Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/03/09

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TROISIÈME PARTIE
LE DRAME MODERNE

CHAPITRE IX

« ANTONY »



I

LES ORIGINES.

Si Antony n’était qu’« une scène d’amour en cinq actes[1] », c’est-à-dire une manière de rapsodie lyrique en prose, il serait une oeuvre secondaire en un temps et sur un théâtre où le lyrisme coule à flots. La jactance de Dumas trouvait son compte à ce que la pièce passât pour avoir jailli de son cerveau ou de son cœur, comme Minerve sortit du front serein de Jupiter. Gardons-nous de le croire, et, au contraire, élevons-nous contre cette prétention. Il se flatte, mais il dénature et rapetisse son œuvre, outre qu’il en fausse la portée.

Le drame historique et le drame moderne sont les deux faces d’une même conception. À l’origine de l’un et de l’autre, deux monologues, celui d’Hamlet et celui de Figaro, l’un qui restitue à la thèse ses droits sur la scène, l’autre d’oîi le théâtre social découle comme d’une source vive. Drame moderne et drame historique répondent aux mêmes aspirations d’une même époque. La peinture des milieux diffère ; mais le procédé de couleur est le même. Une fois trouvé, il était aussi naturel de l’appliquer au xixe qu’au xive ou xvie siècle. C’est affaire de décor et de cadre, et non pas encore de minutieuse observation. L’homme qui avait commencé par Henri III devait écrire Antony. C’est ce que le « feuilleton » explique fort bien, en dépit de ce que l’écrivain en a pu dire ailleurs.

Au reste, la technique y est semblable, porte la même date et marque le même état de l’esprit français. Il demeure entendu que la fantaisie n’y saurait tenir la seconde place : on n’observe pas froidement ; on a des intuitions ; on anime les milieux, les mœurs et les passions actuelles du même style dont on ressuscite le passé. Ici encore, ici surtout, on laisse voir qu’on a lu Hamlet, les Brigands, Werther, Childe-Harold, dont on se fait une personnalité exotique, personnalité d’emprunt, masque fatal, scepticisme violent, Acre dédain des préjugés ; et l’on est toujours le Dumas un peu gascon, un peu naïf (à cet âge du moins), qui s’engoue de nouveautés, s’entête de révolutions, et pense être bien lyrique. Ce lyrisme-là n’est que fard. Lavez-moi cette bonne figure tristement grimée ; et, si lyrisme il y a, vous en découvrirez un autre, autrement dramatique, dans le sens de la tradition de notre théâtre, et pris sur le vif de la société et de l’imagination françaises en 1830.

Le monologue du barbier a retenti dans tout ce théâtre. L’individu s’est dressé devant le passé : de là le drame historique. Et debout, il juge et défie le monde nouveau : de là Antony. Le « tandis que moi, morbleu ! » est inscrit en toutes lettres, à toutes les scènes. Le cri douloureux : « Femme, femme, femme ! » y éclate à toutes les situations critiques, avec acharnement. Anonyme Figaro, Antony le Bâtard, sont pareillement fils du hasard, ce dieu des sociétés bouleversées. Mais le dernier venu est autrement âpre en ses convoitises et hautain dans ses revendications. C’est le départ de l’homme d’action, à la conquête du siècle. Le drame moderne se met en marche avec lui. Que sert de recourir à La Chaussée ou à Mercier, quand on a les modèles en pied : Figaro et son successeur immédiat, Napoléon ? Déjà l’on voit que la qualité d’Antony n’est pas tant dans les réminiscences lyriques et exotiques ; c’est le théâtre français qui reprend son développement, à la suite de l’individualisme triomphant et de la France rajeunie. Si la scène des enfants trouvés est un écho du Mariage de Figaro, celle du hasard appartient à la légende napoléonienne, qui ouvre l’ère attendue. Antony et Buridan sont frères.

Au vrai, Dumas a deviné que la Révolution renouvela toute la matière des dramaturges, et que, si l’individu était profondément modifié, le rôle de l’amour et de la femme en était singulièrement atteint. Je ne dis pas qu’il l’ait vu si clairement ; mais il l’a mis en scène, et cela nous suffit. Il s’est aperçu — son propre tempérament l’y aidait sans doute — que les « immortels principes », justifiant toutes les ambitions, déchaînaient du même coup tous les appétits, et que la femme toute neuve, la femme idéale et improvisée du xixe siècle, qui remplaçait inopinément duchesses et marquises, étant placée très haut dans l’admiration politique des démiurges et la vénération bourgeoise des poètes, était d’autant plus menacée par les désirs des hommes, malgré la protection à double tranchant des lois. Grâce à sa sensibilité effrénée et à son imagination peu timide, il a du premier coup jeté le drame moderne dans le courant de la passion populaire. Un frisson de sensualité et d’angoisse a secoué les spectateurs pendant les représentations d’Antony : la société nouvelle y venait de prendre conscience de ses penchants et de l’état social où ils la devaient entraîner : c’est-à-dire le règne du positivisme et du code, que le théâtre peindra plus tard, après 1850[2]. En attendant, l’adultère est maître de la scène, et n’en sera pas délogé de si tôt. Dans la Mère coupable, Beaumarchais l’avait amené au seuil de la famille nouvelle[3]. Il se contente encore ici d’une chambre d’auberge ; mais ni les palais ni les hôtels de la bourgeoisie ne lui seront fermés. Déjà Dumas avait esquissé le drame de mœurs et préparé la matière dramatique de la pièce sociale dans Henri III ; et il a raison d’écrire que Saint-Mégrin s’enflammait « aux mêmes foyers brûlants ». Mais c’est Antony qui fonde le drame moderne.

« Ils ont dit que Ghilde-Harold, c’était moi. Que m’importe[4] ? » Il n’importe, en effet. Antony n’est point Dumas ; le lyrisme frelaté en est le moindre caractère et le moins durable.


II

LETTRES INÉDITES À MELANIE.

L’aventure fut banale, comme celles d’où naquirent la Dame aux Camélias et Diane de Lys. Mélanie W*** était mariée à un capitaine d’infanterie. De petite santé, elle n’avait pu supporter la vie de garnison ; elle demeurait chez son père, dans un milieu littéraire et grave. Le capitaine n’y venait qu’en congé, avec la permission de Dumas[5]. On trouvera dans Mes mémoires[6], et surtout au premier chapitre du Testament de M. de Chauvelin, le récit de la première rencontre entre le fils du Diable noir et cette faible femme. Grâce à la bienveillance d’Alexandre Dumas fils, j’ai pu suivre la comédie intime, qui fut l’occasion du drame scénique, et noter avec précision le point de départ et les démarches du génie.

