Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/03/10/02

II

« KEAN OU DÉSORDRE ET GÉNIE[1]. »

Chatterton et Kean.

Antony, s’il s’occupe de politique, veut être premier ministre. Artiste, il est génial. Nouvelle fatalité qui pèse sur ces nouveaux venus. Le génie quotidien, régulier, tout uni, n’est point leur affaire. Il sied qu’ils étonnent le monde par leurs façons. Je n’aime guère Kean ni ses fantaisies truculentes, dont le désordre est sans doute un effet de l’art. Mais Chatterton me stupéfie. Il faut étudier celui-ci pour comprendre ce qu’il y a tout de même de sens plus dramatique et moderne chez l’autre, qui parut à un an d’intervalle.

La pièce d’Alfred de Vigny a pour elle les critiques qui font profession de penser. Je connais peu d’œuvres plus crispantes et fausses : c’est un cauchemar qui se prolonge et suspend la vie. Si l’on objecte le succès qu’elle eut, je réponds qu’il est le fait des hommes de lettres. De Vigny, malgré ses airs d’a]iôtre, a chatouillé au bon endroit la vanité romantique, et par delà le romantisme, tous les écrivains, artistes et badauds qui affectent le dédain du bourgeois. L’idée était dans l’air. Lisez Namoana et l’avant-propos de la Nuit vénitienne[2]. Remontez plus haut, lisez Gœthe, dans Torquato Tasso, où il oppose le poète à l’homme de cour, et surtout le commentaire que madame de Staël en fait[3], avant Stello, avant le Docteur Noir. Même l’honnête Casimir Delavigne a glissé dans Marino Faliero une scène, qui est le fonds de Chatterton ; et il a pu fournir à de Vigny le moyen de hâter son dénoûment. Seulement, il n’était pas dupe de cette guitare romantique. À Bertram le statuaire, Lioni, l’un des Dix, fait ce sermon, qui ne manque ni d’esprit ni d’à-propos en 1829 :

 
Sois un artiste habile,
Un sculpteur sans égal ; mais pense à tes travaux,

Et, quand tu veux blâmer, parle de tes rivaux.
L’État doit aux beaux-arts laisser ce privilège…


Et il ajoute doucement :

 
Garde-toi d’oublier
Que des vertus ici l’humilité chrétienne

Est la plus nécessaire, et ce n’est pas la tienne[4].

Ce n’est pas celle de Chatterton. Ses prétentions, il en faut rabattre. Dès le moment que la bourgeoisie arrive au pouvoir, de Vigny prévoit (qu’elle va paver de son respect pour l’argent la rançon de ses qualités. Ce sera le fonds solide de la comédie d’Émile Augier. Il oppose la force intellectuelle à l’autre. Je m’en réjouis, songeant à M. Poirier. Où l’enfantillage commence (car Dumas n’en a pas le monopole en son temps), c’est lorsque je vois localiser le génie dans les lettres et les arts. Je dois à l’auteur d’Eloa des heures précieuses ; mais Denis Papin aussi avait bien de l’inspiration. Et ceci est encore plus dur à entendre : le poète, l’être doué, a besoin de ne parfois rien faire ; donc, il a droit au farniente. Sa paresse est précieuse et sacrée à l’État, qui la doit alléger de toutes les obligations sociales. Soldat, l’activité physique tuera chez lui l’activité morale ; calculateur, le chiffre étouffera le souffle divin. Danseur, il ne peut ; sauteur, il se pourrait. « … Eh ! n’entendez-vous pas le bruit des pistolets solitaires[5] ?…  » On ne songe pas sans étonnement que nos pères aient pu prendre au sérieux ces sophismes : frivoles, s’il s’agit d’instituer une suprématie des favoris de l’art ou des enrichis de l’industrie, absurdes, dès qu’on prétend créer au profit des artistes une aristocratie de prébende. L’art est le « superflu «, et il n’entre plus en nos obtuses cervelles comment le superflu pourrait primer le nécessaire. Pour ce qui est du génie, de quel droit un poète vient-il dire à l’État : « J’en ai. Nourrissez-moi. « Cela ne se sait qu’après, et pas toujours. Si les poètes arguaient de ce privilège, il les faudrait bannir de la république. Armez votre courage, et non vos pistolets. Il n’y a point ici d’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste ; je ne vois que des hommes vivant en une communauté, et qui n’en peuvent exiger que le droit au travail. Peut-être est-ce trop prendre au sérieux l’idée de Chatterton. Mais ceci, de ma part, n’est point jeu d’écriture : on ne saurait, à cette heure même, et dût-on passer pour Béotien, trop vivement dénoncer les contre-vérités et déclamations qui affectent une portée sociale.

