Le Feu-Follet/Chapitre XVIII

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome 21p. 242-256).


CHAPITRE XVIII.


« Hic et ubique ? En ce cas nous changerons de note. Approchez, Messieurs, et placez vos mains sur mon épée. Jurez sur mon épée. »
ShakspeareHamlet.



Votre nom est Ghita, demanda le procureur du roi en examinant ses notes — Ghita quoi ?

— Ghita Caraccioli, Signor, répondit la jeune fille d’une voix si douce qu’elle gagna le cœur de tous ceux qui l’écoutaient.

Cependant ce nom ne fut pas entendu sans occasionner un tressaillement général, et tous ceux qui étaient dans la chambre se regardèrent avec surprise, la plupart des officiers qui n’étaient pas de quart étant présents comme spectateurs.

— Caraccioli ! répéta le procureur du roi avec emphase. C’est un nom distingué en Italie. Est-ce que vous prétendez appartenir à la famille illustre qui le porte ?

— Signor, je ne prétends à rien qui soit illustre, n’étant qu’une pauvre et humble fille qui demeure avec son oncle dans les tours du prince sur le mont Argentaro.

— Pourquoi donc portez-vous le nom distingué de Caraccioli, Signorina ?

— Je ne doute pas, monsieur Medford, dit Cuff en anglais, que la jeune fille n’ignore elle-même comment elle a obtenu ce nom. Ces affaires-là s’arrangent très-lestement en Italie.

— Signor, reprit Ghita avec énergie après avoir attendu respectueusement que le capitaine eût cessé de parler, je porte le nom de mon père, comme c’est l’usage des enfants ; mais c’est un nom qui vient d’être couvert hier d’une cruelle ignominie, car le père de mon père a été donné en spectacle à des milliers de Napolitains pendant que son corps était suspendu à la vergue d’un de vos bâtiments.

— Et vous prétendez être la petite-fille de ce malheureux amiral ?

— C’est ainsi qu’on m’a appris à me regarder ! Fasse le ciel que la paix refusée à son corps soit accordée à son âme ! Ce criminel, comme vous le supposez sans doute, était le père de mon père, quoique peu de personnes en fussent instruites quand il était honoré comme prince et officier de haut grade.

Un silence profond suivit, la singularité de cette circonstance et l’air de vérité qui accompagnait les manières de Ghita se réunissant pour produire une forte sensation.

— L’amiral passait pour ne pas avoir d’enfants, dit Cuff baissant la voix. Sans doute le père de cette jeune fille a dû le jour à quelque liaison illégitime.

— S’il y a eu quelque promesse ou quelques mots prononcés devant témoins, murmura Lyon, suivant les lois écossaises, des enfants et quelques expressions convenables lient un couple aussi étroitement que pourraient le faire en Angleterre l’un ou l’autre de vos archevêques.

— Puisque nous sommes en Italie, il n’est pas probable que cette loi y soit reconnue. — Souvenez-vous, ajouta le procureur du roi, s’adressant à Ghita, que vous avez juré de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. — Connaissez-vous Raoul Yvard, Français qui commande le Feu-Follet ?

Le cœur de Ghita battit avec violence, et l’alarme se joignit à la sensibilité pour couvrir à l’instant son visage de rougeur. Elle n’avait aucune connaissance des cours de justice et elle ignorait l’objet de l’enquête. Vint ensuite le triomphe de l’innocence, rassurée comme elle l’était par la pureté de son âme et la tranquillité de sa conscience, qui lui donnaient la forte conviction qu’elle n’avait à rougir d’aucun sentiment qu’elle pût nourrir dans son sein.

— Signor, dit-elle en baissant les yeux, car les regards de toute l’assemblée se fixèrent sur elle, je connais Raoul Yvard, dont vous parlez : c’est celui qui est assis entre ces deux canons. Il est Français, et il commande de lougre qu’on appelle le Feu-Follet.

— Je savais que ce témoin nous apprendrait tout ! s’écria Cuff, qui ne put s’empêcher de montrer le soulagement qu’il éprouvait après avoir obtenu cette déclaration.

— Vous dites que tout cela est à votre su ? reprit le procureur du roi.

— Messieurs, dit Raoul se levant, voulez-vous me permettre de parler ? Cette scène est cruelle, et plutôt que d’avoir à la supporter, — plutôt que de laisser une cause de chagrin futur à cette chère fille, — ce que je sais qui arriverait, — je vous prie de lui permettre de se retirer, et je vous promets d’avouer tout ce que vous pouvez espérer de prouver par son témoignage.

Il s’ensuivit une courte consultation, après quoi il fut permis à Ghita de se retirer ; mais la physionomie de Raoul lui avait donné l’alarme, quoiqu’elle ne comprît pas ce qui avait été dit en anglais, et elle ne pouvait se décider à quitter la place sans en savoir davantage.

