Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/03/10

CHAPITRE X

LES SUITES D’« ANTONY ».


I

« RICHARD DARLINGTON. »

Dumas, qui n’a pas fait un autre Henri III, n’a pas davantage retrouvé l’intuition d’Antony. Mais il a poussé son inspiration à bout ; il a épuisé la matière de son œuvre. Antony, dont les aptitudes étaient universelles, s’est successivement tourné de tous les côtés où il avait chance de faire brèche ; il s’est orienté vers la politique, les arts, et notamment celui de se tirer d’affaire. Richard, Kean, d’Alvimar sont trois avatars d’Antony, trois suites du même drame, fécondes pour le développement du théâtre social. Alors que l’esprit français glorifie l’individu et la passion magnifique, Dumas, qui est le plus turbulent exemplaire de son époque, s’avise confusément qu’il y a du parvenu là-dessous. Son imagination débridée pousse jusqu’aux extrêmes confins où l’homme d’action, imbu de Rousseau et né sous le premier Empire, se heurte non pas seulement au monde et à ses préjugés, mais déjà à la caste bourgeoise et à ses idées positives qu’on voit quasiment poindre. Je ne connais guère au théâtre que l’aristocrate de Vigny qui ait eu cette prescience, ailleurs qu’en des préfaces. Il est vrai que Quitte pour la peur est de 1833 ; quant à John Bell de Chatterton, il date de 1835 ; et encore n’est-il qu’une caricature. Dumas est peuple, au moins par sa complexion de dramaturge ; et peuple, il met sur la scène les Figaro et les Antony en marche vers l’avenir. Il les devine plutôt qu’il ne les observe. Un autre dénoncera plus tard leurs sophismes ; il les agite, lui, dans la chaleur de l’action, dans le mouvement du drame. Avec sa fantaisie énorme, il élabore la passion dramatique qui fournira de matière le théâtre de notre siècle.

Antony n’est pas mort sur l’échafaud. Après son équipée amoureuse, il a fait un plongeon et s’est accroché à la politique. Et d’abord le drame de l’ambition.

Il est brutal, étouffant, tout à fait 1830. Ce n’est plus la violente simplicité de l’œuvre mère. Mais c’en est la vitalité, — héros et pièce, — énergique, effrénée. Les moyens scéniques sont si congruents à l’homme et l’homme aux moyens, que Richard Darlington, quoique moins complexe et suggestif qu’Antony, a fait souche à son tour dans l’œuvre de Dumas, à qui il a suffi de le changer de sexe pour écrire Catherine Howard, de pays pour en tirer Catilina. Quand cet auteur suit une veine, il ne la quitte pas aisément : cette permanence des types, si elle explique sa réputation de fécondité qu’il entretenait avec le plus grand soin, n’est pas la moindre marque de son tempérament populaire. J’ai noté ailleurs les imitations qui se rencontrent dans Richard Darlington[1], et que Dumas a signalées avec la part de ses collaborateurs. Mais pour ce qui est de l’imagination qui mit sur pied ce type, de la main qui le façonna, de cette communion frénétique avec l’âme française de l’époque, n’en déplaise à Granier de Gassagnac, Dumas, Dumas fecit. De lui est ce drame fantastique et moderne.

C’est celui où il a pensé être davantage shakespearien. Certes, il ne faut ni le voir ni le lire après Macbeth, où la passion nue s’analyse et se développe sous nos yeux. Le proiogue en est brutal, mystérieux, et peu vraisemblable ; et il ne suffit pas de se couvrir de l’autorité de Térence[2], pour mettre un accouchement presque sur la scène, que dis-je ? pour traîner l’accouchée à genoux devant le public, après lui avoir enlevé son masque, qui sans doute la gêne[3]. Et je consens que Richard est bien l’enfant du mystère, que l’énigme le poursuit. Il s’entretient avec un inconnu : il se trouve que cet inconnu est le roi. Je reconnais que ce marquis da Silva, qui faisait beaucoup de façons pour accorder sa fille mère au bourreau, n’hésite pas une seconde à offrir la cadette[4], qui est intacte, à un intrigant de la Chambre des communes. Le parti a besoin de rallier Richard. Voulez-vous ma fille ? C’est le sacrifice politique d’Iphigénie ; mais c’est aussi un trou dans la pièce. Quant à Lady Wilmor, qui n’a pas cherché à revoir son fils depuis qu’elle lui a donné le jour, sous le prétexte qu’elle ne saurait lui nommer son père, je crains qu’elle n’ait des scrupules tardifs et n’abuse des angoisses de feu Pixérécourt[5]. Ce n’est que la fantasmagorie populaire du mélodrame : Shakespeare au rebours. Je n’en excepte pas le nombre incalculable de péripéties qui s’abattent les unes par-dessus les autres, le rapt infâme, le vol, l’attaque de la diligence, etc., etc., et qui arrachent à la douce Jenny ce cri de surprise : « Oh ! il y a parfois des événements pour toute une vie dans les événements d’un jour ! J’ai peine à songer que tout cela est vrai[6]. » La tête vous tournerait à moins. Tous ces enragés, à mesure que le drame se précipite, courent les uns ajirès les autres comme en un steeple furieux, et crèvent leurs chevaux, innocentes bêtes, à l’envi. Heureuse la Famille Benoiton, pour qui les lignes de banlieue furent inventées !…

Et cependant, il y a bien là quelque chose du mouvement dramatique de Shakespeare. Jamais il ne fut mieux approprié au principal personnage. Pour Dumas, comme pour les imaginations de 1830, l’ambition est inséparable de l’énergie musculaire. L’homme d’action, fils impétueux de l’Empire, est une force que rien n’arrête et qui ne craint pas les obstacles. On les entasse ici à plaisir. Mais l’émotion étouffante du drame émane de cette volonté tendue et à brusque détente, avec laquelle Richard ou les affronte ou les supprime. L’intrigue se ramasse et rebondit à tout coup. Si l’on ne voit pas qu’à travers ces fougueuses péripéties se développe un caractère complexe ni subtil, encore est-il que la passion s’y exalte, le courage s’y exaspère, et l’individu sonne la charge, à l’assaut de la fortune.

La situation fondamentale est d’une vérité qui ne saurait se démoder en notre siècle : c’est le siècle même, avide et pressé. Vingt fois elle fut reprise au théâtre. Qu’est-ce que Richard ? Un ambitieux , sur qui pèse jusqu’à la fin le secret de sa naissance, l’éternelle énigme des petits Figaros. Il est fils du bourreau : symbole d’une tare originelle, simplement. Dans l’imagination de Dumas, on est né de bourreau ou de roi. Il n’y a guère de milieu entre les extrêmes. Cela signifie qu’on prétend à être fils de ses œuvres, ou seulement qu’on n’est pas fils de quelqu’un. Or cette tache gêne Richard pour se faire valoir. Au premier obstacle, il épouse à la hâte une famille. Demain la femme, épousée trop tôt, est de trop mince qualité, et fait échec à l’ambition. Il s’agit de s’en débarrasser. Scène de séduction d’une part[7] : on songe à Vernouillet, à d’Estrigaud ; propositions de divorce ensuite[8] : c’est la Lutte pour la vie, le Député Leveau.

