Le Poulailler/Chapitre37

Librairie agricole de la Maison rustique (p. 323-344).

CHAPITRE VI

Incubation artificielle.


Tant de personnes s’intéressent à la question de l’incubation artificielle, et s’imaginent qu’elle peut être féconde en résultats heureux, que ce serait une lacune impardonnable de ne pas les mettre à même de juger elles-mêmes en leur donnant l’exposé des travaux exécutés jusqu’à ce jour dans l’espérance d’un succès définitif. Voici comment s’exprime, à cet égard, M. F. Malézieux, dans le Manuel de la fille de basse-cour :

« Les peuples de l’Inde sont probablement les premiers qui se soient occupés d’éclosion artificielle ; et ils ont dû employer la chaleur produite par les substances organisées en décomposition : il paraît du reste que c’est encore le moyen suivi par les Chinois modernes pour faire éclore des canards. De l’Inde, ces inventions auront passé en Égypte ; Aristote et après lui Pline le Naturaliste nous disent que les anciens Égyptiens mettaient leurs œufs dans des vases qu’ils enfouissaient en terre, et qu’ils les échauffaient au moyen du fumier. Mais ce procédé primitif fut remplacé par l’incubation artificielle à l’aide des fameux mamals, qui existent encore dans l’Égypte moderne, et dont on a tant parlé parmi nous.

« Le mamal-el-katakgt ou el-farroug (fabrique à poulets) est un bâtiment rectangulaire coupé dans sa longueur par un corridor, de chaque côté duquel se trouvent les fours où se fait l’éclosion. Ces fours sont à double étage : l’inférieur a un mètre de haut, deux de large et trois de long ; il est muni d’une porte ouvrant sur le corridor, et d’un trou circulaire assez grand, qui communique avec l’étage supérieur ; ce dernier a les mêmes dimensions, si ce n’est une quarantaine de centimètres de plus en hauteur ; il est percé de cinq ouvertures, deux latérales communiquant avec les fours voisins, une supérieure, située au milieu de la voûte et pouvant donner accès à l’air extérieur, puis une porte ouvrant sur le corridor, et enfin, inférieurement, le trou circulaire commun aux deux étages. Attenant au local qui renferme les fours se trouve l’endroit où l’on prépare la braise ardente, qui se fait tout bonnement avec des mottes composées de paille mélangée de fiente de chameau, de crottin de cheval ou de bouse de vache. Tout à côté encore il existe une chambre destinée à recevoir les poussins nouvellement éclos. Un magasin pour les œufs et un logement pour le surveillant complètent l’ensemble des pièces qui constituent un mamal égyptien.

« Passons maintenant aux détails de l’opération, et, pour plus de clarté, désignons les fours situés de chaque côté du corridor par des numéros, ceux de droite par 2, 4, 6, 8, 10, 12, et ceux de gauche par 1, 3, 5, 7, 9, 11. On commence par mettre en activité les numéros 2, 6 et 10 d’un côté, ainsi que les numéros 1, 5 et 9 de l’autre. Pour cela, on dépose dans les étages inférieurs de ces fours trois lits d’œufs sur une couche de paille hachée et de poussière ; puis on porte dans les étages supérieurs de la braise ardente, qu’on place dans une rigole régnant tout autour du trou circulaire qui fait communiquer ensemble les deux étages. Le feu est convenablement entretenu pendant une dizaine de jours. C’est la première période de l’opération. Au bout de ces dix jours, on laisse éteindre le feu, et on monte les œufs de l’étage inférieure l’étage supérieur. En même temps, on met en activité les fours intermédiaires, nos 4, 8 et 12 à droite, nos 3, 7 et 11 à gauche, lesquels étaient jusque-là restés vides ; dans ceux-ci, comme dans les premiers, on place des œufs à l’étage inférieur et de la braise ardente à l’étage supérieur. C’est la seconde période de l’opération. Elle dure également une dizaine de jours, à la fin desquels les poussins éclosent des premiers œufs, qui ont continué d’être échauffés par les ouvertures latérales communes à tous les compartiments de l’étage supérieur. Les poussins éclos sont retirés du four et déposés pendant quelque temps, avant d’être remis aux personnes qui les élèvent, dans une chambre où règne une température convenable. La première série de fours étant libre, on recommence une nouvelle fournée en mettant des œufs dans l’étage inférieur et de la braise dans l’étage supérieur. C’est alors que les œufs de la seconde série de fours changent d’étage, et ainsi de suite. On voit que l’opération totale dure vingt à vingt-deux jours, divisés en deux périodes, et que tous les dix ou onze jours le mamal produit une certaine quantité de poussins.

« Nous ferons remarquer que ce procédé d’incubation artificielle a le mérite d’être assez exactement calqué sur la nature. Le lecteur se sera déjà aperçu que les œufs n’y sont jamais échauffés de bas en haut : pendant les dix premiers jours, ils reçoivent la chaleur de l’étage supérieur, c’est-à-dire de haut en bas comme sous une poule, et, pendant la seconde moitié de l’opération, ils sont maintenus dans une atmosphère convenable au moyen de l’air chaud qui leur arrive latéralement des fours voisins, dans l’étage supérieur desquels le feu vient d’être déposé.