J’ai sous les yeux quarante-trois lettres[7], quelques-unes datées, plusieurs avec la suscription, le nom et le domicile de la destinataire, toutes de la main de Dumas, signées : ton Alex, et apostillées de mille millions de baisers. Deux, manifestement écrites au début (je ne sais quelle chaleur du style en témoigne), portent le cachet postal : septembre 13, 1827 et septembre 27, 1827. En travers de l’adresse d’une autre se lit cette indication : « donné quinze sous au porteur. » Prévenance qui est une date. Plus tard, il enverra par la poste de véritables chiffons de papier. Les unes sont des billets, les autres des morceaux de quatre grandes pages. La liaison paraît avoir duré un peu plus de trois ans. À un moment, on attendait un fils, qui devait s’appeler Antony[8]. Le drame a pris le nom de ce fils espéré. Tous deux étaient ensemble en préparation. Le drame seul a vécu. Cette correspondance au jour le jour, et à la nuit, et à l’heure, fut probablement beaucoup plus considérable que ce que j’en ai eu par devers moi. Mais ce peu suffit à nous édifier. Une même lettre, commencée à huit heures du soir, est continuée à minuit, et achevée à deux heures du matin. Elles ne sont pas toujours datées du jour ni du mois ; de l’année, rarement ; les heures y sont scrupuleusement indiquées. Quelles heures ! Et quel homme ! Il écrit dans l’attente ; il écrit après l’entrevue ; c’est miracle s’il n’écrit pas pendant. Encore plus fou après qu’avant, — dans les premiers mois (fin 1827) au moins : car assez vite cette passion s’en va, « où s’en vont les vieilles lunes[9] ».

Un billet, rédigé dans les bureaux du duc d’Orléans, contient des vers. Chez les Dumas, le tempérament était volontiers poétique, pour la joie des sens.

Oh !… n’abrège jamais ces heures que j’envie ;
De me les accorder Dieu te fit le pouvoir,
T’entendre est mon bonheur et te voir est ma vie :
Laisse-moi t’entendre et te voir.
Pourquoi, lorsque l’amour a joint nos destinées,
Me dire, épouvantée à la fuite du temps :
« Nos instans de bonheur dévorent nos journées,
Nous ne vivons que des instans ? »
On dit que de douleurs toute joie est suivie,
Qu’un sourire souvent s’achève dans les pleurs ;
Mais nous, entre nos cœurs nous presserons la vie.
Pour en exprimer nos douleurs[10].

Le même billet, repris deux heures plus tard, dénote un homme qui ne se nourrit pas de viande aussi creuse : « Quatre heures et demie. Adieu, mon ange, la faim me presse ; je me sauve, et je serai chez toi à sept heures moins un quart. Mille et mille baisers. Adieu, mon ange[11] ». L’ange répondait en vers, et taquinait la muse. « Tes vers sont beaux, mon ange[12] ! « lui écrivait le bon apôtre, le 6 octobre 1830. Mais, direz-vous, encore des vers trois ans après ? Et des « anges », et de la passion pure ? Lisez donc ce qui suit, quelques lignes plus loin : « Calme-toi, mon amour, quoique ton exhaltatinn me prouve combien tu m’aimes. Le calme seul peut te remettre ; et envers et contre tout je resterai toujours ton Alex…[13] » Il paraît bien que l’Alex de 1830 n’était plus tout à fait celui de septembre 1827 ; que cet amour suivit l’ordinaire progrès et le déclin habituel de ces amours ; et qu’à cette heure, Dumas en pouvait tirer parti sur la scène. Childe-Harold, ce n’était plus lui.

Quelle fut donc l’Adèle de la réalité ? Une demi-veuve, trop isolée, et bas-bleu. Non seulement elle compose des poésies « fugitives », ainsi que son frère, mais elle les publie dans les journaux. Elle lit plus tard (rappellerai-je qu’Alexandre n’assassina point Mélanie ?) représenter une pièce qui s’appelait l’École des jeunes filles[14]. Ce n’était qu’une école de plus. En septembre 1827, Mélanie demeurait 84, rue de Vaugirard, et Dumas lui fut présenté dans le salon solennel et littéraire de M. de Villenave. Adèle était du monde où l’on s’ennuie. Dumas pressa l’attaque de toute sa fougue philosopliique et poétique. Il vit à qui il avait affaire. Il eut le « processus « plutôt vif[15], et Mélanie opposa une résistance plutôt courte, pour l’honneur[16]. Dumas s’en réjouit d’abord ; il découvre en elle de l’ingénuité, et en lui-même un satanisme très distingué : c’est la mode littéraire. « Si tu m’avais dit vrai, si j’étais vicieux[17] ! » Et dans une autre lettre : « Oh ! oui, tu as en amour la candeur, et je dirai presque l’ignorance d’un enfant de quinze ans[18]. » Mais, dans la même, à minuit : « J’espère que cela ne t’empêchera pas de venir à quatre heures. Oh ! oui, mon amour sera idéal… Mais remarque qu’il y a un raldnement de cruauté à me dire : « J’irai te voir bien belle » et il m’imposer des conditions[19]. » Il est évident qu’Adèle, à l’origine de ces premiers frôlements, n’aime point qu’on la chiffonne. Cette crainte des mauvais plis fait un rempart à la vertu, en l’absence du mari. En vain Dumas jure ses grands dieux : « Oui, oui, je respecterai ta belle toilette, sois tranquille… Je ne te demande rien que d’ôter ton chapeau et ton voile[20]. » Adèle se méfie.

Mélanie-Adèle ne protège plus ses toilettes. Adieu candeur, ignorance et tout le cortège des vertus fragiles, et chères aux amoureux. Notre Dumas, agé de vingt-cinq ans, y trouve des compensations. Elle étouffe, il palpite[21]. « Il ne faut plus «, lui écrit-il avec grâce, non sans effroi. Cette fille de « Minerve[22] » déconcerte ce mulâtre. Bientôt elle s’affaiblit, maigrit, n’est plus confortable. La dyspepsie la guette. Antony déchante, malgré son air de belle humeur : « Engraisse vite, vite, mon amour ; et j’irai te faire maigrir en te tourmentant[23]. » Cependant la fâcheuse dyspepsie commence ses ravages ; Mélanie maigrit encore, toujours. Dumas languit et s’impatiente : « Moi, je te serais si bon médecin. J’ai suivi les cours de ton cœur ; et j’aurais de lui si grand soin, je le ménagerais tant, je le mettrais, excepté sur l’amour, à un régime d’émotions si douces, que la graisse se glisserait bien vite, comme tu le dis, entre la chair et l’épiderme[24]. » Cette question matérielle, s’il en fut, lui devient un souci. Adèle lui en donne d’autres. Elle est nerveuse, capricieuse. Elle se plaît à la bouderie. Elle a des digestions qui tuent l’amour. « Onze heures du soir. Oh ! ne me boude jamais… Dis-moi que j’ai tort et prends-moi la main. Une bouderie de toi me sèche l’âme. Quand je te vois bouder, je comprends la possibilité que tu ne m’aimes plus[25] … » En effet, il semble que la passion diminue avec l’embonpoint d’Adèle. Antony a des lapsus malheureux. « Je ne comprends rien aux reproches qui terminent ta lettre, sinon que ce sont encore des reproches. Je ne me rappelle plus ce que je t’ai écrit. C’est bonheur qu’il faut lire au lieu de récréation ; et la phrase doit être construite ainsi : si l’amour devient un tourment au lieu d’un bonheur[26]. » Il a beau prier sa chère âme de « s’embrasser elle-même au front », et manifester une vive joie pour un géranium qu’on lui adresse : l’amour n’est plus qu’une récréation. Adèle, qui a vu déloger les ris et les roses, devient de plus en plus inquiète. Il lui faut des lettres à heure fixe[27], pendant qu’on lui pose des sangsues ; Antony rencontre cette phrase qui ne déparerait pas un vaudeville de Labiche : « Laisse-toi mettre toutes les sangsues qu’on voudra, au nom de notre amour[28]. » Enfin Adèle dessèche, et d’inquiète devient jalouse. Mais est-ce qu’il est jaloux, lui ? Est-ce qu’il n’y a pas des rapprochements prédestinés, des harmonies préétablies qui excluent le soupçon ?… « Notre amour change de nature, sans doute ;… nos sensations sont toujours heureuses[29]. » Et cela même est un mot de la fin. La prédestination pèse désormais à tous les deux.

