Le Paquebot américain/Chapitre XV

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 15p. 159-181).


CHAPITRE XV.


Sa voix d’avant va maintenant bien parler de son ami, sa voix d’arrière lui sert à tenir d’infâmes propos et à calomnier.
La tempête



La situation du Montauk parut plus désolée que jamais après le départ d’un si grand nombre de ses passagers. Aussi longtemps que ses ponts avaient été couverts de créatures humaines, il avait un air de vie qui servait à diminuer les inquiétudes ; mais à présent qu’il avait été abandonné par tous les passagers de l’avant et par la plupart de ceux de l’arrière, ceux qui y restaient commencèrent à se livrer à de plus vives craintes sur l’avenir. Quand les voiles du transport ne parurent plus qu’un point prêt à descendre dans l’Océan, M. Effingham lui-même regretta de ne pas avoir surmonté la répugnance qu’il avait éprouvée à se rendre à bord d’un bâtiment où sa famille et lui n’auraient pu avoir que des chambres bien moins commodes que celles qu’ils occupaient sur le Montauk. Trente ans auparavant, il se serait trouvé heureux d’avoir un tel bâtiment, et de si bons logements pour cette traversée ; mais l’habitude d’avoir nos aises change nos opinions, et il n’avait pu se résoudre à placer sa fille et mademoiselle Viefville dans une situation dont se contentaient tous ceux qui voyageaient par mer au commencement de ce siècle.

Comme nous l’avons déjà dit, la plupart des passagers de l’arrière avaient pris une détermination différente, et il ne restait avec la famille Effingham que M. Sharp, M. Blunt, sir George Templemore, M. Dodge et M. Lundi. M. Effingham avait cédé à l’influence du logement supérieur que sa famille trouvait à bord du paquebot, et l’espoir que le Montauk toucherait bientôt aux îles du Cap Vert, qu’il y trouverait tout ce qui lui manquait, et qu’il arriverait en Amérique presque aussitôt que le bâtiment de transport, mauvais voilier, qui venait de les quitter. M. Sharp et M. Blunt avaient exprimé leur détermination de partager sa fortune, ce qui était dire indirectement qu’ils voulaient partager celle de sa fille. John Effingham était resté pour ne pas se séparer de sa famille, quoiqu’il eût proposé au capitaine du transport de les conduire à la remorque jusqu’au port le plus voisin ; arrangement qui ne put avoir lieu parce que les deux capitaines ne purent si accorder sur la route à suivre ; et un obstacle plus sérieux s’éleva encore quand le capitaine du transport, lorsqu’il fut question de régler l’indemnité qui lui serait payée, jeta quelques mots en l’air sur le droit de sauvetage. Quant à M. Lundi, il avait été retenu par un attachement invétéré pour les approvisionnements du maître d’hôtel, dont il jugeait avec raison qu’il pourrait avoir désormais une part encore plus grande que par le passé.

Sir George Templemore avait été à bord du transport, et avait laissé transpirer assez clairement l’intention d’y passer, lui et ses trente-six pantalons ; mais en examinant le local étroit et incommode dans lequel il aurait été obligé de se loger et d’arrimer toutes ses curiosités, il ne put se résoudre à cet sacrifice. D’une autre part il savait qu’il aurait alors sur le Montauk une chambre pour lui seul, et ce jeune homme d’un esprit faible, et habitué à céder à ses goûts et à ses caprices, préféra nonchalamment ses aises du moment au soin de sa sûreté.

M. Dodge avait la manie américaine de la précipitation, et il avait été le premier à proposer un départ en masse dès qu’on sut que le capitaine du transport consentait à recevoir les passagers. Il avait été activement occupé toute la nuit à se former un parti et à faire décider que la prudence exigeait que le Montauk fût entièrement évacué. Mais quand ce projet eut échoué, il insista éloquemment sur ce que le capitaine Truck devait se soumettre à l’avis de la majorité ; mais il ne le fit qu’à voix basse et en cachette, car il était trop prudent et trop pur démocrate pour parler tout haut, à moins qu’abrité par l’opinion publique. Il aurait pu tout aussi bien invectiver contre l’ouragan dans l’espoir de faire cesser la tempête, que de faire une pareille tentative contre la fermeté du vieux marin en tout ce qui concernait son devoir ; car, dès que le capitaine Truck en entendit parler, il notifia son refus positif d’un ton qu’il était peu accoutumé à prendre avec ses passagers, et qui imposa silence à toutes remontrances. Quand ces deux plans eurent avorté, M. Dodge fit les plus grands efforts pour démontrera sir George que son intérêt et sa sûreté exigeaient qu’il émigrât du Montauk. Mais, malgré toute son éloquence, malgré l’ascendant que son adulation perpétuelle lui avait donné sur l’esprit du baronnet, il ne put l’emporter sur l’amour de celui-ci pour ses aises et surtout sa passion pour les nombreux objets de curiosité dont il faisait ses délices. Il est vrai qu’on aurait pu placer dans une malle les trente-six pantalons, ainsi que les rasoirs, les pistolets, la toilette portative et beaucoup d’autres merveilles ; mais sir George aimait à les contempler toutes chaque jour, et il en avait toujours la plus grande partie étalée sous ses yeux.

À la surprise générale, M. Dodge, trouvant impossible de déterminer sir George Templemore à quitter le paquebot, annonça tout à coup la résolution d’y rester aussi. Dans un pareil moment, peu de personnes s’inquiétèrent des motifs qui l’y avaient décidé, mais il protesta à son compagnon de chambre que la vive amitié qu’il avait conçue pour lui pouvait seule le résoudre à renoncer à l’espoir d’arriver en Amérique avant les élections d’automne.

M. Dodge n’avait pas beaucoup exagéré en parlant ainsi. Il était démagogue américain précisément par suite de sentiments et d’inclinations qui auraient fait de lui un courtisan en tout autre pays. Il est vrai qu’il avait voyagé, ou qu’il croyait avoir voyagé en diligence avec une comtesse ; mais la force des circonstances l’avait obligé à s’en séparer bientôt, au lieu qu’il avait ici un baronnet, un véritable baronnet anglais, entièrement à lui dans une petite chambre, et son orgueil se repaissait de la gloire d’avoir une pareille connaissance.

Qu’étaient les fiers et arrogants Effingham auprès de sir George Templemore ? Il attribuait même leur réserve avec le baronnet à l’envie, passion dont il connaissait parfaitement l’existence, et il trouvait un charme secret à occuper un petit appartement avec un homme qui pouvait exciter l’envie d’un Effingham. Plutôt que d’abandonner sa prise aristocratique, dont il avait dessein de faire parade aux yeux de ses amis les démocrates de son voisinage, il se détermina à oublier qu’il était pressé, et à chercher sa récompense dans le plaisir qu’il aurait à parler à l’avenir de sir George Templemore et de ses curiosités, et à citer dans son cercle ses propres plaisanteries et ses bons mots. Quelque étrange que cela puisse paraître, M. Dodge avait d’ailleurs le plus vif désir de rester avec les Effingham ; car, quoiqu’il souffrît que l’envie et le sentiment intime de son infériorité engendrassent la haine il était prêt à faire la paix à chaque instant, à condition d’être admis franchement dans leur intimité. Quant à la famille innocente qui était devenue d’un si grand intérêt pour le bonheur de M. Dodge, elle songeait rarement à lui, ne se doutait guère qu’elle fût si souvent l’objet de ses pensées, et si elle n’aimait pas sa société, c’était uniquement par suite des principes élevés et du goût cultivé qui la caractérisaient. Elle se croyait le droit d’agir à cet égard comme bon lui semblait, d’autant plus qu’avec toute la réserve du savoir-vivre, les membres qui la composaient ne se permettaient jamais des remarques critiques allant jusqu’à la personnalité, et encore moins le commérage.

