Le Système d’Aristote/Chapitre VII

Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 90-107).

SEPTIÈME LEÇON


NATURE DE LA LOGIQUE. — LES CATÉGORIES

De quelque manière qu’il faille ensuite interpréter plus précisément cette expression vague, tout le monde doit convenir que la logique est une réflexion, et même un ensemble de réflexions, sur les procédés de la pensée. Or un tel ensemble de réflexions suppose avant lui, d’abord, l’exercice naturel et irréfléchi de la pensée, ensuite, la formation d’un grand nombre de réflexions isolées sur lesdits procédés. Ces deux conditions préalables de l’apparition de la logique ont été réalisées par les prédécesseurs d’Aristote. Au moment où la pensée passe de l’action ou, pour mieux dire, de l’imitation esthétique de l’action, de l’activité de jeu, au savoir, elle est bien près de réfléchir sur elle-même. Car, dès qu’elle aura créé, soit une science, soit une certaine somme d’explications visant à être scientifiques, la pensée trouvera inévitablement dans cette création, c’est-à-dire en elle-même, un nouvel objet de savoir. Aussi les premières réflexions sur les procédés de la pensée apparaissent-elles de bonne heure dans le développement merveilleusement rapide, de la pensée grecque entre Thalès et Socrate. À peine les penseurs grecs ont-ils commencé la constitution de la géométrie et, d’autre part, rassemblé un certain nombre d’hypothèses physiques, que la réflexion de la pensée sur elle-même commence de se faire jour : telles sont les plaintes des Physiologues sur la faiblesse des moyens de connaître et notamment sur la faiblesse des sens ; telle est encore la découverte, que fait Parménide, d’un véritable critère de la vérité, avec son principe : ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν[1], puisque tout cela suppose, et même comme à demi dégagée, une certaine notion de la science. Avec Socrate et Platon, pendant que d’autre part la géométrie achève de se constituer, les réflexions de la pensée sur elle-même s’accroissent tout à coup prodigieusement en importance et en nombre. Il s’en faut de peu qu’elles se réunissent chez Platon en un corps de doctrine. Toutefois ce n’est pas lui, c’est Aristote qui opère avec pleine conscience l’abstraction du procédé hors de ses applications et qui réduit définitivement en un système les réflexions abstraites rassemblées. Aristote lui-même s’est rendu compte et de ce qu’il devait en la matière, à ses prédécesseurs, ou du moins à Socrate, et de son originalité comme créateur de la logique. Les deux textes auxquels il faut se référer à ce propos parlent de la dialectique plutôt que de la logique en général, et cela est vrai, semble-t-il, même du second, par lequel se termine l’Organon. Mais on comprendra plus tard, quand on saura comment Aristote définit la dialectique, que c’est précisément dans cette partie de la logique qu’on voit le mieux à quel degré d’abstraction il a dû s’élever pour dégager les lois du raisonnement. Le premier texte est au chap. 4 du livre Μ de la Métaphysique, 1078 b, 25-27[2] : Socrate ne sait pas encore séparer le syllogisme d’avec l’essence dont le syllogisme part ni se rendre compte qu’on bâtirait aussi bien un syllogisme en partant d’une essence fictive opposée à l’essence réelle, et que ce syllogisme conclurait aussi légitimement que l’autre, bien que d’une manière opposée. L’autre texte, De sophisticis elenchis, 34, 184 a, 8-b, 3, n’est pas moins net[3]. Aristote se reconnaît, et c’est à juste titre, comme le fondateur de la logique.

Quelle conception s’est-il faite de cette science qu’il a fondée ? Nous dirons tout à l’heure qu’il y a de l’empirisme dans la logique d’Aristote, et comment en eût-il été autrement dans une science qui débutait ? Mais il ne résulte aucunement de là qu’Aristote ait conçu la logique comme un prolongement de la psychologie. Un disciple des Sophistes aurait pu entreprendre de décrire, par exemple, la succession des états d’esprit par lesquels passe un géomètre qui établit un théorème. Mais rien n’est et ne devait être plus loin des intentions d’Aristote, disciple de Socrate et de Platon. Il conçoit l’objet de la science comme étant le nécessaire, et la logique comme faisant connaître les procédés nécessaires de cette pensée du nécessaire. Reste seulement à savoir en quoi consistent ces procédés nécessaires, dont la logique entreprend l’étude théorique ou enseigne le maniement pratique.