Dumas ne se récréait plus en l’amour de Mélanie[30]. Son drame était terminé, et allait entrer en répétitions. Au fond, Antony s’amusa d’Adèle ; il exerça sa verve dramatique en cette liaison. Il ne sépara jamais nettement la chambre à coucher du laboratoire. À peine débarqué à Paris, à l’âge de vingt-deux ans, il a un enfant d’une voisine : c’est sa première œuvre de génie. La mémoire de son père lui vaut quelques relations. Il distingue dans une société plutôt austère une jeune femme mariée, lettrée, et seule : ces trois vertus l’enchantent. Pardonnez-lui : il arrive encore un peu de Villers-Gotterets. Or, ce fut le 3 juin 1827 ; il ne l’oubliera jamais, au moins de quatre ans… « Le soir, à huit heures, j’étais debout, bien ridicule à tes yeux, contre cette porte d’entrée[31]. » Voilà un souvenir qui fait tableau, et qu’il mettra au théâtre. En 1827, il est tout frémissant de ses lectures, les sens et le cerveau en ébullition ; et malgré tout, il est encore un peu jeune, sinon novice ; il ressent tout l’orgueil de nouer des relations avec une dame, une vraie dame, une femme du monde : le sanctuaire où il la découvre lui tourne la tête. Et comme, chez lui, une certaine sensibilité musculaire suit de près l’essor imaginatif, l’amour idéal ne lui suffit pas longtemps. Si d’abord il écrit à son ange jour et nuit, c’est qu’il prolonge ou prévoit ses sensations, ni plus ni moins. « Onze heures du soir. Nous n’avons eu qu’une heure, mon ange, mais d’un bonheur bien doux et bien tranquille. Ce sont nos adieux à notre petite chambre, où nous avons été si heureux et que nous ne reverrons probablement jamais ensemble, que des êtres indifférents occuperont, sans savoir ce qui s’est passé, sans que l’air leur apporte une perception des sensations que nous y avons éprouvées. Ce ne sera pour eux que quatre murs décorés d’un papier plus ou moins frais et d’une glace plus ou moins belle, qui, comme le cœur d une coquette, n’aura rien conservé des tableaux quelle a réfléchis[32]. » Et ailleurs : « À toi, cher amour, que je viens de quitter et que je vais revoir[33]. » Et aussi, dans une lettre composée de deux fragments : tels ces tableaux mi-restaurés qu’on voit aux vitrines de l’encadreur. « … Quel mortel ennui, si tu ne viens pas !.. Eh bien, je travaillerai ou je me coucherai. Quelle singulière chose ! Toi arrivée, le temps va s’écouler jusqu’à quatre heures et demie avec la rapidité d’un instant ; et, seul, il se traînera long, ennuyeux, mortel… Il est une heure, mais il n’y a pas encore de temps perdu… Tu… Ah ! te voilà…… Partie ! Vois donc : les phrases sont comme la vie ; la même peut servir à exprimer la peine et la joie. Qui diva ce qui s’est écoule entre ces deux mots ? Quelles émotions sont nées et se sont éteintes ?[34] » Qu’il nous suffise de le constater : des émotions et sensations, sans plus. Il ne s’agit guère d’autre chose. Dumas n’est ni un André del Sarto, ni un Rosemberg[35], ni un Lorenzaccio : chaud à l’imaginer mais prompt à l’action. Les subtiles inerties de Musset le déconcertent. L’amour en buste ne lui sert que d’un prélude ou d’une amorce de l’autre. Si on lui reproche de se trop plaire à l’autre, il a une réponse toute prête : « … Crois bien que je ne l’aime autant que parce qu’il semble nous lier davantage encore. Les moments de repos qui le suivent sont délicieux, et plus suaves que lui peut-être.  » Et il ajoute sans perdre haleine : « … Crois que je sais aussi savourer de l’amour tout ce qu’il a de délicat, comme je sais éprouver tout ce qu’il a de délirant[36] ». Pourvu qu’il y ait du délit là dedans, le gaillard est un gourmet.

Et un habile homme. Ayant affaire à une Égérie frottée de littérature, il pare de belle phraséologie métaphysique sa vigoureuse sensualité. Nous touchons à l’éternelle comédie des femmes savantes, à qui le pédantisme vient comme une passion, comme un à peu près de chaleur des sens, que l’infini tourmente, et qui couvrent de l’intérêt de la science leurs discrètes pâmoisons. Dumas ne s’y trompe point : il pousse sa pointe entre Trissotin et Bellac[37]. Au lieu du spiritualisme, il affecte le scepticisme, qui est en faveur. Jeune, poète, il se pose aux yeux de cette Philaminte. « … Ne comprends-tu pas que notre éternité, quelles que soient nos pensées en ce monde, sera toujours la même, immortalité ou néant ? Il y aura donc, dans tous les cas, fidélité éternelle ou absence de sensations, et tout cela nous sera commun… Ainsi donc, aimons, aimons encore en cette vie, écartons de nos deux têtes tous les malheurs qu’il sera en notre pouvoir d’écarter, saisissons-en toutes les félicités, et ne ramenons pas nos esprits à de tristes pensées d’un autre monde, celui-ci étant déjà assez mêlé de joie et de douleur. Sache seulement que, s’il y a quelque chose de moi qui me survive, ce quelque chose, ne fût-il qu’une étincelle, t’aimera comme t’aime le corps duquel ce quelque chose sera émané. Ainsi, mon ange, donne-moi du bonheur dans ce monde, et espérons-en dans l’autre sans compter dessus : le désappointement est une trop cruelle chose[38]… » Ce métaphysicien positif est plein d’esprit. Ses déductions le mettent en excellente posture. Il en dînera de meilleur appétit, en attendant mieux. Les post-scriptum de ses lettres poétiques ou philosophiques ne vont pas d’ordinaire sans cette double préoccupation. Et quand il a fait un dîner « copieux comme un dîner de ministre[39] », alors comme alors. « Mille baisers sur tes lèvres, et de ces baisers qui brûlent, qui correspondent par tout le corps, qui font frissonner, et qui contiennent tant de félicité, qu’il y a presque de la douleur. » Il y a aussi du Diderot là-dessous, mais surtout un auteur de tempérament, qui n’oublie pas ses drames.