— Ai-je dit quelque chose qui puisse vous nuire, Raoul ? demanda-t-elle avec inquiétude. J’ai fait un serment sur la parole de Dieu et sur sa sainte croix. Si j’avais prévu qu’il pût en résulter quelque mal pour vous, l’autorité de tout le royaume d’Angleterre n’aurait pu m’obliger à le prêter ; et alors j’aurais pu garder le silence.

— N’importe, chère Ghita, il faut que les faits soient connus de manière ou d’autre ; et en temps convenable vous saurez tout ! — Et maintenant, Messieurs continua-t-il quand la porte se fut fermée après le départ de Ghita, il n’y a plus besoin de dissimulation entre nous. Je suis Raoul Yvard, celui pour qui vous me prenez, et que plusieurs de vous doivent connaître. J’ai combattu vos canots, monsieur Cuff, j’ai évité votre brûlot et je vous ai procuré une chasse joyeuse autour de l’île d’Elbe. J’ai trompé le signor Barrofaldi et son ami le podestat, et le tout pour l’amour de la belle et modeste jeune fille qui vient de quitter cette chambre. — Nul autre motif ne m’a conduit à Porto-Ferrajo, ou dans la baie de Naples, — nul autre, sur l’honneur d’un Français !

— Hem ! murmura Lyon. Il faut convenir, sir Frédéric, que ce prisonnier invoque une autorité très-respectable !

En toute autre occasion, l’antipathie et les préventions nationales auraient pu faire sourire l’assemblée à cette saillie ; mais il y avait dans les manières et sur les traits de Raoul tant d’ardeur et de sincérité, que, si l’on n’accordait pas une confiance entière à ses paroles, du moins elles imposaient le respect. Il était impossible de rire aux dépens d’un tel homme, et des préventions longtemps nourries disparurent devant le ton noble et mâle de ses déclarations.

— Il n’y aura plus besoin de témoins, monsieur le procureur du roi, dit Cuff, si le prisonnier se sent disposé à avouer toute la vérité. Cependant, monsieur Yvard, il est juste de vous avertir des suites que peuvent avoir vos aveux. Vous êtes accusé d’un crime capital, c’est-à-dire de vous être rendu à bord d’un bâtiment anglais, ou plutôt au milieu d’une escadre anglaise, déguisé, vous, étranger, ennemi, et en guerre ouverte contre Sa Majesté.

— Je suis Français, Monsieur, et je sers mon pays, répondit Raoul avec dignité.

— Personne ne vous disputera votre droit de servir votre pays ; mais vous devez savoir qu’il est contre les lois de la guerre entre nations civilisées de jouer le rôle d’espion. Vous voilà sur vos gardes, c’est à vous de décider. Si vous avez quelque chose à dire, nous l’écouterons.

— Messieurs, il me reste peu de chose à dire, répondit Raoul. Que je sois votre ennemi, comme de tous ceux qui cherchent la ruine de mon pays, c’est ce que je ne nie pas. — Vous me connaissez et vous savez ce que je suis, — et je n’ai pas d’excuses à vous faire sous aucun de ces deux rapports. Comme de braves Anglais, vous saurez apprécier l’amour d’un Français pour son pays. Quant à mon arrivée à bord de ce bâtiment, vous ne pouvez m’en faire un crime, puisque je n’ai fait que céder à votre invitation. Les droits de l’hospitalité sont aussi sacrés qu’ils sont généralement reconnus.

Les membres de la cour échangèrent entre eux des regards expressifs, et il y eut un silence de plus d’une minute. Alors le procureur du roi reprit ses fonctions, en disant :

— Je désire que vous compreniez l’effet précisément légal de vos aveux, prisonnier, et qu’ils soient faits formellement et avec réflexion ; sans cela, il faut procéder à l’examen d’autres témoins. On dit que vous êtes Raoul Yvard, étranger, ennemi, portant les armes contre le roi d’Angleterre.

— Monsieur, je l’ai déjà avoué ; et je ne puis le nier honorablement.

— Vous êtes accusé d’être venu déguisé à bord du bâtiment de Sa Majesté la Proserpine, et de vous être donné pour un batelier de Capri, tandis que vous êtes Raoul Yvard, ennemi, étranger, portant les armes contre le roi.

— Tout cela est vrai ; mais je fus invité à venir à bord de ce bâtiment, comme je viens de le dire.

— Vous êtes encore accusé d’avoir passé au milieu des bâtiments de Sa Majesté, maintenant à l’ancre dans la baie de Naples ; lesquels bâtiments sont sous les ordres du contre-amiral lord Nelson, duc de Bronté en Sicile, étant déguisé de la même manière, quoique étranger et ennemi, avec l’intention de faire vos observations comme espion, et sans doute de profiter des renseignements ainsi obtenus pour nuire aux sujets de Sa Majesté, et pour votre propre avantage et celui du pays que vous servez.