Suivez à travers les frasques de la fantaisie shakespearienne, c’est à savoir mélodramatique, la conduite de l’œuvre. Tout cela est souvent d’une vérité poignante. Les scènes à faire sont abordées de front. Au premier acte, Richard se marie ; au deuxième, il est député et veut se marier ailleurs. Il y a dans ce même acte une scène de marchandage politique, qu’on n’a pas égalée, et qui, elle non plus, ne vieillit guère. Les Effrontés, le Fils de Giboyer, Paul Astier, le Députe Leveau en sont de sûrs garants. Je goûte fort le talent de M. Jules Lemaître ; j’aime celui d’Alphonse Daudet, et j’admire Émile Augier. Mais ni l’un ni l’autre n’ont enlevé ces situations avec la vigueur allègre de Dumas. Oh ! l’admirable scène de ménage[9] ! Oh ! la moderne scène de tripotage[10] ! Et quelle sûreté d’exécution ! Quelle dramatique composition ! Sachons enfin reconnaître cet art tout français de bouleverser le théâtre d’un mot, de suspendre l’intérêt, de mettre le feu aux poudres, et de courir à l’acte ou au tableau suivant comme à l’incendie qui éclate ! Il faut voir cet adroit maniement du réalisme sur la scène, je dis le réalisme le plus moderne et vivant. Au moment où l’invention s’égare dans le fantastique de Pixérécourt, où Richard vient de s’entretenir avec l’Inconnu, où il va être premier ministre, duc et pair et mari d’une da Silva, que sais-je ? — un subalterne à lui arrive, qui interrompt son monologue triomphal, glorieux retour sur lui-même… « Mawbray est revenu de Londres. » — « Eh ! que m’importe ? » — « Il amène votre femme. » — « Jenny ! » — « Elle vous attend à l’hôtel ! » — « J’avais tout oublié ! Malédiction[11] ! » Saluons un tel homme de théâtre ! Et cette vigueur de main ! Et cette logique intérieure et scénique qui se dissimule sous les écarts de la fantaisie ! Tout le drame réel reparaît à ces mots, accablant. Et puis, je ne sais qu’un dramatiste de ce siècle qui ait atteint à cette maîtrise : on en trouvera quelques exemples dans le Fils naturel, le Demi-monde, Denise et ailleurs.

Le troisième acte même, qu’il semblait qu’aucune habileté humaine ne pouvait dénouer, est un mélange d’imagination et de vérité, de scènes mélodramatiques enlevées à bride abattue et d’autres aussi pathétiques et plus vraies. Dans l’entrevue de Lady Wilmor avec son fils si l’on trouve de l’émotion et du mystère à la façon de Cœlina, — on y rencontre aussi comme le germe du Fils naturel[12]. Et, s’il est vrai qu’il faut acheter le dénoûment par l’attaque de la chaise de poste, ce dénoûment, pour peu qu’on en transpose le langage, contient au moins une scène de premier ordre, celle de l’ambitieux qui se retrouve en présence de sa femme, de la créature qui entrave son avenir et lui ravit un beau mariage. Alphonse Daudet se souviendra au moins de la situation, s’il n’a pas le courage de jeter Marie Anto par la fenêtre[13]. Et ainsi ce drame shakespearien, où le mélodrame déborde, est plein d’une vigueur et d’une vérité dont le théâtre réaliste fera son profit.

Richard est moins littéraire qu’Antony. Il s’est débarrassé du bagage pessimiste de Werther et de Franz. De rien qu’il était né, il veut être tout, et très vite, comme avec concupiscence. Il marque une date de notre histoire : avant 1789, polémiste ; après 1850, positiviste ou ironiste. Il est une volonté au service de l’ambition : le produit immédiat du premier Empire. À l’exemple de Napoléon, il divorcera pour fonder solidement sa fortune politique, sinon sa dynastie. Comme lui, sorti de la foule obscure, il guette son moment ; pour son coup d’essai, il veut être premier ministre, sinon premier consul. Il s’évertue dans le sillage éblouissant de la légende. Il est le premier de ces corsaires de l’action sans scrupule et sans idéal, qui courent après leur Brumaire, et que poursuit la tare originelle de leur fortune : Vernouillet ou Paul Astier. Alphonse Daudet a nettement vu la filiation. « Le divorce par amour, dit en souriant son petit féroce. Napoléon et Joséphine[14]. »

Voilà le milieu d’origine. Au reste, peu d’imagination : le trait est à noter, quand il s’agit d’un héros de Dumas. L’instinct de la vérité moderne plie à son gré le propre tempérament du dramaturge. Richard imagine peu, rêve moins encore. À peine une chaleur de tête lui monte, quand il touche à l’apogée. Mais c’est l’affaire d’un instant ; et encore, ce monologue haletant et court n’est-il qu’un souvenir du péan lyrique de Fiesque. J’ai dit que celui-ci avait inspiré Dumas dans la peinture de Richard[15]. Comparez l’altitude même des deux héros, et voyez combien Richard est plus moderne. Il parle peu, et sec. Il n’est ondoyant et souple qu’avec les femmes, comme Paul Astier, et seulement pour les amener à ses fins, je veux dire aux fins de son ambition. Il est un homme pressé parmi la vie, dans la fièvre du succès. Qu’il séduise une jeune iille, qu’il parle à la Chambre, ou renonce à la parole, il prend ses décisions et les exécute sans balancer. Et il sait ce qu’il veut. Fils de déclassé, déclassé lui-même, d’un orgueil infini, il prétend à être député, parce que c’est le premier échelon. « Richard député ? » — « Pourquoi pas ?» — « Et depuis quand as-tu eu cette idée ?» — « Depuis que je pense[16]. » Au surplus, homme de génie ; ils le sont tous : c’est un prix fait ; homme à poigne ; n’oublions pas qu’Antony arrête les chevaux emportés ; et très décidé à mettre l’une au service de l’autre pour frapper de grands coups. M. Poirier, qui, lui aussi, s’écrie fixant son objet : « Encore un d’arrivé !  » serait encore un peu Restauration, et répugnerait sans doute à relever ses manches. Mais Paul Astier retroussera volontiers les siennes ; et avant lui, M. Frédéric-Thomas Graindorge, représentant de la génération qui suit celle de Richard, prêchera en exemple le souvenir de ses débuts : « Un jour, un matelot, gros et grand gaillard, à qui j’ordonnais de descendre une barrique, hausse les épaules… Je sautai sur lui, et en six coups de poing je lui démolis la figure ; il obéit à l’instant même ; tout l’équipage commença à me traiter avec bienveillance, et j’acquis ainsi mes premières idées sur la façon de conduire les hommes[17]. » C’est le même qui dit : « On ne vit qu’en s’incorporant à quelque être plus grand que soi-même ; il faut appartenir à une famille, à une société[18] … » Telle est proprement la maxime de Richard. Égoïste par ambition, presque naïvement, je veux dire avec l’intrépidité d’une société jeune, qui depuis quarante ans a vu des choses étranges. Député, il fait ses discours, son opposition, sa réputation, sa fortune. Il a un homme, à lui, qui circule dans les pas-perdus, et qui n’a d’autre mission sur la terre que de prendre langue avec la presse, chauffer l’enthousiasme, préparer les transactions, et voir venir les gens et les choses. Ce factotum, parent du nègre de Fiesque, est le maître Jacques du politicien. Il règle la maison avec économie, se charge de détruire les papiers compromettants, ménage les entrevues utiles… Je m’arrête au seuil de la société contemporaine. Qui donc prétend que Richard Darlington est vieux comme un burgrave ? Qu’importe, après cela, que la bigamie soit un cas pendable, et que les desseins de Richard échouent dans les aventures de Rocambole ? Qu’importe Mawbray, cousin de Polder ou le Bourreau d’Amsterdam, si mistress Grey, qui n’est pas sans ressemblance avec la mère de l’auteur, a déjà quelques traits de madame Guérin ; si Jenny est une vraie femme, sensible et frémissante, comme Adèle, courageuse et pourtant faible contre la douleur et la mort, comme la duchesse de Guise ; et si elle est de son milieu et de son époque autant que la bonne madame Leveau[19], en qui M. Jules Lemaître a déposé, avec ses souvenirs de Dumas, un peu de son âme tourangelle qu’il cache ? Et peut-être, après Richard Darlington, qu’importe Kean ?


II

« KEAN OU DÉSORDRE ET GÉNIE[20]. »

Chatterton et Kean.

Antony, s’il s’occupe de politique, veut être premier ministre. Artiste, il est génial. Nouvelle fatalité qui pèse sur ces nouveaux venus. Le génie quotidien, régulier, tout uni, n’est point leur affaire. Il sied qu’ils étonnent le monde par leurs façons. Je n’aime guère Kean ni ses fantaisies truculentes, dont le désordre est sans doute un effet de l’art. Mais Chatterton me stupéfie. Il faut étudier celui-ci pour comprendre ce qu’il y a tout de même de sens plus dramatique et moderne chez l’autre, qui parut à un an d’intervalle.

