Le Système d’Aristote/Chapitre III

Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 25-44).

TROISIÈME LEÇON


LES OUVRAGES SCIENTIFIQUES D’ARISTOTE

En faisant la revue des écrits proprement scientifiques d’Aristote, c’est-à-dire de ceux qu’il a composés pendant son second séjour à Athènes, nous ne procéderons pas tout à fait de la même manière que pour les écrits de sa jeunesse. Nous ne devions pas en effet revenir sur ceux-ci, pour deux raisons, l’une : qu’il ne nous en reste que des fragments, l’autre : qu’ils ne contenaient pas la pensée vraiment propre et caractéristique d’Aristote. Nous avons donc dû, en les énumérant, toucher à leur contenu, donner de ces écrits une idée sommaire, mais, dans la mesure du possible, complète. Les écrits scientifiques, au contraire, nous occuperont sans cesse jusqu’à la fin du cours, puisqu’ils seront nos sources. Aussi est-ce d’un point de vue tout extérieur que nous les envisagerons aujourd’hui, un à un. Nous parlerons seulement de leur authenticité et de la constitution de leur texte.

C’est là d’ailleurs une tâche bien suffisante pour l’étendue d’une leçon : ce serait même une tâche trop longue, si nous voulions parcourir tous les titres d’ouvrages dont nous parlent les auteurs. Mais nous nous garderons de la tentation d’être complets : il sera moins fastidieux et plus utile de faire un choix parmi les écrits trop nombreux qui ont circulé sous le nom d’Aristote. Nous nous attacherons donc exclusivement, en ayant soin de ne nous arrêter que sur les principaux, aux ouvrages qui composent la collection aristotélicienne, telle qu’on la trouve dans l’édition de Berlin, et à ceux des ouvrages perdus qui ont quelque chance d’avoir été authentiques.

Les ouvrages scientifiques d’Aristote se répartissent aisément en cinq classes : logique, métaphysique, sciences de la nature, morale et politique, théorie des arts. Il s’agit là d’une classification, non d’un ordre que nous devions suivre plus tard dans l’exposition de la doctrine.

Comme il faut rattacher aux ouvrages de logique ceux qui traitent de la connaissance simplement probable, qui eux-mêmes ne font qu’un avec la rhétorique, les ouvrages de la collection aristotélique qui constituent le premier groupe sont les suivants : Les Catégories, l’Hermêneia, les Analytiques, les Topiques avec la Réfutation des arguments sophistiques, la Rhétorique et la Rhétorique à Alexandre.

Le titre de Κατηγορίαι est celui que donnent nos manuscrits, et c’est probablement le vrai titre. D’autres titres, tels que περὶ τῶν δέκα γενικωτάτων γενῶν, s’expliquent comme des allusions au contenu du traité. Celui que nous citons a d’ailleurs un cachet plutôt post-aristotélicien. Andronicus nous parle d’un autre titre intéressant : τὰ πρὸ τῶν τόπων ; mais il ne le croit pas authentique et il donne une explication vraisemblable de son apparition[1]. Par malheur, on ne voit pas qu’Aristote ait cité l’ouvrage par son titre. Zeller l’avait cru autrefois. Il admet maintenant, avec Bonitz[2], qu’Aristote, dans les passages en question, se réfère à la doctrine, mais non pas précisément au livre des Catégories en tant qu’ainsi intitulé. — Ce point est important, non seulement pour la question de titre, mais pour celle d’authenticité. En faveur de l’authenticité il faut dire, avec Zeller, que les renvois d’Aristote ont l’air de désigner un livre connu et facilement accessible ; que d’ailleurs nos Κατηγορίαι portent dans leur ensemble un cachet éminemment aristotélicien ; que les commentateurs anciens, qui rejettent comme apocryphe une autre rédaction des Catégories, maintiennent l’authenticité de celle que nous connaissons ; enfin que les raisons qu’on a voulu faire valoir contre l’authenticité de l’ouvrage sont dépourvues de solidité. C’est ainsi que Prantl a été choqué d’y trouver, pour définir l’essence même des relatifs, que cette essence consiste en τῷ πρός τί πως ἔχειν (Catég., 7, 8 a, 31 et 39), car l’expression lui paraît déceler une main stoïcienne. Mais l’expression incriminée se retrouve dans les Topiques, dans la Physique, dans l’Éthique à Nicomaque. Les principales difficultés contre l’authenticité des Catégories viennent, des cinq derniers chapitres, qui sont étrangers au sujet primitivement annoncé, pendant que, de son côté, le chap. 9, à la fin, tourne court et s’excuse de ne pas continuer jusqu’au bout l’étude des catégories, parce qu’on ne pourrait plus rien ajouter de nouveau et d’intéressant sur celles qui restent. Ces cinq derniers chapitres des Catégories ont été, depuis une haute antiquité, considérés comme un tout à part, car ce sont eux que la tradition désigne sous le nom de Post-prédicaments. Andronicus a déjà admis qu’ils avaient été ajoutés au texte par une main étrangère, et c’est même par là qu’il explique le titre πρὸ τῶν τόπων, substitué comme plus général au titre primitif de Κατηγορίαι. On ne sait si les Post-prédicaments sont originairement un fragment aristotélicien ; s’il n’en est pas ainsi, du moins ils semblent bien provenir des successeurs immédiats d’Aristote (cf. p. 131).

Le Περὶ ἑρμηνείας n’est cité dans aucun autre ouvrage d’Aristote (Bonitz, Ind. 102 a, 27). Il cite lui-même les Analytiques et les Topiques ; mais il a le malheur de citer aussi le De anima pour une proposition qu’on a grand’peine à y retrouver (Bonitz, ib., 97 b, 49). Le chapitre 14, le dernier a été, selon Ammonius, passé sous silence par Porphyre dans son commentaire, et le même Ammonius rejette ce chapitre comme inauthentique. L’ouvrage tout entier était condamné par Andronicus[3]. Mais, d’autre part, Alexandre[4] avait vivement combattu cette opinion, et, à son sentiment, Théophraste, en écrivant son Περὶ καταφάσεως καὶ ἀποφάσεως, devait avoir sous les yeux notre Hermêneia. Sans doute, comme le remarque Zeller, cette appréciation d’Alexandre n’équivaut pas à une citation de l’Hermêneia, relevée dans Théophraste. C’est néanmoins un fait considérable. Au reste, comme l’admet Zeller, l’ouvrage ne contient rien qui ne soit conforme à la doctrine d’Aristote. De plus si, comme on l’a pensé depuis Zeller, ce livre contient des allusions aux Mégariques dont nous aurons à parler (cf. p. 167, n. 2), ces allusions, qu’elles soient ou non tout à fait primitives, prouveraient que le livre est d’Aristote[5], ou tout au moins qu’il appartient à la première génération péripatéticienne.