— Monsieur, cela n’est pas exact, je l’atteste sur l’honneur. Je suis entré dans la baie pour chercher Ghita Caraccioli à qui j’ai donné mon cœur, et que je voudrais décider à m’épouser. C’est le seul motif qui m’a amené dans la baie, et je portais ce costume, parce que sans cela j’aurais pu être reconnu et arrêté.

— Ce fait est important, si vous pouvez le prouver ; car quoiqu’il ne suffise peut-être pas pour vous acquitter dans les formes, il pourrait faire impression sur l’esprit du commandant en chef, lorsqu’il devra prononcer sur le jugement de cette cour.

Raoul hésita. Il ne douta point que Ghita, dont le témoignage venait à l’instant de l’accabler à son insu, ne déclarât qu’elle croyait qu’il n’avait eu que ce seul motif ; et qu’elle le ferait même de manière à donner du poids à ses paroles, et avec des circonstances qui confirmeraient ce qu’il avait dit lui-même ; d’autant plus qu’elle pourrait déclarer qu’il avait auparavant agi de même dans l’île d’Elbe, et qu’il avait même l’habitude de lui faire de courtes visites au mont Argentaro. Cependant il répugnait à Raoul que Ghita reparût encore devant le conseil de guerre. La délicatesse de son affection ne pouvait souffrir que celle qui en était l’objet fût exposée aux regards et aux observations des membres qui le composaient. Il connaissait aussi le pouvoir qu’il avait sur le cœur de Ghita, et il avait trop de sensibilité pour ne pas entrer dans toutes les considérations qui pouvaient avoir de l’influence sur un homme en pareil cas ; considérations qui rendaient insupportable l’idée d’avouer publiquement des sentiments qu’il désirait être aussi sacrés pour les autres que pour lui-même.

— Pouvez-vous prouver ce que vous venez de dire, Raoul Yvard ? demanda le procureur du roi.

— Monsieur, je crains que cela ne soit pas en mon pouvoir. — Il y a quelqu’un… mais… je crains réellement que cela ne me soit pas possible, à moins qu’il ne me soit permis d’interroger mon compagnon, celui qui a déjà paru devant vous.

— Vous voulez dire Ithuel Bolt, sans doute. Il n’a pas encore paru régulièrement devant nous, mais vous pouvez le faire comparaître, lui ou tout autre témoin ; le conseil se réservant le droit de prononcer ensuite sur la valeur de son témoignage.

— En ce cas, Monsieur, je désirerais qu’Ithuel fût appelé.

Les ordres nécessaires furent bientôt donnés, et Ithuel parut devant les juges. Le serment lui fut demandé, et Ithuel le prêta en homme qui n’était pas novice en ce genre.

— Votre nom est Ithuel Bolt ? dit le procureur du roi.

— C’est ainsi qu’on m’appelle à bord de ce bâtiment ; mais si je dois être témoin, qu’il me soit permis de parler librement : je ne veux pas qu’on me mette des paroles dans la bouche, ni que mes idées soient rivées avec du fer.

En parlant ainsi, Ithuel leva les bras et montra les menottes que le capitaine d’armes avait refusé de lui ôter, ce dont les officiers composant la cour ne s’étaient point aperçus. Un regard de reproche de la part de Cuff et un mot prononcé à demi-voix par Yelverton, levèrent la difficulté. Les fers d’Ithuel furent détachés.

— Maintenant je puis répondre plus consciencieusement, dit le témoin avec un rire sardonique ; lorsque le fer entre dans la chair d’un homme, cela le dispose à dire tout ce qu’il croit le plus agréable à ses maîtres. Parlez, Squire, si vous avez quelque chose à me dire.

— Il paraît que vous êtes Anglais.

— Vraiment ? alors je parais ce que je ne suis pas. Je suis né dans l’état de Granit, dans le nord de l’Amérique. Mes pères s’y sont transportés il y a bien longtemps, par attachement pour leurs opinions religieuses. C’est un pays qui attache un prix incroyable à ses privilèges.

— Connaissez-vous le prisonnier, Ithuel Bolt, — l’homme qui s’appelle Raoul Yvard ?