Par suite de ces sentiments contradictoires de M. Dodge, de l’amour de sir George Templemore pour ses aises, de l’intérêt que prenaient à Ève ses deux admirateurs, du dévouement de M. Lundi au madère et au champagne, et de la détermination de M. Effingham, ces individus continuèrent seuls à occuper les chambres du Montauk. Quant aux οι πολλοι qui les avaient quittés, nous n’en avons rien dit parce que ce prompt départ devait les isoler de l’intérêt de notre histoire.

Si nous disions que le capitaine Truck n’eut pas quelques idées mélancoliques quand il vit le bâtiment de transport disparaître à l’horizon, nous représenterions le brave marin comme plus stoïcien qu’il ne l’était réellement. Pendant le cours d’une longue vie qui avait été entièrement consacrée à sa profession, il avait éprouvé des accidents ; mais depuis qu’il commandait un paquebot, c’était la première fois qu’il avait été obligé d’appeler à son aide un bâtiment étranger pour conduire ses passagers à leur destination. La nécessité qui l’y avait forcé en cette occasion lui paraissait une sorte de tache sur son caractère comme marin, quoique dans le fait l’accident qui était arrivé dût principalement être attribué à un défaut caché du grand mât. L’honnête capitaine soupira bien des fois, fuma dans l’après-midi près du double de son nombre ordinaire de cigares, et quand le soleil se coucha dans toute sa gloire, il resta à regarder le firmament dans un sombre silence jusqu’à ce que les teintes magnifiques qui accompagnent la fin du jour cessassent de se montrer sur les vapeurs de l’horizon. Il fit venir alors Saunders sur le gaillard d’arrière, et il eut avec lui la conversation suivante :

— Nous voici dans une chienne de catégorie, Saunders.

— Les choses pourraient aller mieux, commandant. Tout ce que je désire, c’est que le beurre puisse durer jusqu’à ce que nous arrivions à New-York.

— Et s’il en est autrement, Monsieur, je serai fort tenté de vous faire claquemurer dans la prison de l’état, ou du moins dans la chaumière gothique de l’île de Black-Well.

— Toute chose à une fin, capitaine, et même le beurre. Je présume que M. Vattel, s’il connaît quelque chose en cuisine, en conviendra lui-même.

— Écoutez-moi, Saunders : s’il vous arrive encore de donner à entendre en ma présence que Vattel appartenait au département des casseroles, je prendrai la liberté de vous faire conduire sur la côte d’Afrique, où vous vous amuserez à faire des ragoûts de jeunes singes pour votre dîner. — À propos ! je vous ai vu à bord de l’autre bâtiment ; vous y avez tout examiné ; de quelle manière y seront traités nos passagers ?

— D’une manière atroce, commandant, je vous en donne ma parole d’honneur. Pourriez-vous croire que le maître d’hôtel est un nègre, — un véritable nègre, capitaine Truck ! il porte des boucles d’oreilles et une chemise de flanelle rouge, et il n’a pas reçu la moindre éducation. Quant au cuisinier, il ne serait pas en état de remplacer ici Jemmy Ducks, notre marmiton. Il ne s’y trouve qu’une marmite et une seule espèce de casseroles.

— Eh bien ! en ce cas les passagers de l’avant seront aussi bien traités que ceux de l’arrière.

— Oui, Monsieur ; ou les passagers de l’arrière aussi mal traités que ceux de l’avant. Quant à moi, j’ai en abomination la liberté et l’égalité !

— Vous devriez causer sur ce sujet avec M. Dodge, Saunders, et nous verrions qui riposterait le mieux. — Puis-je vous demander si vous savez par hasard quel est aujourd’hui le jour de la semaine ?

— Sans contredit, commandant, car ce sera demain dimanche, et je pense que c’est bien dommage que nous ne puissions solliciter les prières de l’église en notre faveur.

— Si demain est dimanche, ce doit être aujourd’hui samedi, monsieur Saunders, à moins que ce maudit ouragan n’ait dérangé le calendrier.

— Tout naturellement, capitaine, et votre remarque est fort juste. — Tout le monde convient qu’il n’y a pas de meilleur navigateur que le capitaine Truck.

— Cela peut être vrai, mon brave garçon ; mais je n’en suis pas moins diablement éloigné de ma route en ce moment, ici, presque dans le sein de votre aimable famille. Mais si c’est aujourd’hui samedi, il y aura un samedi soir avant qu’il soit longtemps ; et, songez-y bien, il faut que nous portions le toast d’usage : « À nos maîtresses et à nos femmes. » Quoique je n’aie moi-même ni l’une ni l’autre, je sens la nécessité d’avoir quelque chose qui puisse m’égayer, pour me mettre en état de songer à l’avenir.

— Comptez sur moi, capitaine. Je suis charmé de vous entendre parler ainsi ; car je pense qu’un bâtiment n’est jamais plus respectable et plus en bon ordre que lorsqu’on y célèbre tous les anniversaires. Vous aurez ce soir une compagnie choisie et agréable, commandant.

Après cette dernière remarque, Saunders se retira pour aller conférer avec Toast sur ce sujet ; et le capitaine s’occupa à donner à M. Leach ses instructions pour la nuit. Le fait était que le Montauk offrait alors un spectacle bien fait pour inspirer de la mélancolie à un marin ; car, à la seule voile régulière qui lui restât, celle de misaine, on avait ajouté une bonnette basse, très-imparfaitement gréée, et qui n’aurait pu résister à une brise tant soit peu forte, tandis qu’un mât de hune de fortune soutenait une voile de perroquet qu’on ne pouvait porter que par un vent largué. Il est vrai qu’on faisait sur l’arrière des préparatifs d’une nature plus durable. Le tronçon du grand mât avait été coupé au ras de l’entre-pont, où l’on avait pratiqué une emplanture pour y placer un mât de hune de rechange, qui était sur le pont tout gréé. On avait préparé des bigues pour le mâter ; mais, la nuit approchant, on suspendit ce travail, et l’on employa l’équipage à gréer les vergues, à enverguer les voiles, et à disposer les autres esparres dont on comptait se servir, remettant au lendemain matin la dernière opération, celle du mâtage.