Il faut ou on peut, comme on sait, distinguer, dans les Analytiques les Premiers et les Seconds, les uns et les autres en deux livres, les Premiers sur le syllogisme, les Seconds sur la démonstration. Le commentateur Adraste (d’Aphrodisias, entre Néron et Marc-Aurèle) connaissait, nous dit-on, quarante livres d’Analytiques, dont quatre seulement tenus pour authentiques. Il y avait sans doute, et des contrefaçons d’Aristote, et des rédactions diverses, de sorte que peu importent le nombre de livres qui figurent dans les catalogues de Diogène et de l’anonyme de Ménage. L’authenticité des Analytiques, résulte de leur contenu interne, surtout pour les Premiers dont le contenu est si caractéristique et précisé par les auditions ou corrections des premiers disciples. Nous savons qu’Eudème avait écrit des Analytiques, chose significative dans les habitudes des premiers Péripatéticiens ; nous savons même que Théophraste avait écrit des Premiers analytiques, et c’est de ces ouvrages que venaient les corrections ou additions dont nous avons parlé. Pour les Seconds analytiques, nous n’avons pas d’aussi précises références des deux premiers disciples. Cependant, chez des commentateurs anonymes, on trouve des expressions de Théophraste, rapportées par Alexandre, et une remarque d’Eudème qui paraissent s’appliquer à cet ouvrage. De plus, l’existence de Seconds analytiques de Théophraste, déjà impliquée par celle des Premiers, nous est attestée par Galien et par Alexandre. Aristote cite un grand nombre de fois Ἀναλυτικά, sous ce titre et, d’autres fois aussi, en renvoyant à leur contenu sans les nommer (Bonitz, Ind., 102 a, 30). D’autres titres : π. συλλογισμοῦ, π. ἀποδείξεως ou Ἀποδεικτική, employés par les commentateurs, ou déjà par Aristote, dans leurs formules de citation, ne doivent pas nous faire illusion : ce ne sont pas les vrais titres. Galien, en usant de Ἀποδεικτική, nous dit lui-même qu’il préfère cette désignation à la désignation consacrée. On a remarqué que les Seconds analytiques sont moins achevés que les Premiers et que les deux Livres des Premiers ne paraissent pas avoir été écrits immédiatement l’un après l’autre[6].

Des ouvrages sur les éléments du syllogisme et le syllogisme en général et sur la démonstration, passons maintenant à ceux qui concernent la connaissance probable. Le plus considérable qui nous reste, ce sont les Topiques, en huit livres, dont le dernier et peut-être aussi le troisième et le septième paraissent avoir été écrits assez longtemps après les autres. Leur titre et leur authenticité sont prouvés par les citations nombreuses d’Aristote (Bonitz, ibid., a, 40). Spengel a voulu établir que notre texte présente des lacunes, et il s’est fondé pour cela sur deux textes de la Rhétorique (I, 2, 1356 b, 10 et II, 25, 1402 a, 34). Mais le premier, bien examiné, n’exige rien de plus qu’une distinction du syllogisme et de l’induction, qui se trouve en effet dans les Topiques (I, 12), et, dans le second, les mots ἐν τοῖς τοπικοῖς peuvent s’entendre : « dans l’art de la topique ». — On a quelquefois distingué dans l’antiquité entre nos Topiques et un certain ouvrage intitulé Μεθοδικά ou Μεθοδικόν, et de fait Aristote (Rhét. I, 2, 1356 b, 19) emploie ce titre dans un renvoi ; mais nous avons vu que le renvoi s’applique aux Topiques (cf. aussi VIII, 2 déb.). Comme les Topiques constituent un ensemble doctrinal sur le probable (πραγματεία περὶ τὴν διαλεκτικήν) et que les premiers mots de nos Topiques indiquent qu’il s’agit de μέθοδος εὑρεῖν, de « découvrir une méthode » qui nous mette en possession de faire des syllogismes sur tous les ἔνδοξα, il est assez clair que les Μεθοδικά ne font qu’un avec les Topiques[7].

Le dernier des ouvrages de logique de notre collection est le Περὶ τῶν σοφιστικῶν ἐλέγχων ou Σοφιστικοί ἐλέγχοι. C’est très probablement à tort qu’on l’a séparé du précédent, dont il constituait sans doute, comme le veut Waitz[8], le neuvième livre. D’abord, en effet, Aristote renvoie à des passages du Π. σοφιστικῶν ἐλέγχων par les mots ἐν τοῖς τοπικοῖς (cf. Bonitz, loc. cit.), et, en second lieu, il dit que l’étude des sophismes fait partie de la dialectique. Si, dans d’autres passages, Aristote paraît distinguer les deux ouvrages, c’est simplement comme des parties d’un même tout[9].

