Le Jour de Saint-Valentin ou La Jolie Fille de Perth
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 23p. 46-54).


CHAPITRE IV.

L’ESCALADE.


Qu’est-ce que tout ce tumulte ? En vérité, ce ne sont que les palpitations de deux pauvres jeunes cœurs.
Dryden.


Comme on peut le croire, le robuste armurier ne se fit pas attendre au rendez-vous marqué par celui qui voulait devenir son beau-père. Il procéda à sa toilette avec plus de soin que d’ordinaire, jetant dans l’ombre autant que possible les pièces de son accoutrement qui avaient un air militaire. Il était trop bien connu pour se hasarder à sortir entièrement désarmé dans une ville où il avait sans doute plusieurs amis, mais dans laquelle ses anciens exploits lui avaient fait plus d’un mortel ennemi : et il savait, qu’en cas de mauvaise rencontre, il n’avait pas de merci à espérer. Il portait donc sous son justaucorps un secret, c’est-à-dire une cotte de mailles, si légère et si flexible qu’elle ne gênait pas plus ses mouvements que n’aurait fait ce que nous appelons aujourd’hui un gilet de dessous, et pourtant cette armure était si bien éprouvée qu’il n’avait absolument rien à craindre, chaque anneau étant travaillé et réuni aux autres de ses propres mains. Par-dessus, il portait, comme tous les hommes de son âge et de sa classe, la culotte et le pourpoint flamands, qui, en honneur de la fête, étaient de drap bleu anglais superflu, tailladé de satin blanc et galonné, c’est-à-dire brodé de soie noire. Ses bottes étaient en cuir de Cordoue ; son manteau, en bon drap gris d’Écosse, servait à cacher un couteau de chasse, sa seule arme offensive ; car il ne tenait à la main qu’une baguette de houx. Son bonnet de velours noir était garni intérieurement de bandes d’acier, et lui procurait ainsi un moyen de défense sur lequel il pouvait compter.

Bref, Henri semblait, et il en avait bien le droit, un bourgeois riche et considéré, déployant dans son costume autant d’importance qu’il s’en pouvait donner, mais sans aller plus haut que son rang ni empiéter sur celui des nobles. D’ailleurs, sa démarche, franche et virile, quoique annonçant une indifférence complète pour le danger, le distinguait parfaitement de ces braves, de ces ferrailleurs du jour, au nombre desquels Henri était quelquefois compté par les personnes qui imputaient ses querelles fréquentes à un naturel disputeur et violent, soutenu par la conscience de sa force personnelle et de son adresse à manier les armes ; au contraire, toute sa figure respirait l’air d’aisance et de bonne humeur d’un homme qui ne songeait pas plus à faire mal aux autres qu’il ne craignait d’en recevoir d’eux.

Ainsi équipé de son mieux, l’honnête armurier plaça le plus près possible de son cœur, et alors ce cœur battit bien fort, un petit cadeau qu’il destinait depuis long-temps à Catherine Glover, et que son titre de Valentin allait actuellement lui donner le droit de présenter, sans qu’aucun scrupule pût empêcher la jeune fille de le recevoir. C’était un petit rubis, taillé en forme de cœur, percé d’une flèche d’or et renfermé dans une petite bourse faite d’anneaux en acier, travail digne de l’armure d’un roi. Autour de la charnière on lisait ces mots :

À travers l’acier protecteur,
Les traits d’amour percent un cœur.

Cette devise avait coûté quelques réflexions à l’armurier, et il était ravi de sa composition, parce qu’elle semblait indiquer que son habileté pourrait défendre tous les cœurs, hormis le sien. Il s’enveloppa dans son manteau, et marcha lestement par les rues encore silencieuses, voulant se trouver en face de la fenêtre désignée un peu avant le point du jour.

