Le Jour de Saint-Valentin ou La Jolie Fille de Perth
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 23p. 38-46).


CHAPITRE III.

JALOUSIE.


D’où venait Smith ? chevalier, écuyer, ou seigneur, il était toujours le fils d’un forgeron.
Verstegan.


Le cœur de l’armurier, gros d’émotions différentes et contraires, battait si fort, qu’il semblait vouloir briser la veste de cuir dont il était recouvert. Il se leva, détourna la tête et tendit la main au gantier, sans montrer sa figure, comme s’il eût craint de laisser lire son trouble sur sa physionomie.

« Que je sois pendu si je te dis adieu, l’ami ! » s’écria Simon, frappant le plat de sa main sur celle que l’armurier lui présentait : « je ne te serrerai pas la main avant une heure pour le moins. Demeure un seul instant, l’ami, et je t’expliquerai tout cela ; et sûrement quelques gouttes de sang après une égratignure, quelques sottes paroles sorties des lèvres d’une folle, ne sépareront pas le père et le fils quand ils sont restés si long-temps sans se voir. Demeure donc, mon ami, si tu souhaites jamais la bénédiction d’un père et celle de saint Valentin ; car c’est aujourd’hui la sainte veille de sa fête. »

Le gantier appela aussitôt Dorothée ; et après qu’un trousseau de clefs eut bien sonné, qu’on eut monté et descendu l’escalier, Dorothée parut, portant trois larges gobelets de verre vert, qu’on regardait alors comme une grande et précieuse curiosité. Maître Glover suivait portant une vaste bouteille, contenant au moins trois doubles pintes de nos jours dégénérés… « Voici une coupe de vin, Henri, qui a au moins le double de mon âge ; c’est un cadeau que reçut mon père du vieux Crubbe, fameux ingénieur flamand, qui défendit Perth si vigoureusement sous la minorité de David II. Nous autres gantiers, nous pouvons encore faire quelque chose en temps de guerre, quoique la guerre nous regarde moins que vous, qui travaillez en acier et en fer. Et mon père avait plu au vieux Crubbe… Quelque autre jour je te dirai pourquoi, et aussi comment ces bouteilles sont restées enfouies sous terre pendant long-temps pour les préserver des pillards du sud. Aussi viderai-je une coupe au repos de l’âme de mon vénérable père… puissent ses péchés lui être remis ! Dorothée, tu vas faire raison à ce toast, et puis tu monteras dans ta mansarde. Je sais que les oreilles te démangent toujours, ma vieille ; mais j’ai à dire des choses qu’Henri Smith, le fils de mon adoption, doit seul entendre. »

Dorothée ne se hasarda point à répondre ; mais vidant courageusement son verre ou plutôt son gobelet, elle se retira dans sa chambre à coucher, en conséquence des ordres de son maître : les deux amis restèrent seuls.