Aristote avait sans doute écrit d’autres ouvrages se rapportant à la logique. Mais, parmi les nombreux titres cités par les catalogues ou dans les auteurs, il y en a beaucoup sans doute qui se rapportent à des ouvrages qui n’ont jamais existé, ou à des ouvrages apocryphes, ou à des ouvrages de Théophraste pris à tort pour des ouvrages d’Aristote ; ou enfin il y a des titres qui font double emploi avec ceux des ouvrages que nous possédons, quand ce ne serait que le Περὶ συλλογισμῶν, en deux livres, des catalogues de Diogène (no 56) et de l’anonyme (no 54). Nous nous contenterons de signaler les ouvrages suivants : 1o  un Περὶ καταφάσεως [καὶ ἀποφάσεως], qu’Alexandre[10] distingue expressément de l’Hermêneia et qu’il paraît connaître de première main ; 2o  le Περὶ τῶν ἀντικειμένων, identique peut-être au Περὶ ἐναντίων (Diog., no 30 ; anon., no 32). et dont Simplicius nous parle[11] avec quelque précision : ἀποριῶν πλῆθος ἀμήχανον, avec exemples à l’appui ; et c’est là en effet dans la doctrine d’Aristote une question difficile et épineuse : ouvrage certainement authentique et dont la perte, en raison de son importance, est tout à fait regrettable ; 3o  c’est à tort sans doute qu’on a cru trouver dans les ἐπιχειρηματικοὶ λόγοι du De Memoria (ch. 2 début) l’indication par Aristote d’un autre ouvrage ainsi intitulé ; il s’agit simplement du chap. 1er  du Π. μνήμης[12] ; mais Aristote n’en avait pas moins composé sous ce titre, ou sous un titre analogue : θέσεις ἐπιχειρηματικαί, un recueil de thèmes de développements dialectiques avec des exemples et des indications sur la manière de traiter le pour et le contre[13].

La rhétorique n’étant, selon Aristote (voir le début de la Rhétorique) qu’une dépendance de la topique, nous devons parler des ouvrages sur la rhétorique après les ouvrages sur la logique. — Peut-être Aristote avait-il donné des modèles de discours ; dans tous les cas, nos catalogues (Diog., no 84 ; anon., no 88), parlent d’un livre intitulé ἐνθυμήματα ῥητορικά. — Ce qui est sûr, c’est qu’Aristote avait consacré à l’histoire de la rhétorique un ouvrage célèbre, un résumé de tous les traités antérieurs aux siens : συναγωγὴ τεχνῶν, qu’a bien connu Cicéron (fr. 130 et 131, p. 1500). — Quant aux ouvrages sur la théorie de la rhétorique, il y en a trois principaux à considérer. La Rhétorique, au livre III, ch. 9 fin, renvoie à un ouvrage qu’elle appelle τὰ Θεοδέκτεια, et la Rhétorique à Alexandre (1, 1421 b, 1) porte ces mots : ταῖς ὑπ’ ἐμοῦ τέχναις Θεοδέκτῃ γραφείσαις. On connaissait donc, avant Andronicus et même de très bonne heure, une Rhétorique à Théodecte, ou de Théodecte, dont il est question dans nos deux plus anciens catalogues (Diog., no 82 et anon., no 74) et dont parlent plusieurs auteurs, notamment Quintilien. Si le livre est authentique, c’était sans doute une « Rhétorique dédiée à Théodecte » (et non pas publiée par Théodecte), et, comme Théodecte ne survécut pas à l’expédition d’Alexandre et que d’ailleurs Alexandre avait fait, nous dit-on, la connaissance de Théodecte par l’intermédiaire d’Aristote, il a fallu qu’elle fût écrite pendant le séjour d’Aristote en Macédoine[14]. — La Rhétorique à Alexandre qui fait partie de notre collection aristotélicienne est unanimement reconnue pour un ouvrage inauthentique, à cause notamment de la dédicace à Alexandre qui constitue le premier chapitre. Bien entendu, l’auteur s’inspire de la doctrine d’Aristote ; mais il ne cite pas, sauf le renvoi dont nous avons parlé, les livres d’Aristote. Inutile de dire qu’il n’est pas cité par eux. Diogène l’indique peut-être au no 79 de son catalogue par les mots Τέχνη αʹ[15]. — L’ouvrage incontestablement aristotélicien est la Rhétorique. Son authenticité résulte de son contenu. Toutefois il y a des interpolations et des transpositions : au livre II notamment, les chapitres 18-21 étaient primitivement avant 1-17. Le livre III tout entier paraît apocryphe.

Nous passons aux traités consacrés à la métaphysique. Nous n’avons pas à revenir sur deux écrits de la jeunesse d’Aristote, le Περὶ φιλοσοφίας et le Περὶ εὐχῆς. Nos trois catalogues citent des ὀρισμοί ou ὅροι ; mais nous n’avons pas à leur sujet d’autres renseignements. Ils mentionnent aussi, et Ptolémée avec quelques détails, des διαιρέσεις, qu’il ne faut pas confondre avec les διαιρέσεις dont il a été question plus haut (cf. p. 22) ; mais rien ne confirme leur autorité. Sans doute, Aristote lui-même parle d’un ouvrage ou morceau d’ouvrage analogue, l’ἐκλογὴ τῶν ἐναντίων[16]. Mais Alexandre ne savait déjà plus[17] si les mots ἐκλογὴ τῶν ἐναντίων désignaient un ouvrage particulier, ou un chapitre du traité du Bien. En somme, la métaphysique n’est représentée dans notre collection et ne l’a peut-être jamais guère été que par un seul traité, celui que nous nommons précisément la Métaphysique. L’ouvrage s’appelle dans le De motu animalium (6, 700 b, 9) : περὶ τῆς πρώτης φιλοσοφίας, et un grand nombre de textes d’Aristote rendent vraisemblable que c’est là le titre qu’il voulait lui donner[18]. Le titre de μετὰ τὰ φυσικά qu’on trouve pour la première fois sous la plume de Nicolas de Damas, d’après un scholie de la Métaphysique de Théophraste, doit remonter à Andronicus, car Nicolas est son jeune contemporain. Ce titre, devenu tout de suite usuel, dérive de l’arrangement matériel des écrits par Andronicus, comme le dit bien Alexandre, et non, comme le voudrait Simplicius, de considérations internes[19]. — Parmi nos auteurs de catalogues, Ptolémée cite la Métaphysique, avec treize livres, suivant la compilation grecque ; l’anonyme la mentionne deux fois (nos 111 et 154) ; il est bien connu que, au contraire, Diogène l’ignore entièrement. Aristote en parle souvent comme d’un ouvrage futur ; peut-être même l’a-t-il citée sans indication de titre dans la Physique (I, 8, 191 b, 29 ; voy. Bonitz, Ind. 103 b, 30). Au reste l’authenticité des principaux morceaux est manifeste, et elle résulterait encore des citations qui en sont faites par Théophraste et Eudème.

