal. post. I, 22, 84 a, 24-30. Voir Th. Waitz, Organon II, 203.
  6. Métaph. Δ, 30 s. fin., 1025 b, 30 : λέγεται δὲ καὶ ἄλλως συμβεβηκός, οἷον ὅσα ὑπάρχει ἑκάστῳ καθ’ αὑτὸ μὴ ἐν τῇ οὐσίᾳ ὄντα, οἷον τῷ τριγώνῳ τὸ δύο ὀρθὰς ἔχειν. Cf. Anal. post. I, 6, 75 a, 18 : τῶν δὲ συμβεβηκότων μὴ καθ’ αὑτά… οὐκ ἔστιν ἐπιστήμη ἀποδεικτική. 7, 75 b, 1 : τὰ καθ’ αὑτὰ συμβεβηκότα δηλοῖ ἡ ἀπόδειξις. Dans Métaph. Γ, 2, 1004 b, 5, Aristote se sert de l’expression πάθη καθ’ αὑτὰ ; cf. Bonitz, Métaphys. II, ad loc. (p. 181) et ici même infra, p. 246.
  7. Top. I, 5, 102 a, 18 : ἴδιον δ’ ἐστὶν ὃ μὴ δηλοῖ μὲν τὸ τί ἦν εἶναι, μόνῳ δ’ ὑπάρχει καὶ ἀντικατηγορεῖται τοῦ πράγματος, οἷον ἴδιον ἀνθρώπου τὸ γραμματικῆς εἶναι δεκτικόν· εἰ γὰρ ἄνθρωπός ἐστι, γραμματικῆς δεκτικός ἐστι, καὶ εἰ γραμματικῆς δεκτικός ἐστιν, ἄνθρωπός ἐστιν.
  8. Métaph. Ζ, 11 s. fin., 1037 a, 33 : καὶ ὅτι τὸ τί ἦν εἶναι καὶ ἕκαστον ἐπὶ τινῶν μὲν ταὐτόν, ὥσπερ ἐπὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν, οἷον καμπυλότης καὶ καμπυλότητι εἶναι, εἰ πρώτη ἐστίν.
  9. Ibid. b, 3 sq. : λέγω δὲ πρώτην ἣ μὴ λέγεται τῷ ἄλλο ἐν ἄλλῳ εἶναι καὶ ὑποκειμένῳ ὡς ὕλᾐ.
  10. Métaph. Θ, 10 ; Ε, 4, 1027 b, 27. Cf. Bonitz, Métaph. II, 410 sq.
  11. Voy. par ex., outre Métaph. Θ, 10, De an. III, 6, 430 b, 26.
  12. Par ex. Métaph. Ι, 1, 1052 a, 34 ; De an. III, 6, 430 b, 14.
  13. Cf. aussi Métaph. Η, 6 fin. (passage suspect à la vérité, à partir de 1045 b, 19).
  14. Métaph. Η, 6, 1045 a, 33 : ἔστι δὲ τῆς ὕλης ἡ μὲν νοητὴ ἡ δ’ αἰσθητή, καὶ ἀεὶ τοῦ λόγου τὸ μὲν ὕλη τὸ δ’ ἐνέργειά ἐστιν, οἷον ὁ κύκλος σχῆμα ἐπίπεδον. ὅσα δὲ μὴ ἔχει ὕλην, μήτε νοητὴν μήτε αἰσθητήν, εὐθὺς ὅπερ ἕν τί ἐστιν ἕκαστον, ὥσπερ καὶ ὅπερ ὄν τι, τὸ τόδε, τὸ ποιόν, τὸ ποσόν. Cf. Bonitz, Métaph., II, ad loc. et, sur toute la théorie des notions simples, Rodier, Aristote. Traité de l’âme, II, 473-476.
  15. De an. III, 6 fin, 430 b, 29 : ἀλλ’ ὥσπερ τὸ ὁρᾶν τοῦ ἰδίου ἀληθές, εἰ δ’ ἄνθρωπος τὸ λευκὸν ἢ μή, οὐκ ἀληθὲς ἀεί, οὕτως ἔχει ὅσα ἄνευ ὕλης. Métaph. Θ, 10, 1051 b, 23, 25 : ἀλλ’ ἔστι τὸ μὲν ἀληθὲς… θιγεῖν…, τὸ δ’ ἀγνοεῖν μὴ θιγγάνειν. Cf. infra leçon XXI.