La manière la plus simple de donner à la logique un objet nécessaire, c’est de la considérer comme formelle. Et l’on a dit effectivement qu’Aristote est un des partisans de la logique formelle. Si l’on sait prendre avec quelque rigueur cette notion d’une logique formelle, elle doit s’interpréter, semble-t-il, dans le sens adopté par Hamilton. Dire que la logique est formelle, cela veut dire qu’elle est la science de l’accord de la pensée avec elle-même, ou de la conséquence. La pensée apporterait avec elle la loi de non-contradiction, et, sans s’inquiéter du contenu quelconque des notions et des propositions, elle les transformerait sans autre souci que de ne pas se contredire ; la logique serait la science des lois de ces transformations, toutes lois dérivées de celle de non-contradiction. Cette manière de voir est étrangère à Aristote. Il n’a aucunement l’idée d’une loi de non-contradiction qui flotterait au-dessus des choses. La loi de non-contradiction est pour lui une nécessité, non de la pensée, mais des essences mêmes, un principe qui est à l’œuvre dans les choses. On doit même ajouter que ce principe n’est pas, au fond, une généralité qui, dans le monde des essences, soit comme une essence qui enveloppe et pénètre des essences subordonnées. La loi de non-contradiction prend en chaque sorte d’essences, ou même on chaque essence, un caractère spécial : c’est, par exemple, l’impair comme impair qui repousse la division par un multiple quelconque de deux. Chaque essence a sa loi de non-contradiction, à elle adaptée et à elle propre. Ainsi, pour Aristote, la logique n’est pas même formelle en ce sens qu’elle aurait pour objet un genre suprêmement général et qui envelopperait tous les autres. — Il est vrai qu’Aristote a fait, dans les Premiers analytiques, une théorie du syllogisme, dans laquelle cette forme essentielle du raisonnement apparaît comme dégagée de tout contenu. Mais d’abord il faudra demander à la métaphysique si le syllogisme est, à proprement parler un procédé général, ou s’il n’est pas seulement l’équivalent d’un procédé général. Ensuite les Premiers analytiques ne sont pas toute la logique d’Aristote. Le syllogisme, tel qu’ils l’étudient, convient indistinctement à toutes les sciences et, qui plus est, à la dialectique aussi bien qu’à la science. Mais, à côté des Premiers, il y a les Seconds analytiques ; ou plutôt ce sont ceux-ci qui sont la cause finale de ceux-là. Or les Seconds analytiques étudient non plus tout syllogisme, mais le syllogisme démonstratif seulement, c’est-à-dire celui qui s’adapte aux exigences de l’objet de la science.

Aristote, ainsi opposé à la logique formelle, aurait-il donc absorbé la logique dans la métaphysique et conçu la logique comme la science de la pensée nécessaire en tant qu’identique avec l’être, en un mot à peu près comme les Hégéliens, qui la définissent la science de l’idée pure ? Les notions, prises en elles-mêmes et élevées au-dessus des contingences du monde sensible, se constitueraient et s’enchaîneraient d’une façon nécessaire ; cette constitution et cet enchaînement des idées pures seraient l’objet du savoir, ou le savoir puisque c’est tout un, et la logique serait elle-même l’idée de ce savoir. La constitution de cette idée et son expansion en enchaînements d’idées subordonnées seraient bien entendu, eux aussi nécessaires, et si étrangers à toute contingence qu’ils se feraient comme au-dessus de l’individu et sans l’intervention de l’individu. — Bien que Prantl ait essayé de retrouver une conception de ce genre dans Aristote[4] on peut affirmer qu’elle n’est pas aristotélicienne. Aristote a dit sans doute que la science est identique à son objet. Mais cette identité s’explique plutôt par l’absorption de la pensée dans son objet, que par le fait que l’objet serait lui y même, au fond, un moment de la pensée. Ensuite, Aristote n’étant pas notionaliste jusqu’au bout à la façon de Hegel, ou même de Platon, l’être sur lequel porte la métaphysique n’est pas le même que celui sur lequel portent les autres sciences et la logique : l’être de la métaphysique est une substance première ; l’être qu’atteignent les autres sciences en tant qu’elles raisonnent, et par conséquent l’être qu’atteint la logique, n’est jamais en somme que quelque substance seconde. Si donc on pouvait dire, en un sens, que chez Aristote la logique est la science de l’idée, il ne s’ensuivrait pas qu’elle serait la science de l’être. Ce serait plutôt le contraire. Enfin, un peu peut-être par le sentiment, qui ne lui est pas tout à fait étranger, qu’il y a au fond de l’individu de la liberté, et beaucoup par la raison qu’il est disposé, étant dans une certaine mesure empiriste, à faire une part à la contingence brute, Aristote, en fin de compte, distingue le connaître et l’être et estime que la connaissance est l’œuvre de l’individu, ou du moins qu’elle se fait dans l’individu et ne se laisse pas détacher de lui, si ce n’est par abstraction. C’est donc le savoir humain, et en tant qu’humain, que sa logique prend pour objet. À la vérité le savoir vise au nécessaire, mais c’est en l’extrayant du contingent, et la logique étudie les procédés, nécessaires en eux-mêmes, par lesquels le nécessaire est extrait du contingent. Mais ces procédés nécessaires s’accomplissent au milieu des opérations psychologiques de l’individu et ne s’en séparent que par abstraction. C’est pourquoi la logique, aux yeux d’Aristote, est la science d’un savoir qui n’est pas identique à l’être, mais qui constitue, en face de l’être, un ordre distinct. Et c’est pourquoi aussi la logique, qui ne serait déjà que la théorie du savoir, n’est pas même purement et simplement théorique : elle n’étudie pas des lois suivant lesquelles le savoir se constituerait automatiquement et de lui-même ; elle formule plutôt des règles dont l’application réussit, encore que ces règles soient, bien entendu, fondées en raison. En un mot, la logique n’est pas une science pure ; elle garde quelque chose d’un art. C’est bien ce qu’entendaient les Péripatéticiens en disant qu’elle est un instrument pour faire la science. On pourrait dire encore qu’elle est pour Aristote une science normative : autre façon d’indiquer qu’elle s’adresse à l’individu et le regarde comme l’auteur de la connaissance. Ainsi, pour Aristote, la logique est bien distincte de la métaphysique, de la métaphysique proprement dite et comme il l’entend, ou science de l’être. Il faut remarquer en revanche qu’elle ne se distingue pas, ou qu’elle se distingue mal pour lui, de ce que nous appelons la théorie de la connaissance. Il n’a pas songé à mettre à part de la métaphysique et de la logique à la fois, pour en faire une science purement théorique, l’étude de la connaissance quant à sa portée et à sa valeur : la théorie de la connaissance est restée mêlée pour lui avec la logique. Valeur de la science et procédés pour obtenir la science, cela réuni fait l’objet d’une seule étude. Mais dans cette étude la principale place revient aux procédés pour obtenir la science.