— Nous aurons probablement une nuit tranquille, monsieur Leach, dit le capitaine après avoir promené ses regards sur tout le firmament. Demain à huit heures du matin, rappelez tout le monde sur le pont, et nous travaillerons à faire un brick de notre vieux bâtiment. Ce mât de hune sera en état de soutenir l’effort de la grande vergue de fortune, à moins qu’il ne survienne un autre ouragan ; et en prenant les ris de la nouvelle grande voile, nous pourrons en tirer quelque service. Le mât de perroquet pourra nous servir de mât de hune, et en donnant un peu de largue dans les voiles, nous pourrons nous en tirer. Au besoin nous pourrons peut-être aussi lui faire porter une bonnette. Nous n’avons pas de mâts pour d’autres voiles, et pourtant il faudra tâcher de trouver quelque chose pour l’arrière parmi les mâts de rechange que nous avons obtenus du transport. Vous pouvez faire cesser tout travail quand on piquera quatre coups[1], monsieur Leach, et laisser les pauvres diables passer en paix leur nuit du samedi. C’est un assez grand malheur d’être démâté, sans être encore privé de son grog.

M. Leach exécuta tous ces ordres, et une calme et magnifique soirée se termina par toute la gloire d’une nuit douce, sous une latitude aussi basse que celle où était alors le Montauk. Ceux qui n’ont jamais vu l’Océan dans de telles circonstances ne connaissent pas les charmes qu’il offre dans ses instants de repos. L’expression de repos s’applique parfaitement à la tranquillité dont il jouissait alors, car les longues vagues indolentes sur lesquelles le bâtiment s’élevait, et avec lesquelles il retombait, en ridaient à peine la surface. La lune ne se leva qu’à minuit, et Ève, accompagnée de mademoiselle Viefville, se rendit sur le pont ainsi que les autres passagers, et s’y promena à la clarté des étoiles jusqu’à ce qu’elle fût fatiguée.

Pendant ce temps on entendait souvent rire et chanter sur le gaillard d’avant, où les matelots célébraient la nuit du samedi, et les toasts qu’ils portaient n’étaient pas toujours exempts de quelque expression grossière. Mais l’amour de la gaieté céda bientôt à la fatigue, et ceux qui n’étaient pas de quart ne tardèrent pas à aller retrouver leurs hamacs, laissant ceux qui devaient rester sur le pont y chercher quelque coin pour s’y reposer.

— Un grain qui n’obscurcirait seulement pas le ciel, dit le capitaine Truck en regardant les voiles bizarres qui faisaient à peine faire au bâtiment un mille par heure, ferlerait bientôt toutes ces voiles sans que nous y missions la main, et nous sommes précisément dans l’endroit où un pareil intermède est possible.

— Et en ce cas que deviendrons-nous ? demanda vivement mademoiselle Viefville.

— Demandez-moi plutôt, Mamzelle, ce que deviendraient ce prétendu hunier, et cette bonnette qui ressemble à un Américain à Londres sans courroies à ses pantalons. La toile jouerait au cerf volant, et nous aurions à chercher de nouvelles inventions. Un bâtiment pourrait à peine être mieux préparé que nous ne le sommes à rencontrer une de ces risées d’Afrique.

— En ce cas, capitaine, dit M. Lundi, qui était près de la claire-voie, examinant les préparatifs qui se faisaient sous le pont, nous pouvons sans crainte aller célébrer la nuit du samedi, car je vois que le maître d’hôtel à tout apprêté, et le punch a un air attrayant, pour ne rien dire du champagne.

— Nous n’oublierons pas notre devoir, Messieurs, répondit le capitaine ; nous ne formerons plus qu’une petite famille, et il n’en est que plus à désirer que la gaieté y règne. — Monsieur Effingham, j’espère que nous aurons l’honneur de votre compagnie pour porter le toast « à nos maîtresses et à nos femmes. »

M. Effingham n’avait plus de femme ; et cette invitation faite d’un ton joyeux, fit sur lui une impression que sa fille, qui sentit son bras trembler, comprit parfaitement. Elle dit avec douceur qu’elle était prête à descendre. Il fut heureux pour le souper préparé par ordre du capitaine qu’elle y eût consenti, sans quoi elle n’eût pas été la seule qui fût restée sur le pont. Il pressa tous les passagers tour à tour de lui accorder le plaisir de leur compagnie, et au bout de quelques minutes tous étaient à table, chacun ayant devant soi un verre de punch délicieux.

— M. Saunders n’est ni un sorcier, ni un mathématicien, s’écria le capitaine Truck en portant la main à son verre, mais il entend parfaitement la philosophie du mélange des liqueurs douces et aigres, fortes et faibles, et je puis me hasarder à faire l’éloge de ce punch, avant de l’avoir goûté. — Eh bien ! Messieurs, il y a sur l’Océan des bâtiments qui ont une meilleure mature et une meilleure voilure que le nôtre, mais il y en a bien peu qui aient de meilleures chambres, une membrure plus solide, et meilleure compagnie. Fasse le ciel que nous puissions trouver le moyen d’établir encore quelques mâts, et à présent que nous sommes débarrassés de l’importun qui nous suivait comme notre ombre, je crois que je pourrais me flatter de vous débarquer à New-York, vous qui m’avez fait l’honneur de rester avec moi, avant que ce bâtiment de transport y soit arrivé, avec tous ses bras et toutes ses jambes. — Messieurs, notre premier toast sera, s’il vous plaît : Heureuse fin à ce qui a eu un commencement désastreux !

Les muscles du visage rubicond du capitaine jouèrent un peu pendant qu’il prononçait ce discours ; et tandis qu’il vidait son verre, ses yeux brillaient. M. Dodge, sir George et M. Lundi répétèrent le toast, mot pour mot, d’une voix sonore ; les autres firent une inclination de tête et burent en silence.

Le commencement d’une partie de plaisir est ordinairement grave et froid, et il se passa quelque temps avant que le capitaine Truck pût amener ses compagnons au point où il désirait les voir, car, quoiqu’il fût parfaitement sobre, il aimait à boire un coup en compagnie, et particulièrement aux époques fixées par l’usage de sa profession. Ève et sa gouvernante avaient refusé de se mettre à table, mais elles s’étaient assises dans un endroit où elles pouvaient être vues et prendre part à la conversation.

— Il y a quarante ans et plus, ma chère miss Effingham, dit le capitaine, que je porte chaque samedi soir le toast « à nos maîtresses et à nos femmes, — » sans que je me sois jamais trouvé sous la latitude du bonheur en possédant l’une ou l’autre. Mais, malgré ma mauvaise étoile, je me fais toujours une règle invariable d’engager tous mes jeunes amis à se marier avant d’avoir trente ans. J’en ai connu plus d’un qui étaient arrivés sur mon bord avec toutes les idées d’un célibataire déterminé, et qui, à la fin du voyage, étaient prêts à se jeter à la tête de la première jeune et jolie fille qu’ils rencontreraient.

Ève avait trop de respect pour elle-même et possédait trop bien la véritable dignité de son sexe pour prendre part à une conversation sur le mariage ou à une discussion sur l’amour. Tous ceux qui la connaissaient plus particulièrement rendaient trop de justice à son caractère pour vouloir prolonger ce genre d’entretien ; et, après une ou deux remarques rapides faites par les autres, la plaisanterie du brave marin n’eut pas de suite.