Ithuel ne savait trop que répondre à cette question. Malgré les hautes considérations qui avaient amené ses pères dans le désert, et ses propres idées sur les avantages religieux de ce pays, un serment était devenu pour lui une sorte d’obligation qui changeait de nature suivant les circonstances, depuis le jour où il avait fait connaissance, pour la première fois, avec une douane. Un homme qui avait attesté sous le serment l’authenticité de tant de pièces fausses, ne devait pas y regarder de trop près pour servir un ami dans l’embarras ; cependant, en niant qu’il le connût, il pouvait se compromettre et se mettre ainsi hors d’état de servir Raoul sur quelque point plus important. Il faut dire qu’il y avait entre lui et le jeune Français une différence morale très-considérable ; car, tandis que celui qui se vantait de ses ancêtres religieux, et de la pieuse éducation qu’il avait reçue, avait une conscience singulièrement relâchée, Raoul, presque athée d’opinion, n’aurait pas voulu faire le moindre mensonge, quand l’honneur exigeait qu’il dît la vérité. En fait de ruses de guerre, peu d’hommes pouvaient être plus subtils que Raoul Yvard ; mais une fois le masque levé, ou lorsqu’il reprenait la dignité naturelle à son caractère, la vue de la mort même n’aurait pu extorquer de lui une parole équivoque. D’un autre côté, Ithuel avait de l’affection pour le mensonge, surtout quand ce mensonge pouvait lui être utile et nuire à un ennemi, et il trouvait le moyen de concilier tout cela avec ses principes religieux, ce qui est assez ordinaire au fanatisme quand il commence à s’user. Dans les circonstances actuelles, il était prêt à dire tout ce qu’il croirait le plus conforme aux désirs de son compagnon, et heureusement il interpréta l’expression de la physionomie de Raoul comme celui-ci l’aurait désiré.

— Je connais bien le prisonnier, comme vous l’appelez, Squire, répondit Ithuel après la pause qui lui fut nécessaire pour arriver à la conclusion, et je le connais fort bien ; et il est passé maître quand il lui arrive d’être dans un courant de votre commerce anglais. S’il y avait eu un Raoul à bord de chaque bâtiment français là-bas sur le Nil, en Égypte, je calcule que Nelson aurait vu que sa lettre avait besoin de quelque post-scriptum.

— Restreignez vos réponses, témoin, à l’affaire en question, dit Cuff avec dignité.

Ithuel avait contracté l’habitude de trop de crainte pour le capitaine de son bâtiment pour hasarder une réponse ; mais si ses regards avaient pu infliger une blessure, cet important fonctionnaire ne se serait pas retiré intact : cependant, comme il garda le silence, l’interrogatoire continua.

— Vous le connaissez pour être Raoul Yvard, le commandant du lougre, corsaire français, le Feu-Follet ? reprit le procureur du roi, croyant prudent de fortifier l’aveu que le prisonnier avait fait de son identité, par quelques preuves indirectes

— Eh bien ! j’imagine en quelque sorte, répondit Ithuel, c’est-à-dire je conclus en quelque manière ;… et saisissant une expression d’assentiment dans les yeux de Raoul, il s’interrompit en s’écriant : Oh ! oui, c’est cela, il n’y a pas l’ombre d’un doute. Il est le capitaine du lougre, et trouvez-m’en beaucoup comme lui.

— Vous étiez avec lui, déguisé, lorsqu’il est venu hier dans la baie de Naples ?

— Moi, déguisé, Squire ! Qu’est-ce que j’ai à déguiser ? Je suis Américain, j’exerce plusieurs professions, et je les pratique toutes suivant les circonstances ; étant neutre, je n’ai pas besoin de déguisement pour aller partout. Je ne suis jamais déguisé, à moins que ce ne soit quand j’ai bu un coup de trop ; et vous savez que c’est ce qui arrive par-ci, par-là, à tous les marins.

— Vous n’êtes obligé de rien dire qui puisse vous être préjudiciable. — Savez-vous pourquoi Raoul Yvard est venu hier dans la baie de Naples ?

— À vous dire l’exacte vérité, Squire, je ne le sais pas, répondit Ithuel simplement ; car, dans le fait, la nature de la liaison entre le jeune Français et Ghita était un profond mystère dans ce qu’elle avait de plus sacré pour un homme obtus, comme l’était ce marin en toute affaire de pur sentiment. — Le capitaine Raoul aime beaucoup à rôder autour de cette côte, et quel but il avait en particulier dans cette dernière excursion, c’est ce que je ne puis vous dire. Ses affaires sur la côte sont quelquefois inexplicables, il faut l’avouer. — Témoin l’île d’Elbe, Messieurs.

Ithuel s’était permis de rire sous cape en faisant cette allusion ; car il avait une espèce de gaieté à lui, et il s’y livrait de temps en temps, à la manière des membres de la classe dont il faisait partie.

— Ne vous embarrassez point de ce qui est arrivé à l’île d’Elbe. Prisonnier, désirez-vous interroger le témoin ?

— Ithuel, demanda Raoul, ne savez-vous pas que j’aime Ghita Caraccioli ?

— Moi, capitaine ! Je sais que vous le croyez et que vous le dites ; mais je regarde toutes ces affaires comme incertaines et inexplicables.

— N’ai-je pas souvent abordé sur une côte ennemie pour la voir et être près d’elle ?

Ithuel, qui avait d’abord été un peu embarrassé pour savoir ce que tout cela voulait dire, comprit alors ce qu’il avait à faire ; dès ce moment, aucun témoin n’aurait su jouer son rôle mieux qu’il ne le fit.

— Il n’y a rien de plus vrai, répondit-il, et cela au moins cent fois et toujours contre mon avis.