La pièce d’Alfred de Vigny a pour elle les critiques qui font profession de penser. Je connais peu d’œuvres plus crispantes et fausses : c’est un cauchemar qui se prolonge et suspend la vie. Si l’on objecte le succès qu’elle eut, je réponds qu’il est le fait des hommes de lettres. De Vigny, malgré ses airs d’a]iôtre, a chatouillé au bon endroit la vanité romantique, et par delà le romantisme, tous les écrivains, artistes et badauds qui affectent le dédain du bourgeois. L’idée était dans l’air. Lisez Namoana et l’avant-propos de la Nuit vénitienne[21]. Remontez plus haut, lisez Gœthe, dans Torquato Tasso, où il oppose le poète à l’homme de cour, et surtout le commentaire que madame de Staël en fait[22], avant Stello, avant le Docteur Noir. Même l’honnête Casimir Delavigne a glissé dans Marino Faliero une scène, qui est le fonds de Chatterton ; et il a pu fournir à de Vigny le moyen de hâter son dénoûment. Seulement, il n’était pas dupe de cette guitare romantique. À Bertram le statuaire, Lioni, l’un des Dix, fait ce sermon, qui ne manque ni d’esprit ni d’à-propos en 1829 :

 
Sois un artiste habile,
Un sculpteur sans égal ; mais pense à tes travaux,

Et, quand tu veux blâmer, parle de tes rivaux.
L’État doit aux beaux-arts laisser ce privilège…


Et il ajoute doucement :

 
Garde-toi d’oublier
Que des vertus ici l’humilité chrétienne

Est la plus nécessaire, et ce n’est pas la tienne[23].

Ce n’est pas celle de Chatterton. Ses prétentions, il en faut rabattre. Dès le moment que la bourgeoisie arrive au pouvoir, de Vigny prévoit (qu’elle va paver de son respect pour l’argent la rançon de ses qualités. Ce sera le fonds solide de la comédie d’Émile Augier. Il oppose la force intellectuelle à l’autre. Je m’en réjouis, songeant à M. Poirier. Où l’enfantillage commence (car Dumas n’en a pas le monopole en son temps), c’est lorsque je vois localiser le génie dans les lettres et les arts. Je dois à l’auteur d’Eloa des heures précieuses ; mais Denis Papin aussi avait bien de l’inspiration. Et ceci est encore plus dur à entendre : le poète, l’être doué, a besoin de ne parfois rien faire ; donc, il a droit au farniente. Sa paresse est précieuse et sacrée à l’État, qui la doit alléger de toutes les obligations sociales. Soldat, l’activité physique tuera chez lui l’activité morale ; calculateur, le chiffre étouffera le souffle divin. Danseur, il ne peut ; sauteur, il se pourrait. « … Eh ! n’entendez-vous pas le bruit des pistolets solitaires[24] ?…  » On ne songe pas sans étonnement que nos pères aient pu prendre au sérieux ces sophismes : frivoles, s’il s’agit d’instituer une suprématie des favoris de l’art ou des enrichis de l’industrie, absurdes, dès qu’on prétend créer au profit des artistes une aristocratie de prébende. L’art est le « superflu «, et il n’entre plus en nos obtuses cervelles comment le superflu pourrait primer le nécessaire. Pour ce qui est du génie, de quel droit un poète vient-il dire à l’État : « J’en ai. Nourrissez-moi. « Cela ne se sait qu’après, et pas toujours. Si les poètes arguaient de ce privilège, il les faudrait bannir de la république. Armez votre courage, et non vos pistolets. Il n’y a point ici d’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste ; je ne vois que des hommes vivant en une communauté, et qui n’en peuvent exiger que le droit au travail. Peut-être est-ce trop prendre au sérieux l’idée de Chatterton. Mais ceci, de ma part, n’est point jeu d’écriture : on ne saurait, à cette heure même, et dût-on passer pour Béotien, trop vivement dénoncer les contre-vérités et déclamations qui affectent une portée sociale.

J’ai peur que Chatterton ne soit proprement le type de ce que plusieurs dénomment aujourd’hui la pièce à idée : où l’idée est contestable et la pièce rudimentaire. De Vigny l’a voulu ainsi. « Une idée, qui est l’examen d’une blessure de l’âme, devait avoir dans sa forme l’unité la plus complète, la simplicité la plus sévère[25]. » La tentative semble originale à une époque où le drame shakespearien fait prime, et elle n’est pas pour nous effrayer, s’il est vrai qu’il ne se passe rien dans le Misanthrope et les Femmes savantes, ni absolument rien dans Francillon. Mais encore sied-il que la simplicité la plus sévère n’abuse ni de nos nerfs, ni de notre sensibilité, et laisse aux dramaturges plus matérialistes, qui visent le public et non les idées, la brutalité des moyens et les acrobaties effrayantes. Un penseur n’épuise pas la sensiblerie romantique et ne bénit pas le sexe auquel il doit sa mère. Il abandonne aux snobs et aux drames du boulevard les affres du suicide. Il se garde de rechercher les dénoûments d’Inès Mendo ou de la Famille de Carvajal : mort au premier étage, syncope à l’entresol ; il n’escompte pas l’effet du torse et des jambes de Dorval dévalant la rampe de l’escalier. Cela n’est plus de l’idéologie, à la fin : excusez les fautes de l’auteur.

Elles sont graves dans le dessin des caractères. L’homme de génie écrasé par la société est presque un enfant, — un enfant prodige, certes, qui, à dix-huit ans, a « vécu mille ans[26] ». Si l’œuvre était de Clara Gazul, on craindrait une mystification. Chatterton, ironiste et génial, a le cerveau lourd : il s’est attelé à un poème archéologique. Il soufdre, il éprouve des pesanteurs à l’âme. Pâle, cela va de soi ; mais « énergique de visage, faible de corps, épuisé de veilles et de pensées[27] ». Tout cela est-il si original et digne d’un philosophe, en 1835 ? Qu’est-ce donc, sinon un petit Byron, qui s’en irait de la poitrine, s’il ne lui survenait un autre accident ? Enfant capricieux et fantasque, d’ailleurs. Une femme l’interroge ; il s’enfuit et rentre sans chapeau[28]. La femme, dans un instant, coupera la même scène par une fuite semblable. Entendez qu’ils sont très émus. Anges purs !

On nous dit qu’en lui « la rêverie continuelle a tué l’action[29] ». Que de pessimisme, de Avertherianisme, de byronisme, que d’affaires pour un loyer impayé et quelques besognes de librairie inachevées ! Inspiration, fatalité[30], « mains glacées », « tête brûlante »[31], toutes les turlutaines, il les reprend toutes. Que ne prend-il plutôt son chapeau, qu’il a oublié tout à l’heure : le grand air lui fera du bien, avec quelques kilomètres de marche et de respiration à fond. La tâche quotidienne le rebute ; l’effort régulier lui répugne. Mais tous, voire les plus grands, s’y sont assujettis. La vie est une suite de labeurs traversés de rêves au delà. Tous ont eu leur muse, leur sainte, leur châsse ; et ils ont passé des nuits en travail, quoiqu’en solitude : Byron, ce dandy, était ferme à l’action. S’il avait suffi d’un créancier pour les briser ou d’une femme pour les amollir, ils n’eussent point mené leur œuvre à terme. Que Chatterton pousse la sienne ; qu’il y mette moins d’ironie et de dilettantisme dissolvants. Et, pour Dieu, qu’il se garde de mépriser l’ébéniste, son voisin, qui travaille à journée faite. Qu’il se règle plutôt sur ce compagnon, et soit « ouvrier en livres »[32], sans rougir ; qu’on sente même la main de l’ouvrier. C’est encore le plus sûr moyen de devenir un maître, et cela vaut mieux, à tout prendre, que de « poser devant les femmes[33] », de les compromettre, et de se tuer chez elles. Chatterton n’est même pas original à ce prix : Werther l’avait fait avant lui. Il faut, décidément, que les modes littéraires soient irrésistibles, pour qu’un esprit tel que de Vigny se paye de ces divagations romanesques et germaniques, et les donne pour des maximes sociales.