« Je suis très-affligé, Henri mon ami, » dit Simon en remplissant son verre et celui de son hôte ; « je suis très-affligé, sur mon âme, que ma fille prenne cette sotte humeur. Mais tu pouvais, il me semble, ne pas la faire naître. Pourquoi venir ici faire le tapageur avec ton sabre et ton poignard, quand cette fille est assez folle pour n’en pouvoir supporter la vue ? Ne te rappelles-tu pas que tu as eu une espèce de querelle avec Catherine avant ton dernier départ de Perth, parce que tu ne voulais pas faire comme nous autres honnêtes et paisibles bourgeois, mais sortir toujours armé comme un de ces bandits militaires qui escortent la noblesse ? Certainement, il est assez temps pour de dignes bourgeois de s’armer quand sonne la cloche commune qui nous ordonne de prendre le harnais de guerre. — Ma foi, mon bon père, ce n’est pas ma faute ; mais je n’étais pas plus tôt descendu de bidet, que je suis accouru ici pour vous apprendre mon retour, et vous demander la permission d’être le Valentin de miss Catherine pour l’année ; mistress Dorothée m’a dit que vous étiez allé entendre l’office au couvent des moines noirs. J’ai donc cru devoir m’y rendre aussi, tant pour assister au service avec vous que pour voir une personne qui pense assez peu à moi… Notre-Dame et saint Valentin me pardonnent ! Comme vous entriez dans l’église, il m’a semblé apercevoir deux ou trois hommes de mauvaise mine, tenant conseil ensemble, et vous regardant vous et elle. Il y avait là surtout sir John Ramorny, que j’ai bien reconnu malgré son déguisement, malgré la mouche de velours qui lui couvrait l’œil, et son manteau de domestique. Il m’a donc semblé, père Simon, que vous étiez trop vieux, et ce brin de montagnard un peu trop jeune pour livrer bataille ; qu’ainsi je devais vous suivre tranquillement, ne doutant pas de pouvoir mettre à la raison, avec les outils que je porte sur moi, quiconque viendrait vous troubler en route. Vous savez que vous m’avez vous-même aperçu, entraîné dans votre maison, de gré ou de force ; autrement, je vous promets que je n’aurais pas vu votre fille avant d’avoir mis la veste neuve qu’on m’a faite à Berwick, à la mode la plus nouvelle ; et je ne me serais pas présenté devant elle avec ces armes qui lui déplaisent tant, quoique, à vrai dire, j’aie tant de mortels ennemis, pour tel ou tel malheureux motif, qu’il m’est aussi nécessaire qu’à personne en Écosse de ne pas sortir la nuit sans armes. — Cette jeune folle ne pensera jamais à cela, dit Simon Glover ; elle n’a jamais assez de bon sens pour songer que, dans notre cher pays natal d’Écosse, tout homme regarde comme son privilège et son devoir de se faire lui-même justice. Mais, Henri, mon garçon, tu es blâmable de prendre ses paroles tant à cœur. Je t’ai vu assez hardi avec d’autres filles, pourquoi rester ainsi bouche close et langue liée avec elle ? — Parce qu’elle ne ressemble guère aux autres filles, père Glover ; parce qu’elle est non-seulement plus belle, mais plus sage, plus noble, plus sainte, et me semble formée d’une argile moins grossière que ceux qui l’approchent. Je puis tenir la tête assez haute avec le reste des fillettes autour du mai ; mais je ne sais pourquoi, quand j’approche de Catherine, je me trouve une créature mondaine, épaisse, féroce, digne à peine de la regarder, moins encore de contredire les préceptes de conduite qu’elle veut bien me dicter. — Vous êtes un imprudent acheteur, Henri Smith, répondit Simon, et vous estimez trop cher les marchandises que vous voulez acheter. Catherine est une bonne enfant et ma fille ; mais si vous en faites une guenon obstinée par votre timidité et vos flatteries, ni vous ni moi ne verrons nos vœux s’accomplir. — J’en ai souvent peur, mon bon père ; car je songe combien peu je mérite Catherine. — Songe à un bout de fil ! songe à moi, Smith, mon ami, à Catherine et à moi. Songe comment la pauvre petite est assiégée du matin au soir ; et par quelle espèce de gens, lors même que les fenêtres sont fermées et les portes closes. Nous avons été aujourd’hui accostés par un jeune seigneur trop puissant pour être nommé, oui, et il n’a point caché son déplaisir de ce que je n’ai pas voulu lui permettre de conter fleurettes à ma fille dans l’église même pendant que le prêtre officiait. Il y en a d’autres encore moins raisonnables. Je souhaiterais parfois que Catherine fût un peu moins jolie, et qu’elle ne s’attirât point cette dangereuse espèce d’admiration ; ou un peu moins sainte, et qu’elle consentît à devenir une honnête épouse, heureuse avec le vigoureux Henri Smith, qui pourrait défendre sa femme contre tout rejeton de la chevalerie à la cour d’Écosse. — Et si je ne la défendais pas, » dit Henri en avançant un bras et une main qui, pour les os et les muscles, auraient pu appartenir à un géant, « je ne voudrais plus de ma vie frapper un marteau sur une enclume. Oui, si la chose arrivait, ma jolie Catherine verrait qu’il n’est pas mauvais qu’un homme puisse aviser à se défendre. Mais je crois qu’elle regarde le monde entier comme une grande cathédrale, et que tous les habitants de ce monde doivent se comporter comme s’ils assistaient à une messe éternelle. — En vérité, elle exerce une étrange influence sur tous ceux qui l’approchent ; ce jeune montagnard Conachar, qui me trouble la tête depuis deux ou trois ans, quoique tu puisses voir qu’il a tout l’esprit de ses compatriotes, obéit au moindre signe que lui fait Catherine, et il n’y a guère qu’elle pour lui commander dans la maison. Elle se donne beaucoup de peine pour le guérir de ses sauvages habitudes de montagnard. »