J’ai peur que Chatterton ne soit proprement le type de ce que plusieurs dénomment aujourd’hui la pièce à idée : où l’idée est contestable et la pièce rudimentaire. De Vigny l’a voulu ainsi. « Une idée, qui est l’examen d’une blessure de l’âme, devait avoir dans sa forme l’unité la plus complète, la simplicité la plus sévère[6]. » La tentative semble originale à une époque où le drame shakespearien fait prime, et elle n’est pas pour nous effrayer, s’il est vrai qu’il ne se passe rien dans le Misanthrope et les Femmes savantes, ni absolument rien dans Francillon. Mais encore sied-il que la simplicité la plus sévère n’abuse ni de nos nerfs, ni de notre sensibilité, et laisse aux dramaturges plus matérialistes, qui visent le public et non les idées, la brutalité des moyens et les acrobaties effrayantes. Un penseur n’épuise pas la sensiblerie romantique et ne bénit pas le sexe auquel il doit sa mère. Il abandonne aux snobs et aux drames du boulevard les affres du suicide. Il se garde de rechercher les dénoûments d’Inès Mendo ou de la Famille de Carvajal : mort au premier étage, syncope à l’entresol ; il n’escompte pas l’effet du torse et des jambes de Dorval dévalant la rampe de l’escalier. Cela n’est plus de l’idéologie, à la fin : excusez les fautes de l’auteur.

Elles sont graves dans le dessin des caractères. L’homme de génie écrasé par la société est presque un enfant, — un enfant prodige, certes, qui, à dix-huit ans, a « vécu mille ans[7] ». Si l’œuvre était de Clara Gazul, on craindrait une mystification. Chatterton, ironiste et génial, a le cerveau lourd : il s’est attelé à un poème archéologique. Il soufdre, il éprouve des pesanteurs à l’âme. Pâle, cela va de soi ; mais « énergique de visage, faible de corps, épuisé de veilles et de pensées[8] ». Tout cela est-il si original et digne d’un philosophe, en 1835 ? Qu’est-ce donc, sinon un petit Byron, qui s’en irait de la poitrine, s’il ne lui survenait un autre accident ? Enfant capricieux et fantasque, d’ailleurs. Une femme l’interroge ; il s’enfuit et rentre sans chapeau[9]. La femme, dans un instant, coupera la même scène par une fuite semblable. Entendez qu’ils sont très émus. Anges purs !