Il est transporté ? Non, il joue un personnage. Il prépare ses rôles. Je ne sais comment, mais on a, en lisant ces lettres, le sentiment impérieux que la sincérité n’en est pas le péché mignon. Dumas sait Werther et les premières amours de Gœthe ; il connaît les Brigands et le caractère de Franz. Il s’exerce à les égaler : l’effort est visible. Mélanie lui sert à échauffer son imagination et ses souvenirs, sans préjudice du reste. Passion, philosophie, scepticisme, Franz, Werther, Byron ; amour, blasphème, misanthropie, haine des préjugés, il expérimente tout cela sur Mélanie. Dès la première lettre de la collection, il paraît s’être d’abord posé en amoureux de Charlotte ; puis, il a défié Dieu et les hommes, vrai giaour. Mélanie « a tressailli dans ses bras ». Il choisit ce moment pour la convertir à l’athéisme. Tout de même qu’au temps de Ronsard la surdité seyait au poète, ainsi Dumas s’avise qu’il est inconvenant d’aimer une femme du monde, pâle et immatérielle, sans avoir au moins un poumon atteint[40]. Il tâche à tousser ; il s’évertue à teinter son mouchoir ; il se fait prier et quereller pour prendre soin de lui. « Rassure-toi sur ma santé. Il y a deux ans que ce léger accident ne m’était arrivé, et mon mouchoir était à peine coloré. Et comment veux-tu que je meure, tant que tu m’aimeras ?… Oh ! c’est alors, mon ange, que je deviendrais athée ou blasphémateur ! Car je ne pourrais croire à Dieu sans le maudire… Dieu me séparerait de toi ! Et si c’était pour toujours ! Oh, ma vie, plains plutôt mon doute que de le blâmer !… Personne n’en souffre plus que moi[41] »… Il lui donne, une fois, un rendez-vous galant au Père-Lachaise[42].

Poète, c’est ainsi que font les grands poètes[43]

Ces affres du scepticisme et du blasphème, où il se débat, ne sont que littérature. Quelques années plus tard, Mélanie pouvait lire dans Mes mémoires : « Jamais, dans le cours d’une vie déjà assez longue, je n’ai eu, aux heures les plus douloureuses de cette vie, ni une minute de doute, ni un instant de désespoir[44] ». Il éprouve ses effets de scène, même dans l’intimité, par un mirage de l’imagination qui portait en elle le personnage d’Antony.

S’il aime, sa tête briile ; il ne peut étouffer les battements de son cœur ; il a la lièvre, le délire. Le type se dessine : « Oh ! oui, je t’aime, je t’aime, je t’aime ! Oui, cette fièvre m’a passé dans le sang, et il y a plus de passion et de frénésie dans mon amour qu’il n’y en a jamais eu. Ne crains rien. Je t’aime, je t’aime, et ne puis aimer que toi, toi seule au monde… Je t’aime, ô ma Mélanie ; ma tête brûle, et je suis bien plus près, en ce moment, de la folie que de la raison[45] »… Le moment est venu d’être infernal. « … Tu m’as enfin compris, tu sais ce que c’est qu’aimer, puisque tu sais ce que c’est que la jalousie… Connais-tu quelque chose de pareil ? Et ces imbéciles de faiseurs de religion qui ont inventé un enfer avec des souffrances physiques ! Qu’ils se connaissaient bien en tortures ! Cela fait pitié ! Un enfer où je te verrais continuellement dans les bras d’un autre ! Malédiction ! Cette pensée ferait naître le crime[46] ! » Il attrape son dénoûment, il tient les traits sataniques du rôle.

Il les essaye, il les répète ; il soigne son style. Il dispute sur la gaîté et la tristesse, la gloire et la fortune, sur l’amour et la jalousie, et autres beaux lieux communs. Cette faculté de dissertation, qui va poindre dans Antony, se conservera chez son fils[47]. « Oh ! qu’il y a une grande douceur à ne pas séparer ses sentiments, à dire nous au lieu de je, à ne voir dans l’absence qu’une séparation matérielle, qui ne désunit ni l’âme ni la pensée, à se retrouver comme on s’est quitté, à se quitter en croyant s’aimer davantage encore, à être sûr de son avenir comme d’un passé, et à sourire de mépris en regardant chaque homme, à qui l’on dit tout bas : « Tu ne peux rien sur nous !» Il y a là dedans quelque chose de la sérénité et du pouvoir de Dieu, oui, de Dieu ; car je ne suis pas athée, quoique tu en dises[48] »… Et, en effet, la tirade est dans le mouvement du théâtre.

Cette jalousie même, dont il fait grand bruit (la sienne ; car j’ai dit que celle de Mélanie le fatigue bientôt) semble toute prête pour la scène.

Oui, je voudrais qu’aucun ne vous trouvât aimable,
Que vous fussiez réduite en un sort misérable,
Que le ciel, en naissant, ne vous eût donné rien,
Que vous n’eussiez ni rang, ni naissance, ni bien[49]

Ainsi parle Alceste ; et voici le couplet dont Alexandre régale Mélanie. « Deux heures. … Ah ! que je voudrais te voir sans fortune, sans famille, abandonnée de tout le monde, pour te tenir lieu de monde, de famille et de fortune, pour être tout pour toi, comme tu serais tout pour moi, et pour pouvoir vivre ou mourir librement, sans éveiller un sourire ou faire répandre une larme, pour vivre au milieu de la société, étranger à elle comme elle serait étrangère à nous ; mais tout cela est un rêve, un songe, une vision[50]. » Tout cela est imagination pure, et jeu d’esprit à la mode, dont il fait l’expérience sur Adèle, quasi femme de lettres, et qu’il jettera vivement sur le théâtre, l’épreuve à huis clos ayant réussi. On s’assurera sans peine qu’Antony redit à peu près les mêmes choses, et que Dumas ne gaspille point ses effets. Et puis, l’on ne s’étonnera pas trop que la baronne d’Ange dans le Demi-Monde tienne à peu près les mêmes propos à M. de Nanjac[51]. Elle est de la famille.