— Ne sommes-nous pas bien bas, capitaine Truck, demanda Paul Blunt, afin de donner un autre cours à la conversation, puisque nous n’avons pas rencontré les vents alisés ? Je les ai ordinairement trouvés sur cette côte aussi haut que 26 ou 27 degrés, et je crois que votre observations aujourd’hui vous a porté à 24 degrés de latitude.

Le capitaine le regarda en face, tandis qu’il parlait, et quand il eut fini il fit un mouvement de tête en signe d’approbation.

— Je m’aperçois que vous avez déjà voyagé dans ces parages, monsieur Blunt. Du moment que je vous ai vu mettre le pied sur les taquets en sortant de votre barque, je vous ai soupçonné d’être un camarade. Vous n’êtes pas arrivé sur la pointe des pieds, comme une paysanne qui valse, mais vous en avez appuyé fermement la plante sur le bois, en allongeant le bras en homme qui sait ce qu’il doit faire de ses muscles. La remarque que vous venez de faire prouve aussi que vous savez ou doit être un bâtiment pour être à la place qui lui convient. Quant aux vents alisés, ils sont aussi incertains que l’esprit d’une veuve pour qui se présentent deux ou trois bons partis à la fois. Je les ai tantôt rencontrés aussi haut que le trentième degré, et tantôt aussi bas que le vingt-troisième, et même encore plus bas. Mon opinion, Messieurs, et je saisis avec plaisir cette occasion de la faire connaître publiquement, c’est que nous sommes sur le bord des vents alisés, au milieu de ces vents légers et variables qui règnent toujours dans leur voisinage, comme on trouve des tournants le long des plus forts courants de l’Océan. Si nous pouvons faire sortir le Montauk de cette région de fluctuation, c’est l’expression, je crois, monsieur Dodge, tout ira assez bien ; car un vent des nord-est, ou même d’est, nous conduirait bientôt aux îles du Cap-Vert, même sous les haillons de voiles que nous portons. Nous sommes certainement très-près de la côte, beaucoup plus près que je ne le voudrais ; mais quand nous aurons une bonne brise, cela n’en vaudra que mieux pour nous, parce qu’elle nous trouvera au vent.

— Mais, capitaine, dit Ève, si ces vents alisés souff lent toujours dans la même direction, comment se fait-il que l’ouragan que nous venons d’essuyer nous ait poussés dans la partie de l’Océan ou ils règnent ?

— Toujours signifie quelquefois, ma chère miss Effingham. Quoique que des vents légers règnent souvent dans le voisinage des vents alisés, on y rencontre aussi des ouragans, et des ouragans furieux, comme nous en avons eu la preuve. Je crois qu’à présent le temps va se fixer, et que nous avons une chance presque certaine d’arriver en sûreté dans quelque port du midi des États-Unis, quoique nous ne soyons pas aussi sûrs d’y arriver promptement. J’espère qu’avant vingt-quatre heures nous verrons le sable blanchir nos ponts.

— Est-ce un phénomène qu’on voit ici ? demanda M. Effingham.

— Très-souvent, Monsieur, quand un bâtiment est près de la côte et que le vent est constant. Pour dire la vérité, le pays que nous avons par le travers, à vingt ou trente milles de distance, n’est pas le pays le plus attrayant du monde ; et quoiqu’il ne soit pas facile de dire où est le jardin d’Éden, on peut assurer sans crainte qu’il ne se trouve pas là.

— Si nous sommes si près de la côte, pourquoi ne la voyons-nous pas ?

— Nous la verrions peut-être du haut du grand mât, si nous en avions un. Au surplus nous sommes au sud des montagnes, et à la hauteur de cette partie du pays où le grand désert s’avance jusqu’à la côte. Mais je vois que M. Lundi trouve tous ces détails bien arides, et je vous demande la permission, Messieurs, de vous proposer le toast « à nos maîtresses et à nos femmes ! »

La plus grande partie des passagers portèrent ce toast d’usage à pleine rasade, mais les deux cousins mouillèrent à peine leurs lèvres. Ève jeta à la dérobée un regard timide sur son père, et ses yeux se remplirent de larmes quand elle les en détourna, car elle savait que toute allusion de cette nature faisait toujours renaître en lui des souvenirs pénibles. Quant à John Effingham, il était célibataire si déterminé, qu’elle fut peu surprise du peu d’intérêt qu’il y prenait.

— Prenez garde à votre cœur quand vous serez en Amérique, sir George, s’écria M. Dodge, dont le punch déliait la langue ; nos dames sont célèbres par leur beauté, et sont prodigieusement populaires, je puis vous en assurer.

Le baronnet sourit avec un air de satisfaction, et il est probable qu’il pensait particulièrement à l’un des trente-six pantalons qui étaient destinés à le faire briller dans la société en Amérique.

— Je conviens que les femmes sont belles en Amérique, dit M. Lundi ; mais je crois qu’un Anglais ne court aucun danger particulier d’y perdre son cœur, quand ses yeux sont habitués à la beauté de celles de son propre pays. Je bois à votre santé, capitaine.

— Cela peut être, dit M. Truck en inclinant la tête pour le remercier ; et si je suis resté garçon, je crois devoir attribuer ma mauvaise fortune au fait que j’ai si souvent vogué entre les deux pays, que je jamais pu me décider à donner la préférence aux beautés de l’un sur celles de l’autre. J’ai désiré mille fois qu’il n’y eût dans ce monde qu’une seule belle femme. Alors un homme n’aurait pas autre chose à faire que d’en devenir amoureux, et de prendre son parti de l’épouser ou de se pendre.

— Ce souhait n’est pas charitable, répliqua sir George Templemore ; nous serions certains de nous couper la gorge pour elle.

— En pareil cas, dit M. Lundi, nous autres plébéiens, nous aurions à céder le pas à la noblesse, et à nous contenter d’une compagne moins belle, quoique les Anglais aiment l’indépendance et puissent en murmurer. J’ai l’honneur de boire à votre bonheur, sir George.

— Je proteste contre votre principe, monsieur Lundi, s’écria M. Dodge. C’est une invasion des droits de l’homme. Une entière liberté d’action doit être maintenue en ce cas, comme en tout autre. Je reconnais que les Anglaises sont très-belles, mais je soutiendrai toujours la suprématie des Américaines.

— Nous boirons à leur santé, monsieur Dodge. Je suis loin de nier leur beauté, mais je crois que vous devez convenir que leur teint se fane plus vite que celui des Anglaises. Au surplus, que Dieu protège les femmes des deux pays ! je vais vider ce verre en l’honneur des unes et des autres, et ce sera de tout cœur.

— Rien n’est plus poli, monsieur Lundi ; mais je doute que je puisse donner mon approbation sans réserve à ce que vous dites du teint de nos dames.

— Vous conviendrez, Monsieur, que votre climat n’est pas le meilleur du monde ; il use la constitution du corps presque aussi vite que vos états en font une.

— J’espère qu’il n’y a aucun danger réel à appréhender du climat, dit sir George. Je déteste particulièrement les mauvais climats, et c’est pour cette raison que je me suis fait une règle de ne jamais aller dans le comté de Lincoln.

— En ce cas, sir George, vous auriez mieux fait de rester chez vous. En fait de climats, il est bien rare qu’on gagne quelque chose à quitter la vieille Angleterre. Voici la dixième fois que je vais en Amérique, — en supposant que j’y arrive, — et quoique j’aie un profond respect pour ce pays, je n’en pars jamais sans me trouver vieilli.