On nous dit qu’en lui « la rêverie continuelle a tué l’action[10] ». Que de pessimisme, de Avertherianisme, de byronisme, que d’affaires pour un loyer impayé et quelques besognes de librairie inachevées ! Inspiration, fatalité[11], « mains glacées », « tête brûlante »[12], toutes les turlutaines, il les reprend toutes. Que ne prend-il plutôt son chapeau, qu’il a oublié tout à l’heure : le grand air lui fera du bien, avec quelques kilomètres de marche et de respiration à fond. La tâche quotidienne le rebute ; l’effort régulier lui répugne. Mais tous, voire les plus grands, s’y sont assujettis. La vie est une suite de labeurs traversés de rêves au delà. Tous ont eu leur muse, leur sainte, leur châsse ; et ils ont passé des nuits en travail, quoiqu’en solitude : Byron, ce dandy, était ferme à l’action. S’il avait suffi d’un créancier pour les briser ou d’une femme pour les amollir, ils n’eussent point mené leur œuvre à terme. Que Chatterton pousse la sienne ; qu’il y mette moins d’ironie et de dilettantisme dissolvants. Et, pour Dieu, qu’il se garde de mépriser l’ébéniste, son voisin, qui travaille à journée faite. Qu’il se règle plutôt sur ce compagnon, et soit « ouvrier en livres »[13], sans rougir ; qu’on sente même la main de l’ouvrier. C’est encore le plus sûr moyen de devenir un maître, et cela vaut mieux, à tout prendre, que de « poser devant les femmes[14] », de les compromettre, et de se tuer chez elles. Chatterton n’est même pas original à ce prix : Werther l’avait fait avant lui. Il faut, décidément, que les modes littéraires soient irrésistibles, pour qu’un esprit tel que de Vigny se paye de ces divagations romanesques et germaniques, et les donne pour des maximes sociales.

Tous ces gens-là sont en dehors de la vérité — et de la société française. Le Quaker radote. Il pense préserver Kitty Bell : un autre, qui ne serait point Quaker, ne s’y prendrait pas autrement pour la perdre. On voudrait lui crier :

Vieillard stupide, ils s’aiment[15] !


Il est sourd, il est aveugle, il est prolixe : il est trop de son âge. Il fait de l’esprit, et ne fait pas son devoir ; on voudrait modifier sa prière finale[16] ou y ajouter : « Ô mon Dieu, reçois ces deux martyrs, martyrs des prétentions à la sagesse et de l’amer verbiage de ce vieil homme ! » Quant à John Bell, c’est John Bull, une caricature, pour le contraste. Sur sa tête s’amassent tous les mépris destinés au bourgeois ; son visage rouge, « gonflé d’ale, de porter et de roastbeef[17] » excite la verve sénile du Quaker. Et pourtant ce brutal, ce dominateur, ce jaloux répond au radoteur des choses sensées, et tient à ses ouvriers en grève des propos qui ne sont pas méprisables. Il n’entend pas qu’on détourne sa femme ni qu’on brise ses machines[18] : et il prétend que chacun paye par le travail son écot au banquet de la vie. Âme de brute ! — Il faut descendre jusqu’au Michel Pauper de M. Henry Becque dans la lignée des œuvres fausses, pour trouver ce parti pris d’esprit aigu et à côté.

Reste que ce drame de la pensée vaut surtout par la passion naïve du personnage de Kitty Bell. Le type est d’un poète, sans échapper absolument à la convention romantique. La « vierge maternelle de Raphaël[19] », escortée de ses deux enfants, les baisers d’amante qu’elle leur donne, la faible femme et la mère ne s’écartent pas autant qu’on croit de la poétique de Victor Hugo. Elle est d’un poète, qui a seulement plus d’illusions. Mais, je le répète, Kitty Bell, âme idéale et simple, douce et inquiète, en qui l’amour naît de la charité, cela fait une beauté touchante. Et l’ouvrage, qui n’est ni un drame à idées justes, ni un drame d’observation ou d’intuition, ni même un drame, cette élucubration que gâte le sophisme et glace l’ironie, a pu séduire les cœurs sensibles ou las par cette passion novice et presque sainte. Je les quitte du chef-d’œuvre[20].