Dans cette intention il traversa High-Street, et à l’endroit où l’on voit aujourd’hui l’église de Saint-Jean, il enfila une ruelle pour gagner Couvrefew-Street. Il s’aperçut alors, à l’épaisseur des ténèbres, qu’il était parti au moins une heure trop tôt pour son projet, et il réfléchit qu’il vaudrait mieux n’arriver au rendez-vous qu’à peu près à l’heure marquée. Il était assez probable que d’autres galants seraient, comme lui, aux aguets devant la maison de la Jolie Fille de Perth ; et il connaissait trop son faible pour ne pas sentir qu’il faudrait dégainer s’il restait là. « L’amitié de mon père Simon, pensa-t-il, m’assure la préférence sur mes rivaux ; et pourquoi souillerais-je mes doigts du sang de pauvres créatures d’autant moins dignes de mon attention qu’elles sont moins heureuses que moi ? Non… non… Je serai sage une fois, et m’éloignerai de toute occasion de disputes. Ils n’auront pas plus de temps pour me chercher querelle qu’il n’en faudra à moi pour donner le signal, et au père Simon pour y répondre. Je ne sais comment le vieillard parviendra à faire mettre sa fille à la fenêtre. Si elle entrevoit son dessein, j’ai peur qu’il n’ait grand’peine à l’exécuter. »

Tandis que ces amoureuses pensées traversaient son esprit, l’armurier se promenait lentement, tournant souvent les yeux vers l’orient, regardant sans cesse le ciel où ne se montrait encore aucune teinte grise qui annonçât l’approche de l’aurore ; il semblait à l’impatience du robuste armurier que le jour tardait plus que de coutume à dorer le faîte de la tour orientale. Il passait alors sous les murs de la chapelle Sainte-Anne, ne manquant pas de se résigner et de dire un Ave, en marchant en terre sainte, lorsqu’une voix qui semblait partir de derrière un des arcs-boutants, dit : « Il marche au pas, celui qui devrait courir. — Qui parle ainsi ? » dit l’armurier, regardant autour de lui et un peu étonné du ton et du sens de cette interpellation inattendue.

« Peu importe qui parle, répondit la voix ; fais grande diligence, ou tu arriveras trop tard. Pas un seul mot, mais pars. — Saint, pécheur, ange ou démon, » dit Henri en se signant, « ton avis me touche trop vivement pour que je le néglige. Saint Valentin me donne des ailes. »

Sur-le-champ il quitta son allure nonchalante pour prendre un pas que peu de gens auraient pu suivre, et fut en un instant dans Couvrefew-Street. Il n’avait point fait trois pas vers la maison de Simon Glover, qui était située assez avant dans la rue, que deux hommes sortirent de dessous les maisons, des deux côtés opposés, et s’avancèrent comme de concert pour lui intercepter le passage. Un faible crépuscule lui permit seulement de distinguer qu’ils portaient le plaid des Highlandais.

« Débarrassez le chemin, bandits ! » s’écria l’armurier d’une voix forte et retentissante, digne de la largeur de sa poitrine.

Ils ne firent aucune réponse intelligible ; mais Smith put voir qu’ils tiraient leurs sabres avec l’intention de lui opposer la violence. Pressentant quelque malheur dont il ne pouvait deviner l’espèce, Henri se détermina aussitôt à se frayer un passage par-dessus le corps des inconnus, et à défendre sa maîtresse, ou du moins à mourir à ses pieds. Il jeta son manteau sur son bras gauche, en guise de bouclier, et s’avança d’un pas ferme vers les deux hommes. Le plus proche lui porta une botte ; mais Henri Smith, parant le coup avec son manteau, et s’élançant en même temps sur lui, le coucha roide sur le pavé ; presque au même instant, il appliqua si vigoureusement un coup de son couteau de chasse à son ennemi de sa droite, que le drôle alla tomber auprès de son complice. Cependant l’armurier commençait à s’alarmer sérieusement, et la circonstance de la rue gardée par des étrangers qui employaient de telles violences, lui donnait un juste motif de craintes. Il entendit un chuchotement et un léger bruit près de la maison du gantier, précisément sous la fenêtre d’où Catherine devait le saluer comme son Valentin. Il prit par l’autre côté de la rue, pour tâcher de reconnaître le nombre et l’intention des gens qu’il entendait ; mais un personnage de la troupe apercevant le brave armurier, et le prenant sans doute pour un de leurs sentinelles, traversa la rue et lui demanda à voix basse, « quel était donc ce bruit, Kenneth ? pourquoi ne pas donner le signal ? — Brigand, dit Henri, vous êtes découvert, et vous allez recevoir la mort. »