— Mon objet, en venant hier dans la baie, ne fut-il pas uniquement de voir Ghita, et Ghita seulement ?

— C’est cela même. Cela est aussi sûr, Messieurs, qu’il est vrai qu’on peut voir d’ici le Vésuve fumant comme un four à briques. C’était la seule affaire que le capitaine Roule eût ici.

— Tout à l’heure, il me paraissait que vous disiez, témoin, que vous ne saviez pas quel motif avait le prisonnier en venant dans la baie de Naples ? — Vous avez même appelé sa conduite inexplicable.

— C’est parfaitement vrai, Monsieur, et c’est ainsi que je pense, moi. Je savais fort bien que l’amour était au fond ; mais je n’appelle pas l’amour un motif, ou tout au moins, suivant moi, ce motif est inexplicable. Voilà l’explication. Oui, je savais que c’était l’amour pour miss Gyty, mais l’amour n’est pas un motif légal.

— Répondez aux faits ; la cour jugera les motifs. Comment savez-vous que l’amour pour la jeune personne dont vous parlez ait été le seul motif de Raoul Yvard pour venir dans la baie ?

— On découvre ces choses à force de vivre avec un homme. Le capitaine Roule est allé d’abord chercher la jeune fille là-bas sur la montagne où demeure sa tante, et je l’ai accompagné pour parler anglais au besoin ; et ne trouvant pas Gyty chez elle, nous prîmes un bateau et nous la suivîmes jusqu’à Naples. Ainsi, vous voyez, Monsieur, que j’ai eu le moyen de tout savoir.

Tout ceci était strictement vrai. Ithuel avait fait ce récit d’un ton naturel et de manière à obtenir croyance.

— Vous dites, témoin, que vous avez accompagné Raoul Yvard dans une visite à la tante de la jeune fille qu’on appelle Ghita Caraccioli, dit Cuff d’un ton indifférent, qui avait pour but de tendre un piége à Ithuel, et d’en tirer une réponse imprudente. — D’où veniez-vous lorsque vous êtes parti pour ce voyage ?

— C’est selon qu’on veut parler de l’endroit où l’on a mis en mer, ou de celui où l’on a fait une relâche. Je pourrais dire que je suis parti d’Amérique, contrée du monde que j’ai quittée il y a quelques années, ou bien de Nantes, port où nous nous sommes équipés pour mettre à la voile. — Le capitaine Roule répondrait probablement : De Nantes.

— De quelle manière êtes-vous venus de Nantes ? continua Cuff sans montrer ni ressentiment d’une réponse qu’on aurait pu regarder comme impertinente, ni surprise, comme s’il ne la comprenait pas. — Vous n’avez pas fait ce voyage à cheval, je suppose ?

— Oh ! je crois vous comprendre maintenant, capitaine Cuff. — Eh bien, s’il faut dire la vérité, nous sommes venus à bord du lougre, le Fiou-Folly.

— C’est ce que j’imaginais. Et lorsque vous êtes allé voir cette tante, ou avez-vous laissé le lougre ?

— Nous ne l’avons laissé nulle part, Monsieur : comme il était sous voiles, nos pieds ne furent pas plutôt dans le canot et l’amarre larguée, qu’il nous quitta comme si nous eussions été un arbre planté en pleine terre.

— Où cela est-il arrivé ?

— Sur mer, comme de raison, capitaine Cuff ; une telle chose ne pouvait guère arriver à terre.

— Tout cela se comprend. Mais vous dites que le prisonnier avait quitté son bâtiment pour aller voir une tante de la jeune fille ; et que de là il alla dans la baie dans la seule intention de trouver la jeune fille elle-même ? Ce fait est important ; il concerne les motifs du prisonnier et peut décider de son sort. Il faut que la cour agisse en pleine connaissance de cause. Pour commencer, dites-nous où Raoul Yvard a laissé son lougre en allant là-bas sur ce promontoire ?

— Je ne crois pas, capitaine Cuff, que vous sachiez l’histoire bien exactement. Le capitaine Roule après tout n’alla pas sur la montagne, tant pour voir la tante que pour voir la nièce chez la tante : si l’on veut bien finir une histoire, il faut la bien commencer.

— J’ai laissé le Feu-Follet, monsieur le capitaine, dit Raoul avec calme, à moins de deux encâblures de distance de la place même où est votre bâtiment en ce moment ; mais ce fut à une heure de la nuit où les bonnes gens de Capri dorment, et ils ne savaient pas que nous étions si près d’eux. Nous voyez que le lougre n’y est plus.

— Affirmez-vous la vérité de cette histoire sous la foi du serment solennel que vous avez prêté ? demanda Cuff à Ithuel, ne pensant guère combien il en coûterait peu au témoin pour affirmer ainsi tout ce qu’il voudrait.