C’est bien comme la connaissance de ces procédés que les textes d’Aristote nous invitent à nous représenter la logique. Voici trois considérations, empruntées à Zeller[5], qui l’établissent assez bien : 1o l’objet de la dialectique est de nous enseigner à déduire, sur toutes sortes de sujets, des syllogismes fondés sur des prémisses plausibles[6]. En vertu de la correspondance qui existe entre la dialectique et l’analytique, celle-ci doit nous mettre en possession des moyens de déduire des syllogismes fondés sur des prémisses nécessaires. 2o L’ensemble des traités de logique d’Aristote donne bien l’impression que ce qui commande tout le reste, c’est l’étude du procédé qui procure la science, savoir la démonstration ; et d’ailleurs le début des Premiers analytiques eux-mêmes indique que tel est bien l’objet de la recherche d’Aristote logicien[7]. 3o La Rhétorique (I, 4, 1359 b, 10) nous parle d’une ἀναλυτικὴ ἐπιστήμη, ce qui est le nom authentique de la logique selon Aristote. Or qu’est-ce que ἀναλύειν ? C’est ramener une chose à ses éléments, ou en général à ses conditions. L’ἀναλυτικὴ ἐπιστήμη, c’est donc la science qui nous apprend à remonter aux causes, c’est-à-dire à constituer la science. — En somme donc la logique d’Aristote est une méthodologie, à laquelle est intimement unie une théorie de la connaissance.

Le plan de la logique d’Aristote suit immédiatement de cette manière de la concevoir. Déjà nous avons vu, dans le début des Premiers analytiques, quelque chose qui ressemble fort à une indication de ce plan. Philopon ne fait que développer cette indication dans le passage suivant où le plan en question est présenté de la façon la plus sûre et la plus lumineuse[8] : « Nous voulons connaître la démonstration. Mais la démonstration est une sorte de syllogisme ; nous devons donc chercher, avant de nous attacher à la démonstration, ce que c’est que le syllogisme pur et simple. Le syllogisme pur et simple est, comme l’indique son nom, quelque chose de composé… Il faut donc commencer par apprendre de quels éléments il se compose : ces éléments sont les propositions. Celles-ci se composent de sujets et d’attributs. » Ainsi nous sommes amenés à considérer comme l’objet initial de la logique l’étude des notions séparées dont la proposition est l’assemblage. En un mot la logique doit débuter par l’étude des catégories. C’est cette étude qui va maintenant nous occuper.

Les catégories ont pour caractère extérieur — et c’est ce caractère qui leur assigne leur place au début de la logique — d’être des choses qui sont dites en dehors de toute liaison[9].

Mais que sont ces choses qui sont dites en dehors de toute liaison ? D’abord, ce ne sont pas des mots ; ce sont des notions. C’est ce qu’indique, à notre avis, le début des Catégories. Ce début en effet est la distinction des ὁμώνυμα et des συνώνυμα. Si Aristote fait ici cette distinction des homonymes et des synonymes, c’est sans doute afin de nous avertir qu’il ne faut pas considérer comme se rangeant sous la même catégorie les choses qui n’ont en commun que le nom. Par exemple un homme et un homme en peinture ne sont pas l’un et l’autre des substances ; mais le premier seul est une substance[10].

Ainsi les catégories sont des notions. Mais quelle sorte de notions ? Il ne faut pas songer un instant à y voir avec Kant des formes de la pensée, fût-ce des formes subjectives d’attribut, et non de jugement ou d’attribution ; car ce subjectivisme est étranger aux anciens, et à Aristote plus qu’à aucun autre.

Rangeons donc les catégories parmi les notions qui expriment quelque chose de l’être, et, pour trouver ce qu’elles en expriment, considérons d’abord le mot même de catégorie. Le sens classique du mot κατηγορεῖν, comme terme technique chez Aristote, est celui d’attribuer. On ne voit point que le mot signifie jamais énoncer. Ainsi une catégorie, ce serait un attribut[11]. — On peut faire à cette manière de voir deux objections, dont la première est facile à lever et dont la seconde ne porte pas, — parce qu’elle prouverait trop. La première objection, c’est qu’un attribut fait partie d’une proposition et qu’une catégorie est une notion prise à part. — Sans doute, répondrons-nous, une catégorie n’est pas un attribut dans sa fonction d’attribut ; mais c’est une notion qui peut devenir un attribut. — La seconde objection est que la première des catégories, ou la substance, est précisément ce qui ne peut être attribut de rien. — On pourrait dire que la substance seconde s’attribue à la substance première comme sujet (Cat. 5, 2 a, 19), et que la substance première peut elle-même devenir attribut par accident : cette chose blanche est Socrate (Pr. an. I, 27, 43 a, 33). Mais ces deux réponses seraient sans valeur. Ce qu’il faut dire, c’est qu’il est impossible de trouver une notion qui convienne à la fois aux autres catégories et à la substance, que dès lors celle-ci constituera toujours un ordre à part et que tout ce qu’on peut faire est de définir l’ensemble des autres catégories : autrement il n’y aura aucune définition possible des catégories en général. Peut-être d’autre part faudrait-il ajouter que, si les catégories renferment la substance, ce ne serait du moins que la substance seconde. En effet la science discursive, qui procède par notions, par attribution d’universaux à un sujet, ne peut pas porter sur un être qui n’a rien de commun avec les universaux. Cette substance ne peut jamais être que la substance seconde, et non pas la substance première.