La question de savoir comment le texte de l’ouvrage s’est constitué a été résolue par Brandis et Bonitz. — Le corps de l’ouvrage est constitué par les livres Α, Β, Γ, Ε, Ζ, Η, Θ. — Le livre Ι (iota) est une reprise et une suite de questions traitées dans les livres précédents, mais assez mal soudée au reste. — Des deux moitiés de Κ, la première répète Β, Γ, Ε ; la seconde, depuis le chapitre 8, est une compilation inauthentique de la Physique. — Le cas du livre Λ est particulièrement intéressant. Selon Bonitz, il faudrait y voir un écrit isolé dans lequel Aristote aurait exprimé, en la rattachant étroitement par les chapitres 1-5 à ses enseignements sur la physique, une partie importante de sa métaphysique, la théorie du premier moteur. Mais tout d’abord, s’il est malaisé d’indiquer dans le livre Λ des références précises aux autres livres de la Métaphysique, encore faut-il reconnaître, comme l’avait très justement noté Brandis, que la discussion contenue dans le ch. 4 de ce livre a du rapport avec certaines des questions posées dans le livre Β, et notamment avec celle, qui ouvre le ch. 3, de savoir si l’on peut admettre que les genres soient στοιχεῖα καὶ ἀρχαί. De plus, le livre Λ ne paraît pas avoir le caractère physique que lui prête Bonitz. Il y a en effet dans Aristote une démonstration physique du premier moteur, mais c’est le livre VIII de la Physique qui la donne. Au contraire, ce qui est traité dans Λ, ce n’est pas exclusivement, tant s’en faut, la démonstration du premier moteur ; c’est bien plutôt la nature de l’être en tant qu’être et spécialement la nature de Dieu. Or le vrai nom de la philosophie première est, comme on le verra (p. 82), théologie. On peut donc soutenir que le livre Λ traite, et traite seul, le sujet propre et véritable qu’Aristote s’est proposé dans la Métaphysique. Fût-il d’ailleurs une dissertation séparée, il faudrait toujours reconnaître que le premier éditeur de la Métaphysique ne pouvait se dispenser de le faire entrer dans le corps de l’ouvrage. À vrai dire, le livre Λ, comme on l’a vu, contient deux parties, dont la liaison est rendue manifeste par le début du chapitre 6. Il est incontestable que la première ressemble à une ébauche (cf. ch. 3 déb. et 1070 a, 4) ; mais sa brièveté même s’explique, puisqu’elle n’est encore qu’un prélude, le plus prochain, il est vrai, de l’objet propre de la métaphysique. Bonitz est frappé de son aspect décousu et il renonce à y trouver une suite réglée de pensées ; il n’y voit qu’un résumé désordonné de la Physique. Nous croyons tout au contraire que ce résumé est systématique et qu’il est dominé par deux préoccupations des plus opportunes : l’une, d’attribuer le premier rôle, entre les causes, à la cause motrice (1-3) ; l’autre, d’établir que la causalité réelle n’appartient pas aux universaux, mais à des choses individuelles, de sorte que, en dernière analyse, les choses sensibles s’expliquent par des causes substantielles et individuelles. Ceci posé, la seconde partie pourra établir que, en dehors et au-dessus des substances naturelles, mobiles et périssables, il doit nécessairement une substance immobile et éternelle. — Les livres Μ et Ν, qui avaient été probablement destinés à faire partie du traité sur la philosophie première, ont dû être abandonnés ultérieurement, lorsqu’Aristote écrivit le livre Α : celui-ci est plus mûr que le livre Μ dans les parties qui leur sont communes, et il a pu paraître à Aristote suffisant, à lui seul, pour traiter les questions qui étaient étudiées dans Μ et Ν. Ces deux livres ont pour objet la théorie platonicienne des Idées et des Nombres, partie capitale de l’introduction historique qu’est le livre Α. — Le livre Δ est le περὶ τῶν ποσαχῶς λεγομένων, connu, sous ce titre, des auteurs et d’Aristote. L’introduction dans l’ouvrage de cette dissertation en compromet manifestement le plan. — Le livre Alpha ἔλαττον (α) est une préface, évidemment apocryphe et d’ailleurs ici hors de place, à une Physique. Parmi les anciens, on l’attribuait généralement à Pasiclès de Rhodes, neveu d’Eudème. — L’agrégat a été constitué de bonne heure, à l’exception sans doute du livre α ; car les plus anciens auteurs le connaissent tel. Selon Alexandre, l’éditeur serait Eudème : l’indication n’est qu’incidente, mais elle est clairement impliquée[20].

Les ouvrages relatifs aux sciences de la nature, le groupe le plus nombreux, se divisent naturellement en ouvrages sur le monde en général et les êtres physiques en dehors des animaux terrestres, puis en ouvrages sur les animaux, et qu’on peut, jusqu’à un certain point[21], subdiviser en descriptifs et explicatifs.