« Il ne sera pas inutile de faire observer que le succès de l’opération dépend du tact des chauffeurs de mamal. Ces pauvres paysans égyptiens ignorent cependant que la température nécessaire à l’incubation est d’environ 40 degrés centigrade ; d’ailleurs, le thermomètre est pour eux un instrument inconnu ; mais ils ont une si grande habitude, qu’ils entretiennent constamment dans leurs fours une chaleur de 35 à 40 degrés.

« Cette température est inférieure à celle qui règne dans nos couvoirs modernes. L’appareil Cautelo, par exemple, maintient les œufs dans une atmosphère de 40 à 42 degrés. Aussi les poussins éclosent au bout de vingt ou vingt-deux jours dans le mamal égyptien, tandis que, dans la couveuse Cautelo, ils viennent souvent au monde vers le dix-huitième ou dix-neuvième jour. Mais, en revanche, les poussins nés dans les appareils modernes sont, comme les plantes de serre chaude, d’un tempérament si délicat, qu’ils supportent bien difficilement la température extérieure.

« Le mamal égyptien, en apparence si grossièrement construit, est du reste très-propre à sa destination. Presque enfoui dans la terre, il ne subit que peu les variations de la température extérieure. Le pauvre combustible qu’on y emploie se prête peut-être aussi, beaucoup mieux qu’un plus riche, à fournir une chaleur modérée et suffisamment humide. Les nombreuses ouvertures dont est percé le compartiment qui contient le feu sont aussi d’une grande utilité pour régler la température : lorsque le chauffeur sent qu’il fait trop chaud, il ouvre les portes ; lorsque, au contraire, il s’aperçoit que la température baisse trop, il intercepte toute communication avec l’air extérieur.

« Cette méthode d’incubation artificielle existe depuis plusieurs milliers d’années en Égypte ; elle était autrefois entre les mains des prêtres, qui très-probablement l’inventèrent. Ceux qui la pratiquent aujourd’hui sont de pauvres diables de paysans qu’on appelle Berméens, du nom d’un village voisin du Caire. Les Berméens ne sont en quelque sorte que les employés de propriétaires du pays avec lesquels ils partagent par moitié les bénéfices, qui consistent dans le tiers, ou un peu moins, des œufs qu’on leur donne à couver. Il y a ordinairement un mamal pour quinze ou vingt villages. Les habitants apportent leurs œufs, reçoivent un bon en échange, et reviennent au bout de vingt-deux jours prendre autant de fois deux poussins qu’ils ont donné trois œufs.

« Ces poussins, qui demandent les plus grands soins, surtout pendant les deux ou trois premières semaines, sont ordinairement élevés par des femmes. Elles en ont souvent trois ou quatre cents à la fois, et elles les tiennent le plus chaudement et le plus sèchement qu’elles peuvent, les mettant sur les terrasses qui couvrent leurs maisons, et les abritant pendant la nuit.

« La quantité de poulets produite annuellement par les mamals était d’une centaine de millions dans l’ancienne Égypte, et on la porte encore aujourd’hui à une trentaine de millions.

« On a essayé, à différentes époques, d’introduire en Europe le procédé égyptien : d’abord, dans l’antiquité, chez les Grecs et chez les Romains ; puis, au moyen âge, à Malte, en Sicile et en Italie ; et enfin en France, où deux rois s’occupèrent de faire construire des fours, Charles VII à Amboise et François Ier à Montrichard. Sous les règnes suivants, on tenta encore des essais dont Olivier de Serres nous entretient. À une époque beaucoup plus récente, de nombreuses expériences furent faites par plusieurs savants : on connaît les essais de Réaumur, et ses couches de fumier renouvelées des Indiens et des Chinois ; après lui vinrent les tentatives de l’abbé Copineau, de Dubois, de Bonnemain et de plusieurs autres dont il serait intéressant, mais beaucoup trop long, d’analyser les travaux et de décrire les appareils. Toutes ces expériences ont prouvé la difficulté de s’approprier le secret des Berméens d’Égypte : malgré la découverte du thermomètre, nos savants n’ont jamais pu égaler la précision de ces pauvres paysans du Caire qui, dépourvus de tout instrument pour mesurer la température, règlent cependant leur feu avec tant d’habileté, qu’ils réussissent à faire éclore la presque totalité des œufs.

« On a dû reconnaître qu’un procédé nécessaire et praticable dans certains pays ne présentait en France ni les mêmes avantages ni les mêmes facilités. Il paraît que sous le climat de l’Égypte les poules se refusent obstinément à couver, et qu’elles contraignent ainsi l’homme à employer des moyens artificiels pour obtenir des poussins, tandis que chez nous on n’éprouve pas la même disette de bonnes couveuses. D’un autre côté, le ciel chaud de l’Afrique est si favorable à la santé des jeunes poulets, qu’ils peuvent se passer des soins maternels ; en France, le plus difficile n’est pas de faire éclore, mais d’élever ces frêles créatures, incapables pendant longtemps de supporter l’influence directe d’un climat humide et froid.