Ici Henri Smith s’agita sur sa chaise, prit la bouteille, la replaça, et enfin s’écria : « Le diable emporte ce jeune chien de montagnard et tous ses proches ! à quoi Catherine songe-t-elle donc pour instruire un drôle tel que lui ? Il fera comme le louveteau à qui j’avais eu la sottise de donner l’éducation d’un chien : tout le monde le croyait apprivoisé, jusqu’au jour où j’allai par malheur me promener sur la montagne de Monterief ; là il s’élança sur les moutons du laird, dont il fit un horrible carnage qui m’eût coûté cher si le laird n’avait pas alors eu besoin d’une armure. Et je m’étonne que vous, homme de bon sens, père Simon, vous laissiez ce jeune drôle de montagnard… c’est un beau garçon, je vous assure… si près de Catherine, comme s’il n’y avait que votre fille pour lui servir de maîtresse d’école.

« Fi ! mon fils, fi donc !… À présent te voilà jaloux d’un pauvre jeune homme qui, pour te dire la vérité, n’est ici que parce qu’il se trouve moins bien de l’autre côté de la montagne. — Oui, oui, père Simon, » répliqua le forgeron qui avait toutes les idées étroites du bourgeois de son temps, « si je ne craignais de vous offenser, je dirais que vous laissez prendre trop de liberté à ces polissons de montagnards. — Il faut que j’achète quelque part mes cuirs de daim, mes peaux de chevreau, mon bon Henri, et les montagnards les donnent à bon marché. — La chose leur est possible, » repartit sèchement Henri ; « car ils ne vendent rien qu’ils n’aient volé.

« Bien, bien. Je ne dis pas non ; mais ce n’est pas mon affaire de savoir où ils vont acheter l’animal lorsque j’en achète la peau. Comme je te le disais, il y a certaines considérations pour lesquelles je tiens à obliger le père de ce jeune homme en le gardant ici. D’ailleurs il n’est qu’à moitié montagnard, et n’a guère de l’esprit intraitable d’un Glume-Amie ; après tout, je l’ai rarement vu aussi furieux qu’il l’a été tout à l’heure. — Vous ne le pourriez, à moins qu’il n’eût tué son homme, » répliqua le forgeron avec la même sécheresse.