— Monsieur Effingham, permettez-moi de boire à votre santé.

— C’est que vous vivez trop bien, monsieur Lundi, quand vous êtes parmi nous, dit le capitaine ; on y trouve tant de morceaux friands, tant d’excellents vins, qu’un homme connu par son bon goût comme vous l’êtes, ne peut y résister. Restez moins longtemps à table et allez plus souvent à l’église, et vous nous direz quel effet produit sur vous un an de séjour en Amérique.

— Vous vous méprenez complètement sur mes habitudes, capitaine, Je vous en donne ma parole d’honneur. Je suis judicieux dans le choix de ma nourriture, — un véritable Anglais de la vieille roche à cet égard. Bien loin de donner dans la friandise, je ne demande que des viandes rôties et bouillies. Du bœuf, du mouton, du veau, du dindon, avec des pommes de terre, des carottes, des navets et quelques puddings ; il ne me faut que cela pour satisfaire mon appétit. Et pour ce qui est de boire, c’est ce qui ne m’arrive jamais.

— Mesdames, permettez-moi de vous souhaiter un heureux retour dans votre pays natal. — Toute la difficulté, Monsieur, vient de votre climat qui ne permet pas de digérer convenablement.

— Eh bien ! monsieur Lundi, je souscris à la plupart de vos opinions, et je crois que peu d’hommes ont traversé l’Océan avec plus d’harmonie dans leurs idées qu’il en a régné entre vous, sir George, et moi, dit M. Dodge en jetant un coup d’œil de côté sur les deux Effingham comme pour faire sentir qu’ils étaient dans une minorité décidée ; mais en cette occasion, je me trouve forcé de constater mon dissentiment. Je crois qu’on trouve en Amérique un aussi bon climat, et qu’on y digère aussi bien que partout ailleurs. Je ne réclame pas davantage pour ce pays, mais je ne puis me contenter de moins. J’ai voyagé un peu, Messieurs, peut-être pas autant que messieurs Effingham ; mais après tout, un homme ne peut voir que ce qu’il y a à voir, et j’affirme, capitaine Truck, que, d’après mon pauvre jugement, que je sais fort bien n’être bon à rien…

— Et pourquoi vous en servez-vous ? dit brusquement le capitaine ; que n’en consultez-vous un meilleur ?

— Il faut bien se servir de ce qu’on a, Monsieur, ou s’en passer ; — je calcule donc, dans mon pauvre jugement, plus pauvre probablement que celui de beaucoup d’autres sur ce bord, que l’Amérique est une fort bonne sorte de pays. Dans tous les cas, après avoir vu quelque chose des autres contrées, des autres gouvernements et des autres peuples, je suis d’avis que l’Amérique comme pays est assez bonne pour moi.

— Vous n’avez jamais parlé plus vrai, monsieur Dodge, et je vous prie de vous joindre à M. Lundi et à moi pour prendre un autre verre de punch, uniquement pour faciliter la digestion. Vous avez étudié la nature humaine plus que votre modestie ne vous permet de le dire, et j’ose assurer que toute la compagnie serait enchantée si vous vouliez surmonter vos scrupules et nous faire connaître votre opinion sur les différents peuples que vous avez vus. Dites-nous quelque chose du ditter que vous avez fait sur le Rhin.

— Il est à espérer que M. Dodge a dessein de publier son ouvrage, dit M. Sharp, et il serait peut-être indiscret de l’engager à le faire connaître avant la publication.

— Je vous prie, Messieurs, de n’avoir aucun scrupule à cet égard ; car mon ouvrage contiendra des observations philosophiques et générales plutôt que des anecdotes privées. — Saunders, allez me chercher un journal manuscrit que vous trouverez sur la table de notre chambre, à côté de la boîte à cure-dents de sir George. — Voici mon ouvrage, Messieurs et Mesdames, mais je vous prie de faire attention que c’est le résultat de mes premières impressions et non de mes réflexions mûries par le temps.

— Prenez un verre de punch, Monsieur, dit le capitaine, affectant de donner à tous ses traits l’air de la plus profonde attention. Il n’y a rien de tel que le punch pour éclaircir la voix. L’acide du citron dissipe l’enrouement, le sucre adoucit le son de la voix, l’eau rend la langue plus agile, et le rhum fortifie les muscles. Avec force punch, un homme serait bientôt un autre… j’oublie le nom de ce grand orateur de l’antiquité. — Ce n’était pas Vattel, quoi qu’il en soit.

— Vous voulez dire Démosthène, Monsieur, et je vous prie de remarquer que cet orateur était un républicain. Mais il ne peut y avoir aucun doute que la liberté ne soit favorable au développement des plus hautes qualités. — Voulez-vous quelques observations sur Paine, Mesdames ? ou commencerai-je par quelques extraits sur le Rhin ? — Oh ! de grâce, Monsieur, ayez la bonté de ne pas oublier Paris ! s’écria mademoiselle Viefville.

M. Dodge la salua d’un air gracieux, et ayant feuilleté quelques pages de son journal, il se trouva au cœur de cette grande cité. Après avoir toussé, il commença à lire d’un ton grave et didactique, qui prouvait assez le prix qu’il attachait à ses observations.

Déjouné à dix, suivant l’usage, heure que je trouve excessivement ridicule et inconvenante, et qui serait universellement désapprouvée en Amérique. Je ne suis pas surpris qu’un peuple devienne immoral et dépravé dans ses habitudes, quand il adopte des heures si déraisonnables. L’esprit acquiert un penchant au désordre, et toute sensibilité s’émousse quand on prend ses repas à des heures contre nature. J’attribue une grande partie de la corruption qui règne en France aux heures de la journée auxquelles on y prend sa nourriture…

— Voilà une drôle d’idée ! s’écria mademoiselle Viefville.

— Auxquelles on y prend sa nourriture, répéta M. Dodge, qui ne vit dans cette exclamation involontaire qu’une approbation de la justesse de sa remarque. Dans le fait, l’usage de boire du vin à ce repas, et l’immoralité d’une pareille heure, doivent être les principales causes qui font que les dames françaises ont coutume de boire avec excès.

— Mais, Monsieur !

— Vous voyez que mademoiselle révoque en doute l’exactitude de vos faits, dit M. Blunt, qui, de même que tous les autres auditeurs, à l’exception de sir George et de M. Lundi, commençait à s’amuser d’une scène qui n’avait d’abord promis qu’ennui et dégoût.

— Je vous donne ma parole d’honneur que je les cite d’après la meilleure autorité, sans quoi je n’aurais pas inséré dans un ouvrage qui peut avoir quelque importance une accusation aussi grave. J’ai pour garant de ce fait un Anglais qui a demeuré douze ans à Paris, et il m’a assuré que la plus grande partie des dames à la mode de cette ville, n’importe de quel pays elles soient, sont très-dissipées.

— À la bonne heure, Monsieur ; mais boire avec excès est tout différent.