Un an après Chatterton paraît Kean. Il est probable que Dumas s’est piqué de faire voir à de Vigny et à ses contemporains ce qu’est le vrai génie, au moins celui du théâtre. Sa conception n’est pas sensiblement plus enfantine, mais plus pantagruélique, et d’un banquiste. Le drame a renversé au moins deux règles de la tragédie ? Voyez le génie : il les renverse toutes, et vive le désordre à la Shakespeare ! Nous avons dit la médiocre intelligence qu’à Dumas de l’auteur de Roméo. À cette heure, désordre et génie : à nous les événements singuliers, les fantaisies bizarres, les péripéties à tintamarre ; à nous les salons des comtesses, et la taverne du Trou du Charbon, et, sous le prétexte qu’un acteur doit étudier « toutes » les passions « sur lui-même pour les bien exprimer[21] », à nous don Juan et Falstaff, by Shakespeare ! M. Kean, pour soutenir son génie, se grise et roule sous les tables ; il vide le calice des passions jusqu’à la lie. Certes, il ne paye ni son propriétaire ni ses créanciers, à l’exemple de Chatterton. Il serait un homme du commun, s’il fléchissait à ces misères de la probité. Mais si Dumas s’est peint dans Kean, s’il y a retracé avec quelque complaisance les traits généraux de son caractère, bonhomie, gaîté, santé, force musculaire, exagération en tout et mépris de la critique, Kean, du moins, n’exige pas de l’État une pension alimentaire, en attendant qu’il songe à une nouvelle interprétation de Roméo. Et, comme l’auteur est trop dramatiste dans les moelles, pour se réduire volontairement au lyrisme sur le théâtre ou y distiller l’esprit amer, — en dépit de ses enfantines conceptions du génie[22], de son drame à outrance, de ses péripéties en cascade, et de ses prouesses, il a mis dans Kean quelque chose qui nous intéresse présentement davantage. Son talent dramatique l’attire, en dépit qu’il en ait, du côté de la vérité.

Malgré ses fanfares et ses fanfaronnades, au milieu de ce tumulte d’action, Kean n’oublie pas ses origines. Écoutez son style : « Oui, vous avez raison, il y a trop de distance entre nous. Lord Mewill est un homme honorable, tenant à l’une des premières familles d’Angleterre… de riche et vieille noblesse conquérante… si je ne me trompe. Il est vrai que Lord Mewill a mangé la fortune de ses pères en jeux de cartes et de dés ; il est vrai que son blason est terni de la vapeur de sa vie débauchée et de ses basses actions… et qu’au lieu de monter encore il a descendu toujours. Tandis que le bateleur Kean est né sur le grabat du peuple, a été exposé sur la place publique, et ayant commencé sans nom et sans fortune……, etc. » C’est le « tandis que moi[23] », que nous connaissons ; c’est la scène des « enfants trouvés » d’Antony que nous en avons déduite. Kean est bien frère de Richard Darlington et de Buridan. Il ne prétend pas à émarger sur les registres de l’État ; mais il ne veut plus être le jouet des aristocrates. Nom pour nom, dent pour dent. Et, s’il ne s’agit plus de thèse sociale, voilà au moins l’individualité moderne avec tous les appétits débridés. Kean a une bonne part de son génie dans ses muscles. Il a fait la culbute. Il fait le coup de poing. Après une vie d’orgie, il reprend sa lucidité et son sang-froid, comme s’il revenait d’une visite à la Tour de Nesle. Il semble que dans les rôles de Shakespeare qu’il interprète, il mette surtout en lumière l’animal humain[24]. Son triomphe est le personnage d’Othello ; mais il réussit fort dans celui de Roméo. Partout, chez les bateleurs, parmi la bourgeoisie, dans la noblesse, il traîne tous les cœurs après lui ; et la personne suit le cœur. M. Kean a opéré des cures merveilleuses. Des jeunes filles chlorotiques, nerveuses, mélancoliques et presque muettes, ont retrouvé la parole et la santé aux spectacles de Drury-Lane. Le premier sentiment des malades est presque « douloureux » ; mais quand Kean paraît, elles tressaillent, puis demeurent « immobiles comme la statue de l’étonnement », et reviennent à leur hôtel « toujours froides et silencieuses pour tous, mais déjà ranimées et vivantes au cœur[25] ». Une loge de consultation est adjointe à la scène pour le traitement de ces affections. Kean est doué d’un génie désordonné, fatal, mais thérapeutique. Et c’est l’enfantillage de Dumas qui s’abandonne ; mais c’est aussi la suite de Figaro, le vivant commentaire du petit animal folâtre, grisé d’honneurs et d’applaudissements, ami du prince de Galles et aimé de toutes les femmes. Non, cette descendance du barbier n’est pas modeste.