Sous ces réserves donc les catégories sont des attributs possibles, et, selon la distinction que fait le 2e chapitre des Catégories, elles sont καθ’ ὑποκειμένου, et non ἐν ὑποκειμένῳ. Être ἐν ὑποκειμένῳ, c’est résider dans un sujet, sinon à titre de partie intégrante de ce sujet, du moins comme devant y trouver un siège et un support : ainsi la grammaire est dans l’âme. Ce qui est, comme les catégories, καθ’ ὑποκειμένου, ce qui est attribut d’un sujet, c’est ce qui admet des parties subjectives (des espèces subordonnées), ou ce qui peut entrer comme partie logique dans la compréhension d’une notion ; en un mot c’est un genre. Les catégories sont donc des genres et, de fait, Aristote les appelle souvent les genres de l’être, τὰ γένη τοῦ ὄντος[12]. — Qu’est-ce maintenant qu’un genre pour Aristote ? C’est quelque chose qui peut se retrouver, à titre de fond commun, en plusieurs termes différents ; ces termes, sous l’aspect considéré, diffèrent par le plus et le moins seulement : ainsi les oiseaux, voilà un genre. Et par contre on ne fait pas un genre avec de simples ressemblances de rapports : ainsi les plumes et les écailles sont les unes à l’oiseau ce que les autres sont au poisson, mais cela n’autorise pas à faire rentrer, quant à l’enveloppe qui les revêt, les poissons et les oiseaux dans un même genre (De part. an. I, 4 déb.). Ainsi un genre est un contenu réellement commun ; un genre est, autant que cela est possible à un universel, quelque chose de réel. Puisque les catégories sont des genres, elles sont donc chacune un élément réellement commun dans les choses qui participent de chacune ; elles expriment des déterminations réelles de l’être.

Mais, si les catégories sont des genres, ce sont des genres qui ont quelque chose de caractéristique. Elles diffèrent des autres genres en ce qu’elles sont les genres les plus généraux possibles. Comme le disait le passage des Premiers analytiques que nous avons cité tout à l’heure, elles sont les premiers attributs des choses. Ce caractère des catégories est-ce qui en fait le mieux saisir la signification et l’importance. Pour Platon il semble que, depuis les individus jusqu’à l’Un et à l’Être, il n’y avait qu’une seule et unique hiérarchie de genres et d’espèces, avec un genre suprême qui se retrouvait jusque dans les dernières espèces. Aristote rompt absolument avec cette manière de voir. Il divise l’être en plusieurs genres irréductibles et incommunicables. Ces genres sont déjà très généraux sans doute, et ainsi le savoir, qui porte toujours sur des universaux, pourra s’élever très haut. Mais il n’y aura pas d’universel suprême et unique d’où l’on puisse faire découler tout le reste. Il y aura des genres coordonnés entre eux, sans passage de l’un à l’autre[13].

Cette irréductibilité des catégories assure la réalité qu’elles possèdent comme genres, puisqu’il n’est plus à craindre qu’elles soient, comme le genre suprême unique de Platon, vidées de tout contenu par une abstraction sans limites. Cependant, en tant qu’elles sont, malgré tout très générales, les catégories d’Aristote peuvent être appelées formelles, dans un sens qui approche de celui où l’on parle d’une logique formelle. Elles peuvent aussi être qualifiées de déterminations logiques. Et en effet le logique pour Aristote, c’est ce qui est très général : c’est en ce sens qu’il oppose une recherche logique, ζητεῖν λογικῶς, à des considérations spéciales, λόγοι οἰκεῖοι (Bonitz, Ind. 432 b, 5). Aussi est-ce avec raison que le traité des Catégories figure parmi les ouvrages de logique, et Zeller a commis un contre-sens en voulant renvoyer la théorie des catégories à la métaphysique. Il est bien entendu qu’il n’y a rien de purement formel et de purement logique dans Aristote ; mais les catégories sont justement ce qu’il y a de plus formel et de plus logique, ce qui en thèse générale est le plus éloigné de l’individu. Or c’est sur un individu que roule la métaphysique.