— Il ne s’y trouve pas un mot qui ne soit vrai, Messieurs, répondit Ithuel. Ce n’était pas, suivant moi, à plus d’une encâblure de distance de cette place.

— Et où est le lougre à présent ? demanda Cuff, laissant voir le but de toutes ses questions par son désir d’en apprendre davantage. Mais ce n’était pas à Ithuel qu’on pouvait ainsi arracher une réponse imprudente ou inconsidérée. Affectant en quelque sorte la timidité d’une jeune fille, il répondit en souriant :

— En vérité, capitaine Cuff, je ne puis penser à répondre à une telle question avec la solennité d’un serment, comme vous l’appelez. Personne ne peut savoir à présent où est le Fiou-Follet que ceux qui s’y trouvent.

Cuff fut un peu déconcerté de cette réponse, tandis que Lyon souriait avec ironie ; et ce dernier se chargea ensuite d’interroger Ithuel lui-même, ayant de son jugement et de sa pénétration une opinion qui devait le mettre en état de tenir tête à un homme aussi fécond en subterfuges que l’Américain.

— Nous n’attendons pas, dit-il, que vous nous disiez précisément ; et comme étant à votre connaissance personnelle, quelle est en ce moment sa position en latitude et longitude, ni le point du compas où nous reste le lougre appelé par les uns le Fiou-Folly, et par les autres le Fiou-Follay ; car, comme vous l’avez fort bien dit, cela ne peut être su que par ceux qui sont actuellement sur son bord ; mais peut-être vous rappellerez-vous l’endroit où il fut convenu entre vous et votre équipage que vous trouveriez le lougre à votre retour de cette expédition hasardeuse.

— Je fais une objection à cette question, en ce qu’elle est contraire à la loi, dit Ithuel avec une énergie et une promptitude qui firent que le procureur du roi tressaillit, et que les membres de la cour se regardèrent les uns les autres avec surprise.

— Si vous refusez d’y répondre, parce qu’une réponse faite avec vérité pourrait vous inculper vous-même, la raison et la justice vous en donnent le droit ; mais vous ferez bien de songer aux suites que ce refus peut avoir pour vous-même quand on instruira votre procès.

— Je fonde mon objection sur des principes généraux, répondit Ithuel. Quoi que le capitaine Roule puisse avoir dit à ce sujet, en supposant qu’il ait dit quelque chose, uniquement pour appuyer mon argument, — en supposant, dis-je, qu’il ait dit quelque chose à ce sujet, ce ne peut être un témoignage, car une preuve par ouï-dire est contre la loi dans tous les pays du monde entier.

Les membres de la cour jetèrent un coup d’œil sur le procureur du roi, qui le leur rendit avec une gravité imperturbable ; et, sur la demande de sir Frédéric, le conseil interrompit sa séance encore une fois, pour discuter cette question en séance secrète.

— Qu’en pensez-vous, monsieur le procureur du roi ? demanda Cuff, dès qu’on eut fait sortir de la chambre l’accusé, les témoins et l’auditoire. Il est de la plus grande importance de découvrir où est ce lougre. Croyez-vous que cette question soit contraire aux lois ?

— Je crois que son importance la rend pertinente, capitaine, et je ne vois pas qu’on puisse prétendre qu’elle soit illégale par la circonstance que le fait n’arrive au conseil que par voie orale.

— Croyez-vous cela ? dit sir Frédéric, ayant l’air plus réfléchi que de coutume. L’observation des formes légales est ce qu’on admire le plus dans les lois anglaises ; et c’est un devoir auquel je n’aimerais nullement à manquer. Ce qu’on a dit doit avoir été entendu pour pouvoir être répété ; et cela me paraît ressembler beaucoup à un ouï-dire ; je pense qu’il est universellement reconnu qu’une pareille preuve doit être rejetée.

— Quelle est votre opinion, capitaine Lyon ? demanda le président.

— L’affaire offre un nœud compliqué, répondit l’Écossais en ricanant ; mais on peut le dénouer. Ce n’est pas le nœud gordien, et nous n’aurons besoin ni d’Alexandre ni de son épée pour le couper, si nous y employons seulement le sens commun. — De quoi s’agit-il ? de connaître le rendez-vous qui a été convenu entre ce Rawl lward et son équipage. Or cet arrangement a pu être fait de vive voix ou par écrit. Si c’est de vive voix, la déposition de l’homme qui a entendu les paroles prononcées ne sera pas plus ouï-dire que celle d’un homme qui dépose de ce qu’il a vu de ses propres yeux ne serait la vue.

— Parfaitement juste, monsieur le président, s’écria le procureur du roi, très-content de trouver un fil pour sortir d’embarras. Si l’arrangement avait été fait par écrit, cet écrit devrait être produit, comme la meilleure preuve possible ; mais, comme il a eu lieu de vive voix, une déclaration sous serment que ces mots ont été prononcés, doit être admise.