« Cependant quelques personnes intelligentes et soigneuses ont réussi à surmonter ces obstacles, et, en prenant la précaution de mettre d’abord leurs poussins dans des appartements de moins en moins chauffés, elles sont parvenues à les accoutumer graduellement à la température extérieure. Mais les moyens ingénieux, tels que les mères artificielles en peaux d’agneaux garnies de leur laine, mis en usage par des amateurs patients, ne sauraient être facilement employés par le commun des ménagères ; et, tout en payant un juste tribut d’éloges aux hommes habiles qui ont perfectionné en France et en Angleterre les diverses méthodes d’incubation artificielle, nous devons dire qu’il est infiniment plus sûr, plus commode et probablement moins coûteux d’élever des poulets à la manière ordinaire. »

Voici maintenant ce que dit à cet égard M. Mariot-Didieux :

« L’art de faire éclore artificiellement des œufs de poule est très-anciennement connu en Égypte et en Chine. En Égypte, l’invention en est attribuée aux anciens prêtres d’Isis.

« Isis et Cèrès ne seraient, au dire de quelques historiens, que la même princesse bienfaisante qui aurait autrefois régné sur l’Égypte. Selon d’autres auteurs, ce ne serait que l’agriculture personnifiée sous ces noms.

« Les prêtres du culte d’Isis, en Égypte aussi bien qu’en Celtique, paraissent s’être spécialement occupés d’agriculture et d’économie rurale. L’importance de celle-ci méritait bien une semblable institution, puisqu’ils s’occupaient d’étudier cette vaste science et d’en propager les principes sous le nom de la divinité tutélaire des champs et de toutes les productions de la nature.

« Les fours ou couvoirs des Égyptiens, désignés dans le pays sous le nom de ma-mals et qui existaient en grand nombre dans les royaumes que nous avons désignés plus haut, n’existent plus qu’à Mansoura, au village de Bermé, situé dans le Delta du Nil. D’après les historiens les plus récents, le nom de Béhermiens serait le nom collectif d’une population de cinq ou six villages dont Bermé est le centre et où les fours sont le plus nombreux. Ces habitants seraient aujourd’hui les seuls qui auraient conservé l’industrie héréditaire de diriger ces fours.

« Au dire des historiens, les seuls fours d’Égypte auraient anciennement fait naître annuellement cent millions de poulets ; aujourd’hui les ma-mals des Béhermiens en font encore naître annuellement trente millions. Les historiens sont muets sur la nature des aliments fournis à ces nombreux poulets.

« L’histoire des ma-mals d’Égypte et des cages chinoises (ces dernières sont destinées à l’incubation des œufs de canes) fut importée en Europe par le R. P. Juan Gonzalès de Mendoce, Espagnol, et traduite en français, en 1600, par Luc de la Porte.

« Bien antérieurement à Gonzalès, des historiens avaient parlé des fours d’Égypte, et, entre autres, Aristote ; mais ces historiens n’en avaient parlé que par tradition, et c’est sur ces traditions qu’à Florence et à Naples on avait bâti des fours qui n’ont point eu de succès.

« Charles VII, en France, en fit bâtir à Amboise vers l’année 1415, et François Ier à Montrichard vers l’année 1540 ; mais, comme celles des Italiens, ces constructions n’eurent probablement aucun succès, parce que ces fours étaient construits dans des conditions traditionnelles.

« D’après la description de Gonzalès et de quelques autres voyageurs, qui depuis rapportèrent des dessins de ces fours, le célèbre physicien Réaumur fit des tentatives en ce genre ; mais, au lieu de chercher à perfectionner les fours d’Égypte, il créa de nouvelles méthodes et obtint quelques succès. Il publia en trois volumes, en 1749, son traité de l’art de faire éclore en toutes saisons des oiseaux domestiques de toutes espèces.

« Les méthodes de Réaumur n’eurent que peu de succès, mais il ouvrit la voie à des recherches nouvelles.

« À Réaumur succéda l’abbé Copineau, qui publia, en 1780, son Ornithotrophie artificielle. Il est, après les prêtres égyptiens, celui qui a le mieux connu les principes de l’art ; mais les circonstances n’ont pas favorisé ses efforts.

« Vient ensuite la méthode de Dubois et celle de Bonnemain. Cette dernière fut publiée en 1816.

« Bonnemain, physicien à Nanterre, est le premier qui, dés 1777, établit des fours-couvoirs susceptibles de communiquer la chaleur aux œufs, par le moyen de la circulation de l’eau chaude.

« Bonnemain fit de longues recherches, et, après bien des tentatives infructueuses, il fit un établissement, rue des Deux-Portes, no 4, à Paris, où il possédait des couvoirs assez vastes pour lui donner mille poulets par jour. Il est accusé d’exagération ; mais, quoi qu’il en soit, l’histoire témoigne qu’il fournissait en toutes saisons des poulets à la cour impériale de France, et qu’il inondait les marchés de Paris de ses produits.

« Les événements désastreux de 1814 causèrent la ruine de ce bel établissement.

« Bonnemain publia une brochure, en 1816, pour donner un aperçu de ses couvoirs, avec régulateur du feu ; mais, comme il le dit, sa méthode est sa propriété, elle est le fruit de plus de cinquante ans de travaux et de profondes méditations.

« Dans cette brochure, il ne donne pas la clef de sa méthode ; mais il demande des souscripteurs pour l’achat de ses couvoirs ; et, pour attirer les amateurs, il donne la statistique des bénéfices que chaque couveuse peut donner par an.