Tous ces gens-là sont en dehors de la vérité — et de la société française. Le Quaker radote. Il pense préserver Kitty Bell : un autre, qui ne serait point Quaker, ne s’y prendrait pas autrement pour la perdre. On voudrait lui crier :

Vieillard stupide, ils s’aiment[34] !


Il est sourd, il est aveugle, il est prolixe : il est trop de son âge. Il fait de l’esprit, et ne fait pas son devoir ; on voudrait modifier sa prière finale[35] ou y ajouter : « Ô mon Dieu, reçois ces deux martyrs, martyrs des prétentions à la sagesse et de l’amer verbiage de ce vieil homme ! » Quant à John Bell, c’est John Bull, une caricature, pour le contraste. Sur sa tête s’amassent tous les mépris destinés au bourgeois ; son visage rouge, « gonflé d’ale, de porter et de roastbeef[36] » excite la verve sénile du Quaker. Et pourtant ce brutal, ce dominateur, ce jaloux répond au radoteur des choses sensées, et tient à ses ouvriers en grève des propos qui ne sont pas méprisables. Il n’entend pas qu’on détourne sa femme ni qu’on brise ses machines[37] : et il prétend que chacun paye par le travail son écot au banquet de la vie. Âme de brute ! — Il faut descendre jusqu’au Michel Pauper de M. Henry Becque dans la lignée des œuvres fausses, pour trouver ce parti pris d’esprit aigu et à côté.

Reste que ce drame de la pensée vaut surtout par la passion naïve du personnage de Kitty Bell. Le type est d’un poète, sans échapper absolument à la convention romantique. La « vierge maternelle de Raphaël[38] », escortée de ses deux enfants, les baisers d’amante qu’elle leur donne, la faible femme et la mère ne s’écartent pas autant qu’on croit de la poétique de Victor Hugo. Elle est d’un poète, qui a seulement plus d’illusions. Mais, je le répète, Kitty Bell, âme idéale et simple, douce et inquiète, en qui l’amour naît de la charité, cela fait une beauté touchante. Et l’ouvrage, qui n’est ni un drame à idées justes, ni un drame d’observation ou d’intuition, ni même un drame, cette élucubration que gâte le sophisme et glace l’ironie, a pu séduire les cœurs sensibles ou las par cette passion novice et presque sainte. Je les quitte du chef-d’œuvre[39].

Un an après Chatterton paraît Kean. Il est probable que Dumas s’est piqué de faire voir à de Vigny et à ses contemporains ce qu’est le vrai génie, au moins celui du théâtre. Sa conception n’est pas sensiblement plus enfantine, mais plus pantagruélique, et d’un banquiste. Le drame a renversé au moins deux règles de la tragédie ? Voyez le génie : il les renverse toutes, et vive le désordre à la Shakespeare ! Nous avons dit la médiocre intelligence qu’à Dumas de l’auteur de Roméo. À cette heure, désordre et génie : à nous les événements singuliers, les fantaisies bizarres, les péripéties à tintamarre ; à nous les salons des comtesses, et la taverne du Trou du Charbon, et, sous le prétexte qu’un acteur doit étudier « toutes » les passions « sur lui-même pour les bien exprimer[40] », à nous don Juan et Falstaff, by Shakespeare ! M. Kean, pour soutenir son génie, se grise et roule sous les tables ; il vide le calice des passions jusqu’à la lie. Certes, il ne paye ni son propriétaire ni ses créanciers, à l’exemple de Chatterton. Il serait un homme du commun, s’il fléchissait à ces misères de la probité. Mais si Dumas s’est peint dans Kean, s’il y a retracé avec quelque complaisance les traits généraux de son caractère, bonhomie, gaîté, santé, force musculaire, exagération en tout et mépris de la critique, Kean, du moins, n’exige pas de l’État une pension alimentaire, en attendant qu’il songe à une nouvelle interprétation de Roméo. Et, comme l’auteur est trop dramatiste dans les moelles, pour se réduire volontairement au lyrisme sur le théâtre ou y distiller l’esprit amer, — en dépit de ses enfantines conceptions du génie[41], de son drame à outrance, de ses péripéties en cascade, et de ses prouesses, il a mis dans Kean quelque chose qui nous intéresse présentement davantage. Son talent dramatique l’attire, en dépit qu’il en ait, du côté de la vérité.

Malgré ses fanfares et ses fanfaronnades, au milieu de ce tumulte d’action, Kean n’oublie pas ses origines. Écoutez son style : « Oui, vous avez raison, il y a trop de distance entre nous. Lord Mewill est un homme honorable, tenant à l’une des premières familles d’Angleterre… de riche et vieille noblesse conquérante… si je ne me trompe. Il est vrai que Lord Mewill a mangé la fortune de ses pères en jeux de cartes et de dés ; il est vrai que son blason est terni de la vapeur de sa vie débauchée et de ses basses actions… et qu’au lieu de monter encore il a descendu toujours. Tandis que le bateleur Kean est né sur le grabat du peuple, a été exposé sur la place publique, et ayant commencé sans nom et sans fortune……, etc. » C’est le « tandis que moi[42] », que nous connaissons ; c’est la scène des « enfants trouvés » d’Antony que nous en avons déduite. Kean est bien frère de Richard Darlington et de Buridan. Il ne prétend pas à émarger sur les registres de l’État ; mais il ne veut plus être le jouet des aristocrates. Nom pour nom, dent pour dent. Et, s’il ne s’agit plus de thèse sociale, voilà au moins l’individualité moderne avec tous les appétits débridés. Kean a une bonne part de son génie dans ses muscles. Il a fait la culbute. Il fait le coup de poing. Après une vie d’orgie, il reprend sa lucidité et son sang-froid, comme s’il revenait d’une visite à la Tour de Nesle. Il semble que dans les rôles de Shakespeare qu’il interprète, il mette surtout en lumière l’animal humain[43]. Son triomphe est le personnage d’Othello ; mais il réussit fort dans celui de Roméo. Partout, chez les bateleurs, parmi la bourgeoisie, dans la noblesse, il traîne tous les cœurs après lui ; et la personne suit le cœur. M. Kean a opéré des cures merveilleuses. Des jeunes filles chlorotiques, nerveuses, mélancoliques et presque muettes, ont retrouvé la parole et la santé aux spectacles de Drury-Lane. Le premier sentiment des malades est presque « douloureux » ; mais quand Kean paraît, elles tressaillent, puis demeurent « immobiles comme la statue de l’étonnement », et reviennent à leur hôtel « toujours froides et silencieuses pour tous, mais déjà ranimées et vivantes au cœur[44] ». Une loge de consultation est adjointe à la scène pour le traitement de ces affections. Kean est doué d’un génie désordonné, fatal, mais thérapeutique. Et c’est l’enfantillage de Dumas qui s’abandonne ; mais c’est aussi la suite de Figaro, le vivant commentaire du petit animal folâtre, grisé d’honneurs et d’applaudissements, ami du prince de Galles et aimé de toutes les femmes. Non, cette descendance du barbier n’est pas modeste.