Çuff se trouva soulagé d’un grand poids par cette opinion ; et comme sir Frédéric ne paraissait pas disposé à insister sur son dissentiment, l’affaire aurait été décidée sur-le-champ, sans un amour d’argumentation, qui faisait partie du caractère national et moral du capitaine écossais.

— Je suis d’accord avec le procureur du roi, dit Lyon, quant à sa distinction sur l’admissibilité de la déposition du témoin, attendu que ce n’est pas ce qu’on appelle en termes techniques une déclaration sur ouï-dire ; mais il se présente à mon esprit une difficulté relativement à la pertinence de la question faite au témoin. Un témoin prête serment de parler de l’affaire dont une cour est saisie, mais il ne le prête pas de discuter toutes les choses qui existent dans les cieux et sur la terre. Or, pour décider si Rawl lward est réellement un espion, est-il pertinent de demander s’il a fait certains arrangements avec telles ou telles personnes pour se retrouver en tel ou tel lieu ? — Autant que je comprends la loi, elle divise toutes les questions en deux grandes classes, — les pertinentes et les non pertinentes. — Les premières sont légales ; les secondes ne le sont point.

— Ce serait, de la part d’un drôle comme Bolt, dit sir Frédéric avec dédain, un trait inouï d’audace, d’appeler non pertinente une question que nous lui ferions.

— Ce n’est pas là le point dont il s’agit, sir Frédéric, répliqua Lyon. Nous parlons d’un point légal, et vous pensez à un point de rang et d’étiquette. — Ensuite les questions, soit pertinentes, soit non pertinentes, se divisent en deux classes, dont l’une contient les questions en quelque sorte légales et logiques, et l’autre, celles qui sont, comme on pourrait dire, de convention et de civilité. — Il y a une distinction délicate et latente entre les deux classes.

— Je crois que la cour pense que la question peut être faite au témoin, dit Cuff que les subtilités de l’Écossais impatientaient. Il se tourna en même temps vers sir Frédéric, comme pour lui demander son assentiment, et, l’ayant reçu, il ajouta : Nous ferons donc rouvrir les portes et nous continuerons l’interrogatoire.

— Témoin, dit le procureur du roi dès que chacun eut repris sa place, la cour a décidé que vous devez répondre à la question. Afin que vous la compreniez bien, je vais vous la répéter : En quel endroit a-t-il été convenu entre Raoul Yvard et son équipage qu’ils se retrouveraient ?

— Je ne crois pas que l’équipage du lougre eût quelque chose à dire à ce sujet, répondit Ithuel avec le plus grand sang-froid, et, si quelqu’un en a parlé, je n’en sais rien.

Les membres du conseil furent embarrassés ; mais, ne voulant pas se contenter d’une réponse évasive, ils se regardèrent les uns les autres d’un air de détermination, et l’interrogatoire continua.

— Si l’équipage n’a rien dit, les officiers doivent avoir parlé. Où a-t-il été convenu entre leur commandant et eux qu’il retrouverait le lougre à son retour de la baie ?

— Ma foi, Messieurs, répondit Ithuel en tournant sa chique dans sa bouche, je calcule que vous ne connaissez guère le capitaine Raoul. Après tout, il n’est point habitué à entrer en arrangement avec personne. Ce qu’il veut qu’on fasse, il l’ordonne ; et ce qu’il ordonne, il faut qu’on le fasse.

— Eh bien, quels ordres a-t-il donnés relativement à l’endroit où le lougre devait l’attendre ?

— Je suis fâché d’être importun, Messieurs, répliqua Ithuel fort tranquillement ; mais ce qui est loi est loi dans tout l’univers, et je calcule que cette question va à l’encontre. On pense en Amérique que, lorsqu’une chose peut être prouvée par les paroles dites par quelqu’un, c’est à celui qui les a prononcées qu’on doit faire la question, et non à un tiers qu’on suppose avoir dû les entendre.

— Non pas quand il s’agit d’un prisonnier qui est en jugement, répondit le procureur du roi, surpris d’entendre un pareil homme faire une telle distinction, quoique votre remarque soit juste en ce qui concerne les témoins en général. Il faut que vous répondiez.

— Cela est inutile, dit Raoul : j’ai laissé mon bâtiment ici, comme je vous l’ai déjà dit, et si j’avais fait un certain signal la nuit dernière sur les hauteurs de Santa-Agata, le Feu-Follet serait venu m’attendre près des rochers des Sirènes. Mais comme le signal n’a pas été fait, et que l’heure en est bien passée, il est plus que probable que mon premier lieutenant est allé à un autre rendez-vous que je lui ai donné, que le témoin ne connaît pas, et que bien certainement je ne vous ferai jamais connaître.

Raoul montrait tant de fermeté et un air de dignité si tranquille, que tout ce qu’il disait faisait impression. Sa réponse avait rendu inutile d’insister pour en obtenir une d’Ithuel. Le procureur du roi fit encore quelques questions ; mais elle ne prirent que peu d’instants. Le prisonnier avait avoué son identité, les circonstances qui avaient accompagné son arrestation étaient prouvées ; il ne restait plus qu’à entendre sa défense.