« Pourtant si vous l’exigez, Henri, je mettrai tout autre motif de côté, et j’enverrai le garnement chercher logement ailleurs demain matin. — Oh ! père, vous ne pouvez supposer que Henri Gow s’inquiète davantage de ce jeune chat de montagne, que des fraisils de sa forge ? J’aurais fort peu de souci, je vous promets, quand même tout son clan descendrait par Shoegate[1], en hurlant le cri de guerre et en jouant de la cornemuse ; je trouverais cinquante lames et autant de boucliers qui leur feraient rebrousser chemin plus vite qu’ils ne seraient venus. Mais, à vrai dire, quoique je dise encore une folie, je ne suis pas charmé de voir ce jeune drôle si près de Catherine, songez-y, père Glover ; votre métier vous emploie tous les yeux et les mains, et il vous faut y donner tous vos soins, quand même ce maudit fainéant travaille, ce qui ne lui arrive que rarement, vous le savez. — Et c’est vrai, dit Simon ; il coupe tous ses gants pour la main droite, et n’a jamais pu en finir une paire de sa vie. — Je sais de reste comment il coupe la peau, dit Henri ; mais, avec votre permission, père, je veux seulement dire qu’il n’a jamais les yeux troubles, qu’il travaille ou qu’il fainéantise, ni les mains brûlées par le fer chaud, ou durcies par le maniement du marteau sur l’enclume ; il n’a point de ces cheveux souillés par la fumée ou roussis par le fourneau, et plus semblables au poil d’un blaireau qu’à une chevelure faite pour recevoir un bonnet chrétien. Maintenant, que Catherine soit aussi bonne, fille qu’on voudra, et je soutiens qu’il n’y en a pas de meilleure dans Perth, elle doit pourtant voir et comprendre que tout ceci fait une différence entre un homme et un homme, et que la différence n’est pas en ma faveur. — Voici à ta santé et de tout mon cœur, fils Henri, » dit le vieillard remplissant jusqu’au bord le verre de son compagnon ainsi que le sien ; « je vois que tout bon forgeron que tu es, tu ne sais pas de quel métal les femmes sont faites. De la hardiesse, Henri, et comporte-toi, non pas comme si tu allais à la potence, mais en jeune et gai luron, qui connaît sa valeur et ne se laisse pas dédaigner par la meilleure des petites-filles d’Ève. Catherine est une femme comme sa mère, et tu serais bien fou de supposer qu’elles se prennent toutes à ce qui plaît à l’œil. Il faut plaire aussi à leurs oreilles, l’ami ; il faut qu’elles sachent que l’objet de leur prédilection est hardi et jovial, et qu’il pourrait conquérir vingt cœurs, quoiqu’il ne coure qu’après un seul. Crois-en un vieillard, les femmes vont plutôt par où on les mène que par où elles veulent aller. Lorsque Catherine demandera quel est le plus courageux homme de Perth, quel nom lui répondra-t-on ? Henri l’Haleine-Brûlée ; le meilleur armurier qui forgea jamais un sabre sur une enclume ? ma foi, encore Henri Smith ; le plus infatigable danseur autour du mai ? Ma foi, encore le jovial Smith ; le plus gai chanteur de ballades ? ma foi, qui, sinon Henri Gow ; le plus rude lutteur, le plus habile au sabre et au bouclier, le roi des joueurs de bâton, le monteur de chevaux indomptables, le correcteur des sauvages montagnards ? Encore toi, toujours toi, rien que toi ! Et Catherine te préférerait ce brin de montagnard ? Bah ! elle ferait aussi bien un gantelet d’acier avec du cuir de chevreau. Je te le dis, Conachar n’est rien pour elle ; elle voudrait seulement empêcher le diable de l’empoigner, comme tous les autres montagnards. Dieu la bénisse, la pauvre petite : elle ramènerait toute l’espèce humaine à de meilleures pensées si elle le pouvait. — Projet dans lequel elle échouera sans doute, » dit le forgeron, qui, comme le lecteur peut l’avoir remarqué, était fort mal disposé pour la race des montagnards. « Je parierais pour le vieux Nick, que je puis connaître passablement bien, puisqu’il travaille dans le même élément que moi ; oui, je parierais contre Catherine en cette occasion. Le diable aura le tartan[2], la chose est suffisamment sûre. — Oui ; mais Catherine, répliqua le gantier, a un second que tu connais peu… Père Clément a pris le jeune pillard en main ; et le digne père craint une centaine de diables aussi peu que moi un troupeau d’oies. — Père Clément ! vous faites toujours quelque nouveau saint dans cette pieuse ville de Saint-Johnston. Dites-moi, quel est ce roueur de diables ?… Un de nos ermites qui s’apprête à l’exorcisme, comme un lutteur au combat, et se prépare au grand œuvre par les jeûnes et la pénitence, n’est-ce pas ?… — Non, voici la merveille, dit Simon ; Père Clément mange, boit, et vit comme tout le monde, en observant néanmoins toutes les règles de l’Église. — Oh ! je comprends… un prêtre enjoué, qui songe plus aux bons vivres qu’à une bonne vie… avale une chopine la veille des cendres, pour se donner la force de faire face au carême… qui a un agréable in principio, et confesse toutes les plus jolies femmes de la ville ? — Vous êtes encore en voie d’erreur, Smith ; Je vous dis que ma fille et moi nous saurions flairer un hypocrite, qu’il eût le ventre vide ou plein. Mais père Clément n’a ni l’un ni l’autre. — Mais qu’est-il donc, au nom du ciel ? — Un gaillard qui est ou beaucoup meilleur que tous ses confrères de Saint-Johnston, ou tellement pire que le pire d’entre eux, que c’est un péché et une honte qu’on le laisse demeurer dans le pays. — Il me semble qu’il serait facile de décider s’il est l’un ou l’autre. — Contentez-vous, mon ami, de savoir que si vous jugez père Clément par ce que vous voyez ou entendez dire de lui, il vous semblera le meilleur et le plus aimable des hommes qui soient au monde, avec une consolation pour tout affligé, et un conseil pour quiconque est dans l’embarras ; le guide le plus sûr du riche et l’ami le plus tendre du pauvre. Mais si vous écoutez ce que disent de lui les dominicains, il est… benedicite ! » Là, le gantier se signa sur le front et sur la poitrine : « un véritable hérétique, qu’on doit, au moyen des flammes terrestres, envoyer à celles qui brûlent éternellement. »