« 1o Une couveuse de deux cents œufs, dit-il, qui travaillerait toute l’année, ferait environ dix-huit cents couvées. Il n’accorde la réussite qu’aux deux tiers des poulets, ce qui donne deux mille trois cent soixante-seize poulets, qui, vendus à trois mois à raison de un franc-vingt centimes la pièce, donneraient la somme de deux mille huit cent cinquante francs. Il en déduit moitié pour les frais, et il trouve le bénéfice de mille quatre cent vingt-cinq francs.

« 2o Une couveuse de dix mille œufs, qui travaillerait toute l’année, ferait dix-huit couvées ; il n’accorde la réussite qu’aux deux tiers des œufs, ce qui donnerait onze mille neuf cent vingt poulets à un franc vingt centimes le poulet, et produirait la somme de cent quarante-cinq mille quatre cents francs ; il en déduit la moitié, et il reste un bénéfice de soixante et onze mille sept cent dix francs.

« Bonnemain assure avoir obtenu les succès qu’il désigne pendant quinze ans, et ce n’est qu’après la ruine de son établissement par l’armée étrangère qu’il demande aide et protection au gouvernement, aux capitalistes, aux amateurs et aux éducateurs.

« Les uns et les autres lui ont fait défaut, soit par dédain, soit par les circonstances politiques de l’époque.

« Le prix de ses couveuses était très-élevé, celui des petites était fixé à dix francs l’œuf, et celui des grandes à trois francs.

« Son régulateur du feu fut considéré comme une invention très-utile aux arts économiques.

« Nous allons maintenant parler des tentatives faites en ce genre par des contemporains et des succès qu’ils obtiennent.

« En 1844, M. Bir, fabricant à Courbevoie, envoya à l’Exposition de cette année une boîte-couvoir contenant soixante œufs.

« En 1848, M. Vallée, conservateur de la galerie des serpents au muséum du Jardin des Plantes, à Paris, envoya également à l’Exposition de cette année une boîte-couvoir pouvant faire éclore jusqu’à cent poulets. Ces deux couvoirs, modification de celui de Bonnemain, mais beaucoup plus petits, sont chauffés avec des lampes. De l’aveu même de M. Vallée, son couvoir ne peut entrer en grand dans la pratique ; c’est un meuble d’amateurs et de curieux.

« Vers la même époque parut le grand couvoir de MM. Adrien jeune et Tricoche, qui fondèrent un établissement d’éducation en grand, à Vaugirard.


GRAND COUVOIR ADRIEN ET TRICOCHE.

« Ce grand couvoir peut incuber mille cinq cents œufs à la fois, et son prix est de trois mille francs.

« Ce couvoir se compose d’une vaste chaudière en zinc, qui reçoit dans son intérieur et son centre un cylindre en tôle de 6 centimètres de diamètre et qui traverse cette chaudière de part en part, de manière à avoir jour aux deux extrémités. Ce cylindre est destiné à contenir du charbon, et il est pourvu de soupapes pour augmenter ou modérer la combustion. La chaudière a la forme d’une cloche renversée et porte à son tiers supérieur une échancrure transversale de 1 mètre d’étendue. À cette large échancrure s’adapte une toile en caoutchouc ou gomme élastique galvanisée de 3 mètres de longueur et de 1 mètre de large. Cette toile, ou plutôt cette nappe élastique, s’étend horizontalement, en forme de table soutenue par des pieds, à 1 mètre de hauteur du sol ; elle est fixée et en quelque sorte lattée sur les côtés de la table. À l’autre extrémité de la nappe existe un réservoir en zinc de la largeur de la toile ; ce réservoir lui est inférieur ; il a 10 centimètres de profondeur et 6 de largeur.

« Ce réservoir est pourvu de deux tubes en zinc ou en plomb, qui descendent obliquement ou rétrogradent au-dessous de la table pour venir se terminer au fond et dans l’intérieur de la chaudière.

« La nappe fixée et bien nivelée avec l’échancrure de la chaudière et le bord supérieur du petit réservoir en zinc qui est à l’autre extrémité, on remplit la chaudière d’eau ; l’eau finit par sortir par l’échancrure qui est pratiquée dans la chaudière, s’étend sur la nappe, remplit le réservoir de l’autre extrémité et les tubes rétrogrades. Quand l’eau est nivelée à 2 centimètres d’épaisseur sur la nappe, la quantité est suffisante.

« Cette opération terminée, on allume environ 1 kilogramme de charbon dans l’intérieur du cylindre.

« L’eau chaude, étant plus légère que la froide, vient à la surface de la chaudière, sort par l’échancrure qui y est pratiquée, s’étend sur la nappe, chasse la froide, et vient, en se refroidissant tomber dans le petit réservoir, où les deux tubes rétrogrades la conduisent au fond de la chaudière pour y être chauffée de nouveau, et venir successivement faire le même contour. Ce système est encore une modification de la couveuse Bonnemain.

« Cette eau en circulation lente et permanente est un effet de la plus grande légèreté de l’eau chaude, qui vient à la surface de celle qui est froide.

« L’eau bouillante d’une chaudière n’est pas également chaude partout. Celle de la surface l’est beaucoup plus que celle qui est au fond, et c’est sur cette découverte que Bonnemain a fondé son système de circulation d’eau chaude pour établir ces couvoirs.

« Cette eau, étendue sur la nappe, doit acquérir trente-cinq à trente-six degrés de chaleur au thermomètre de Réaumur, ou quarante-cinq à quarante-six degrés centigrade.