Le premier des ouvrages de physique, à cause de sa généralité et peut-être même de son importance, est la Φυσική ἀκρόασις, en huit livres. Tel est le titre dans les manuscrits que nous avons et dans ceux qu’ont eus les commentateurs. Quant à Aristote, qui cite très souvent l’ouvrage, il dit, pour les premiers livres, φυσικά et τὰ περὶ φύσεως, pour les derniers, περὶ κινήσεως. Quant à la question de savoir comment diviser les deux groupes, elle reste d’ailleurs un peu incertaine. Il semble que le premier soit constitué par les livres I à IV, et le second par les livres V, VI et VIII. Le livre VII fait à peine partie de l’ensemble et il présente cette circonstance que nous en avons deux textes : l’un est une paraphrase, déjà connue d’Alexandre et qui a même fini, jusqu’à l’édition minor de Bekker, par usurper la place du vrai texte[22]. — Après la Φυσική ἀκρόασις viennent, dans l’ordre des matières, le Περὶ οὐρανοῦ et le Περὶ γενέσεως καὶ φθορᾶς, le premier en quatre, le second en deux livres. Mais le Π. γενέσεως καὶ φθορᾶς ressemble plus aux deux derniers du Περὶ οὐρανοῦ que ceux-ci aux deux premiers du même traité. Aristote cite souvent les deux ouvrages. Théophraste, dans son de Caelo, avait cité celui d’Aristote[23]. — Les Μετεωρολογικά tiennent étroitement aux deux ouvrages précédents. Aristote les cite souvent par désignation de leur contenu (Bonitz, Ind., 102 b, 49). Il semble bien qu’ils aient été pris par Théophraste pour modèle de ses Μετεωρολογικά. Le IVe livre ne s’adapte pas bien à la fin du IIIe, ni au plan primitif de l’ouvrage (I, 1 fin). C’est, semble-t-il, une dissertation à part qui n’a été mise à cette place par Aristote lui-même, peut-être faute de temps, que pour remplacer une partie absente[24]. — Le fragment des σημεῖα ou σημασίαι χειμῶνων, inséré sous le titre de Περὶ σημείων par Bekker dans l’éd. de Berlin, p. 979, n’est pas authentique, non plus que l’ouvrage auquel il conviendrait de le rapporter (cf. fragm. 1581 a-1583 a). — L’authenticité du Περὶ χρωμάτων a été sérieusement combattue par Prantl. Alexandre pense qu’Aristote a écrit un Περὶ χυμῶν, mais il ne semble pas l’avoir eu en mains. — Aristote fait espérer (Météor. III, fin) une étude sur les métaux ; mais on ne sait si ce livre a été écrit et si c’est le μονόβιβλος π. μετάλλων dont parlent les commentateurs, et notamment Simplicius (Phys. 3, 4, Diels). Les catalogues et les auteurs citent encore beaucoup d’écrits physiques d’Aristote, mais sans authenticité.

Aux écrits physiques il faudrait rattacher les écrits mathématiques d’Aristote. Aux γεωμετρικά τε καὶ μηχανικὰ βιβλία dont parle Simplicius (Cat. 4, 25 sq., Kalbfl.), on pourrait rapporter nos Μηχανικὰ ; mais ils ne sont pas authentiques. — Le Περὶ ἀτόμων γραμμῶν (éd. de Berlin, p. 968) était, d’après Simplicius[25], attribué à Théophraste tout autant qu’à Aristote. — Des ὀπτικὰ βιβλία ou ὀπτικὰ προβλήματα étaient en circulation, sous le nom d’Aristote, au temps d’une traduction latine (vers 230 après J.-C.) de la Catoptrique de Héron d’Alexandrie. — Enfin, à moins qu’Aristote n’entende se référer, dans les Météorol. I, 3, 339 b, 7 ; 8, 345 b, 1 et dans le De Caelo II, 10, 291 a, 29, à un ouvrage d’un autre auteur et non à un ouvrage écrit par lui-même, il semble qu’il a dû composer un ἀστρονομικόν ou ἀστρολογικόν[26].

Parmi les ouvrages descriptifs sur les animaux, il n’y a peut-être d’authentiques que les ἀνατομαί et notre Περὶ τὰ ζῷα ἰστορία. — Les ἀνατομαί sont souvent citées par Aristote (Bonitz, Ind. 104 a, 4). Il nous indique lui-même qu’elles contenaient des dessins, et peut-être en était-ce la partie la plus importante. L’ouvrage est perdu et sans doute depuis longtemps. — Notre Histoire des animaux, en dix livres, est authentique, à l’exception du dernier : les neuf premiers sont souvent cités par Aristote ; le Xe, au contraire, contient une doctrine essentiellement anti-aristotélicienne, celle de germes féminins[27].

Au premier rang des livres explicatifs sur les vivants il faut placer le Περὶ ψυχῆς[28]. Il y a eu deux rédactions du second livre : des fragments de l’une d’elles ont été découverts par Torstrik dans le ms. E (Paris. no 1853)[29]. Mais c’est assez arbitrairement que Torstrik entreprend d’expliquer par le mélange des deux rédactions les fautes de composition, les répétitions surtout, dont il est choqué au livre III, voire au livre I ; car la preuve de l’existence de deux rédactions pour les livres I et III n’est même pas faite. Ajoutons d’ailleurs que les deux rédactions du second livre ne paraissent pas avoir présenté de différences considérables.