Il va sans dire que l’amour d’Alexandre s’exalte par l’écriture épistolaire jusqu’à la folie et au crime. Ne craignez rien : Dumas ni ne saurait vivre en un désert ni n’affronterait l’échafaud pour une femme trop maigre et d’humeur chagrine. Mais l’imagination fait rage sur le papier. Voici venir de loin la scène du hasard, de la fatalité, des préjugés. L’orage est dans sa tête ; il éclate en ses lettres à propos de tout et de rien. « Deux heures… Moi raisonnable !… Oh ! non ! Je suis fou, insensé, délirant. Et, quand nous sommes ensemble devant ta mère, il me prend des moments de rage, où je voudrais te serrer dans mes bras… et dire : « Elle était à moi, avant quelle ne me connût… » Oh ! non, tu te trompais : jamais mon amour, à moi, n’a été doux, paisible, et je ne comptais tant sur son influence, que parce qu’il me semblait aussi impossible que tu y résistasses qu’il est impossible au bois de ne pas être brûlé par le feu[52] » … Après le délire, la fatalité. « … Ne m’as-tu pas dit que tu croyais à la fatalité ? Ce mot me rappelle ce que je te disais un jour en parlant du hasard qui nous avait rapprochés et auquel j’appliquais le mot de fatalité. « Comment, me dis-tu, vous appelleriez fatalité notre rencontre dans le monde ? » Eh bien, n’était-ce pas de la fatalité, si ce n’eût été du bonheur ? Et que serais-je devenu, si tu ne m’avais pas aimé ? Et ce n’est pas un amour doux, paisible que celui auquel, dès sa naissance, on applique le mot fatalité[53]. » Il se met au point. De cette phraséologie galante, que Firmin appelait « rabâchage », naîtra le lyrisme d’Antony[54]. Il s’échaufre à blanc ; il incite Mélanie, lui malin, à braver les préjugés du monde, un jour qu’il l’a espérée vainement et qu’elle fut sans doute empêchée par sa mère. « Huit heures et demie… Eh bien, quand je te parlais du monde et de ses lois, de ces misérables concessions à la société, qui se font toujours aux dépens du bonheur particulier, dis-moi, avais-je tort de la maudire et de regarder comme heureux l’homme qui pourrait s’en affranchir ? Dans une nation civilisée la liberté peut exister pour un peuple ; elle n’existe jamais pour les individus. On fait à tout ce qui nous entoure une foule de petites concessions, auxquelles le temps et l’habitude finissent par imposer le nom de devoir : et, alors qu’on s’en écarte, on est coupable. Certes, personne n’aime plus sa mère et ne la respecte plus que moi ; eh bien, je regarde comme un préjugé des nations l’amour et le respect imposé (sic) aux parents. L’un et l’autre doivent naître, selon moi, de leur manière de nous traiter, et non du hasard même qui nous les a donnés pour père (sic). Leur devons-nous de la reconnaissance pour la vie qu’ils nous ont donnée ? (Figaro était plus timide ; il n’avait ni la taille ni l’humeur de lancer ces hardis blasphèmes, que le Franz Moor de Schiller brandit, que ramasseront plus tard Jules Vallès et M. Jean Richepin)… Souvent, ce n’était pas leur intention, et plus souvent encore ils nous ont fait un triste présent[55]…  » Plus tard, Alex et Antony seront dépassés, et le Fils naturel ne sera qu’une déduction dramatique et logique de la phrase qui suit : « Nos parents ne le sont que relativement aux soins qu’ils ont pris de nous, et il me semble naturel de mesurer l’amour sur les actions et le respect sur les vertus[56] ».

Enlin si vous voulez vous mettre en état de goûter la distinction de l’amour délirant et de l’amour mondain que fait, à l’acte IV, M. Eugène, poète sensé, ni fou ni fade, une manière de Mérimée dans ce salon où l’on cause, lisez ce billet : « Midi… Quelle lettre je t’ai écrite !… Si je pouvais la rappeler !… Mais j’espère qu’elle aura été assez mouillée de mes larmes pour que tu ne puisses pas la lire ! J’ai dormi une heure et demie, à peu près comme les damnés peuvent dormir, s’ils dorment, avec des songes, des visions, du délire ! Quand je pense à ce qu’on appelle aimer dans le monde ! Quelles marionnettes[57] ! »

L’aventure est banale, je le répète, mais non pas l’homme qui s’y était engagé. Ses Lettres à Mélanie nous ont fait voir ses sens et son imagination à l’ouvrage, et ses lectures amalgamées à ses désirs. Tout cela bouillonne. Mais l’imagination l’emporte. Elle transforme cette liaison, dont les douceurs sensuelles furent bientôt émoussées, en une expérience intime, qui sert de prélude et d’exercice préparatoire au drame, — personnel et lyrique sans doute à l’origine, et d’un lyrisme appris et postiche (par quoi je reconnais qu’Antony plut d’abord), — mais singulièrement élargi ensuite par une intuition de génie, d’oii se dégagent en action le théâtre, l’homme et la société modernes.

Le mercredi 6 octobre 1830, Dumas écrivait une de ses dernières lettres à Mélanie. « … Antony, copié et distribué aux acteurs, entrera, je crois, en répétitions samedi. Trois semaines ou un mois lui suffiront. J’ai grand peur pour lui. Je ne le trouve pas d’une forte constitution[58]. »


III

MANUSCRIT ORIGINAL D’« ANTONY[59] ».
LA GENÈSE DU DRAME.

Cela saute aux yeux d’abord. Le manuscrit est plus court et de plus mince étoffe que la brochure. Le drame y est frémissant ; la passion y palpite ; j’y retrouve à peu près tous les mots d’action et la plupart des effets scéniques. Ce cahier de papier jauni respire la fièvre du théâtre. La matière brute de l’amour y est forgée avec emportement. Les péripéties se détachent en relief sur ce texte rapide. Acte I, accident de voiture. II, explication et séparation. III, viol. IV, scandale. V, assassinat. Du début à la fin, le drame prend le mors aux dents. Retranchez à Henri III la couleur locale et d’Antony la couleur moderne : c’est le même ouvrier et le même ouvrage. Telle est l’impression qui se dégage d’abord de ce manuscrit primitif ; peu ou point de nuances ; des « oh ! » et des « ah ! » qui sont comme les gestes du langage ; et des discours, de vrais discours d’Antony, où le werthérianisme, le byronisme

s’espacent. On sent combien l’acteur Firmin pouvait avoir raison : Antony rabâche et semble un « monomane sans cesse en rage, en fureur, en hostilité contre les autres hommes[60] ». Il est d’une constitution assez forte, quoi qu’en dise Dumas, et plutôt trop que pas assez ; néanmoins , le drame original paraît à la fois déclamatoire et sommaire. C’est Henri III, moins la résurrection « des siècles passés », avec plus de verbiage exotique et postiche : mais ce n’est qu’Henri III. Esquisse violente et endiablée d’une scène de jalousie qui durerait pendant cinq actes, et dont les Lettres à Mélanie donnent la mesure lyrique et philosophique.