Chatterton est anglais, et profondément imbu de Werther et de Byron. Kean est français, et tout moderne. Percez la turbulence affectée du banquiste, et par-dessous, vous rencontrerez les deux éléments du rôle sympathique dans l’âge qui va suivre et qui s’arrête vers 1890 : révolutionnaire et sauveur, ennemi de l’ordre établi et conseiller ou confesseur plein d’indulgence. Prenez garde que Kean est plus près qu’on ne pense d’Olivier de Jalin et de de Ryons. Il s’élève contre l’ordre social et méprise les conventions. Ami du prince, il se révolte contre l’air de protection que prend à son endroit cette amitié. Il est indépendant. Au surplus, peu scrupuleux sur d’autres points. Ce pur, ce révolutionnaire accepte les petits cadeaux des grands de la terre ; il ne regarde pas d’où vient l’argent. Il tient d’Antony ; le Fils naturel tiendra de lui. Les lacunes de l’éducation apparaissent chez ces hommes nouveaux. Ils manquent parfois de tact dans les circonstances délicates : Olivier de Jalin ne s’est jamais entièrement lavé du reproche de remettre les lettres d’une femme à un tiers. Notez que ces défaillances sont justement celles qu’ils reprochent à M. Poirier. Ils ne veulent pas être des parvenus ; et tout de même ils en sont. Ils en sont par leur naïve obstination à protéger la femme, auprès de laquelle ils font volontiers le personnage d’une providence. Ces sauveurs, ces directeurs sont un peu jobards. Et Dumas en convient ; et cela est vu[45]. Nés on ne sait pas où, ils aiment les dames, les nobles dames, celles du monde, qui n’ont que des amours de tête. Parce qu’ils ont du génie à bras tendu, ils se croient de fins psychologues. Ce sera la prétention des de Ryons. Ils confessent, ils sermonnent, ils catéchisent, ils auscultent avec un sourire compétent, et comme s’ils accomplissaient un sacerdoce. Il se pourrait que tous ces amis des femmes fussent de bonnes dupes, qui les mettent plus haut qu’elles ne veulent être et les sauvegardent plus qu’il ne leur plairait. Pour des types de la bourgeoisie positive et galante, ils en sont ; et surtout ils en seront supérieurement, lorsque Taine aura frotté leur génie de science systématique. La jeune Anna, que la voix de M. Kean a troublée, ne me paraît pas une si débile créature. Et qui ne devine dans la bateleuse, l’humble et bonne Ketty, qui aime silencieusement M. Kean qu’elle voit de si bas et qui peut-être la rudoyait jadis, au temps où ils crevaient ensemble les cerceaux de papier, qui ne devine par avance la Marcelle du Demi-Monde et toutes les imitations qui en ont été faites, à commencer par la Cigale, petite cigale de joyeuse mémoire, pour finir par Cabotins ?

N’avais-je pas raison de dire que Kean est plus vrai que Chatterton ? Quant à l’intérêt un peu extérieur qui s’attache aux gens et aux choses du théâtre, Dumas, encore qu’il vînt après Shakespeare, Rotrou[46], Casimir Delavigne et Victor Hugo, était bien dans le mouvement de son siècle, où les coulisses de la politique, de la finance et de la scène se convient amicalement, où les journalistes sont partout bienvenus, où les princes de Galles recherchent la compagnie des Kean, où les Vernouillet coudoient le Mari de la débutante. MM. Meilhac et Halévy[47] ont excellé plus tard à nous révéler cette promiscuité égalitaire de la naissance, de la finance, de la politique et de la scène, derrière le rideau.


III

« ANGÈLE ».

(Une Chaîne, Monsieur Alphonse, La morale dramatique des Dumas.)

Le 6 février 1832, Dumas avait donné, en collaboration avec Anicet Bourgeois, un drame en cinq actes, Teresa, qui n’était pas bon. L’œuvre manque manifestement d’originalité : le principal personnage est tiré de l’École des Vieillards ; Paolo est une doublure de Paula de Christine. Mais à l’acte III et au début du V, l’auteur avait trouvé une situation prise à la mesure des mœurs de son temps et du nôtre, quoique renouvelée de Tartufe[48]. Comme il ne laisse pas ses idées en friches, l’année suivante il reprend cette situation, toujours avec Anicet, et la relie aux Suites d’Antony. Angèle est un drame de premier ordre, et Alfred d’Alvimar le modèle des hommes forts à venir (28 décembre 1833). Cette fois, Dumas mettait à découvert les générations nouvelles, et posait nettement la question de la femme moderne. Et, du même coup, il rejetait le masque de Werther. Antony apparaissait au naturel[49].

L’inspiration en fut si heureuse et l’œuvre si adroitement taillée en pleine évolution de la société, qu’elle a été refaite à chaque étape du xixe siècle. Elle est devenue successivement la Closerie des Genêts, Claudie, une Chaîne, Montjoie, Monsieur Alphonse, Denise[50], etc. L’idée était assez forte et pleine de réalité contemporaine pour porter tous ceux qui s’y sont essayés ; car aucune des pièces que j’ai citées n’est médiocre. Même en 1889 il a suffi à M. Alphonse Daudet d’adapter Angèle, et de mettre sous le couvert de Herscher et de Darwin, et non plus sous la protection de Gœthe, de Schiller de Byron ou de Chateaubriand, son « petit féroce », pour animer sur le théâtre la Lutte pour la vie. Au reste, les procédés sont analogues et les souvenirs transparents, au point qu’il semble d’abord que M. Daudet n’ait eu que la peine de faire la transposition des milieux et du langage. Paul Astier et Alfred d’Alvimar sont pareillement délibérés et cyniques ; ils ont compris que la femme, enivrée des encens qu’on lui brûle et du culte bourgeois dont elle est l’idole, devient un excellent appoint dans le jeu de la fortune et de l’existence. On retrouvera dans la Lutte pour la vie jusqu’à la bonne tante Angélique, qui chaperonne sa nièce ; et s’il est vrai que le soupirant naïf et sincère n’est ni médecin ni malade de la poitrine, comme Henri Muller, du moins est-il bègue et chimiste, presque pharmacien. La Lutte pour la vie, c’est Richard Darlington et c’est Angèle vus à l’autre bout du siècle : la dernière Suite d’Antony.

Ce fils du Hasard jouait du pathos pour être distingué par l’imagination et le cœur de la femme convoitée. Alfred d’Alvimar utilise de sang-froid cette musique et les femmes qui y sont sensibles. Il veut refaire sa vie ; il vient après la seconde révolution. Les appétits excités par la première, déçus par l’autre, n’en sont que plus aigus. Prenons garde que le flegme de celui-ci cache peut-être plus de violence que les exclamations de l’amant d’Adèle. L’Antonisme s’exaspère, mais il s’oriente dans la pratique. Adèle ou Ernestine, la maîtresse d’hier est déjà de l’ancien régime. Alfred se tourne vers Angèle, une toute jeune fille bien née, et d’un mérite solide, c’est-à-dire monnayé. La mère survient, qui est une femme de tête et d’avenir ; il se retourne vers la mère, veut l’épouser, l’épouse, — n’était le passé qui soudain reparaît : Échelle de femmes[51]. Antony en poursuivait une, Richard en a deux, Alfred trois. S’il vous plaît de chercher l’échelle d’hommes, retournez la situation : c’est le Demi-Monde, l’ambitieuse Suzanne entre le marquis de Thonnerins et Olivier, qui sont le passé, et de Nanjac, qui représente le lendemain consolidé. Est-ce assez montrer la qualité réaliste de l’idée d’Angèle ?

La facture du drame est serrée et de plus en plus proche du théâtre de la seconde moitié du siècle. L’imagination y a moins de part que dans Richard Darlington et Kean. Sans doute nous verrons encore piaffer les chevaux de poste prêts à dévorer les routes de l’Europe ; nous les retrouverons jusque dans Diane de Lys. On voyage beaucoup sur la scène, avant les chemins de fer. Il nous sera donné de contempler avec surprise un médecin amené chez une malade, de nuit, par la fenêtre, les yeux bandés[52]. Conçoit-on Dumas maintenant sa fantaisie en une étroite discipline ? Il la surveille au moins. Son don Juan positif, qui « calcule », cet Antony de la seconde manière, et qui a « réfléchi[53] », mène les choses à belle allure, avec une décision, qui n’est pas encore l’inflexible logique, mais qui y tend. Les événements retombent sur lui, inexorables, « comme le rocher de Sisyphe[54] ». Il est de la race : il bouscule le drame ; il précipite l’action. Au premier acte, séparation et initiation : deux maîtresses pour un amant. Neuf mois après, l’irréparable est manifeste. On ne badine plus avec l’amour. Il allait épouser la mère ; retour de la fille, double confidence. Et voici la fille mère, et l’enfant qui intervient : fatalité naturelle du drame contemporain ; et voici la maîtresse, Ernestine, devenue veuve, qui reparaît : fatalité coutumière. Le gaillard allait réussir ; un poitrinaire lui casse la tête d’un coup de pistolet. « Hû-û-û-û[55]. » C’est l’âme du vibrion qui s’envole, comme dit Rémonin. « Adjugé[56] ! » murmure le père Vaillant. Nous ne sommes pas encore à une époque de pure dialectique : c’est le faible qui supprime le fort. À cette réserve près, le drame est rectiligne. Dumas, sans y tâcher, manœuvre en plein réalisme.