À ces mots, il assena à l’étranger un coup de son arme, qui aurait probablement justifié ses paroles, si l’homme n’eût levé le bras pour se garantir, et n’eût reçu sur la main le coup destiné à sa tête. Néanmoins la blessure fut terrible, car il chancela, et tomba avec un grand cri de douleur. Henri Smith, sans s’en occuper davantage, s’avança vers un groupe d’hommes qui semblaient s’occuper à placer une échelle contre la fenêtre. Henri ne s’arrêta ni à les compter, ni à s’assurer de leur projet. Mais, criant le mot d’alarme de la ville, et donnant le signal auquel les bourgeois avaient coutume de se rassembler, il s’élança sur les coureurs de nuit dont un gravissait déjà l’échelle. Le forgeron la saisit par le bas et la renversa sur le pavé, puis, plaçant le pied sur l’homme qui était tombé, il l’empêcha de se relever. Les complices frappaient à coups redoublés sur Henri, pour dégager leur compagnon. Mais la cotte de mailles le protégeait efficacement ; il leur rendait leurs coups avec usure, en criant toujours : « Au secours, au secours, vaillant Saint Johnston ! arcs et lances, braves citoyens ! arcs et lances ! on enfonce nos portes à la faveur des ténèbres. »

Ces mots, qui résonnaient au loin, étaient accompagnés d’autant de coups furieux, assenés avec bon effet sur les coquins que l’armurier avait assaillis. Cependant les habitants de la rue commençaient à s’éveiller et sortaient en chemise, avec des sabres et des targes, quelques-uns avec des torches. Alors les assaillants cherchèrent à s’échapper, et tous y réussirent, à l’exception de l’homme qui avait été renversé avec l’échelle. Celui-là, l’intrépide armurier l’avait saisi par le cou dans le combat et le serrait aussi fort que les lévriers serrent le lièvre. Les blessés furent emportés par leurs camarades.

« Voilà des espèces de drôles qui troublent la paix de la ville, » dit Henri aux voisins qui commençaient à s’attrouper ; « poursuivez les brigands, ils ne peuvent pas tous échapper, car j’en ai blessé quelques-uns ; leur sang vous guidera. — Quelques scélérats des montagnes… dirent les citoyens… allons, en chasse, voisins ! — Oui, la chasse, la chasse… mais laissez-moi veiller sur le coquin que voici, » répondit l’armurier.

Les bourgeois se dispersèrent aussitôt dans diverses directions ; leurs torches éclairaient les rues, et leurs cris retentissaient à travers les quartiers d’alentour.

Cependant le prisonnier du forgeron le suppliait de le lâcher, employant promesses et menaces pour obtenir sa liberté. « Si tu es gentilhomme, disait-il, laisse-moi aller, et tout ce qui s’est passé sera pardonné. — Je ne suis pas gentilhomme, répondait Henri… je suis forgeron du Wing, bourgeois de Perth ; et je n’ai rien fait pour avoir besoin de votre pardon. — Scélérat ! tu sais bien ce que tu as fait ; mais laisse-moi aller, et je remplirai ton bonnet de pièces d’or. — Je vais remplir le tien d’une tête fendue, et à l’instant, si tu ne restes pas tranquille comme un loyal prisonnier. — Qu’est-ce donc, mon fils Henri ? » demanda Simon, qui se montra alors à la fenêtre… « j’ai entendu ta voix sur un autre ton que celui auquel je m’attendais… Pourquoi tout ce bruit ? pourquoi les voisins se mettent-ils en campagne ? — C’est une bande de pendards qui a voulu escalader vos fenêtres, père Simon ; mais il est à présumer que je serai parrain de l’un d’eux que je tiens ici aussi serré qu’une barre de fer fut jamais serrée par un étau. — Écoutez-moi, Simon Glover, dit le prisonnier ; laissez-moi vous dire un mot en particulier, et délivrez-moi des mains de ce rustre à doigts de fer et à caboche de plomb : vous allez comprendre qu’on ne vous voulait aucun mal ni à vous ni aux vôtres ; et de plus je vous dirai quelque chose qui peut tourner à votre avantage. — Je connais cette voix-là, » dit alors Simon Glover, qui était descendu à la porte avec une lanterne sourde à la main. « Fils Smith, laisse ce jeune homme me parler. On n’a rien à craindre de lui, je te l’assure. Reste un instant où tu es, et ne laisse entrer personne dans la maison, ni pour l’attaquer ni pour la défendre. Je parierais que ce gaillard n’avait en tête qu’une plaisanterie de Saint-Valentin. »