« Ce degré de chaleur serait trop considérable pour incuber les œufs ; mais, comme ceux-ci sont placés sous la toile, ils n’en reçoivent que trente degrés Réaumur ou quarante centigrade, ce qui est le degré fourni par les poules dans l’incubation naturelle.

« Ces degrés peuvent varier de vingt-cinq à trente-deux degrés Réaumur, mais pas au delà, pas au-dessous.

« L’eau, ainsi distribuée et réglée, est restée jusqu’ici à ciel ouvert sur la nappe. Celle-ci doit être couverte avec des planches ou liteaux en bois blanc et léger ; ce couvercle est luté avec du mastic pour éviter le refroidissement et l’évaporation de l’eau. Ce couvercle est ensuite recouvert d’une couche de sable de 4 centimètres d’épaisseur et muni de bords relevés de chaque côté, parce que plus tard il servira d’étuve pour les jeunes poulets : ceux-ci y trouveront de l’air et de la chaleur.

« La surface de ce couvercle est percée aux deux extrémités pour recevoir un tuyau qui plonge dans l’eau qui circule sur la nappe ; on y plonge des thermomètres qui y restent toujours, mais qui se retirent à volonté pour s’assurer du degré de l’eau en circulation. Ce degré peut s’élever ou s’abaisser suivant les besoins, au moyen des soupapes du cylindre qui activent ou ralentissent la combustion du charbon.

ÉTUVES.

« Nous voyons, d’après ces dispositions, la chaudière vide de son tiers supérieur ; un couvercle est adapté à la surface de l’eau chaude, de manière à former un évasement creux et libre à la partie supérieure de la chaudière.

« Ce vide est muni de deux couvercles mobiles et à charnières qui ferment le haut de la chaudière. C’est dans cette étuve, dont le fond est garni d’un linge en laine, que doivent être placés les poulets qui naissent, pour les sécher et leur fournir la chaleur nécessaire aux deux premiers jours. Le haut de la table, dont le sable est chaud, peut être converti en étuve ; mais il est préférable d’en faire leur première cour aux ébats.


TIROIRS À INCUBATION.

« Au préalable, la table est agencée de manière que le dessous de la table repose sur des liteaux en bois qui en supportent le poids. Ces liteaux sont distancés de manière à former des carrés nus, où devra reposer le dessus des tiroirs qui contiendront les œufs.

« Ces tiroirs sont sur deux rangs, parce qu’un liteau longitudinal partage en deux longueurs le dessous de la toile. Chaque tiroir a un peu moins de 1/2 mètre de longueur et 35 centimètres de largeur, huit de profondeur ; il a à peu près la forme des tiroirs de nos petites tables carrées, excepté que le fond est en toile métallique pour y faciliter la circulation de l’air dont l’œuf aura besoin pendant l’incubation. Chaque tiroir est rempli d’une suffisante quantité de balles d’avoine sur lesquelles reposent les œufs, et ceux-ci doivent être de niveau avec les bords du tiroir. Chaque tiroir est à peu près large et long comme les carrés du dessous de la toile.

« Comme les œufs doivent toucher le dessous de la toile, comme ils touchent le ventre de la poule qui couve, ces tiroirs sont difficiles à placer convenablement. MM. Adrien et Tricoche ont imaginé de placer sous les tiroirs des mancherons plats, et dont la largeur calculée fait que, après avoir posé le tiroir rempli d’œufs sur ces deux mancherons, on les tourne de champ, et le tiroir se trouve enlevé de manière que les œufs touchent la face inférieure de la toile.

« Cette toile étant chaude et humide, et fournissant à la face supérieure de l’œuf de vingt-huit à trente degrés de chaleur, il s’ensuit qu’on a réuni toutes les conditions de l’incubation naturelle.

« Chaque côté de la table reçoit quinze tiroirs, et chaque tiroir reçoit cinquante œufs.

« Les tables plus grandes ne fourniraient pas la chaleur nécessaire à l’extrémité la plus éloignée.

« Ce couvoir est alimenté de charbon deux fois par jour. Le degré de chaleur varie très-peu ; cependant il a besoin d’être examiné et vérifié de quatre en quatre heures.

« Nous avons vu fonctionner cet appareil pendant cinq mois consécutifs avec un succès qui ne s’est pas démenti une seule fois. L’incubation de quinze cents œufs donne naissance à environ douze cents poulets, forts, vigoureux et bien portants.

« Nous y avons vu éclore des œufs de canes et de faisans. »

Ce couvoir, décrit par M. Mariot-Didieux, est sans doute le même que l’hydro-incubateur exposé en 1855 par M. Gérard ; seulement les proportions de ce dernier sont moins considérables. Voici un compte rendu qu’en donnait une petite brochure délivrée aux curieux à la porte de l’établissement :

« Bien que l’idée de l’hydro-incubateur ne soit pas nouvelle et que plusieurs tentatives aient été faites sans résultat dans le passé, l’invention de M. Gérard paraît réunir toutes les conditions de réussite possibles. Cet appareil, aussi simple qu’ingénieux, se compose de deux cylindres en tôle de 1 mètre de hauteur environ et de deux corps de menuiserie établis horizontalement de chaque côté.