— Pas autant que vous l’imaginez, Mademoiselle, dit John Effingham ; M. Dodge est puriste dans son langage aussi bien que dans sa morale, et il emploie ces expressions dans un sens différent de celui que nous y attachons, nous autres pauvres grammairiens. Quand il parle d’un homme dissipé, il veut dire un ivrogne.

— Comment ?

— Très-certainement. M. John Effingham nous rendra du moins la justice d’avouer que nous parlons notre langue, en Amérique, mieux qu’aucun autre peuple connu. — Après le déjouner, je pris un fiacre, et je me rendis au palais pour voir le roi et la famille royale partir pour Nioully.

Pour où ?

Pour Neuilly, Mademoiselle, dit Ève d’un ton grave.

— Oui, pour Nioully. — Sa Majesté était à cheval, et précédait son illustre famille et toute sa noble compagnie, portant un habit rouge, brodé en blanc sur toutes les coutures, des culottes bleues et un chapeau retroussé.

Ciel !

— Je fis au roi un salut républicain convenable, quand il passa, et il répondit par un sourire gracieux, et en m’adressant un regard plein de bonté de son œil royal. L’honorable Louis-Philippe Orléans, souverain actuel des Français, est un homme de bonne mine, ayant l’air imposant ; et dans le costume d’apparat qu’il portait en cette occasion, il semblait roi jusqu’au bout des ongles. Il monte à cheval avec grâce, et son air solennel donne à ses sujets un exemple de décorum et de gravité, qui, comme on doit l’espérer, aura une influence utile et salutaire sur les mœurs de la nation. Son air de dignité était tout à fait digne du maître d’école de Haddenfield.

— Par exemple !

— Oui, sans doute, par forme d’exemple ; c’est ce que je veux dire. — Quoique pur démocrate, et entièrement opposé à tout ce qui est exclusif, je fus particulièrement frappé de ses manières royales, et de la simplicité de son port. J’étais dans la foule à côté d’une comtesse très distinguée, qui parlait anglais ; et elle me fit l’honneur de m’inviter à aller lui rendre une visite dans son hôtel, qui était dans le voisinage de la Bourse.

Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu !

— Après avoir promis à ma belle compagne d’être ponctuel, j’allai à pied jusqu’à Notter-Dam.

— Je voudrais que M. Dodge prononçât les noms propres un peu plus distinctement, dit mademoiselle Viefville, qui commençait à prendre au sujet dont il s’agissait cet intérêt qu’excitent toujours en nous les opinions les plus absurdes, quand elles se rapportent à un objet de notre affection.

— M. Dodge est un peu profane, Mademoiselle, dit le capitaine, et peut-être son journal n’est-il pas destiné pour les dames, et il faut que vous le lui pardonniez. — Eh bien, monsieur Dodge, dans quel vilain lieu allâtes-vous ?

Notter-Dam, capitaine Truck ; et j’espère que c’est parler bon français.

— Je crois, Mesdames et Messieurs, que nous avons le droit d’exiger une traduction ; car des hommes simples qui ne connaissent que le bouilli et le rôti, comme M. Lundi et moi, sont quelquefois exposés à pleurer de ce qui devrait les faire rire, quand on leur parle autrement qu’en bon vieux anglais. — Servez-vous, monsieur Lundi, et souvenez-vous que vous ne buvez jamais.

— Je crois, Mamzelle, que Notter-Dam signifie l’église de notre mère. — Notter, ou noster, notre, et dam, mère ; Notter-Dam. Mais je vais continuer ma lecture. — Là, je fus péniblement frappé de l’irréligion de la construction de cet édifice, et de l’absence totale de piété de son architecture, quoiqu’il n’y manquât ni idolâtrie, ni eau bénite. Que de fois ai-je eu occasion de bénir la Providence de m’avoir fait descendre de ces pieux ancêtres qui jetèrent leur fortune dans le désert, plutôt que d’abandonner la foi et la charité ! Ce bâtiment est beaucoup moins commode que les églises les plus communes d’Amérique, très-inférieur sous le rapport du goût, et je ne puis en parler qu’avec une désapprobation sans réserve.

Est-il possible que cela soit vrai, ma chère ?

Je l’espère, Mademoiselle.

— Vous pouvez en désespérer, cousine Ève, dit John Effingham, dont les traits exprimaient encore plus de mépris que de coutume.

Les dames échangèrent quelques explications à demi-voix, et M. Dodge, qui s’imaginait qu’il ne fallait que la ferme résolution de paraître parfait pour l’être réellement, continua ses commentaires avec l’air content de lui-même d’un critique de province.

— De Notter-Dam, je me rendis en cabrioly au grand cimetière Père la Chaise, ainsi nommé parce que sa distance de la capitale exige que l’on prenne des chaises pour les convois.

— Quoi ? comment ? que signifie cela ? interrompit M. Truck, est-on obligé de se faire convoyer dans les rues de Paris ?

— M. Dodge veut parler du convoi qui suit un enterrement, dit mademoiselle Viefville ; mais il a prononcé ce mot à l’anglaise, ce qui a causé votre erreur.

— M. Dodge est un profond républicain, et il désire que les mots soient employés et les places données à tour de rôle. Il faut que je vous accuse d’inconstance, mon cher ami, y alla-t-il de ma vie. Vous ne prononcez certainement pas toujours vos mots de la même manière. Quand j’ai eu l’honneur de vous conduire en Europe il y a six mois, vous prononciez certains mots tout différemment qu’aujourd’hui, et j’avais alors la satisfaction de vous entendre.

— On ne voyage que pour se perfectionner, commandant, et je ne doute nullement que la connaissance que j’ai acquise des langues étrangères ne se soit considérablement augmentée par mon séjour dans les pays où on les parle.

Ici, la lecture du journal fut interrompue par une longue digression sur les langues, discussion à laquelle M. Dodge, M. Lundi, sir George Templemore et le capitaine Truck prirent la plus grande part, et pendant laquelle le bol de punch fut rempli deux fois. Nous ne rapporterons pas en entier cette partie de la conversation, qui consista principalement en lieux communs, et nous nous bornerons à citer quelques remarques, par forme d’échantillons.

— Vous me permettrez de dire, répondit M. Lundi à une des réclamations perpétuelles de M. Dodge pour faire reconnaître la supériorité de l’Amérique en toute chose, qu’il me semble fort extraordinaire que vous prétendiez qu’il faille qu’un Anglais quitte son pays pour entendre parler purement sa langue ; et moi qui connais le vôtre, je vous déclare que nulle part on ne parle un si bon anglais que dans le comté de Lancastre. Je bois à votre santé, sir George.

— Cela est plus patriotique que juste, monsieur Lundi. Tout le monde convient que les Américains des états de l’Est parlent un meilleur anglais qu’en quelque endroit que ce soit ; et je crois que tous ces messieurs m’accorderont cela.

— Au risque de passer pour n’être personne, dit le capitaine Truck, je dirai que, quant à moi, je pense que, si quelqu’un désire entendre parler l’anglais dans toute sa perfection, il faut qu’il aille passer huit à dix jours dans ce que nous appelons la Rivière. Je dois vous déclarer, monsieur Dodge, que je ne puis approuver la manière dont vous prononcez certains mots ; notamment le mot onion, que je vous ai entendu moi-même prononcer ingon pas plus tard qu’hier.