Chatterton est anglais, et profondément imbu de Werther et de Byron. Kean est français, et tout moderne. Percez la turbulence affectée du banquiste, et par-dessous, vous rencontrerez les deux éléments du rôle sympathique dans l’âge qui va suivre et qui s’arrête vers 1890 : révolutionnaire et sauveur, ennemi de l’ordre établi et conseiller ou confesseur plein d’indulgence. Prenez garde que Kean est plus près qu’on ne pense d’Olivier de Jalin et de de Ryons. Il s’élève contre l’ordre social et méprise les conventions. Ami du prince, il se révolte contre l’air de protection que prend à son endroit cette amitié. Il est indépendant. Au surplus, peu scrupuleux sur d’autres points. Ce pur, ce révolutionnaire accepte les petits cadeaux des grands de la terre ; il ne regarde pas d’où vient l’argent. Il tient d’Antony ; le Fils naturel tiendra de lui. Les lacunes de l’éducation apparaissent chez ces hommes nouveaux. Ils manquent parfois de tact dans les circonstances délicates : Olivier de Jalin ne s’est jamais entièrement lavé du reproche de remettre les lettres d’une femme à un tiers. Notez que ces défaillances sont justement celles qu’ils reprochent à M. Poirier. Ils ne veulent pas être des parvenus ; et tout de même ils en sont. Ils en sont par leur naïve obstination à protéger la femme, auprès de laquelle ils font volontiers le personnage d’une providence. Ces sauveurs, ces directeurs sont un peu jobards. Et Dumas en convient ; et cela est vu[26]. Nés on ne sait pas où, ils aiment les dames, les nobles dames, celles du monde, qui n’ont que des amours de tête. Parce qu’ils ont du génie à bras tendu, ils se croient de fins psychologues. Ce sera la prétention des de Ryons. Ils confessent, ils sermonnent, ils catéchisent, ils auscultent avec un sourire compétent, et comme s’ils accomplissaient un sacerdoce. Il se pourrait que tous ces amis des femmes fussent de bonnes dupes, qui les mettent plus haut qu’elles ne veulent être et les sauvegardent plus qu’il ne leur plairait. Pour des types de la bourgeoisie positive et galante, ils en sont ; et surtout ils en seront supérieurement, lorsque Taine aura frotté leur génie de science systématique. La jeune Anna, que la voix de M. Kean a troublée, ne me paraît pas une si débile créature. Et qui ne devine dans la bateleuse, l’humble et bonne Ketty, qui aime silencieusement M. Kean qu’elle voit de si bas et qui peut-être la rudoyait jadis, au temps où ils crevaient ensemble les cerceaux de papier, qui ne devine par avance la Marcelle du Demi-Monde et toutes les imitations qui en ont été faites, à commencer par la Cigale, petite cigale de joyeuse mémoire, pour finir par Cabotins ?

N’avais-je pas raison de dire que Kean est plus vrai que Chatterton ? Quant à l’intérêt un peu extérieur qui s’attache aux gens et aux choses du théâtre, Dumas, encore qu’il vînt après Shakespeare, Rotrou[27], Casimir Delavigne et Victor Hugo, était bien dans le mouvement de son siècle, où les coulisses de la politique, de la finance et de la scène se convient amicalement, où les journalistes sont partout bienvenus, où les princes de Galles recherchent la compagnie des Kean, où les Vernouillet coudoient le Mari de la débutante. MM. Meilhac et Halévy[28] ont excellé plus tard à nous révéler cette promiscuité égalitaire de la naissance, de la finance, de la politique et de la scène, derrière le rideau.