De la nature des catégories découlent plusieurs conséquences, qui permettent de lever certaines objections ou d’éclaircir la pensée d’Aristote. — Puisque les catégories sont des genres, c’est-à-dire quelque chose qui a un contenu réel, Aristote a dû en exclure, ainsi qu’il l’a fait, l’Un et l’Être qui n’ont aucun contenu parce qu’ils conviennent à tout[14]. Ce sont ces termes qui s’élèvent au-dessus des catégories que l’École appellera termini transcendentales. — En tant que les catégories sont quelque chose de réel et d’ontologique, elles excluent en outre des déterminations subjectives comme le vrai et le faux, comme l’acte et la puissance, comme ce que l’École appelle les prédicables : le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident, ou comme la matière et la forme. On peut dire d’ailleurs que le vrai et le faux, l’acte et la puissance conviendraient à tout, comme l’Un et l’Être. — En tant que les catégories sont formelles ou très générales, elles excluent pareillement les déterminations plus concrètes, par exemple le mouvement qui est une détermination proprement physique. Le quand et le , ποτέ et ποῦ, peuvent appartenir à tous les êtres réels, même à l’individu suprême, car il est éternel, ἀεί, et il enveloppe le premier ciel, domaine propre du divin. — Enfin, puisque les catégories ne peuvent se déduire d’aucun genre, il est clair qu’Aristote ne pouvait que les recueillir empiriquement. Les tentatives pour trouver le fil conducteur dont il se serait servi sont arbitraires. La première en date et la plus spécieuse est celle de Trendelenburg. Pour lui la table aristotélicienne des catégories se fonde sur une classification des parties du discours : l’οὐσία, la substance, correspond au substantif ; la qualité, à l’adjectif ; la quantité, aux noms de nombre ; πρὸς τι, par rapport à, à toutes les formes comparatives et relatives ; ποτέ et ποῦ, quand et , aux adverbes de temps et de lieu ; ποιεῖν, πάσχειν, κεῖσθαι, agir, pâtir, être dans tel état, aux verbes actifs, passifs et intransitifs ; ἔχειν, à la signification propre du parfait grec, exprimant l’état que le sujet possède comme résultat d’une action accomplie. Mais il convient tout d’abord d’observer qu’il n’y a pas trace chez Aristote d’une telle classification des parties du discours. De plus le parallélisme de cette classification avec la table des catégories est loin d’être aussi exact que le donne à entendre Trendelenburg : c’est ce qui apparaît avec évidence, notamment dans le cas de la relation[15].

La liste des catégories telle que la donne Aristote, par exemple au début du chapitre 4 des Catégories, est une énumération ordonnée empiriquement : 1o substance, 2o quantité, 3o qualité, 4o relation, 5o , 6o quand, 7o situation, 8o avoir, 9o action, 10o passion[16]. Mais cette énumération est considérée par lui comme complète et comme exacte : il est persuadé qu’il a trouvé le nombre vrai des catégories ou, dans tous les cas, le nombre le plus vraisemblable, car cette liste, exception faite pourtant de l’avoir et de la situation, se retrouve entière en plusieurs endroits[17]. Quant aux cinq notions dont il est question à la fin des Catégories, à partir du chap. 12 : opposé, antérieur, simultané, mouvement, avoir au sens d’être propriétaire de quelque chose, on a vu (p. 27) que cette partie du traité, les Postprédicaments, doit être tenue pour inauthentique.

Le développement qu’Aristote a consacré à ses dix catégories est tout à fait inégal en étendue, même proportionnelle : presque rien sur ποιεῖν et πάσχειν, rien sur ποῦ, ποτέ, ἔχειν, ni, en somme, sur κεῖσθαι[18]. Pour les autres catégories, sauf pour la substance, le développement est quelquefois de peu d’intérêt, souvent hâtif et artificiel. Rien de difficile, il est vrai, comme une définition de notions, et Aristote avait encore bien peu de prédécesseurs.

La substance est étudiée au chapitre 5. Aristote commence par distinguer entre les substances premières et les substances secondes (déb. à 2 a, 19). Parmi les substances secondes, l’espèce est plus substance que le genre (2 b, 7-28). Il n’y a d’ailleurs que les espèces et les genres qui soient des substances secondes, parce que seuls ils expriment l’essence des substances premières, quand on dit par exemple de tel homme, substance première, que c’est un homme, un animal ; au contraire, des termes tels que blanc, (il) court, etc. ne donnent pas l’essence (b, 29-a, 6). Tandis que la substance première n’est, comme on l’a vu, ni ἐν ὑποκειμένῳ ni καθ’ ὑποκειμένου, le sujet ne pouvant être ni dans un sujet ni attribut d’un sujet, la substance seconde en revanche n’est pas ἐν ὑποκειμένῳ, car l’homme n’est pas partie ou fonction de tel homme particulier, mais elle est καθ’ ὑποκειμένου (a, 7-21). De plus la substance seconde ne signifie pas le particulier et l’individuel, τόδε τι, elle est un universel, plus ou moins d’ailleurs selon qu’il s’agit de l’espèce ou du genre et selon le degré d’élévation de ce genre. Elle signifie une qualification, un ποιόν, à savoir le ποιόν de la substance première, mais non un ποιόν qui ne soit que cela, comme le blanc par exemple (3 b, 10-23). Ajoutons que les substances, tant premières que secondes, n’ont pas de contraires (b, 24-32) et qu’elles n’admettent pas le plus et le moins (b, 33-4 a, 9). Enfin ce qui, plus que tout, est le propre de la substance, c’est l’aptitude à recevoir en elle les contraires, tandis que cette aptitude fait défaut à toutes les autres catégories : il est impossible en effet qu’une couleur, une action, sans perdre leur unité et leur identité numériques, c’est-à-dire leur individualité, soient le sujet de contraires, comme blanc et noir, bon et mauvais (4 a, 10, ad fin.)[19].