  16. Rodier, op. cit., II, p. 475 s. in.
  17. Top. I, 5, 102 a, 2 : ὅσοι δ’ ὁπωσοῦν ὀνόματι τὴν ἀπόδοσιν ποιοῦνται, δῆλον ὡς οὐκ ἀποδιδόασιν οὗτοι τὸν τοῦ πράγματος ὁρισμόν, ἐπειδὴ πᾶς ὁρισμὸς λόγος τίς ἐστιν.
  18. Métaph. Ζ, 5 déb. : ἔχει δ’ ἀπορίαν, ἐάν τις μὴ φῇ ὁρισμὸν εἶναι τὸν ἐκ προσθέσεως λόγον, τίνος ἔσται ὁρισμὸς τῶν οὐχ ἁπλῶν ἀλλὰ συνδεδυασμένων· ἐκ προσθέσεως γὰρ ἀνάγκη δηλοῦν.
  19. Métaph. Ζ, 11, 1037 a, 26 : ταύτης [sc. τῆς συνόλου οὐσίας] δέ γ’ ἔστι πως λόγος καὶ οὐκ ἔστιν. μετὰ μὲν γὰρ τῆς ὕλης οὐκ ἔστιν, ἀόριστον γάρ, κατὰ τὴν πρώτην δ’ οὐσίαν ἔστιν, οἷον ἀνθρώπου ὁ τῆς ψυχῆς λόγος.
  20. An. post. I, 4, 73 a, 37 : καὶ ὅσοις τῶν ἐνυπαρχόντων αὐτοῖς αὐτὰ [ces deux derniers mots désignent les sujets] ἐν τῷ λόγῳ ἐνυπάρχουσι τῷ τί ἐστι δηλοῦντι, οἷον τὸ εὐθὺ ὑπάρχει γραμμῇ καὶ τὸ περιφερές, καὶ τὸ περιττὸν καὶ ἄρτιον ἀριθμῷ… καὶ πᾶσι τούτοις ἐνυπάρχουσιν ἐν τῷ λόγῳ τῷ τί ἐστι λέγοντι ἔνθα μὲν γραμμὴ ἔνθα δ’ ἀριθμός. Cf. Métaph. Δ, 18, 1022 a, 27-29.
  21. Métaph. Ζ, 5, 1030 a, 28 : εἰ μὲν γὰρ τὸ αὐτό ἐστι σιμὴ ῥὶς καὶ κοίλη ῥίς, τὸ αὐτὸ ἔσται τὸ σιμὸν καὶ τὸ κοῖλον· εἰ δὲ μή διὰ τὸ ἀδύνατον εἶναι εἰπεῖν τὸ σιμὸν ἄνευ τοῦ πράγματος οὗ ἐστὶ πάθος καθ’ αὑτό (ἔστι γὰρ τὸ σιμὸν κοιλότης ἐν ῥινί), τὸ ῥῖνα σιμὴν εἰπεῖν ἢ οὐκ ἔστιν ἢ δὶς τὸ αὐτὸ ἔσται εἰρημένον, ῥὶς ῥὶς κοίλη· ἡ γὰρ ῥὶς ἡ σιμὴ ῥὶς ῥὶς κοίλη ἔσται.
  22. 1043 a, 14 : διὸ τῶν ὁριζομένων οἱ μὲν λέγοντες τί ἐστιν οἰκία, ὅτι λίθοι πλίνθοι ξύλα, τὴν δυνάμει οἰκίαν λέγουσιν, ὕλη γὰρ ταῦτα· οἱ δὲ ἀγγεῖον σκεπαστικὸν σωμάτων καὶ χρημάτων, ἤ τι ἄλλο τοιοῦτο προτιθέντες, τὴν ἐνέργειαν λέγουσιν· οἱ δ’ ἄμφω ταῦτα συντιθέντες τὴν τρίτην καὶ τὴν ἐκ τούτων οὐσίαν.
  23. De an. I, 1, 403 b, 7 : τίς οὖν ὁ φυσικὸς τούτων [de celui qui définit par la fin, ou par la matière, ou par la forme réalisée dans la matière et en vue de la fin] ; πότερον ὁ περὶ τὴν ὕλην, τὸν δὲ λόγον ἀγνοῶν, ἢ ὁ περὶ τὸν λόγον μόνον [comme fait le dialecticien] ; ἢ μᾶλλον ὁ ἐξ ἀμφοῖν.