Quand Raoul se leva pour parler, l’émotion lui ôta presque l’usage de la voix ; mais il surmonta bientôt cette faiblesse, et il s’exprima d’un ton aussi ferme que calme, son accent étranger prêtant de l’énergie et de l’intérêt à plusieurs de ses expressions.

— Messieurs, dit-il, je ne chercherai à cacher ni mon nom, ni mon caractère, ni ma profession. Je suis Français et l’ennemi de votre pays. Je suis aussi l’ennemi du roi de Naples, sur les domaines duquel vous m’avez trouvé. J’ai détruit ses bâtiments et les vôtres. Mettez-moi encore à bord de mon lougre et j’agirais de même. Tout ce qui est ennemi de la France est ennemi de Raoul Yvard. Des marins honorables tels que vous, Messieurs, peuvent le comprendre. Je suis jeune ; mon cœur n’est pas de pierre, et quelque mauvaise idée que vous puissiez en avoir, il peut aimer la beauté, la modestie et la vertu dans l’autre sexe. Telle a été ma destinée : — j’aime Ghita Caraocioli, et depuis un an je cherche à l’épouser. Elle ne m’a pas autorisé à dire qu’elle y ait consenti, il faut que je l’avoue ; mais elle n’en est pas moins adorable à mes yeux. Nos opinions sur la religion ne s’accordent pas, et je crains qu’elle n’ait quitté le mont Argentaro parce que, ayant refusé ma main, elle croyait préférable que nous ne nous vissions plus. C’est ainsi que sont les jeunes filles, vous devez le savoir, Messieurs. Mais il n’est pas ordinaire que nous, qui avons moins de délicatesse, nous nous soumettions si facilement à de tels sacrifices. J’ai appris où Ghita était allée et je l’ai suivie. Sa beauté était un aimant qui attirait mon cœur, comme le pôle du nord attire nos aiguilles. Il était nécessaire d’entrer dans la baie de Naples, au milieu des bâtiments ennemis, pour chercher celle que j’aimais ; et c’est autre chose que de s’engager dans le misérable métier d’espionnage. Qui d’entre vous, Messieurs, n’en aurait pas fait autant ? Vous êtes de braves Anglais, et je sais que vous n’auriez pas hésité. Je vois parmi vous deux jeunes gens comme moi, ils doivent sentir le pouvoir de la beauté ; et même ce capitaine, qui n’est plus dans la fleur de l’âge, a dû avoir ses instants de passions comme tous les êtres qui sont nés d’une femme. Messieurs, je n’ai plus rien à dire, vous savez le reste. Si vous me condamnez, que ce soit comme un Français malheureux dont le cœur a eu ses faiblesses, mais non pas comme un vil et perfide espion.

L’Énergie et le naturel du ton de Raoul, en parlant ainsi, ne furent pas sans effet ; et si cela eût dépendu de la volonté de sir Frédéric, le prisonnier aurait été acquitté à l’instant même. Mais Lyon eut des doutes sur l’histoire d’amour, sentiment qu’il ne comprenait guère, et il nourrissait un esprit de contradiction qui le portait en général à s’opposer à la plupart des propositions que faisaient les autres. On renvoya le prisonnier, et l’on ferma les portes, pour que le conseil de guerre pût délibérer dans les formes ordinaires, sur le jugement qu’il allait rendre.

Nous ferions injure à Cuff si nous ne disions pas qu’il eut quelque mouvement de sensibilité en faveur du brave ennemi qui avait si souvent déjoué sa poursuite. S’il en avait été le maître, il aurait rendu à Raoul son lougre, lui aurait accordé une avance convenable, et aurait alors commencé avec plaisir une chasse autour de la Méditerranée, pour vider toutes les questions entre eux. Mais c’était trop pour lui de céder en même temps le lougre et le prisonnier. Ensuite, son serment comme juge lui imposait aussi des obligations ; il se trouva contraint de se rendre aux arguments techniques du procureur du roi, qui n’était pas plus sentimental que Lyon lui-même.

Le résultat de la délibération, qui dura une heure, fut fatal au prisonnier. Les portes s’ouvrirent, le jugement fut rédigé, le prisonnier ramené à sa place, et la sentence prononcée. — Elle portait que Raoul Yvard, ayant été pris déguisé au milieu des escadres alliées, était coupable d’espionnage, et que, par conséquent, il était condamné à être pendu le lendemain à la vergue de tel bâtiment que le commandant en chef désignerait en approuvant la sentence.

Comme Raoul ne s’attendait guère à autre chose, il entendit cette sentence avec fermeté, et salua le conseil de guerre avec politesse et dignité, quand on l’emmena pour lui mettre des fers suivant l’usage en pareil cas.