Ainsi parlant, le vieillard entraîna le prisonnier et ferma la porte, laissant Henri un peu étonné de la manière inattendue dont son beau-père considérait cette alarme. « Une plaisanterie ! dit-il ; c’eût été une singulière plaisanterie, s’ils étaient entrés dans la chambre à coucher de la jeune fille !… et ils l’eussent fait sans l’admonition amicale de cette honnête voix qui me parla de derrière les piliers, et si ce n’était pas la bienheureuse sainte elle-même (que suis-je cependant pour que cette pieuse patronne me parle ?)… du moins cette voix n’a pu retentir en cet endroit qu’avec sa permission et son consentement ; c’est pourquoi je lui voue un cierge de cire aussi long que mon couteau de chasse… Et quand j’y pense, j’aurais bien voulu avoir en place de mon couteau mon épée à deux mains pour l’amour de Saint-Johnston, et ces brigands… Car, sur ma parole, ces couteaux de chasse sont de jolies babioles, mais elles conviennent mieux à la main d’un enfant qu’à celle d’un homme. Oh ! mon vieux Troyen, si tu eusses été à ma ceinture aussi bien que tu es à cette heure au chevet de mon lit, les jambes de ces brigands n’auraient pas emporté leurs corps si vite du champ de bataille… Mais voici des torches allumées et des sabres nus… Holà ! ho !… êtes-vous pour Saint-Johnston ?… si vous êtes amis de la jolie ville, vous êtes les bien venus… — Nous avons chassé sans rien prendre, dirent les citoyens, nous avons suivi des traces de sang qui nous ont menés dans le cimetière des dominicains, et nous avons aperçu au milieu des tombeaux deux coquins qui en soutenaient un troisième, qui probablement portait une de vos marques sur le corps, Henri. Ils sont arrivés à la porte de la poterne avant que nous eussions pu les rejoindre, et ont sonné la cloche du sanctuaire. La porte s’est ouverte, ils sont entrés. Ainsi les voilà en sûreté dans le lieu saint, et nous pouvons retourner à nos lits pour nous réchauffer. — Oui, dit quelqu’un de la troupe, ces bons dominicains ont toujours un de leurs pieux frères tout prêt à ouvrir la porte du sanctuaire à la pauvre âme qui, en peine, désire se réfugier dans l’église. — Oui, dit un second, si la pauvre âme poursuivie peut bien payer ; mais vraiment, si l’on est aussi pauvre de bourse que troublé d’esprit, on peut rester dehors jusqu’à ce que les chiens vous aient atteint. »