Au Περὶ ψυχῆς se rattachent naturellement plusieurs petits traités portant tous sur des fonctions communes à l’âme et au corps et connus sous le nom traditionnel de Parva naturalia. Commençons par parler de ceux d’entre eux qui ont disparu ou qui sont apocryphes. — Aristote avait annoncé en plusieurs endroits (Bonitz, Ind. 104 a, 47) un περὶ νόσου καὶ ὑγιείας. Mais, bien qu’un auteur arabe ait parlé d’un écrit intitulé De sanitate et morbo, il ne semble pas qu’Aristote ait tenu sa promesse, car Alexandre[30] n’a pas connaissance de ce traité. — Il semble au contraire qu’on trouve chez lui non seulement promis, mais indiqué comme écrit déjà, un περὶ τροφῆς (Bonitz, Ind. 104 b, 16). — Le Περὶ πνεύματος qui fait partie de notre collection aristotélique n’est pas authentique ; car il fait entre les veines et les artères une distinction qu’Aristote ne connaissait pas (Bonitz, Ind. 109 a, 22). Comme d’ailleurs il est cité par le Περὶ ζῴων κινήσεως (Bonitz, 103 a, 42), il appartient aux premières générations péripatéticiennes. — Nous possédons dans les œuvres un fragment d’un Περὶ ἀκουστῶν. Il ne cite pas Aristote et n’est pas non plus cité par lui. Zeller en trouve l’exposition trop traînante pour être de la main d’Aristote, et il le rapporte aux premiers temps de l’École. Ce n’est pas, comme on l’a cru, un morceau distrait de notre Περὶ αἰσθήσεως ; car celui-ci déclare (ch. 4, déb.) que son plan ne comporte pas une étude détaillée du ton et de la voix, et les renvois du De generatione animalium (Bonitz, Ind. 100 b, 40) ne réclament pas sur ce sujet plus que ne donne notre texte actuel du Περὶ αἰσθήσεως (ib.). — Passons aux autres Parva naturalia de notre collection. Le Περὶ αἰσθήσεως καὶ αἰσθητῶν est promis par les Météorologiques, peut-être aussi par le De anima, cité par les traités Sur les parties et Sur la génération des animaux, par le De memoria et le De somno (Bonitz, Ind. 103 a, 8). Notre texte n’est pas mutilé ; car les renvois du De generatione animalium (V, 2, 781 a, 20) et du De partibus animalium (II, 10, 656 a, 27), s’ils s’appliquent mal au De Sensu proprement dit, portent convenablement sur d’autres des Parva naturalia, et Aristote a pu désigner ces petits traités sous le titre de π. αἰσθήσεως, parce qu’ils sont comme des dépendances de ce premier traité lequel contient dans son premier chapitre une introduction commune à eux tous. — Le Περὶ μνήμης καὶ ἀναμνήσεως est mentionné par Ptolémée (no 40) et cité par les commentateurs. Il cite le De anima et d’autres ouvrages d’Aristote, mais il n’est cité que par le Περὶ ζῴων κινήσεως (Bonitz, Ind. 99 a, 36 et 103 a, 13). Son contenu démontre son authenticité. — Le Περὶ ὕπνου καὶ ἐργηγόρσεως cite plusieurs fois Aristote et en est plusieurs fois cité (Bonitz, Ind. 99 a, 42 ; 103 a, 16). Il forme série avec le Περὶ ἐνυπνίων et le Περὶ τῆς καθ’ ὕπνον μαντικῆς, comme Aristote l’indique dans ce dernier écrit (ch. 2 fin). De son côté, le De somno (2, 456 a, 27) promet le π. ἐνυπνίων. — Le Περὶ μακροβιότητος καὶ βραχυβιότητος est indiqué dans nos catalogues, cité par Athénée sous son titre, et, sans indication de titre, dans le traité des Parties des animaux (Bonitz, Ind. 103 a, 23). — Le Περὶ ζωῆς καὶ θανάτου ne fait avec le Περὶ ἀναπνοῆς qu’un seul tout (voir le premier, au ch. 1 déb., et le second, vers la fin du dernier chapitre). Zeller qualifie d’évidemment illégitime la coupure que font les éditeurs dans le Περὶ ζωῆς καὶ θανάτου, dont ils mettent à part les deux premiers chapitres sous le nom de Περὶ νεότητος καὶ γήρως ; il pense que l’ouvrage de ce nom, annoncé par Aristote, a été perdu de bonne heure, ou même, comme incline à le croire Bonitz (Ind. 103 a, 26), n’a jamais été écrit. Le De vita et morte et le De respiratione sont cités plusieurs fois par le traité Sur les parties des animaux (Bonitz, Ind. 103 a, 34 et 38)[31].

Le Περὶ ζῴων μορίων, en quatre livres, cite beaucoup d’ouvrages d’Aristote et est cité par le De generatione animalium, le De incessu animalium, le De motu animalium, par le De vita et morte, par le De respiratione et par le De somno (Bonitz, Ind. 99 b, 30 et 103 a, 55). Zeller signale dans cet écrit le renvoi du ch. 3, 457 b, 29, comme pouvant s’appliquer mieux au De sensu (2, 438 b, 28) ; mais, en revanche, le renvoi du ch. 1, 455 b, 34 conviendrait mieux au Π. ζῴων μορίων (III, 3, 665 a, 10) qu’au De sensu (2, 438 b, 25). Le premier livre est une introduction générale aux recherches sur les vivants, qui n’est peut-être pas à sa vraie place[32].

Le Περὶ ζῴων γενέσεως cite les autres ouvrages d’Aristote, notamment l’Histoire des animaux, le De sensu, le De anima (Bonitz, Ind. 100 a, 59). Mais, s’il est cité par les autres ouvrages, c’est toujours comme un traité à écrire (Bonitz, Ind. 103 b, 8). Cependant, pour des raisons internes, son authenticité n’est pas douteuse. Seulement, le livre V et dernier est peut-être, par rapport à lui, plutôt qu’une partie intégrante, un complément, comme sont les Parva naturalia pour le De anima[33].

Le Περὶ ζῴων πορείας cite l’Histoire des animaux et les Parties des animaux (Bonitz, Ind. 100 a, 00). Il est cité sous ce titre, ou sous celui, plus long, de π. πορείας καὶ κινήσεως τῶν ζῴων par les Parties des animaux, sous celui de π. τῶν ζῴων κινήσεις dans le De Caelo (Bonitz, Ind. 103 b, 3). Avec ce traité authentique il ne faut pas confondre le Π. ζῴων κινήσεως, qui est sans doute apocryphe, puisqu’il cite (10, 703 a, 11) le Π. πνεύματος[34].

Aristote promet en plusieurs endroits, et même ailleurs il cite comme écrit, un περὶ φυτῶν. On ne peut donc guère douter qu’un traité de ce titre ait été composé par lui. Mais Simplicius et Philopon paraissent parler du π. φυτῶν sans l’avoir eu en mains. Alexandre[35] dit qu’il n’existe sur les Plantes qu’un ouvrage de Théophraste. L’ouvrage d’Aristote a sans doute été perdu de bonne heure après Callimaque et Hermippe, et il est impossible de lui attribuer notre Περὶ φυτῶν actuel, traduit de l’arabe en latin et du latin en grec. On ne saurait non plus prétendre enlever à Théophraste, pour les transporter à Aristote, les deux ouvrages, que nous possédons encore : De causis plantarum et Historia plantarum ; dans aucun de ces deux ouvrages il n’y a trace en effet d’un passage authentique du Περὶ φυτῶν d’Aristote cité par Athénée (fr. 250), et de plus ils contiennent des allusions à des faits postérieurs à Aristote[36].

Nos Φυσιογνωμονικά, qui ne citent pas Aristote et ne sont pas cités par lui, ne sont pas authentiques[37]. — Il est impossible qu’Aristote ait écrit des ἰατρικά, bien qu’on lui en attribue dans nos catalogues, car il se désigne lui-même quelque part comme étranger à la médecine[38]. — Les ouvrages sur l’agriculture et la chasse sont apocryphes[39]. — Aristote renvoie sept fois à des προβλήματα. Mais il est remarquable que, à l’exception d’un seul qui ne porte pas lui-même très juste, aucun des renvois d’Aristote ne trouve où s’appliquer dans les Problèmes que nous possédons (Bonitz, Ind. 103 b, 17). Ces Problèmes ne sont donc pas de lui. Il résulte des études de Prantl qu’ils sont l’œuvre successive des premiers Péripatéticiens et qu’il y en a eu plusieurs rédactions[40]. — Enfin, avant de quitter les ouvrages physiques d’Aristote, n’oublions pas de signaler l’inauthenticité du Περὶ κόσμου[41].