— M. Lundi trouvera peu de gens disposés à penser comme lui, que c’est dans le comté de Lancastre qu’on parle le mieux anglais, dit sir George, car je puis vous assurer que, dans la capitale, nous avons beaucoup de peine à entendre les gens qui viennent de cette province.

C’était une repartie cruelle dans la bouche d’un homme en qui M. Lundi s’attendait à trouver un allié ; mais il ne répondit rien, et il noya son mécontentement dans un verre de punch.

— Cette longue discussion a arrêté le convoi dans sa marche, capitaine, dit M. Sharp ; et, sans parler de ceux qui le suivent, je crois que M. Dodge a droit de se plaindre de cette interruption. Je le prie de vouloir bien continuer sa lecture intéressante.

M. Dodge toussa, but une gorgée de punch, se moucha, et continua ainsi qu’il suit :

— Ce célèbre cimetière est digne de sa haute réputation. Les enterrements s’y font avec la simplicité la plus républicaine. On y creuse des tranchées dans lesquelles les corps sont placés, sans aucune distinction de rang, à côté les uns des autres, suivant l’ordre dans lequel on les apporte. — Je crois, Messieurs, que cette phrase aura beaucoup de succès en Amérique, où l’idée de tout ce qui est exclusif déplaît souverainement à la majorité.

— Quant à moi, dit le capitaine, je ne trouverais pas mauvais qu’on m’exclût de cette tranchée ; on pourrait craindre de gagner le choléra, dans une compagnie si mélangée.

M. Dodge tourna quelques feuillets, et lut un autre extrait.

— Les dernières six heures ont été consacrées à une investigation profonde sur les beaux-arts, et je passai ce temps d’une manière très instructive dans les galeries du Musy.

— Où ?

— Au Musée, Mademoiselle, répondit Ève.

— Et j’y découvris des choses fort extraordinaires en peinture. Je fus particulièrement frappé de la manière dont est peinte une assiette dans le célèbre tableau des Noces de Cana. On pourrait la prendre pour de véritable porcelaine de Delft ; et, à la main d’une dame, il y avait un doigt qui semblait fait pour recevoir et conserver l’anneau matrimonial.

— Vous êtes-vous informé si elle était promise à quelqu’un ? — Monsieur Lundi, nous boirons à sa santé.

— Saint-Michel et le dragon est un chef-d’ouvry

— Un quoi ?

— Un chef-d’œuvre, Mademoiselle.

— La manière dont l’ange tient le dragon sous son pied rend celui-ci exactement semblable à un ver écrasé par le pied d’un enfant. C’est une situation plaintive et intéressante au suprême degré. Dans le fait, ces touches naturelles se trouvent en foule dans les anciens maîtres, et j’ai vu plusieurs tableaux de fruits que j’aurais pu manger. On gagne réellement de l’appétit à voir de pareilles choses, et je ne suis plus surpris qu’un Raphaël, un Titien, un Corrège, ou un Cooley…

— Et qui est ce Cooley, s’il vous plaît ? demanda M. Lundi.

— Un jeune génie de Dodgetown, qui promet d’être un jour l’honneur de l’Amérique. Il vient de peindre pour un magasin une enseigne qui, dans son genre, vaut certainement les Noces de Cana — M. Dodge reprit sa lecture. — J’ai versé des larmes sur le désespoir de Nioby ; et j’ai vu les contorsions des serpents dans le Laocoon avec un désir tellement convulsif de leur arracher leur proie, que je m’imaginais que je les entendais siffler. — Je crois que cette phrase sera citée, même dans le New-Old-New-Yorker, une des meilleures revues de notre temps, Messieurs.

— Prenez un peu plus de punch, monsieur Dodge ; ceci devient touchant, et il faut quelque chose de confortaif, comme dirait Saunders. — Monsieur Lundi, vous vous ferez une mauvaise réputation de sobriété excessive, si vous ne videz jamais votre verre. — Continuez, au nom du ciel, monsieur Dodge.

— Dans la soirée, j’allai au grand Opéré.

— Au quoi ?

— Au grand Hoppéré, Mademoiselle, dit John Effingham d’un ton caustique.

— À l’Opéra, ajouta Ève.

— Au grand Opéré, répéta avec emphase M. Dodge, dont les yeux commençaient assez souvent alors à briller, car il avait eu recours au bol de punch pour y puiser de l’inspiration ; et j’y entendis une musique bien inférieure à celle que nous entendons en Amérique, surtout aux revues et le jour du sabbat. Le manque de science y était remarquable, et si c’est là de la musique, en ce cas, je n’y connais rien.

— Remarque très-judicieuse ! s’écria le capitaine. M. Dodge a beaucoup de mérite comme écrivain, car il ne perd aucune occasion d’appuyer ses opinions sur des faits qui sont incontestables. Il a pris du goût pour Zip Coon, et pour Long-Tail-Blue, et il n’est pas étonnant qu’il n’ait que du mépris pour vos artistes inférieurs.

— Quant à la danse, continua M. Dodge, mon opinion bien décidée est que rien ne peut être pire. Le mouvement aurait mieux convenu a un enterrement qu’à un bal ; et j’affirme, sans crainte d’être contredit, qu’il n’y a pas une assemblée dans toute l’Amérique dans laquelle on n’aurait dansé un cotillon dans la moitié du temps qu’on mit à en danser un dans le baly.

— Dans le quoi ?

— Je crois que je n’ai pas donné à ce mot la véritable prononciation parisienne, Mamzelle, et qu’en France on le prononce balai.

— M. Dodge, comme capitaine de ce bâtiment, je vous offre les remerciements réunis, ou, comme le dirait Saunders, condensés, de tous les passagers pour tout ce que vous venez de nous apprendre, et nous espérons que samedi prochain vous nous accorderez le renouvellement du même plaisir. Mais comme ces dames paraissent avoir envie de dormir, que ces messieurs ne boivent plus, et que M. Lundi ne boit jamais, nous ferons bien de nous séparer, afin de nous préparer à la besogne dont il faudra s’occuper demain.

Le capitaine Truck avait fait cette proposition parce qu’il voyait que M. Dodge et M. Lundi avaient bu autant de punch que leur tête en pouvait porter, et que miss Effingham et sa compagne pensaient qu’il convenait qu’elles se retirassent. Il était vrai aussi qu’il sentait la nécessité du repos pour être en état de se livrer aux travaux importants du lendemain.

Lorsqu’on se fut séparé, au grand déplaisir de MM. Dodge et Lundi, mademoiselle Viei’ville passa une heure dans le salon d’Ève, et fit beaucoup de plaintes fort inutiles sur la manière dont l’éditeur du Furet Actif avait vu les choses à Paris ; et elle lui fit en outre plusieurs questions sur ses occupations et son caractère.

— Je ne sais trop, ma chère demoiselle, répondit Ève, si je suis en état de vous faire une description scientifique de l’individu que vous jugez digne de toutes ces questions ; mais à l’aide de ce que j’ai appris de mon cousin John, et de quelques mots échappés à M. Blunt, je crois que voici à peu près ce que c’est. — L’Amérique produisit autrefois un philosophe très-célèbre nommé Franklin.