Passons aux catégories autres que la substance. — La quantité, le ποσόν (c. 6) comporte deux distinctions importantes : 1o la distinction de la quantité discrète (ποσ. διωρισμένον), les nombres, les éléments du discours, et de la quantité continue (ποσὸν συνεχές), constituée par des parties dont les extrémités sont communes, ligne, surface, solide, temps, lieu (déb.-a, 14) ; 2o la distinction entre les quanta formés de parties qui ont une position les unes par rapport aux autres (ἐκ θέσιν ἐχόντων πρὸς ἄλληλα τῶν ἐν αὐτοῖς μορίων), ainsi les lignes, les surfaces etc., et d’autre part les quanta qui ne sont pas formés de telles parties (οὐκ ἐξ ἐχόντων θέσιν), la série des nombres, les moments du temps, les mots du discours (a, 15-37). Aristote distingue encore entre les ποσὰ καθ’ αὑτὰ, dont il vient d’être question, et les ποσὰ κατὰ συμβεβηκός : ainsi c’est par accident que la couleur, l’action, le mouvement sont des quanta, en tant que l’une s’étend sur la surface, que les autres se déploient dans le temps (a, 37-b, 10). Le ποσόν n’admet pas la contrariété : peu et beaucoup, grand et petit sont des relatifs ; c’est surtout par rapport au lieu que la quantité offre l’apparence de la contrariété, ainsi le haut et le bas, etc. (b, 11-a, 18). Il n’y a pas davantage place ici pour le plus et le moins : une longueur de trois coudées ne peut pas être plus longue qu’une autre longueur de trois coudées (b, 19-25). Enfin ce qui caractérise proprement la quantité, c’est l’énonciation égal, inégal ; partout ailleurs il ne peut être question que de similitude (b, 26 ad fin.). — Le relatif ou πρὸς τι est étudié dans le ch. 7. Est relatif ce qui se réfère à autre chose (ἅπερ ἐστὶν ἑτέρων… ἢ πρὸς ἕτερον) : double de, semblable à, plus grand que, etc. Parmi les relatifs, il faut compter les dispositions permanentes (ἕξις) ou passagères (διάθεσις ; cf. 8, 8 b, 27), la sensation, la science, la position (déb.-b, 14). Certains relatifs, vertu et vice, science et ignorance, admettent des contraires, mais non certains autres : double, triple (b, 15-19). Il en est de même pour le plus et le moins ; car, s’il y a des degrés dans la similitude, par contre le double ne peut être plus ou moins double (b, 20-26). Tout relatif, bien énoncé, a son corrélatif (ἀντιστρέφον) : maître, esclave, double, moitié (b, 27-7 b, 14). Entre les corrélatifs il y a souvent, comme dans les deux exemples précédents, simultanéité naturelle (ἅμα τῇ φύσει) ; mais il n’en est pas toujours ainsi, car l’objet de la science ou de la sensation (τὸ ἐπιστητόν, τὸ αἰσθητόν) peut exister antérieurement à l’une ou à l’autre. D’autre part, tandis que la non-existence ou la suppression de l’objet entraîne celle de la faculté corrélative, la réciproque n’est pas vraie[20] (b, 15-8 a. 12). Enfin c’est une question (ἀπορία) de savoir si le relatif est seulement ce qui se réfère à autre chose. Si en effet le relatif peut être quelque chose de plus que ce rapport, alors au moins les substances secondes seront quelquefois des relatifs ; car la tête et la main, non en tant que telle ou telle (ce seraient alors des substances premières), mais en tant que tête et que main, seront la tête et la main du corps. Toutefois la vérité est que tout l’être du relatif est proprement dans la relation (8 a, 32, 39 : ἔστι δὲ τὸ εἶναι τοῖς πρός τι ταὐτὸ τῷ πρός τί πως ἔχειν) et que qui sait un des termes sait le tout de l’autre : par exemple, le double est le double de ce qui en est la moitié ; au contraire la connaissance de la tête et de la main ne donne pas la connaissance totale du corps (a, 13 ad fin.). — La qualité, le ποιόν (c. 8) a plusieurs acceptions. Une première espèce comprend l’ἕξις et la διάθεσις, que nous avons déjà eu à mentionner à propos des relatifs : de la première Aristote donne comme exemples la science, la vertu ; de la seconde, la chaleur et le refroidissement, la maladie et la santé (déb.a, 13). En second lieu, c’est l’aptitude ou l’inaptitude naturelles à faire, à subir une action ou à y résister (δύναμις φυσικὴ ἢ ἀδυναμία τοῦ ποιῆσαί τι ῥᾳδίως ἢ μηδὲν πάσχειν) : ainsi l’aptitude à courir facilement dans un coureur ; chez l’homme sain ou l’homme maladif, l’aptitude ou l’inaptitude à n’être pas affecté par les causes de maladie ; dur et mou, c’est l’aptitude ou l’inaptitude à résister à la division (9 a, 14-27). Viennent ensuite les qualités affectives (παθητικαὶ ποιότητες), les unes étant les qualités diverses qui affectent les sens (saveurs, températures), les autres exprimant les affections de leur sujet, la rougeur par exemple ou la pâleur, car le sujet rougit ou pâlit parce qu’il est affecté (ἀπὸ πάθους, διὰ πάθους) (b, 28-10 a, 10). Dans la quatrième espèce de ποιόν Aristote range la figure (σχῆμα, μορφή), ainsi le droit et le courbe[21] (10 a, 11-24). C’est, observe-t-il encore, du nom de chaque qualité que dérive, au moins quand la langue est complète, le nom du quale correspondant (ἀπὸ τῆς ποιότητος παρωνύμως λέγεται τὸ ποιόν) : blancheur, blanc, justice, juste, etc. (a, 27-b, 11). Ajoutons que, dans la plupart des cas, la qualité admet aussi bien la contrariété que le plus et le moins (b, 12-11 a, 14). Enfin le propre de la qualité, c’est d’être dite semblable ou dissemblable (a, 15-19). Il n’y a d’ailleurs aucun inconvénient à faire entrer, comme on l’a fait, dans la qualité des déterminations que nous avons comptées parmi les relatifs, à savoir des ἕξεις et des διάθεσεις. Le quale en effet est essentiellement ce qui appartient à un sujet individuel, et ce sont les qualités de ce sujet qui font son individualité ; or ce qui est individuel n’est pas relatif (a, 20 ad fin.). La remarque est importante ; elle exprime bien le caractère des catégories aristotéliciennes : ce ne sont pas des morceaux réalistiquement découpés dans les choses, ce sont des points de vue sur les choses, et une même chose peut être envisagée à différents points de vue.