  1. Quoique Kean soit de 1836 et Angèle de 1833, ces deux œuvres sont égalenient des suites d’Antony, comme Richard Darlington. Aussi ai-je pris la liberté de m’attacher à l’idée qui domine la troisième partie de ce livre, plutôt qu’à la chronologie.
  2. Comédies, t. I, p. 3. « … Il n’en est pas moins vrai que l’artiste pauvre et ignoré vaut souvent mieux que les conquérants du monde, et qu’il y a de plus nobles cœurs sous les mansardes… etc. » Hors du théâtre, Dumas a eu l’occasion de développer ces idées en déclamant : il n’y a pas manqué. Voir Mes mémoires, t. IX, ch. ccxvi, pp. 1 sqq.
  3. De l’Allemagne, t. II, ch. xxii, p. 152.
  4. Marino Faliero, II, sc. ii, p. 32. La scène est peut-être un lointain ressouvenir du Torquato Tasso de Gœthe ; car le Bertram de Byron est simplement un conjuré.
  5. Alfred de Vigny, Théâtre complet (Calmann Lévy, éditeur). Dernière nuit de travail, p. 12.
  6. Dernière nuit de travail, p. 13.
  7. Chatterton, I, sc. v, p. 28.
  8. Caractères et costumes des rôles principaux, p. 15.
  9. Chatterton, II, sc. iv, pp. 47 et 49.
  10. Chatterton, I, sc. v, p. 29.
  11. Chatterton, I, sc. v, p. 29.
  12. Chatterton, III, sc. i, p. 54.
  13. Chatterton, II, sc. iv. p. 49.
  14. Chatterton, III, sc. i, p. 55.
  15. Hernani, III. sc. vii, p. 96.
  16. Chatterton, III, sc. ix, p. 81. « Oh ! dans ton sein ! dans ton sein, Seigneur, reçois ces deux martyrs !  »
  17. Caractères et costumes, p. 16.
  18. Pour mettre le sceau à l’odieux du rôle, Alfred de Vigny lui prête une attitude équivoque en présence des jeunes roués, qui parlent effrontément à sa femme devant lui.
  19. Sur les représentations du drame, p. 85.
  20. Je trouve dans une lettre inédite de Labiche à A. Leveaux, l’un de ses collaborateurs :
    « Paris, jeudi soir, février 1835. — Je viens devoir Chatterton. Je suis encore tout palpitant. Mon cœur saigne comme broyé dans un étau… Madame Dorval est une femme toute de cœur et d’âme… Le drame de de Vigny m’emplit ; il circule dans mes veines ; c’est mon sang. Bonsoir, je radote. » Il radote à la bourgeoise.
    Les impressions de Gautier sont plus froides, à la reprise. Voir Histoire du romantisme, pp. 152 sqq. Cet article est rempli de remarques fort justes sur les raisons du succès de Chatterton, sur l’inimitié des artistes à l’endroit des bourgeois, niaiserie romantique, que Flaubert accepte comme une tradition, et que de vieux jeunes cherchent à perpétuer aujourd’hui. Gautier a justement noté comment il se fait que John Bell, qui excitait en 1830 une répulsion violente, paraît après 1850 « le seul personnage raisonnable de la pièce ».
    Pour la reprise de 1877, voir Séchan, Souvenirs d’un homme de théâtre, p. 243. L’accueil fut respectueux et froid, — sauf au dénoûment, à la glissade de l’escalier : trivialité sublime.
  21. Kean (Th., V), II, tabl. ii, sc. ii, p. 124.
  22. On en fit une parodie : Kinne, ou que de génie en désordre ! variété en quelques couplets. Paris, chez l’éditeur, rue du Bas, 26, 1836, in-8, 12 pages.
  23. Kean, III, tabl. iii, sc. xiv, p. 158.
  24. Kean, III, tabl. iii, sc. xii, p. 153.
  25. Kean, III, tabl. iii, sc. xii, pp. 152-153.
  26. Kean, V, tabl. vi, sc. vi, p. 200.
  27. Saint-Genest. À l’acte IV, tabl. v, sc. i, p. 184, Kean manque sa sortie comme Saint-Genest sa réplique. Mais l’origine de ces pièces ou scènes, pour les dramaturges de 1830, est Hamlet.
  28. Le Mari de la débutante, la Boule, la Cigale.