Comparer ce manuscrit à la brochure, c’est encore assister à la genèse d’Antony. Dans l’intervalle Dumas s’est avisé de donner une signification plus large à son idée, d’en étendre le sens et la portée. Non seulement, amené à concevoir une œuvre plus étoffée, il a mis plus de scrupule à préparer, lier et nuancer ses idées et même son style ; mais il a tranché et taillé dans le vif de la déclamation lyrique, supprimé les grands mouvements où il s’essayait dans ses épîtres préparatoires, pour faire une plus large place à l’étude morale et sociale. Le monde ne lui est plus apparu comme un personnage vague et servant de cible aux blasphèmes d’Antony, aux tirades furieuses et délirantes. Il devient un protagoniste : il entre directement en lutte avec la passion indépendante et révoltée. La morale de l’œuvre, comme l’intérêt, en est renouvelée. La pièce sociale perce l’étoffe un peu mince du drame lyrique. Ainsi, le travail qui s’est fait entre la rédaction primitive et le texte ne varietur est double. 1o Ce lyrisme à la mode et banal, auquel plusieurs pensent borner le mérite d’Antony, est réduit et repoussé à son plan, pendant que la représentation théâtrale du monde, de ses opinions, et de ses préjugés s’y substitue et s’établit en belle place sur la scène. 2o Le drame, qui a plus d’ampleur, veut plus de précautions techniques et des ressorts plus minutieux : retouches de métier qu’un dessein plus réaliste exige. Prenons garde que de ce double soin naît le drame moderne, et que nous sommes dans le laboratoire, où nous ne saurions observer de trop près.

Acte I. — Le manuscrit commence à ces mots : « Qu’y a-t-il ? » — « Une lettre… » La moitié de scène qui sert de prélude a été ajoutée. On n’y voyait pas, même de dos, la vicomtesse de Lacy, qui personnifie l’opinion, la morale et l’amour mondains, et qui servira, au tournant du quatrième acte, à mettre la portée sociale en valeur. On n’y entendait point parler de cette madame de Camps, malveillante caillette, « qui perdrait vingt réputations par jour[61]  ». Le drame passionnel entrait d’emblée dans le vif de la passion. La lettre d’Antony était plus cavalière, et Adèle la soulignait d’un joli mot, qui a disparu : « Je ne crois pas à l’amitié qui suit l’amour. On ne bâtit pas avec des cendres[62]. »

Il est visible que l’effort des corrections tend à expliquer et faire prévoir le quatrième acte, l’acte du monde, qui prend une singulière importance dans cette nouvelle conception de la pièce. Un exemple suffit à montrer cette préoccupation, dès la première scène.


Manuscrit, I, pp. 3 et 4[63].

Clara. — Mais la manière dont il est parti tout à coup, lorsque le baron d’Hervey te


Brochure,I, sc. i, p. 163, sqq.

Clara. — Mais rappelle-toi, Adèle, la manière dont il est

parti tout à coup, aussitôt que

demanda en mariage, au lieu de s’offrir lui-même à notre père, qui l’aimait, jeune, riche, et, pardonne, aimé de toi aussi…



Adèle. — ……Et, s’il est parti, c’est qu’il y avait sans doute, pour qu’il restât, des obstacles qu’une volonté d’homme ne pouvait surmonter.

Clara. — Te les a-t-il fait connaître ?

Adèle. — Non, mais ils existaient… Ce n’est pas une âme comme celle d’Antony, qui se laisse abattre par quelques difficultés
 

Adèle. — préoccupée. — Tu le recevras, toi, Clara. Tu lui diras que j’ai conservé pour lui tous les sentiments d’une amie, que, si le colonel d’Hervey était ici, il se ferait un plaisir de le recevoir… mais qu’en son absence, comme on sait qu’il m’a aimée, pour moi… je le supplie de ne pas essayer de me revoir…



le colonel d’Hervey te demanda en mariage, lorsqu’il pouvait s’offrir à notre père, qui lui rendait justice (cf. II, sc. iii, p. 178 et II, sc. v, p. 186). Jeune, paraissant riche (cf. ibid., p. 186, et IV, sc. iii, p. 206), aimé de toi ?

Adèle. — … Et, s’il est parti, c’est qu’il y avait sans doute, pour qu’il restât, des obstacles qu’une volonté humaine ne pouvait surmonter… Oh ! si tu l’avais suivi, comme moi, au milieu du monde, où il semblait étranger, parce qu’il lui était supérieur ; si tu l’avais vu triste et sévère au milieu de ces jeunes fous, élégants et nuls,… si au milieu des regards qui, le soir, nous entourent, joyeux et pétillants,… tu avais vu ses yeux constamment arrêtés sur toi, fixes et sombres, tu aurais deviné que l’amour qu’ils exprimaient ne se laissait pas abattre par quelques difficultés…

Adèle. — …Tu le recevras, toi, Clara : tu lui diras que j’ai conservé pour lui tous les sentiments d’une amie… que si le colonel d’Hervey était ici, il se ferait comme moi un vrai plaisir

de le recevoir ; mais qu’en l’absence de mon mari, pour moi, ou plutôt pour le monde…. Cf. I, sc. vi, p. 173. « Oh ! dites : pour le monde. Madame. » Cf. II, sc. v, p. 185, et surtout IV, sc. vi et vii, pp. 212 et 213 sqq : « Un mot qui tue ! » et encore toute la scène : « C’est sa maîtresse », IV, sc. viii, pp. 215 sqq.

Ce soin de préparer le scandale du IV domine manifestement toutes les corrections du I. Pour le III, Dumas est sûr de lui ; c’est un coup de force : il y excelle. Mais la crise morale et le drame social éclatent à l’acte suivant, et veulent plus de souplesse dans la composition. Pour les mêmes motifs il remanie la scène du médecin[64]. Antony est blessé ; on l’a porté dans l’appartement d’Adèle[65]. Dumas met en lumière l’inquiétude de la pauvre femme, sa crainte qu’en ouvrant les yeux le blessé ne prononce son nom devant ceux qui le soignent, son désir d’écarter tout le monde, même le docteur. La scène était seulement indiquée dans le manuscrit. Il précise, il détaille, il coupe })ar vingt réticences le dialogue définitif, tant et si bien qu’Olivier la regarde, et que la voilà presque compromise, cet Olivier étant du dernier bien avec la vicomtesse, qui n’est point mal avec madame de Camps, la bonne langue[66]. Le « monde » observe Adèle.