Du traité des Catégories il faut rapprocher le livre Δ de la Métaphysique qui contient parfois des indications plus intéressantes et plus mûres. Mais peut-être est-ce en partie volontairement qu’Aristote s’est borné dans le traité des Catégories à des indications très imparfaites. Car, si selon toute apparence ce traité était l’introduction à tout le cours de philosophie, il s’adressait à des auditeurs non préparés. Quoi qu’il en soit, ni le sens et la portée générale de la doctrine des catégories, ni la nature de chaque catégorie n’ont été déterminés avec une précision suffisante par notre traité et ces lacunes n’ont été ailleurs qu’imparfaitement comblées par Aristote.


  1. Vorsokr. fr. 8, v. 15 sq. (v. 70, Karsten) : … ἡ δὲ κρίσις περὶ τούτων ἐν τῷδ’ ἔστιν· — ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν.
  2. À la suite du texte cité p. 79, n. 1 : διαλεκτικὴ γὰρ ἰσχὺς οὔπω τότ’ ἦν, ὥστε δύνασθαι καὶ χωρὶς τοῦ τί ἐστι τἀναντία ἐπισκοπεῖν, καὶ τῶν ἐναντίων εἰ ἡ αὐτὴ ἐπιστήμη.
  3. Καὶ περὶ μὲν τῶν ῥητορικῶν ὑπῆρχε πολλὰ καὶ παλαιὰ τὰ λεγόμενα, περὶ δὲ τοῦ συλλογίζεσθαι παντελῶς οὐδὲν εἴχομεν πρότερον ἄλλο λέγειν, ἄλλ’ ἢ τριβῇ ζητοῦντες πολὺν χρόνον ἐπονοῦμεν. On peut, il est vrai, comme nous l’avons indiqué tout à l’heure, croire avec Thurot (op. cit., App. 1 : Aristote s’est-il désigné comme l’auteur de la théorie du syllogisme ? p. 195-197) que ce texte se rapporte à la dialectique plutôt qu’à la logique.
  4. Prantl, Geschichte der Logik, I, 136 ; cf. Zeller, p. 187, n. 4.
  5. Zeller, p. 185-187.
  6. Top. I, 1 déb. : ἠ μὲν πρόθεσις τῆς πραγματείας μέθοδον εὑρεῖν ἀφ’ ἧς δυνησόμεθα συλλογίζεσθαι περὶ παντὸς τοῦ προτεθέντος προβλήματος ἐξ ἐνδόξων, καὶ αὐτοὶ λόγον ὑπέχοντες μηθὲν ἐροῦμεν ὑπεναντίον. — 3 déb. : ἕξομεν δὲ τελέως τὴν μέθοδον, ὅταν ὁμοίως ἔχωμεν ὥσπερ ἐπὶ ῥητορικῆς καὶ ἰατρικῆς καὶ τῶν τοιούτων δυνάμεων. τοῦτο δ’ ἐστὶ τὸ ἐκ τῶν ἐνδεχομένων ποιεῖν ἃ προαιρούμεθα.
  7. I, 1 déb. : πρῶτον εἰπεῖν περὶ τί καὶ τίνος ἐστὶν ἡ σκέψις, ὅτι περὶ ἀπόδειξιν καὶ ἐπιστήμης ἀποδεικτικῆς.
  8. Schol. 38 a, 15. À la vérité, le morceau que Brandis a publié dans les Scholia sous le nom de Philopon, appartient au commentaire des Catég. qu’on désigne sous le nom d’Ammonius (cf. p. 51, n. 1 et Busse, p. X); encore faut-il noter que le texte suivi par Brandis dans ce passage n’est peut-être pas le meilleur (p. 11, 1 et dans l’appar. crit. l. 3).
  9. Cat. 2 déb. : τῶν λεγομένων τὰ μὲν κατὰ συμπλοκὴν λέγεται, τὰ δ’ ἄνευ συμπλοκῆς. τὰ μὲν οὖν κατὰ συμπλοκήν οἷον ἄνθρωπος τρέχει, ἄνθρωπος νικᾷ, τὰ δ’ ἄνευ συμπλοκῆς οἷον ἄνθρωπος, βοῦς, τρέχει, νικᾷ.
  10. Les noms dérivés indiquent les modes de le substance, les autres catégories.
  11. Pr. anal. I, 27, 43 a, 29 : il y a des êtres qui ne sont attributs de rien ; il y en a d’autres qui sont attributs, mais ne reçoivent pas d’attributs antérieurs à eux. τὰ δ’ αὐτὰ μὲν κατ’ ἄλλων κατηγορεῖται, κατὰ δὲ τούτων ἄλλα πρότερον οὐ κατηγορεῖται.