« Nous allons décrire les fonctions de chacune des parties de l’appareil : le plus grand cylindre ou réservoir à eau contient mille litres d’eau environ ; au milieu de ce premier cylindre s’en place un second garni de charbon de bois, qui brûle progressivement au moyen de trous percés uniformément jusqu’à mi-hauteur et très-lentement par suite de l’absence presque totale de tout courant d’air.

« Ce foyer chauffe l’eau contenue dans le premier cylindre, et lui fait atteindre promptement trente-huit degrés centigrade, chaleur nécessaire à l’incubation ; au moyen de deux ouvertures, elle s’écoule ensuite dans les corps de menuiserie dont nous avons parlé, et se répand de chaque côté en nappes uniformes sur un tissu de gutta-percha posant, comme nous allons l’expliquer ci-après, sur les œufs soumis à l’incubation.

« L’eau refroidie, chassée successivement par celle d’un degré plus élevé, descend, par plusieurs conduits posés sur deux plans inclinés établis sous les corps de menuiserie, dans le cylindre à eau et sert à l’alimentation presque perpétuelle de ce cylindre, en reprenant du calorique et en parcourant de nouveau le trajet qu’elle a déjà fait.

« Sous le tissu en gutta-percha, qui prend le même degré de chaleur que l’eau qu’il supporte, se trouvent disposés, de chaque côté du cylindre, vingt-quatre casiers pouvant contenir chacun de quatre-vingts à cent œufs environ ; ces casiers s’élèvent et s’abaissent au moyen de deux petits leviers à main.

« Pendant le cours de l’incubation, qui doit durer vingt et un jours, les œufs se trouvent constamment en contact avec le tissu de gutta-percha, qui prend leur empreinte, et sont uniformément chauffés au degré de l’eau superposée.

« Aucun des essais en cours d’exécution jusqu’à ce jour n’a manqué son effet, et ce qu’il y a de vraiment remarquable, c’est que la dépense, eu égard aux résultats, est d’une modicité fabuleuse : ainsi, dans l’appareil de M. Gérard, un décalitre de charbon de bois, au plus, suffit pour vingt-quatre heures à chauffer tout l’appareil ; en sorte que, pendant le cours de l’incubation, deux cent dix litres de charbon, représentant une valeur de douze francs soixante centimes, servent à l’incubation de deux mille quatre cents à trois mille œufs, sans que, jusqu’à présent, il y ait eu insuffisance dans l’appareil.

« On voit donc quelle immense ressource peut offrir à la consommation la découverte de M. Gérard, et quelle sécurité elle inspire aux propriétaires, fermiers, chasseurs, etc., etc., puisque désormais, au moyen de cet appareil, dont les proportions, et par suite la dépense, peuvent être réduites suivant les besoins de chacun, ils n’ont plus à craindre les accidents ordinaires de température, la dévastation des bêtes fauves et le délaissement trop fréquent des couveuses.

« Mais il ne suffisait pas de parvenir à cette éclosion artificielle, il fallait encore assurer la vie à tant de petits êtres dépourvus de cette chaleur première qui leur avait tenu lieu de mère ; c’est ce qu’a fait notre inventeur.

« Au milieu de son établissement en plein air, il a disposé une série de cases en planches de 35 centimètres environ de hauteur ; chaque case se trouve recouverte partie en zinc, partie en vitres, et la dernière partie, beaucoup plus grande, en filet ; sous la partie couverte en zinc, se trouve disposée une boîte de forme cubique en fer-blanc remplie d’eau chaude, qui laisse sous elle une excavation tapissée d’une peau de mouton ; peu de temps après leur éclosion, ces petits sont transportés dans ces cases, où le besoin de chaleur les pousse bientôt vers cette première partie ; en grandissant, cette chaleur première leur étant moins nécessaire, ils peuvent se tenir indistinctement, soit dans la partie vitrée, soit dans la partie à jour garnie d’un filet, et attendre là, à l’abri de toutes les éventualités de température, le moment où ils peuvent impunément se livrer aux ébats de leurs devanciers. »

Je me permettrai d’ajouter qu’aujourd’hui même M. Gérard fait opérer toutes ses éclosions au moyen des poules. Du reste, voici l’opinion de M. F. Malézieux sur les suites de l’incubation artificielle et les réflexions qu’il ajoute à la description de l'hydro-incubateur.

« Maintenant, on se demandera ce qu’il faut penser de cette couveuse au point de vue pratique. La question est délicate. En matière d’incubation artificielle, plus qu’en aucune autre, on doit dire : Tant vaut l’homme, tant vaut l’instrument. La meilleure couveuse artificielle, mise entre les mains d’un homme négligent ou incapable, est exposée à se voir transformée en machine à cuire les œufs. C’est l’histoire du thermosiphon de Bonnemain, de l’hydro-incubateur de Cautelo et de bien d’autres appareils. Ce qui distingue essentiellement l’incubation artificielle de l’incubation naturelle, c’est que, dans la première, l’homme est obligé de veiller à tout, tandis que, dans la seconde, il n’a qu’à se croiser les bras et laisser agir l’instinct naturel des animaux. Une fois que vous avez trouvé une poule bonne couveuse, et que vous lui avez donné le nombre d’œufs qu’elle peut couvrir de son corps, tout est fait ; moins vous interviendrez, mieux vous réussirez. Au bout de vingt et un jours, les poussins éclôront, et, aussitôt nés, ils trouveront sous les ailes de leur mère un abri plus sain que celui que pourrait leur procurer l’homme le plus savant. Dans l’incubation artificielle, au contraire, il faut trois semaines d’une attention continue pour faire naître les poussins, et ensuite il faut un mois de soins minutieux pour les empêcher de mourir. »