Plus cet Antony, jadis distingué par elle, à cette heure blessé pour elle, et soigné chez elle, sera hors de la norme par son tour de tête et son amour, plus dramatique apparaîtra le contraste entre la passion indépendante, délirante, mais sincère, et la coterie bourgeoise ou aristocratique des caprices prudents et des vertus frelatées. Aussi Dumas a-t-il refait presque entièrement la dernière scène de l’exposition. Antony n’était d’abord qu’un prétendant déçu, un Sévère plus sanguin, qui accablait Adèle de ses sarcasmes. « … Qui donc, en me regardant, en me voyant vous sourire, oserait dire en ce moment que je ne suis pas heureux ? — Permettez. — N’est-ce pas que c’est une merveilleuse faculté donnée à l’homme que celle de composer son visage, de cacher ses blessures sous un sourire, d’ordonner à sa voix de rester calme au milieu des tortures, et, lorsqu’on revoit quelqu’un qu’on a profondément aimé, à qui on a dit qu’on l’aimerait toujours, qu’on revoit cette personne après trois ans de douleurs et de désespoir — de pouvoir aux yeux mêmes qui croyaient savoir nos pensées aussi vite que nous, en imposer par une tranquillité apparente et par une froideur étudiée. (La regardant fixement.) N’est-ce pas, Madame, que c’est une merveilleuse faculté ? — Ah ! — Mais il est malheureux, n’est-ce pas, que les forces humaines ne puissent pas suffire longtemps, que le cœur, qu’on comprime, menace de se briser, et qu’il faille, en échange de cet instant, des larmes et des cris ?… Regarde-moi en face, Adèle. Nous sommes heureux, n’est-ce pas[67] ? »

Assurément, il rabâchait. Il n’était qu’un dépité d’amour, qui fait les gros yeux et lâche les grands mots. Le monde en a vu d’autres. Il n’était pas un cas spécial, comme plus tard de Montègre[68] avec son hypertrophie du foie. Dans la brochure, il a une hypertrophie d’orgueil, de scepticisme, de misanthropie à la façon de 1830 et du Franz de Schiller. Il est en proie à une passion de tête ; c’est un embrasement de l’imagination, des sens et des nerfs, et de tout enfin. Il montre le poing à Dieu et à la société. Il menace d’aller « se rouler au milieu de la foule[69] » des hommes. Il a des trouvailles qu’il n’avait pas rencontrées d’abord. Il affecte même, dans ses transports, des obscurités d’oracle : « … Et c’est pour cela que Dieu a voulu que l’homme ne pût pas cacher le sang de son corps sous ses vêtements[70]… » Il résume en soi une synthèse énorme de mémoire. Mais tout de même le lyrisme des réminiscences est désormais absorbé par l’action. Antony représente davantage une force jiassionnelle : l’individu déchaîné, en présence d’une autre force dissolvante : la société moderne. Cette passion était si débordante qu’elle avait inondé tout le drame. L’œuvre retouchée est plus complète et féconde. L’exposition en témoigne, qui se termine, ou peu s’en faut, sur ces mots : « Oh ! dites : pour le monde, madame[71] ! »

Acte II. — Celui-ci a été bouleversé. Outre un court dialogue, où Clara avertissait Adèle que sa chaise de poste serait prête à onze heures, il se composait primitivement d’une longue scène de sentiments violents, coupée par l’entrée de la vicomtesse et du docteur Olivier, et, après leur sortie, reprise sur nouveaux frais. À dix heures précises, Clara revenait annoncer que tout était disposé pour le départ. Et je ne dis pas que l’acte n’y fût point dramatique, ni que la scène de passion eût manqué à nous émouvoir.

Mais Antony y faisait d’affilée sa confession générale à son Adèle. D’une phrase il en épuisait l’intérêt.

« Adèle. — Vous avez désiré me voir, avant de quitter cet hôtel ; vous connaissez les motifs qui m’empêchaient de recevoir M. Antony. Vous avez insisté, et je n’ai pas cru pouvoir refuser une si légère faveur à l’homme sans lequel peut-être je n’aurais jamais revu ma fille ni mon mari.

Antony. — Oui, madame, je sais que c’est pour eux seuls que je vous ai conservée. Je sais tous les devoirs que prescrivent les lois de ce monde, au milieu duquel vous vivez. Ses préjugés me coûtent assez pour que je les respecte. (Adèle lui fait signe de s’asseoir.) Merci. Je ne discuterai pas pour savoir si nous avons tort ou raison de nous en affranchir ; seulement, il me semble qu’un homme, jeté par sa position en dehors de la société, peut, en renonçant aux avantages qu’elle accorde aux autres hommes, se refuser aux devoirs qu’elle leur impose… Pardon… C’est une opinion erronée peut-être… J’étais venu pour vous parler de vous et je vous parle de moi… et peut-être ne devrais-je vous parler ni de l’un ni de l’autre.

Adèle. — Je crois que vous auriez raison[72]… »

Il éclaircissait d’un seul coup toutes les énigmes de sa vie et de son cœur, si adroitement dévoilées dans la pièce. Dans un autre couplet il épuisait toute l’émotion, dont l’auteur a tiré plus tard la scène V. « J’oubliais tout, près de vous… Un homme vint, et me fit souvenir de tout[73]… » Au lieu de regarder la société en face, d’engager la lutte contre les opinions et les préjugés, Dumas, qui avait atteint d’emblée le paroxysme de la passion dans cette scène d’aveux, terminait sur une déclamation violente et banale d’Antony contre sa mère, sa patrie, la religion et tout ce qu’on révère, dont nous avons vu que Mélanie avait eu la primeur.

« Les autres hommes du moins… etc… moi je n’ai même pas la pierre d’un tombeau… etc… etc… Oh ! si ma mère, quelle qu’elle fût, avait pu savoir, à l’heure de ma naissance, ce que souffrirait un jour le pauvre enfant qu’elle abandonnait… elle aurait bien mieux fait de lui briser le front contre la muraille. Que Dieu lui pardonne de ne pas l’avoir fait, car moi, Je ne le lui pardonnerai pas », — « Oh ! vous blasphémez ! » — « Les autres hommes ont une patrie… etc… etc… Dans le monde entier je n’ai qu’un point vers lequel mes yeux se tournent, vers lequel mon cœur vole… c’est celui où vous êtes, et c’est là qu’il m’est défendu de venir… Ma patrie, à moi, serait la terre habitée par vous, l’air qui vous environnerait. Pour moi toutes les félicités du ciel seraient là, et vous me défendez de fouler le même sol, de respirer le même air, oh ! c’est affreux ! » — « Ami, il est un meilleur monde… Là ceux qui se seront aimés, que la terre aura séparés, seront réunis au ciel ! » — « Oh ! si mon âme croyait ! Si l’éternité m’offrait un espoir, combien vite j’irais t’y attendre… Mais le doute… Oh ! c’est encore un supplice inconnu pour toi !… Combien de fois, quand, tout un jour, j’avais combattu par les fatigues du corps les tortures de l’âme, je suis entré dans une église, et là, le front sur le marbre, j’ai demandé à Dieu, avec les gémissements de mon cœur, la révélation de cet autre monde ! Combien de fois, la nuit, seul, debout sur un tombeau comme un spectre, ai-je interrogé la mort sur le grand secret ; tout était muet^ et moi, alors, je me roulais sur cette pierre comme un insensé, en criant : « Je n ai pas d’autre famille, d’autre patrie, d’autre Dieu, d’autre éternité qu’elle, elle que je ne puis ni revoir ni posséder. Malédiction ! » — « Oh ! le malheureux qui ne croit pas ! « — « Si j’étais près de toi, oh ! je croirais à tout, car je croirais en toi…[74] etc. »