Nous arrivons aux écrits sur la morale. Indépendamment des ouvrages de jeunesse, et notamment du Περὶ δικαιοσύνης dont nous avons parlé, on attribue encore à Aristote beaucoup d’autres ouvrages sur des sujets moraux. Le περὶ έπιθυμίας, qu’il paraît nous promettre au début du De sensu, n’a sans doute pas été écrit. Peut-être avait-il écrit un περὶ πάθους ὀργῆς, un περὶ μέθης, attribuable aussi à Théophraste, des νόμοι συσσιτικοί. Notre traité Περὶ ἀρετῶν καὶ κακιῶν est l’œuvre d’un éclectique qui ne peut guère être antérieur au ier siècle av. J.-C.[42].

Malgré la bizarre assertion de Schleiermacher sur l’antériorité des Ἠθικὰ μεγάλα, par rapport aux deux autres traités de morale, personne ne songe plus à voir dans cet ouvrage qu’un résumé des Ἠθικὰ Εὐδήμια. Les Ἠθικὰ μεγάλα ne citent pas Aristote : on ne pourrait y relever qu’un renvoi à des Analytiques, dont rien n’assure que ce soient ceux d’Aristote (Bonitz, Ind. 101 a, 52). — Les Ἠθικὰ Εὐδήμια ne citent pas non plus autre chose que des Analytiques, et, sans titre, des Catégories, qui ne sont peut-être d’Aristote ni les uns ni les autres. Déjà Aspasius[43] attribuait, implicitement mais clairement, à Eudème la composition des Ἠθικὰ Εὐδήμια et son affirmation a le plus grand poids. — C’est une question de savoir si les trois livres communs à cet ouvrage et aux Ἠθικὰ Νικομάχεια (Éth. Nic. V-VII ; Éth. Eud. IV-VI) appartenaient primitivement à celui-ci ou à celui-là. L’indication d’Aspasius, que le passage sur le plaisir (Éth. Nic. VII, 12 sqq.) est d’Eudème, donnerait plutôt à penser que ces trois livres sont d’Eudème. Mais, pour le reste, l’Éthique à Nicomaque est l’œuvre d’Aristote. Elle renvoie aux Analytiques et à la Physique (Bonitz, Ind. 101 a, 37) ; elle est citée une fois par la Métaphysique et assez souvent par la Politique (Bonitz, Ind. 103 b, 46)[44].

Aristote avait écrit des νόμιμα βαρβαρικὰ, cités notamment par Varron (De ling. lat. VII, 70) et des πολιτεῖαι, dans lesquelles étaient analysées cent cinquante-huit constitutions d’états grecs[45]. On sait que la Πολιτεία Ἀθηναίων a été retrouvée à une date encore très récente ; elle permet de se faire une idée du reste du recueil[46]. — La Politique (Πολιτικά) cite l’Éthique (Bonitz, Ind. 101 b, 19) ; elle est citée par la Rhétorique et promise par l’Éthique (Bonitz, Ind. 103 b, 52). Son authenticité n’est pas douteuse. Seulement l’ouvrage est inachevé ; il se termine par un développement sur la musique et n’a pas de conclusion. Il paraît en outre acquis que l’ordre des livres a été bouleversé[47].

Nos Οἰκονομικά ne peuvent être considérés comme authentiques[48].

Des traités sur l’art, nous ne possédons que la Poétique. Elle est citée dans la Politique comme un ouvrage futur et, dans la Rhétorique, comme un ouvrage achevé. Selon les plus anciens témoins l’ouvrage avait deux livres. Que notre texte soit d’ailleurs incomplet, c’est ce qui résulte notamment de ce que le développement sur le κάθαρσις, dont parle la Politique, fait défaut dans la Poétique telle qu’elle existe[49]. Le περὶ ποιητῶν, dont nous avons déjà parlé (p. 17), et les Ὁμηρικὰ ἀπορήματα étaient des ouvrages d’histoire et non de théorie[50].