Il s’en doute. Car déjà, lui aussi, aux passages scabreux, il est plein d’esprit. Il joue de cette verve lucide, qui fera passer plus tard les scènes épineuses de l’Ami des femmes, de la Princesse Georges, et de Francillon. À part l’acte III d’Antony, je ne pense pas qu’on ait sur le théâtre français osé rien de plus hardi que la fin de l’acte I d’Angèle, — si ce n’est pourtant le début du II. Il s’agit, pour forcer le mariage, de déniaiser la jeune fille ; et haut la main, si je puis ainsi dire. Oh ! ces travaux d’approche, ces frôlements, ces frissons, et les frayeurs de la vieille tante, et la lampe renversée ! Et ce talent d’atteindre le but tandis qu’on semble s’égayer alentour ! « Bonsoir, ma tante ![57] » Le premier acte finit. — « Bonjour, ma mère. » Le second acte commence ; il faut étudier le détail du dialogue et des attitudes d’Alvimar et d’Angèle[58], pour juger, non pas tant de l’esprit de Dumas que de son art dans la pratique du réalisme. C’est un prestige que Dumas fils ne négligera point, toutes les fois qu’il mettra en scène les Angèle et les d’Alvimar, les Denise et les Alphonse.

Alfred a d’Antony et de Richard la vigueur et l’ambition. De l’imagination, de moins en moins. Il s’est fait de la romance un moyen, et non plus une manière. Il n’a pas de génie, mais il est déjà très intelligent. Moins fougueux que Richard, il est plus subtil ; plus de sang-froid, sans entêtement. « Il excelle à changer à temps ses points de vue[59]. » Il est politique, et décidé à parvenir par les femmes : il le dit avec élégance[60]. Il a une liste, comme don Juan, moins longue, étant plus positif. À chaque nom se rattache un souvenir, non d’une sensation ou d’une passion, mais d’un titre, d’une distinction, d’une charge à la cour. Il ne s’attarde ni ne s’acoquine. Quand le crédit de ses amies fléchit, il est assez délicat pour se retirer. Il cède, en homme d’action, sans ahuser du sentiment. Il s’est donné « quatre ans » pour se remettre en bonne posture après 1830[61]. Il n’a point de temps à perdre.

« Vous partez ? » — « Je pars. » — « Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne vous accompagne pas, » — « Je le devine. » — « Et où allez-vous ? » — « Le sais-je ?… M’enfermer, m’ensevelir dans une retraite. » — « À quoi bon ? Et que ferez-vous ? » — « J’y pleurerai ma faute. » — « Ernestine, avant un an, je vous donne rendez-vous dans le monde, des perles au cou, des fleurs sur le front. » — « Mais vous oubliez, malheureux, que pour vous j’ai tout perdu… fortune et position. » — « Vous changerez de position et vous referez une fortune. » — « Par quels moyens ? » — « Je vous promets, quand nous nous rencontrerons, de ne pas exiger de vous cette confidence[62]. » — Qui dénoue de ce ton avec une femme ? Le baron d’Estrigaud, le petit Fernand de Thauzette, ou, aussi souriant et plus féminin, M. Alphonse ? C’est Alfred d’Alvimar, le premier exemplaire.

À vingt et un ans, il a perdu son père et son patrimoine ; le « doute », comme on dit alors, lui est venu, c’est-à-dire un pressant besoin de se débrouiller. Il a délié Dieu et le monde, pour se conformer au protocole romantique, mais ce n’est plus qu’une « espèce de défi »[63], et cela signifie qu’il s’est décidé à tout faire pour se refaire. Il a songé à se suicider, ainsi qu’il sied ; il le dit du moins aux femmes qu’il attelle à sa fortune. Mais il a pris son parti de vivre ; et, comme il était galant, d’une tournure agréable, il a trouvé une carrière : l’amour. Il est diplomate, et le féminin le pousse. Pour réussir, il lui a suffi de ramener ses cheveux sur les tempes d’un certain tour de main, et d’infléchir la voix d’une certaine façon. La Révolution a changé le personnel des femmes à la cour et dans les ambassades : mais la femme n’a pas changé. Alfred est le type de l’amoureux moderne, presque achevé. Pas de mère, maître de son fonds trop tôt, fanfaron d’égoïsme[64], avec un sourire stéréotypé, un peu hautain, qui dompte les cœurs, et coule je ne sais quelle douce chaleur dans tout l’être des novices et de celles qui ne le sont plus. À lui et à ses successeurs la société a été dure, non pour leur avoir refusé leurs droits, mais à cause qu’elle a refréné leurs appétits par la concurrence. Alors, ils se sont intrigués auprès des bonnes petites idoles, à qui cette même société bourgeoise élevait dans le même temps des autels. Quel dommage que le mélodrame altère le personnage à la fin, et que Rocambole, au Ve acte, soit de la partie ! Émile Augier, lorsqu’il confondra d’Estrigaud, ne se gardera pas davantage de cette outrance[65]. Quand un quart de siècle encore aura passé sur ces espèces, une autre génération se fera place (après la révolution troisième), celle des Alphonse, des Fernand de Thauzette, des vibrions, des jolis messieurs ni révoltés ni douteurs, mais cyniques et inconscients[66]. Ils seront les originaux de Dumas fils, qui ne se lassera pas de les peindre en pleine pâte de réalisme, dans le vif du drame.

Sommes-nous donc dans la convention romantique, comme on le dit trop, ou dans le vrai courant des mœurs de ce siècle ? Et qu’est-ce qu’Angèle, sinon le type de toutes ces pauvres filles, qui n’ont pas su se défendre ? Elle, non plus que les autres, n’a résisté à ce doux bruit des paroles d’amour, à la musique des étoiles, du cœur, de l’éternité, aux charmes, aux approches, aux enveloppements. Ces petites filles ont l’âme harmonieuse et crédule. Angèle est sans défense, étant sans mère, ou à peu près. De la complexion sensible des Adèle et des Jenny Grey, elle semble plus neuve que la première, moins énergique que l’autre. Elle se perd avec une ardeur ingénue. Un serrement de main la remue ; un baiser l’étouffe et la met en langueur. Par une surprise des sens, elle est tout entière à cet homme que peut-être elle n’aime point. Elle a pâli au contact de ses lèvres ; la sensation lui fut si imprévue qu’elle l’a prise pour un sentiment. Cela même était-il poncif, ou mal vu ? Oserai-je dire que Dumas père me semble avoir moins biaisé avec la vérité que beaucoup de ses successeurs, qui, croyant être plus vrais, allèguent l’excuse des coups de force et de la violence de l’homme[67] ? Quant aux comtesses de Gaston et aux. l’^rnestine de Rieux, nous les retrouverons en compagnie dans le Demi-Monde, hier attachées à la fortune d’un ministre, et demain rivées à l’existence d’un M. de Latour, gentilhomme marron, qui triche au jeu, et part pour Bruxelles. Et ce sera la conclusion prochaine de ces scabreuses moralités.

Car sur le théâtre contemporain, comme dans la société, régnent deux morales, au moins. Je veux dire : celle des Dumas et celle de Scribe[68].