  24. Métaph. Ζ, 4, 1030 a, 17 : ἢ καὶ ὁ ὁρισμὸς ὥσπερ καὶ τὸ τί ἐστι πλεοναχῶς λέγεται· καὶ γὰρ τὸ τί ἐστιν ἕνα μὲν τρόπον σημαίνει τὴν οὐσίαν καὶ τὸ τόδε τι, ἄλλον δ’ ἕκαστον τῶν κατηγορουμένων, ποσὸν, ποιὸν καὶ ὅσα ἄλλα τοιαῦτα. ὥσπερ γὰρ τὸ τί ἔστιν ὑπάρχει πᾶσιν ἀλλ’ οὐχ ὁμοίως, ἀλλὰ τῷ μὲν πρώτως τοῖς δ’ ἑπομένως, οὕτω καὶ τὸ τί ἐστιν ἁπλῶς μὲν τῇ οὐσίᾳ πὼς δὲ τοῖς ἄλλοις. Cf. toute la fin du chap. à partir de a, 35 sqq. et Γ, 2 déb. (l’exemple des choses médicinales ou médicales qui sont, dites πρὸς τὸ αὐτὸ καὶ ἕν, οὔτε ὁμωνύμως οὔτε καθ’ ἕν) ; voir encore Top. I, 9, 103 b, 23-37.
  25. Métaph. Ζ, 4, 1030 a, 25 sq. : certains disent que le non-être est, parce qu’il est non-être. Cf. Bonitz, Métaph. II, ad loc., p. 310.
  26. Métaph. Η, 2, 1043 a, 19-25 (à la suite du passage cité p. 120, n. 3); cf. Β, 3, 998 b, 12 sq. : ἕτερος δ’ ἔσται ὁ διὰ τῶν γενῶν ὁρισμὸς καὶ ὁ λέγων ἐξ ὧν ἔστιν ἐνυπαρχόντων. Sur ἐν ὑποκειμένῳ par opposition à καθ’ ὑποκειμένου, voir Catég. 2, 1 a, 20 sqq. ; cf. p. 98 sq.
  27. Métaph. Ζ, 4, 1030 b, 4 : ἐκεῖνο δὲ φανερὸν ὅτι ὁ πρώτως καὶ ἁπλῶς ὁρισμὸς καὶ τὸ τί ἦν εἶναι τῶν οὐσιῶν ἐστίν. οὐ μὴν ἀλλὰ καὶ τῶν ἄλλων [ὁμοίως] ἐστί, πλὴν οὐ πρώτως· οὐ γὰρ ἀνάγκη, ἐὰν τοῦτο τιθῶμεν, τούτου ὁρισμὸν εἶναι ὃ ἂν λόγῳ τὸ αὐτὸ σημαίνῃ, ἀλλὰ τινὶ λόγῳ· τοῦτο δ’ ἐὰν ἑνὸς ᾖ, μὴ τῷ συνεχεῖ ὥσπερ ἡ Ἰλιὰς ἢ ὅσα συνδέσμω, ἀλλ’ ἐὰν ὁσαχῶς λέγεται τὸ ἕν· τὸ δ’ ἓν λέγεται ὥσπερ τὸ ὄν· τὸ δ’ ὂν τὸ μὲν τόδε τι, τὸ δὲ ποσὸν, τὸ δὲ ποιόν τι σημαίνει.
  28. Métaph. Ζ, 12, 1037 b, 29 sq. Cf. Zeller, p. 206, n. 1.
  29. Cf. Zeller, p. 205, n. 2.
  30. Top. VI, 5, 142 b, 27 : τὸ δὲ γένος βούλεται τὸ τί ἐστι σημαίνειν, καὶ πρῶτον ὑποτίθεται τῶν ἐν τῷ ὁρισμῷ λεγομένων.
  31. Cf. Zeller, p. 207, n. 1.
  32. An. pont. II, 13, 96 a, 33-b, 1 : ὧν [sc. τῶν ὑπαρχόντων ἐν τῷ ὁρισμῷ] ἕκαστον μὲν ἐπὶ πλέον ὑπάρξει, ἅπαντα δὲ μὴ ἐπὶ πλέον· ταύτην γὰρ ἀνάγκη οὐσίαν εἶναι τοῦ πράγματος. Οἷον τριάδι ὑπάρχει πάσῃ κτλ. Cf. Trendelenburg, Elem. log. Aristot.⁸ § 57, p. 144 sq.