  12. En quoi faisant, il est clair qu’il ne prétend pas faire de la substance un genre.
  13. Métaph. Δ, 28 fin : οὐδὲ γὰρ ταῦτα ἀναλύεται οὔτ’ εἰς ἄλληλα οὔτ’ εἰς ἕν τι. Cf. Κ, 9, 1065 b, 8 et Phys. III, 1, 200 b, 34.
  14. Voir p. ex. Métaph. Β, 3, 998 b, 21 : ταῦτα γὰρ (l’Un et l’Être) κατὰ πάντων μάλιστα λέγεται τῶν ὄντων, οὐχ οἷόν τε δὲ τῶν ὄντων οὔτε τὸ ἓν οὔτε τὸ ὄν εἶναι γένος. Cf. Zeller, p. 260, n. 2.
  15. Trendelenburg, Geschichte der Kategorienlehre (1er vol. des Historische Beiträge, p. 23 sqq., 194 sq.), 1846, et Elementa logices Aristoteleae, 8e éd., p. 56 sq. — Cf. Zeller, p. 264, n. 2, où l’on trouvera sur la question des indications plus complètes.
  16. τῶν κατὰ μηδεμίαν συμπλοκὴν λεγομένων ἕκαστον ἤτοι οὐσίαν σημαίνει ἢ ποσὸν ἢ ποιὸν ἢ πρός τι ἢ ποὺ ἢ ποτὲ ἢ κεῖσθαι ἢ ἔχειν ἢ ποιεῖν ἢ πάσχειν.
  17. Cf. Zeller, p. 263, n. 1 et p. 266, n. 3.
  18. Cat. ch. 9 : ποιεῖν et πάσχειν admettent la contrariété (échauffer, refroidir ; être échauffé, être refroidi), ainsi que le plus et le moins. Le κεῖσθαι (11 b, 8 sq.) se dénomme παρωνύμως ἀπὸ τῶν θέσεων ; c’est pourquoi on en a parlé au chapitre de la relation. Cf. 7, 6 b, 41-14 : ἀνάκλισις, στάσις, καθέδρα (le coucher, la station droite ou assise) sont des positions, des θέσεις, mais non ἀνακεῖσθαι, ἑστάναι, καθῆσθαι (être couché, être debout, être assis) dont les noms peuvent sembler en effet dérivés de ceux des θέσεις correspondantes, et θέσις est un πρός τι ; un autre exemple mettrait ceci très clairement en lumière, à l’envers, renverse. — Sur ποῦ, ποτέ, ἔχειν Aristote se borne à déclarer que manifestement il n’y a rien d’autre à dire, sinon à rappeler les exemples donnés antérieurement.
  19. Ce morceau est d’une importance capitale : en voici le début (a, 10-21) : μάλιστα δὲ ἴδιον τῆς οὐσίας δοκεῖ εἶναι τὸ ταὐτὸν καὶ ἓν ἀριθμῷ ὂν τῶν ἐναντίων εἶναι δεκτικόν, οἷον ἐπὶ μὲν τῶν ἄλλων οὐκ ἂν ἔχοι τις τὸ τοιοῦτο προενεγκεῖν, ὅσα μή ἐισιν οὐσίαι, ὃ ἓν ἀριθμῷ ὂν τῶν ἐναντίων δεκτικόν ἐστιν, οἷον τὸ χρῶμα, ὅ ἐστιν ἓν καὶ ταὐτὸν ἀριθμῷ, οὐκ ἔσται λευκὸν καὶ μέλαν, οὐδ’ ἡ αὐτὴ πρᾶξις καὶ μία τῷ ἀριθμῷ οὐκ ἔσται φαύλη καὶ σπουδαία· ὡσαύτως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων, ὅσα μή ἐισιν οὐσίαι, ἡ δέ γε οὐσία ἓν καὶ ταὐτὸν ἀριθμῷ ὂν δεκτικὸν τῶν ἐναντίων ἐστίν, οἷον ὁ τὶς ἄνθρωπος, εἷς καὶ ὁ αὐτὸς ὤν, ὁτὲ μὲν λευκὸς ὁτὲ δὲ μέλας γίνεται, καὶ θερμὸς καὶ ψυχρός, καὶ φαῦλος καὶ σπουδαῖος.
  20. τὸ μὲν ἐπιστητὸν ἀναιρεθὲν συναναιρεῖ τὴν ἐπιστήμην, ἡ δὲ ἐπιστήμη τὸ ἐπιστητὸν οὐ συναναιρεῖ
  21. Il exclut du ποιόν des déterminations telles que rare et dense, rude et lisse : elles signifient plutôt, selon lui, la position réciproque des parties constituantes (plus ou moins éloignées par ex.) et sont par conséquent de l’ordre du πρὸς τι.