Nous pourrions citer encore quelques longues dissertations sur l’incubation artificielle, mais nous croyons à peu près suffisant ce que nous en avons fait connaître, en y ajoutant toutefois le moyen décrit par le baron Peers dans sa Basse-Cour ; il s’exprime ainsi :

« Bien que conçu dans des proportions infiniment plus modestes, il ne laisse pas d’avoir son mérite : nous voulons parler de l’incubation Charbogne. Ce zélé expérimentateur, après avoir, à l’exemple de Bonnemain, payé de sa personne et de sa bourse les nombreuses tentatives pour arriver à un résultat satisfaisant, est parvenu, à la fin de sa longue carrière, à trouver un procédé aussi simple qu’ingénieux, et qui surtout a un mérite immense à nos yeux : c’est que le système à l’aide duquel il opère l’incubation ne donne lieu à aucune dépense d’entretien, et qu’il suffit d’y consacrer quelques instants toutes les douze heures. Il ne s’agit plus, ainsi que pour les procédés Bonnemain ou Cautelo, d’appareils coûteux, dont l’entretien et la mise en activité ne sont pas moins dispendieux : Charbogne a fini par découvrir un moyen aussi simple qu’ingénieux, en répandant uniformément la chaleur sur toutes les surfaces où le calorique a besoin de se développer.

« L’incubateur Charbogne est mis à la portée de toutes les bourses comme de toutes les intelligences ; il est portatif, et on peut le placer partout, pourvu que le local qui le renferme ne soit pas sujet à des variations de température trop fortes.

« Comme l’inventeur de ce nouveau système d’incubation artificielle est breveté en Belgique, et qu’il n’a pas initié le public aux différents secrets de sa découverte, il ne nous appartient pas de donner une description de cet appareil dépassant les limites de celles qu’il a jugé à propos de se prescrire à lui-même.

« Ainsi nous nous bornerons à dire que le système Charbogne est d’une simplicité telle, qu’on demeure stupéfait de ne pas en avoir vu la découverte depuis longtemps. Une caisse en bois blanc qui se ferme avec un couvercle, et à laquelle est adapté un tiroir destiné à contenir les œufs, constitue tout l’appareil extérieur.

« Une aération intérieure qui imprime une certaine moiteur aux œufs est ménagée de manière à se rapprocher le plus près possible de l’état de nature.

« Sous ce point de vue, Charbogne a rendu un immense service à l’art de l’incubation artificielle en résolvant le problème du degré d’humidité convenable en cette occurrence. En effet, nous avons vu plus d’un rapport sur l’incubation artificielle, et tous sont venus constater que le degré d’aération convenable était sans cesse le point important de la question. Effectivement, la chaleur que répandent les lampes, les veilleuses ou les tuyaux sert plutôt à évaporer et à dessécher la moiteur indispensable aux œufs.

« À quels résultats est arrivé Charbogne ? Convaincu de la nécessité de ménager dans l’intérieur du couvoir une transpiration semblable à celle que la couveuse mère dépose sur ses œufs, il a heureusement franchi ce dernier obstacle en atteignant le but désiré, car il leur imprime à volonté le degré de vapeur qu’il juge convenable de leur donner. Aussi l’éclosion parfaite est-elle beaucoup plus abondante que dans les autres couvoirs, qui pèchent, les uns par trop de sécheresse, les autres par une température uniforme.

« Comme l’appareil Charbogne peut fonctionner en petit et en grand, qu’il est d’un entretien très-peu dispendieux, en un mot, qu’il est mis à la portée de tout le monde, nous osons, sans crainte d’être démenti, prédire le plus grand succès à cette utile invention, qui peut être appliquée dans toutes les fermes, puisqu’il ne s’agit que d’une dépense une seule fois faite : l’achat de l’appareil. L’entretien de la chaleur, nous le répétons, est si insignifiant, qu’il n’est pas un ménager en Belgique qui ne l’ait à sa disposition. »

Comme on a pu en juger, si l’on trouve une certaine facilité à faire éclore un grand nombre de poulets sans poules, il n’en est pas de même pour les élever seuls jusqu’à ce qu’ils aient la force de se passer de mères.