— Comment donc, ma chère ! tout le monde le connaît.

— Ce M. Franklin commença par être ouvrier imprimeur. Mais comme il vécut longtemps et qu’il s’éleva par son mérite aux plus hautes places, il devint philosophe, comme il était devenu physicien à force d’étude et d’application. Or l’Amérique fourmille aujourd’hui d’imprimeurs qui se croient des Franklins, jusqu’à ce que le temps et l’expérience leur aient donné des leçons de modestie.

— Mais le monde n’a encore vu qu’un seul Franklin.

— Et il n’est guère probable qu’il en voie bientôt un autre. En Amérique on apprend aux jeunes gens, avec assez de raison, qu’avec du mérite ils peuvent parvenir à tout ; et, toujours suivant mon cousin John, il ne s’en trouve que trop qui s’imaginent que, parce qu’ils peuvent tirer parti des bonnes qualités qu’ils peuvent avoir, quelles qu’elles soient, ils sont réellement propres à tout. M. John convient que cette circonstance, particulière au pays, fait beaucoup de bien, mais il soutient en même temps qu’elle fait beaucoup de mal en donnant des prétentions à une foule de gens sans aucun mérite ; il dit que M. Dodge est de ce nombre. Au lieu de travailler à la partie mécanique d’une presse, ce qui était son premier métier, il a eu l’ambition d’en diriger la partie intellectuelle, et il est devenu l’éditeur du Furet Actif.

— Ce doit être un journal bien utile.

— Il répond probablement à ses vues. Vous avez dû voir que c’est un homme ignorant et plein de préjugés de province, qu’il fait sans doute circuler dans son journal, avec tout ce que peuvent y ajouter l’animosité personnelle, l’envie et la malignité, qui sont le caractère distinctif des hommes à prétentions, qui s’imaginent n’avoir que de l’ambition. Mon cousin John assure que l’Amérique est pleine de gens comme lui.

— Et que dit M. Effingham ?

— Oh ! mon père est toute bonté, toute charité, vous le savez ; et il ne regarde que le beau côté du tableau ; car il soutient que l’activité et l’élasticité d’un tel état de choses produit de bons résultats. Tout en avouant qu’il existe un grand fonds d’ignorance grossière qu’on décore du nom de savoir, — une intolérance à vues étroites qui se masque sous le nom de principes et d’amour de la liberté, un goût pour les personnalités grossières, aussi contraires au bon goût qu’à la justice, — il prétend qu’au total le résultat en est bon.

— En pareil cas, il faut un arbitre. — Vous me parliez de quelques mots échappés à M. Blunt. — Comme ce jeune homme parle bien français !

Ève hésita, rougit un peu, et répondit enfin :

— Je ne sais trop si je dois parler de l’opinion de M. Blunt, en opposition avec celles de mon père et de mon cousin John sur un pareil sujet ; il est fort jeune, et il est même encore très-douteux qu’il soit Américain.

— Tant mieux s’il ne l’est pas, ma chère ! Il a passé longtemps en Amérique, et ce n’est pas l’indigène qui est le meilleur juge d’un pays, quand l’étranger a eu beaucoup d’occasions de voir et de comparer.

— D’après ce principe, dit Ève en riant, vous êtes donc disposée à renoncer à votre propre jugement sur la France, quant aux différents points sur lesquels j’ai le malheur de ne pas être d’accord avec vous ?

— Pas tout à fait. L’âge et l’expérience doivent compter pour quelque chose.

— M. Blunt, à ce que je crains, penche pour l’opinion de mon cousin John, plutôt que pour celle de mon père. Il dit qu’une foule de gens, ayant le caractère, les penchants, l’intolérance, la méchanceté, l’ignorance, la grossièreté, et tous les autres vices de M. Dodge, se sont presque exclusivement emparés de la presse en Amérique ; il prétend même qu’ils y font un mal incalculable, en exerçant de l’influence sur ceux qui sont dépourvus des moyens d’être mieux instruits ; — en érigeant l’envie et la jalousie en principes et en justice ; — en substituant, — je cite ses propres expressions, Mademoiselle, ajouta Ève, rougissant de la fidélité de sa mémoire, — en substituant des idées nées d’une ignorance provinciale, au bon goût et à la libéralisé ; — en confondant les vrais principes de la liberté avec une basse jalousie et le désir d’arriver aux places occupées par d’autres ; — enfin en perdant entièrement de vue leurs devoirs envers le public, pour ne songer qu’à leur intérêt personnel. Il dit que le gouvernement de ce pays est, par le fait, une pressocratie, et une pressocratie qui pour se faire pardonner n’a pas du moins le mérite d’avoir des principes, du goût, des talents et des connaissances.

— ce M. Blunt est entré dans de grands détails, et il ne manque pas d’éloquence, dit mademoiselle Viefville d’un ton grave ; car la prudente gouvernante ne manqua pas de remarquer que le langage d’Ève, en cette occasion, était si différent de celui qui lui était habituel, qu’elle pensa qu’il n’était que trop vrai qu’elle citait littéralement. Pour la première fois, ses soupçons s’éveillèrent péniblement, et elle sentit qu’il était de son devoir de surveiller plus exactement les relations de sa pupille avec les deux jeunes gens aimables que le hasard leur avait donnés pour compagnons de voyage. Après quelques instants de silence passés à réfléchir, elle reprit le fil de leur conversation :

— Ce M. Dodge est-il assez ridicule ?

— Sur ce point, il ne peut du moins y avoir aucune méprise. Et cependant mon cousin John prétend que toutes les sottises que nous venons d’entendre seront données à ses lecteurs comme des aperçus d’Europe dignes de leur attention.

— Mais ce conte du roi, ma chère ! c’est trop fort.

— Avec l’habit brodé sur toutes les coutures et le chapeau retroussé !

— Et l’honorable Louis-Philippe d’Orléans !

— Orléans, Mademoiselle ; d’Orléans serait anti-républicain.

Elles se regardèrent l’une et l’autre quelques instants en silence ; et quoique aucune d’elles ne manquât de retenue, elles partirent toutes deux d’un grand éclat de rire, qui se prolongea longtemps. Ève surtout, inspirée par la vivacité de la jeunesse, et par la forte impression que faisait toujours sur elle ce qui était absurde et ridicule, se livra tellement à cet accès de gaieté, que ses beaux cheveux tombèrent en désordre sur ses joues, et que ses yeux brillants semblèrent inondés de joie.


  1. On ne se sert pas d’horloge à bord des bâtiments ; on emploie des salinières, qui durent une demi-heure, et les heures s’indiquent en frappant sur une cloche de demi-heure en demi-heure. Le jour commence à midi, heure qui est déterminée par la hauteur du soleil, et qui marque le commencement d’un quart, dont chacun dure quatre heures. À midi et demi on frappe un coup ; deux à une heure, et ainsi de suite, un coup de plus de demi-heure en demi-heure jusqu’à quatre heures, où l’on frappe huit coups, ce qui annonce la fin du quart et le commencement d’un autre ; pendant lequel on recommence à marquer chaque demi-heure de la même manière. Le mot piquer est un terme de marine employé pour frapper.