  33. Top. I, 4, principalement 101 b, 18 : καὶ γὰρ τὴν διαφορὰν ὡς οὖσαν γενικὴν ὁμοῦ τῷ γένει τακτέον. ἐπεὶ δὲ τοῦ ἰδίου τὸ μὲν τὸ τί ἦν εἶναι σημαίνει, τὸ δ’ οὐ σημαίνει, διῃρήσθω τὸ ἴδιον εἰς ἄμφω τὰ προειρημένα μέρη, καὶ καλείσθω τὸ μὲν τὸ τί ἦν εἶναι σημαῖνον ὅρος, κτλ. Cf. 8, 103 b, 7-16. Voir plus haut, p. 113 sq.
  34. Top. VI, 6, 144 a, 24 : οὐδεμία γὰρ διαφορὰ τῶν κατὰ συμβεβηκὸς ὑπαρχόντων ἐστί, καθάπερ οὐδὲ τὸ γένος· οὐ γὰρ ἐνδέχεται τὴν διαφορὰν ὑπάρχειν τινὶ καὶ μὴ ὑπάρχειν.
  35. An. post. I, 4, 73 b, 25 : τὸ μὲν οὖν κατὰ παντὸς καὶ καθ’ αὑτὸ διωρίσθω τὸν τρόπον τοῦτον… Cette distinction, entre κατὰ παντός « totalement » et καθ’ αὐτό « par soi », est exposée dans le développement qui précède, à partir de 73 a, 28.
  36. Ibid. 5, 74 a, 30 : οὐ γὰρ ᾗ τρίγωνον οἶδεν, οὐδὲ πᾶν τρίγωνον, ἀλλ’ ἢ κατ’ ἀριθμόν· κατ’ εἶδος δ’ οὐ πᾶν. Il peut y avoir dans la connaissance totalité numérique résultant de l’énumération complète (εἰδέναι κατ’ ἀριθμόν), il n’y a pas connaissance d’un tout spécifiquement un (εἰδέναι κατ’ εἶδος).
  37. Ibid. 4, 73 b, 26 (suite du texte cité dans l’avant-dernière note) : καθόλου δὲ λέγω ὃ ἂν κατὰ παντός τε ὑπάρχῃ καὶ καθ’ αὑτὸ καὶ ᾗ αὐτό. φανερὸν ἄρα ὅτι ὅσα καθόλου, ἐξ ἀνάγκης ὑπάρχει τοῖς πράγμασιν. τὸ καθ’ αὑτὸ δὲ καὶ ᾗ αὐτὸ ταὐτόν…
  38. Voy. par ex. Métaph. Δ, 30 déb. ; cf. Zeller, p. 166, n. 1, pour d’autres références.
  39. Métaph. Ζ, 15, 1040 a, 33 : ἔτι ὅσα [on ne se trompe pas seulement en attribuant à ces substances éternelles uniques des caractères qu’elles pourraient perdre sans cesser d’être ce qu’elles sont, mais encore en ce que les caractères allégués sont tels que…] ἐπ’ ἄλλου ἐνδέχεται, οἷον ἐὰν ἕτερος γένηται τοιοῦτος, δῆλον ὅτι ἥλιος ἔσται· κοινὸς ἄρα ὁ λόγος. Cf. Bonitz, ad loc. et Zeller, p. 212, n. 4.
  40. 5, 3 b, 19 : τὸ δὲ εἶδος καὶ τὸ γένος περὶ οὐσίαν τὸ ποιὸν ἀφορίζει· ποιὰν γάρ τινα οὐσίαν σημαίνει. Cf. p. 103.
  41. Métaph. Ζ, 6, 1031 b, 3 : καὶ εἰ μὲν ἀπολελυμέναι ἀλλήλων [il s’agit des Idées platoniciennes, quiddités séparées des choses], τῶν μὲν οὐκ ἔσται ἐπιστήμη, τὰ δ’ οὐκ ἔσται ὄντα. Voir infra, leçon XXI.