Le moyen suivant, indiqué par madame Millet-Robinet, pour remplacer les mères naturelles, paraîtrait être le complément de l’incubation artificielle :

« Une mère artificielle consiste en une peau d’agneau tannée et ayant conservé sa laine ; on la cloue sur un cadre de bois ayant seulement 0m.60 sur chaque face. Ce cadre est posé sur quatre pieds, dont deux ont seulement 0m.5 de hauteur, et les deux autres 0m.10 à 0m.12. Le côté le plus élevé forme le devant de la mère. On cloue également de la peau d’agneau sur les côtés, sur le devant et sur le derrière ; mais on ne fixe pas au bas des pieds celle placée devant et celle placée derrière, et qui tombe jusqu’à terre. On place cette espèce de petite maison sur une boîte de même dimension, qui se ferme et s’ouvre à volonté ; l’intérieur de cette boîte est garni d’une plaque de tôle de 1 millimètre environ d’épaisseur ; celle qui garnit le couvercle est percée de petits trous. On renferme dans cette boîte des briques, des carreaux ou des pierres chauffées, puis on place la mère dessus. On accroche avec un ou deux petits crochets au-dessus de la chaufferette une planche qui retombe en pente jusqu’à terre, et forme un petit promontoire pour conduire les jeunes poulets sous la mère artificielle. On les y met d’abord, et ils se trouvent dans une petite chambre obscure, chaude, et dont toutes les parois sont douillettes ; ils en sortent par devant et par derrière pour aller manger. La peau qui n’est pas fixée à la base se soulève pour les laisser passer et retombe à l’instant. Si quelques-uns n’avaient pas l’instinct de rentrer sous la mère, on les y remettrait, et, après une ou deux leçons, ils y rentreraient d’eux-mêmes. Cette mère remplace très-bien la poule pour la chaleur.

« Comme la mère est plus basse d’un côté que de l’autre, elle est aussi plus chaude, elle peut recevoir des poulets de plusieurs tailles : les grands ne pouvant pénétrer dans l’endroit trop bas pour eux, les petits s’y réfugient ; enfin, si les faibles étaient encore brusqués, chassés par les forts, ils sortiraient de dessous la mère sans le moindre effort, et, comme ordinairement les querelles de poulets sont de courte durée et sans rancune, les battus pourraient rentrer sous ce toit hospitalier. Il suffit de s’assurer de temps en temps si la chaleur qui s’échappe de la boîte est suffisante, et de renouveler le moyen de chauffage, si elle ne l’est pas.

« Le soir, comme leur chambre, ouatée en quelque sorte, n’est plus refroidie par le mouvement continuel des petits qui entrent et qui sortent, et que d’ailleurs ils y sont entassés comme sous le ventre de la mère, la moindre chaleur suffit. Il faut avoir le soin, tous les matins, d’enlever la mère artificielle et de nettoyer le couvercle de la boîte chaude. On peut, lorsqu’il fait chaud, transporter tout l’appareil dehors et le mettre au soleil. Alors la chaleur de la boîte sera inutile ; celle de la peau sera suffisante. On peut placer la mère artificielle sous une mue un peu plus grande que les mues ordinaires, parce qu’elle occupe plus de place qu’une poule. On donne à boire et à manger aux petits tout à fait comme s’ils étaient véritablement sous la mère, et ils agissent de même.

« Avec une mère artificielle comme celle que je viens de décrire, et qui est très-peu coûteuse, on peut parer aux accidents qui privent quelquefois les jeunes poussins de leur mère, ce qui cause souvent leur mort et les rend très-difficiles à élever. On peut aussi, lorsqu’on a fait couver des poulets à une dinde ou à une bonne poule couveuse, lui enlever les petits à mesure qu’ils naissent et lui donner d’autres œufs, ou réunir les poulets de plusieurs couvées et enfermer les mères, comme je l’ai indiqué, pour éteindre l’ardeur qu’elles ont à couver et oublier leurs petits, pour obtenir une seconde ponte. Les poulets, avec cette mère artificielle, ne demanderont qu’un peu plus de soin, puisqu’il faudra leur apprendre à connaître leur lieu de refuge, les rentrer et les faire sortir selon le temps, et entretenir dans la boîte une chaleur convenable.

« Les poulets élevés sous la mère artificielle seront nourris comme les autres ; cependant, comme ils seront privés de la variété de nourriture que leur trouve leur mère et surtout des insectes, il faudra tâcher d’y subvenir. On leur laissera leur mère tant qu’ils en feront usage. Il conviendra aussi de les appeler chaque fois qu’on leur distribuera de la nourriture, afin qu’ils s’habituent à se réunir comme lorsque la mère véritable les appelle. Si la laine de la peau d’agneau était salie par les excréments des poulets, il faudrait la laver et l’exposer à l’air et au soleil pour la bien faire sécher avant de la remettre sur les poulets. Ce soin est nécessaire lors même que la laine ne paraîtrait pas sale, pour détruire les mites et les poux qui atteignent souvent les poulets. »

Oui, les questions de propreté, de chaleur, de préservation des mites et des poux sont d’une si grande importance et me semblent si difficiles à résoudre, même avec tous les moyens naturels à la disposition de l’éleveur, que je ne saurais conseiller l’emploi des moyens artificiels, évidemment bien plus difficiles dans la pratique.

Si l’on devait se servir de la couveuse artificielle, ce serait en n’écartant pas les couveuses ordinaires et tout au contraire en réunissant les deux moyens et de la façon suivante. On veut, par exemple, obtenir et faire élever rapidement un grand nombre de poulets, qu’on mette cent poules à couver à des époques déterminées, pour faire correspondre à peu près ces couvées avec celles que l’on peut faire se succéder dans la couveuse artificielle, et alors on donne aux cent couveuses les résultats réunis de leurs couvées et ceux obtenus artificiellement. Toutes les couveuses, pourvues à temps chacune de quinze à dix-huit poulets, peuvent alors élever dans les conditions ordinaires les quinze à dix-huit cents poulets produits si rapidement.