Un troisième, qui avait jusqu’alors regardé à terre à la lumière de sa torche, leva les yeux et parla. C’était un petit homme vif, hardi, gros de corps, appelé Olivier Proudfute, raisonnablement riche, et homme considéré dans sa corporation, qui était celle des bonnetiers. Il parla donc avec un ton d’autorité : « Peux-tu me dire, joyeux forgeron, » car on commençait à se reconnaître à la lueur des torches : Peux-tu me dire de quelle espèce étaient les drôles qui ont excité ce tumulte dans notre ville ? — Autant que j’ai pu m’en assurer, les deux premiers que j’ai vus, répondit l’armurier, m’ont semblé porter des plaids de montagnards. — C’est probable… assez probable, » répliqua un citoyen en branlant la tête. « C’est une honte que les brèches de nos murailles ne soient pas réparées, et que ces maraudeurs, ces brigands de montagnards puissent se permettre de tirer du lit les honnêtes gens, hommes et femmes, pendant les nuits les plus sombres. — Mais regardez ceci voisins, » dit Olivier Proudfute, en montrant une main sanglante qu’il avait ramassée à terre. » Une main comme celle-ci a-t-elle jamais attaché des brogues de montagnards ? Elle est forte et large, il est vrai, mais aussi douce qu’une main de dame, et elle porte un anneau qui brille comme une chandelle allumée. Simon Glover a fait bien des gants pour cette main avant aujourd’hui, si je ne me trompe fort, car il travaille pour les courtisans. » Les spectateurs commencèrent à regarder le membre sanglant avec divers commentaires. — En ce cas, reprit l’un d’eux, Henri Smith aurait mieux fait de montrer déjà s’il joue bien des jambes ; car la justice trouvera que la défense de la maison d’un bourgeois est à peine une excuse pour couper la main d’un gentilhomme. Il y a de rigoureuses lois contre la mutilation. — Fi donc ! osez-vous parler ainsi, Michel Wabster ? répliqua le bonnetier. Ne sommes-nous pas les représentants et les successeurs de ces anciens et vaillants Romains, qui bâtirent Perth aussi semblable que possible à leur propre ville ? Et voulez-vous que nous abandonnions à présent nos droits, privilèges et immunités, nos titres à saisir les coupables et leurs biens, à confisquer, emprisonner et punir de mort ; nos amendes, nos droits d’aubaine et le reste ? Souffrirons-nous qu’on donne l’assaut à la maison d’un honnête bourgeois sans que nous en tirions vengeance ? Non, braves citoyens, artisans et bourgeois ; le Tay remontera à Dunkeld avant que nous supportions paisiblement de semblables injures ! — Et comment pourrons-nous l’empêcher ? » dit un grave vieillard qui se tenait appuyé sur un large glaive à deux mains ; « qu’avons-nous à faire ? — Ah ! bailli Craigdallie, je m’étonne que la question vienne de vous. J’aurais voulu que nous allassions de ce pas, braves gens que nous sommes, trouver Sa Majesté le roi, le réveiller de son royal sommeil, et lui exposer l’affaire désastreuse qui nous a forcés à sortir de nos lits en cette saison, sans autres vêtements que nos chemises ; je lui aurais montré ce sanglant témoignage, et j’aurais su par la bouche royale de Sa Majesté s’il est juste et honnête que les bons sujets soient ainsi traités par les chevaliers et les nobles de sa cour dissolue. Et c’est là ce que j’appelle pousser notre cause chaudement. — Chaudement, dites-vous ? répliqua le vieux bourgeois ; ma foi, si chaudement que nous serions tous morts de froid, confrère, avant que le portier eût trouvé la clef pour nous introduire en présence du roi. Allons, amis, la nuit est glacée ; nous avons fait, en gens de cœur, nos rondes et nos patrouilles ; et notre joyeux Smith a donné à nos adversaires une correction qui vaudra vingt proclamations du roi. Demain, ce sera une autre affaire ; nous délibérerons là-dessus dans ce lieu même, et nous aviserons aux mesures à prendre pour découvrir et arrêter les coupables. C’est pourquoi nous ferons bien de nous séparer avant que le sang se fige dans nos veines. — Bravo ! bravo ! voisin Craigdallie ; Saint-Johnston à jamais ! »

Olivier Proudfute voulut encore parler, car c’était un de ces orateurs qui pensent que leur éloquence peut triompher des injures du temps, des lieux et des circonstances ; mais personne ne voulut l’écouter, et les citoyens se dispersèrent pour retourner chacun chez eux, à la lueur de l’aurore qui commençait à blanchir à l’horizon.

Ils étaient à peine partis que la porte de la maison du gantier se rouvrit ; Simon Glover vint prendre Henri par la main, et le fit entrer.

« Où est le prisonnier ? demanda l’armurier.

« Il est sauvé… échappé… enfin… que sais-je, moi ? Il a passé par la porte de derrière, puis par le petit jardin. Ne pense plus à lui ; mais viens voir la Valentine dont tu as sauvé ce matin la vie et l’honneur. — Laissez-moi seulement rengainer mon couteau, et me laver les mains. — Il n’y a pas de temps à perdre ; elle est levée et presque habillée. Viens, compère ; elle te verra avec ta bonne lame dans la main, et le sang des bandits sur les doigts, afin d’apprendre à bien apprécier les services d’un brave homme. Voilà long-temps qu’elle me ferme la bouche avec ses pruderies et ses scrupules ; je veux qu’elle sache ce que vaut l’amour d’un homme courageux, et d’un hardi bourgeois par-dessus le marché. »