Du sujet d’Angèle, Scribe extrait une comédie, une Chaîne, dont le seul titre dit l’intention bienfaisante…, « Des ménagements à garder, l’honneur d’une famille ou d’un mari… le désespoir d’une pauvre femme… son amour… ses larmes, votre propre faiblesse, mille circonstances que l’on ne peut prévoir, rattachent et renouent à chaque instant les anneaux de cette chaîne d’or, qui est de plomb, quand on la porte, et de fer, quand on veut la rompre[69]. » Morale tempérée, dénuée de paradoxe, et tout à fait selon l’esprit de la bourgeoisie régnante. Un musicien, Emmeric d’Albret, végète à Paris. Un soir, il rencontre dans un salon, « un riche salon du faubourg Saint-Germain » (toujours Antony et du parvenu là-dessous), une jeune femme que « vingt rivaux, comtes ou marquis, entouraient de leurs soins assidus !… Beauté fière et dédaigneuse[70]…  » Vous entendez que c’était une grande dame. Mariée à un amiral, elle prend l’avenir du jeune homme en main. Elle lui fournit un librettiste en renom ; elle obtient pour lui « le signe de l’honneur », — avec la collaboration de son mari, qui fut l’ami du père d’Emmeric et son camarade dans la marine. « J’eus l’honneur, dit l’amiral, d’être blessé par le boulet qui l’emporta[71]. » Mais rappelons-nous l’aphorisme concentré d’Ajax deuxième :

Toute chaîne,
A deux poids,
Toute peine
En a trois[72].

Ce compositeur avisé, qui a un librettiste, le signe de l’honneur et une maîtresse utile, apprend l’arrivée à Paris de sa jeune cousine, mademoiselle Clérambeau, nubile et ornée d’une brillante dot. Le père Clérambeau, de la maison Clérambeau et Cie, ne pardonne, dans le passé des prétendants, que « les folies de jeunesse… erreurs éphémères qui n’ont point de lendemain et passent sans retour[73] ». La périphrase plaît. Elle est grosse de péripéties tempérées, d’inquiétudes sans angoisse, pour le succès sans scandale d’une comédie bourgeoise, où l’auteur met son ingénieuse coquetterie à faire signer de tout son monde le contrat, c’est à savoir l’absolution des péchés en bonne morale courante.

Cette morale ne fait pas le compte des Dumas. Alfred d’Alvimar est tué ; M. Alphonse sort écrasé sous le mépris. Ni l’un ni l’autre n’arrive au haut de l’échelle des femmes, riche, béni, glorieux. Dumas le père et Dumas le fils vont tous deux jusqu’au bout de leur idée et heurtent l’optimisme complaisant de Scribe par leur intrépidité énergique ou logique. Monsieur Alphonse est une reprise d’Angèle et d’une Chaîne ; Dumas fils n’y recule devant aucune conséquence de la situation première, non plus que dans Denise. Il a pareillement tout le courage de son sujet. Scribe biaise, atténue, sourit : il machine une comédie moyenne pour la classe moyenne. Les Dumas vont de l’avant, poussent au dénoûment nécessaire, et sont presque toujours dans le drame, leur esprit comique n’étant que précaution ou préparation. Leur morale est souvent contestable, dramatique toujours. Ils engagent à fond la passion, exaltent la philosophie naturelle, l’opposent aux conventions du monde, sans jamais braver celles de la scène. Je ne dis pas que Dumas père soit un moraliste dialecticien comme son fils, ni le fils un dramaturge imaginatif autant que son père. Il me suffit, à la fin de ce chapitre sur les Suites d’Antony, de marquer que de cette vigueur pouvait naître cette logique et de cette immoralité cette morale, — l’une et l’autre rebelles à l’opinion médiocre, aux demi-mesures, aux sentiments à peu près, aux conclusions à mi-chemin, et nécessairement enclines à un réalisme sensuel et audacieux, caractéristique du drame et des mœurs d’un siècle tourmenté.