Le forgeron se signa aussi, et s’écria : « Sainte Marie ! Père Simon, vous, qui êtes si bon et si prudent, qu’on vous a surnommé le sage gantier de Perth, vous laissez votre fille écouter les exhortations d’un homme qui… les saints nous gardent !… pourrait être ligué avec le malin esprit lui-même ? Ma foi, ne fut-ce pas un prêtre qui fit apparaître le diable dans le Meal-Vennel[3], quand la maison de Hodge-Jackson fut abattue par le grand vent ! le diable ne s’est-il pas montré au milieu du Tay, portant un scapulaire de prêtre, gambadant comme un alcyon au travers des vagues, le matin où notre pont fut emporté par le courant ? — Je ne puis dire s’il est venu ou non, répondit le gantier ; je sais seulement que je ne l’ai pas vu. Quant à Catherine, on ne peut dire qu’elle reçoit les exhortations de père Clément, puisque son confesseur est le vieux père François le dominicain, de qui elle a reçu l’absolution aujourd’hui. Mais les femmes sont parfois capricieuses, et, ma foi, elle consulte père Clément plus souvent que je ne voudrais ; et pourtant, quand j’ai moi-même causé avec lui, il m’a paru un si digne et si saint homme, que je lui aurais confié le soin de mon salut. Il court cependant de mauvais bruits sur son compte parmi les dominicains, il faut l’avouer ; mais que nous importe à nous autres laïques ? Payons à notre mère l’Église les dîmes qui lui sont dues ; faisons nos aumônes, confessons-nous, et accomplissons nos pénitences, puis les saints nous protégeront. — Oui, c’est vrai, et ils auront quelque indulgence, dit le forgeron, pour les malheureux coups qu’un homme aura pu appliquer dans un duel, quand son antagoniste était en garde et debout devant lui ; et c’est là le seul article de foi avec lequel un homme peut vivre en Écosse ; que votre fille en pense ce qu’elle voudra. Vrai Dieu ! un homme doit savoir se défendre, ou bien il ne fera pas un long bail en cette vie, dans une contrée où les coups pleuvent si dru. Cinq nobles[4] offerts à notre paroisse m’ont acquitté pour le meilleur homme envers lequel j’ai eu la main malheureuse. — Voyons donc, dit le gantier, finissons la bouteille, car j’entends minuit sonner à la tour des dominicains. Écoute-moi, mon fils Henri : sois devant celle de nos fenêtres qui regarde l’est, à la petite pointe du jour, et avertis-moi de ton arrivée, en sifflant gaiement l’appel du forgeron. Je ferai tant, que Catherine regardera à la fenêtre, et tu auras ainsi tous les privilèges d’un galant Valentin pour le reste de l’année ; et dans le cas où tu ne pourrais en profiter à ton avantage, je serais induit à penser qu’en te recouvrant de la peau du lion, nature t’a laissé les longues oreilles de l’âne. — Amen, père ! dit l’armurier ; bon soir de tout mon cœur ; la bénédiction de Dieu descende sur votre toit et sur ceux qu’il renferme ! Vous entendrez retentir l’appel du forgeron avec le chant du coq ; je réponds que je ferai honte à Chanteclair[5]. »

À ces mots il sortit, et, quoiqu’il fût entièrement libre de craintes, il se dirigea à travers les rues désertes, en homme qui se tient sur ses gardes, vers sa maison qui était située dans le Mill-Wynd, à l’ouest de Perth.



  1. Le Slogan, cri de guerre des montagnards écossais. a. m.
  2. Étoffe des plaids ou manteaux écossais. a. m.
  3. Endroit voisin de la ville de Perth. a. m.
  4. Ancienne monnaie d’or écossaise. a. m.
  5. Le coq est ainsi désigné dans les vieilles poésies écossaises. a. m.