  1. Dans Simplicius Cat. 379, 8, éd. Kalbfleisch ; Schol. 81 a, 27.
  2. Ind. Aristotet. 102 a, 19. Cf. Zeller, p. 67, n. 1, et, de même, pour ce qui suit.
  3. De interpr. 251, 27 ; 252, 8, éd. Busse (Comm. gr., IV, 5 ; Schol. 135 b, 10, 25). Sur l’opinion d’Andronicus, cf. 5, 28-6, 4 (Schol. 97 a, 19) et infra, p. 63, n. 2.
  4. In pri. anal. 367, 12-14, éd. Wallies (Comm. gr., II, 1 : Schol. 183 b, 1).
  5. Zeller, p. 69, n. 1. La relation dont il s’agit entre l’Hermêneia et certaines théories des Mégariques a été mise en pleine lumière par Heinr. Maier dans une étude sur l’authenticité de cet ouvrage (Archiv f. Geschichte der Philos. XVII, 1899, 23-72 ; cf. surtout 28-35). Il a fait voir que les trois propositions dont se compose le célèbre argument de Diodore Cronos, « le triomphateur » (ὁ κυριεύων) sont toutes empruntées à Aristote, comme le prouve la ressemblance littérale des textes : que cet argument est l’écho ou même l’expression directe d’une réponse des Mégariques à l’attaque dirigée contre eux au début du ch. 3 de Métaph. Θ. On sait qu’Eubulide et son disciple Alexinus avaient soutenu contre Aristote de violentes polémiques, allant jusqu’aux personnalités les plus outrageantes et même les plus mensongères (cf. p. 6, n. 1). C’est donc à eux qu’il faudrait faire remonter, pour le fond du moins, le κυριεύων, si l’on ne préfère, ayant d’autre part des raisons pour regarder l’Hermêneia comme un des derniers ouvrages d’Aristote, en maintenir l’invention tout entière au compte de Diodore, lequel pouvait avoir (l’anecdote rapportée par Diog. La. II, 111 le fait mourir en 307) une trentaine d’années au moment de la mort d’Aristote. Une hypothèse est d’ailleurs encore possible : c’est qu’Aristote aurait remanié l’Hermêneia pour répondre à de nouvelles chicanes de ses adversaires.
  6. Zeller, p. 70, n. 1. Pour l’assertion de Théophraste, voir Schol. 240 b, 2, et, pour celle d’Eudème, 248 a, 24 (Comment. gr., XIII, 3, p. 584, 17, éd. Wallies).
  7. Zeller, p. 70, n. 2 (p. 72).
  8. Theod. Waitz, Aristotelis Organon græce…, commentario instr. (2 vol., 1844, 1846), II, p. 528. Cette opinion est approuvée par Bonitz, Ind. 102 a, 49.
  9. Zeller, p. 73, n. 1.
  10. Metaph. 328, 18 Hayduck ; 286, 23 éd. Bonitz ; Schol. 680 a, 26.
  11. Dans son commentaire des Catégories 382, 7-9 (Kalbfl.), et, à plusieurs reprises (cf. l’index des loci aristotelici de cette édition). Voir infra, p. 134, n. 3.
  12. Zeller, p. 71, n. 7, vers la fin (p. 75).
  13. Top. 27, 17, éd. M. Wallies (Comm. gr., II, 2) ; Schol. 254 b, 10. Sur tous ces ouvrages de logique et d’autres encore, voir Zeller, p. 73-75.
  14. Zeller, p. 76, n. 2.
  15. Zeller, p. 78, n. 2.
  16. Métaph., Γ, 2, 1004 a, 1 : cf. Ι, 3, 1054 a, 30 : ἐκ τῇ διαιρέσει τῶν ἐναντίων.
  17. Zeller, p. 64, n. 1.
  18. Zeller, p. 79, n. 1.
  19. Alex. Metaph., 170, 6, Hayduck (127, 21, Bonitz) ; Simpl. Phys., 1, 17, éd. H. Diels (Comm. gr., vol. IX).
  20. Metaph., 518, 9, Hayd. ; 483, 19, Bz ; Schol. 760 b, 17. Il convient de noter que cette partie du commentaire (à partir de Ε) est suspecte et que, d’après certains, elle doit être attribuée à Michel d’Éphèse (xie s. ap. J.-C. — Sur la Métaphysique, cf. Zeller, p. 80-81.
  21. Avec Zeller, p. 91.
  22. Alex. ap. Simplic. Phys., 1051, 5, 1052, 20, 1054, 27, 1086, 23, 1093, 8, Diels. Cf. Zeller, p. 85, 1. — Voir aussi la discussion, dans l’Archiv für Gesch. d. Philosophie, entre P. Tannery et G. Rodier sur La composition de la Physique d’Aristote, le premier soutenant (VII, 224-229 et IX, 115-118) que notre Physique est un tout fait de morceaux disparates, dont les livres V et VI notamment doivent être détachés ; le second, défendant au contraire l’unité de l’ouvrage (VIII, 455-460 et IX, 185-189, 1895-6).
  23. Zeller, p. 87, 1.
  24. Zeller, p. 87, n. 2. Voir l’index nominum, au mot Θεόφραστος ; dans les commentaires des Météor. d’Alexandre (éd. Hayduck, Comm. gr. III, 2) et d’Olympiodore (éd. Stüve, même collection, XII, 2). Cf. infra, XIXe leçon.
  25. Dans son commentaire du De Caelo, 566, 85, éd. Heiberg (Comm. gr. VII) ; Schol., 510 b, 10.
  26. Zeller, p. 90, n. 1.
  27. Zeller, p. 93, n. 1 et 91, n. 1.
  28. Pour les renvois d’Aristote à son Περὶ ψυχῆς, voir Bonitz, Ind. 102 b, 60 sqq.
  29. Voir la préface de son édition (Berlin, 1862). Ces fragments se trouvent à la suite du texte dans l’édition de G. Biehl (bibl. Teubner), et dans celle de G. Rodier (Aristote, Traité de l’âme, traduit et annoté, 2 vol., 1900 ; voir I, p. III sq. et passim dans le commentaire, vol. II). Cf. Zeller, p. 93, n. 2.
  30. Dans son commentaire du De Sensu, 6, 19, éd. Wendland (Comm. gr., III, 1).
  31. Sur les Parva naturalia, voir Zeller, p. 94, n. 1 (94-96).
  32. Zeller, p. 96, n. 1.
  33. Zeller, p. 97, n. 1.
  34. Zeller, p. 97, n. 2.
  35. De sensu 87, 11 Wendland. Pour les textes de Simplicius, Philopon, etc., voir Rose, Aristoteles pseudepigraphus, p. 261-263.
  36. Zeller, p. 98, n. 1.
  37. Zeller, p. 99, n. 2.
  38. Zeller, p. 9, n. 1 vers la fin et p. 99, n. 3.
  39. Zeller, p. 100, n. 1 et 2.
  40. Zeller, p. 100, n. 4 et 5.
  41. Zeller, III 1⁴, 653-670. Cet ouvrage, où l’influence stoïcienne est manifeste, date probablement de la seconde moitié du ier siècle av. J.-C.
  42. Zeller, p. 103, n. 1.
  43. Ethica, 454, 24-36, éd. G. Heylbut (Comm. gr., XIX, 1).
  44. Zeller, p. 401, n. 2 et p. 102, n. 1.
  45. Zeller, p. 105, n. 3.
  46. Elle a été publiée pour la première fois par G. F. Kenyon à Londres en 1891.
  47. Zeller, p. 104, n. 1 et p. 672, n. 2 (672-678).
  48. Zeller, p. 105, n. 2.
  49. Zeller, p. 107, n. 1.
  50. Zeller, p. 108, n. 1. — Aristote avait écrit quelques autres ouvrages historiques du même genre : les listes critiques des vainqueurs aux jeux Olympiques et aux jeux Pythiques, un περὶ εὐρημάτων. — Notre Περὶ θαυμασίων ἀκουσμάτων est inauthentique ; cf. Zeller, p. 109, n. 1.