  1. Voir plus haut, p. 105.
  2. Voir l’épigraphe du Prologue. Richard Darlington (Th., III), p. 2.
  3. Richard Darlington, Prologue, sc. vii, pp. 19 sqq.
  4. Richard Darlington, II, tabl. iii, sc. ii, pp. 66 sqq., et sc. vii, pp. 77 sqq.
  5. Richard Darlington, III, tabl. vi sc. iv, pp. 105 sqq.
  6. Richard Darlington, III, tabl. viii, sc. ii, p. 127.
  7. Richard Darlington, I, tabl. i, sc. vi, pp. 46 sqq. Cf. A. Daudet, la Lutte pour la vie. II, sc. xii, pp. 60 sqq. On verra plus loin que cette pièce se rapproche encore davantage à Angèle.
  8. Richard Darlington, II, tabl. iv, sc. ii, pp. 83 sqq., et III tabl. vi, sc. ix, pp. 118 sqq. Cf. la Lutte pour la vie, toute la fin, à partir de l’acte III. Cf. Jules Lemaître, le Député Leveau, dont le sujet est sensiblement le même, et les situations analogues.
  9. Richard Darlington, II, tabl. iv, sc. ii, pp. 83 sqq.
  10. Richard Darlington, II, tabl. iii, sc. iv, pp. 70 sqq.
  11. Richard Darlington, II, tabl. v, sc. vii, pp. 102
  12. Richard Darlington, III, tabl. vi, sc. iv, pp. 105 sqq. Cf. Cœlina ou l’enfant du Mystère, et Polder ou le bourreau d’Amsterdam pour la première moitié de la scène et surtout la p. 105. — Ibid., p. 109. Cf. Le Fils naturel.
  13. Il a songé au poison. Voir la Lutte pour la vie., IV, sc. vi, pp. 124 sqq.
  14. La Lutte pour la vie, I, sc. viii, p. 24.
  15. Voir plus haut, p. 105.
  16. Richard Darlington, I, tabl. i, sc. i, p. 25.
  17. H. Taine, Vie et Opinions de M. Frédéric-Thomas Graindorge. L’auteur au public, p. 15.
  18. Ibid. Préface, p. ix.
  19. Voir le Député Leveau, déjà cité.
  20. Quoique Kean soit de 1836 et Angèle de 1833, ces deux œuvres sont égalenient des suites d’Antony, comme Richard Darlington. Aussi ai-je pris la liberté de m’attacher à l’idée qui domine la troisième partie de ce livre, plutôt qu’à la chronologie.
  21. Comédies, t. I, p. 3. « … Il n’en est pas moins vrai que l’artiste pauvre et ignoré vaut souvent mieux que les conquérants du monde, et qu’il y a de plus nobles cœurs sous les mansardes… etc. » Hors du théâtre, Dumas a eu l’occasion de développer ces idées en déclamant : il n’y a pas manqué. Voir Mes mémoires, t. IX, ch. ccxvi, pp. 1 sqq.
  22. De l’Allemagne, t. II, ch. xxii, p. 152.
  23. Marino Faliero, II, sc. ii, p. 32. La scène est peut-être un lointain ressouvenir du Torquato Tasso de Gœthe ; car le Bertram de Byron est simplement un conjuré.
  24. Alfred de Vigny, Théâtre complet (Calmann Lévy, éditeur). Dernière nuit de travail, p. 12.
  25. Dernière nuit de travail, p. 13.
  26. Chatterton, I, sc. v, p. 28.
  27. Caractères et costumes des rôles principaux, p. 15.
  28. Chatterton, II, sc. iv, pp. 47 et 49.
  29. Chatterton, I, sc. v, p. 29.
  30. Chatterton, I, sc. v, p. 29.
  31. Chatterton, III, sc. i, p. 54.
  32. Chatterton, II, sc. iv. p. 49.
  33. Chatterton, III, sc. i, p. 55.
  34. Hernani, III. sc. vii, p. 96.
  35. Chatterton, III, sc. ix, p. 81. « Oh ! dans ton sein ! dans ton sein, Seigneur, reçois ces deux martyrs !  »
  36. Caractères et costumes, p. 16.
  37. Pour mettre le sceau à l’odieux du rôle, Alfred de Vigny lui prête une attitude équivoque en présence des jeunes roués, qui parlent effrontément à sa femme devant lui.
  38. Sur les représentations du drame, p. 85.
  39. Je trouve dans une lettre inédite de Labiche à A. Leveaux, l’un de ses collaborateurs :
    « Paris, jeudi soir, février 1835. — Je viens devoir Chatterton. Je suis encore tout palpitant. Mon cœur saigne comme broyé dans un étau… Madame Dorval est une femme toute de cœur et d’âme… Le drame de de Vigny m’emplit ; il circule dans mes veines ; c’est mon sang. Bonsoir, je radote. » Il radote à la bourgeoise.
    Les impressions de Gautier sont plus froides, à la reprise. Voir Histoire du romantisme, pp. 152 sqq. Cet article est rempli de remarques fort justes sur les raisons du succès de Chatterton, sur l’inimitié des artistes à l’endroit des bourgeois, niaiserie romantique, que Flaubert accepte comme une tradition, et que de vieux jeunes cherchent à perpétuer aujourd’hui. Gautier a justement noté comment il se fait que John Bell, qui excitait en 1830 une répulsion violente, paraît après 1850 « le seul personnage raisonnable de la pièce ».
    Pour la reprise de 1877, voir Séchan, Souvenirs d’un homme de théâtre, p. 243. L’accueil fut respectueux et froid, — sauf au dénoûment, à la glissade de l’escalier : trivialité sublime.
  40. Kean (Th., V), II, tabl. ii, sc. ii, p. 124.
  41. On en fit une parodie : Kinne, ou que de génie en désordre ! variété en quelques couplets. Paris, chez l’éditeur, rue du Bas, 26, 1836, in-8, 12 pages.
  42. Kean, III, tabl. iii, sc. xiv, p. 158.
  43. Kean, III, tabl. iii, sc. xii, p. 153.
  44. Kean, III, tabl. iii, sc. xii, pp. 152-153.
  45. Kean, V, tabl. vi, sc. vi, p. 200.
  46. Saint-Genest. À l’acte IV, tabl. v, sc. i, p. 184, Kean manque sa sortie comme Saint-Genest sa réplique. Mais l’origine de ces pièces ou scènes, pour les dramaturges de 1830, est Hamlet.
  47. Le Mari de la débutante, la Boule, la Cigale.
  48. Voir Tartufe, IV, sc. iv. La pièce n’était pas sans analogie avec la Mère et la Fille de Mazères et Empis, à la première représentation de laquelle avait assisté Dumas (1830, Odéon ; voir Mes mémoires, t. VII, ch. clxxiv, p. 161). Granier de Gassagnac ajoutait dans un des articles du Journal des Débats déjà cités, 1er novembre 1833 : « Dans Teresa, il n’y a que deux belles scènes, celle où Delaunay découvre l’adultère de sa femme, et celle où il provoque Arthur. La première est dans la Conjuration de Fiesque, acte I, scène x, la seconde est dans les Brigands, acte I, sc ii… » — Dans la scène de Fiesque, à laquelle se réfère l’auteur de cet article, Verrina apprend de sa fille qu’elle a été outragée. Dans Teresa (IV, sc. xi et xii, pp. 215-217), Delaunay découvre par des lettres que le fiancé de sa fille a séduit sa femme. Ni la situation, ni les scènes n’ont de rapport. Quant à la scène ii de l’acte I des Brigands que ce critique allègue, elle ne présente aucune ressemblance ni proche ni lointaine avec la situation de Teresa (IV, sc. xiii, p. 221. Cf. l’École des Vieillards, IV, sc. vii, pp. 348 sqq.). Nous avons déjà vu plus haut le peu de fonds qu’il faut faire sur la méthode de ce polémiste et la sincérité de ces articles, qui firent beaucoup de bruit en 1833 et 1834.
  49. Dumas suit ici une autre tendance de sa génération. « Dans notre jeunesse, dit Mérimée, nous avions été choqués de la fausse sensibilité de Rousseau et de ses imitateurs. Il s’était l’ait une réaction exagérée, comme c’est l’ordinaire. Nous voulions être forts, et nous nous moquions de la sensiblerie. » (Portraits historiques et littéraires, Victor Jacquemont, p. 69.)
  50. A. Dumas fils, Théâtre complet, t. VII, Notes sur Denise, p. 252.
  51. Mes mémoires, t. IX, chap. ccxxx, p. 124.
  52. Angèle (Th., IV), III, sc. xiii, p. 178.
  53. Angèle, I, sc. ii, p. 106.
  54. Angèle, V, sc. i, p. 190. La phrase pourrait servir d’épigraphe à la majeure partie du théâtre d’A. Dumas fils. « Toutes ces choses, qui tout à coup ont tourné ainsi, et qui jusque-là n’avaient eu pour dénoûment que quelques larmes, suivies d’un prompt oubli. »
  55. Cf. l’Étrangère (Th., VI), V, sc. x, p. 372, et Angèle, V, sc. vi, p. 203.
  56. La Lutte pour la vie, V, sc. viii, p. 132.
  57. Angéle, I, sc. xiii, p. 131.
  58. Angéle, II, sc. ii, p. 135.
  59. Angèle, I, sc. vi, p. 114. Il a des maximes qui séduiront le baron d’Estrigaud. « Regarde par cette fenêtre : il ne s’agit, dans ce monde, que de savoir changer à temps ses points de vue : c’est un axiome de peinture. » Cf. la Contagion, II, sc. viii, p. 343. « Navarette te trompe… Si tu veux des preuves. » — « Merci, mon cher enfant. Ou je le sais, ou je l’ignore. Si je l’ignore, tu troubles inutilement ma douce quiétude ; mais si je le sais, regarde-toi dans la glace. »
  60. Angèle, I, sc. ii, p. 106. « Je me dis qu’il serait d’un homme de génie de rebâtir avec les mains frêles et délicates des femmes cet échafaudage de fortune… »
  61. Angèle, I, sc. ii, Cf. dans Paul Jones (Th., VI) le baron de Lectoure.
  62. Angèle, I, sc. ii, p. 108.
  63. Angèle, I, sc. ii, p. 105.
  64. Angèle, I, sc. iii, p. 109. « J’ai fait avee elle le fanfaron d’égoïsme ». Cf. V, sc. i, p. 190.
  65. Dénoûment déjà cité de la Contagion.
  66. La Question d’argent (Édition des Comédiens). Notes de la plaquette I. Note B, p. xxii. « J’avais tout simplement voulu représenter un type qui m’avait souvent frappé et à qui j’ai donné, depuis cette production, des formes différentes. Ce type est celui de l’inconscient… « Dumas intime revenait souvent sur cette idée.
  67. Dumas fils tout le premier. Voir Monsieur Alphonse, II, sc. ix, p. 129. « Cependant je te jure qu’il n’y a pas eu consentement de ma part. Il y a eu ignorance. Et de sa part, à lui, ruse, attentat, violence. » Il est vrai que ces nuances dépendent beaucoup des époques, du public, et de ce qui peut se dire au théâtre, suivant les époques et le public. Antony avait rendu, pour un temps, à peu près le même service, à cet égard, que naguère le Théâtre libre.
  68. Mes mémoires, t. III, ch. lxxxi, pp.. 245 sqq. — Ibid., t. IX, ch. ccxxx, pp. 117 sqq. — Souvenirs dramatiques, t. II, pp. 125 sqq. — Ibid, pp. 229 sqq. — Cf. A. Dumas fils. Préface du Père prodigue (Th., II), pp. 205 sqq., — et surtout plaquette I des notes de l’Édition des Comédiens. Note A d’un Père prodigue, pp. i-xviii.
  69. Scribe (Th., II. Michel Lévy, 1856). Une Chaîne, I, sc. vii, p. 235. Voir A. Vacquerie, Profils et Grimaces, pp. 81 sqq.
  70. Une Chaîne, I, sc. iv, p. 222. Voir ibid. « Mon air soucieux et triste la frappa sans doute. » … « Aussi, et quelques instants après, malgré moi, et sans le vouloir, je lui avais confié mes peines et mon désespoir. » C’est un Antony, — moins les rentes ; « … Elle m’écoutait en souriant, de ce sourire des anges… » — et moins la passion.
  71. Une Chaîne"", I, sc. vii, p. 230.
  72. La Belle Hélène, I, sc. xi, p. 40.
  73. Une Chaîne, I, sc. vii, p. 234.