Alfred de Vigny, qui ne tenait pas l’athéisme pour un motif de romance, conseilla de supprimer le morceau pendant les répétitions du drame[75]. Dumas, qui ne laissait rien perdre, conserva le mouvement et y jeta autre chose.

Antony lançait encore quelques mots : abandon… solitude… mort… poignard… échafaud. Puis, la vicomtesse entrait au bras d’Olivier, et rendait à l’énergumène le service de couper court à ses imprécations. Non qu’il restât boudeur et taciturne comme Alceste ; il en était incapable. « Et maintenant, disait Adèle, du calme, de l’indifférence. » — « Soyez tranquille… Ne sais-je pas renfermer la douleur dans mon âme comme un cadavre dans un tombeau ? Ne sais-je pas sourire, le cœur tout saignant[76]… ? etc., etc. » Au reste, la scène de la causerie mondaine était manquée. Dumas avait passé à côté de celle du Hasard[77] et de celle des Enfants trouvés[78], qui sont caractéristiques. La vicomtesse papotait ; le docteur pérorait. On plaisantait les médecins, on s’accrochait au moyen âge, on revenait à la phrénologie de Gall, pour conclure qu’Antony avait la bosse du crime. Ce n’était qu’un intermède entre les deux scènes de déclamation amoureuse. On n’y sentait ni que la vicomtesse fût une femme dangereuse, ni que le « monde » eût les yeux fixés sur Adèle. En revanche, on y trouvait des mots de ce goût : « Je serais un confrère à craindre, disait la visiteuse ; dernièrement j’ai guéri ma perruche d’une ophtalmie et mon épagneul d’une sciatique[79].  » Ou encore : « Oh ! docteur, comme il a l’organe du meurtre développé ! Oh ! mais il tuera quelqu’un, bien sûr[80]. » Antony était palpé, jaugé, jugé[81].

Eux partis, la crise de sentiment reprenait sans plus de cérémonie, comme une répétition de théâtre. Adèle revenait « s’asseoir sur un sofa » ; Antony restait « debout près d’elle dans la même position où ils étaient avant d’être interrompus par ceux qui sortent[82]. » Il faut dire tout de suite que cette scène, bien qu’elle fût une redite, était exécutée de main de maître. Antony s’y montrait insinuant, caressant et souple, jusqu’au transport effréné de la fin qui préparait le troisième acte. L’émotion dramatique était accrue[83] par l’attente de l’heure oii la voiture doit jjrendre Adèle pour l’emporter vers le mari. Les aiguilles de la pendule y jouaient leur rôle. Et Antony s’insinuait encore, murmurant des choses très douces et très rares sous la plume de Dumas. C’était le vers classique :

Pour vivre sous tes lois à jamais asservi[84].

Et c’était la passion du début de ce siècle, idéale et sensuelle, idolâtre et meurtrière.

« … Et pourtant, si vous le vouliez, je pourrais être pour vous un frère, un ami (la demie sonne). » — « Ah ! » — « Qu’avez-vous ? » — « N’entendez-vous pas cette pendule ? Elle sonne neuf heures et demie ». — « Eh, qu’importe la fuite du temps ? Qu’elle sonne un de mes jours à chacune de ses minutes, et que je les passe près de vous !  » — « Oui, c’est juste, qu’importe ? » — « Oh ! qu’elle serait délicieuse, cette vie de frère, d’ami ! Vous me diriez vos peines, vos douleurs ; je les consolerais. Et moi, je ne vous parlerais même pas des miennes. Je sourirais à votre arrivée, je sourirais à votre départ ; j’oublierais tout mon passé pour mon avenir ; j’éteindrais petit à petit les battements de mon cœur et les bouillonnements de mon sang. Je ne me souviendrais plus que, lorsque je vous rencontrai, vous étiez libre, que j’aurais pu être tout pour vous, comme vous tout pour moi ; et vous, de temps en temps, vous me diriez avec votre douce voix[85] : « mon ami ». Vous me tendriez la main, et je ne la retiendrais mêmes pas dans les miennes. » — « C’est un rêve impossible ;. » — « Pourquoi ? Soyez tranquille. Votre réputation[86], à vous, ne m’est-elle pas cent fois plus chère que la mienne ? Ne sais-je pas que vous en devez compte à votre mari, à votre fille ? La mienne, à moi, m’appartient tout entière. Oh ! si je pouvais, en la perdant, obtenir un de vos regards ; si un accent plus doux de votre voix ne me coûtait qu’un crime ! Si pour m’entendre dire encore une fois par vous : « je t’aime », comme je l’ai entendu autrefois, je ne risquais que l’échafaud ! Oh ! je te dirais : « parle, parle ». Quelque part que coule mon sang inconnu, il ne rejaillira sur personne et ne tachera que le pavé. » — « Antony, Antony, est-ce en me parlant ainsi, que vous croyez changer ma résolution ? Oh ! vous êtes insensé ! Et moi, moi, vous me rendriez folle ! Que cette aiguille va vite ! » — « Eh bien, non. Je serai calme, froid. Je ne parlerai plus de rien. J’oublierai tout, tout jusqu’au bruit de votre pas, que j’aurais reconnu entre mille, jusqu’au froissement de votre robe, qui me faisait frémir en me touchant. Si vous laissez tomber votre bouquet, je ne m’élancerai plus dessus, je ne le presserai plus sur mes lèvres, je ne le cacherai plus dans ma poitrine [87]. Je désapprendrai ces premières sensations si douces d’un amour partagé. N’avez-vous pas entendu le bruit d’une

voiture[88] ?» — « Non, il est trop tard. Dix heures bientôt. Qui viendrait maintenant ?… Oh ! il m’en coûtera, oui. Ce sera avec peine et lentement que je m’habituerai, le soir, quand nous serons assis l’un près de l’autre, à ne pas frémir de tout mon corps, quand vos cheveux, vos beaux cheveux, soulevés par le vent, viendront effleurer mon visage. Et cependant, un jour viendra, oui, un jour… (Il s’approche de manière à ce que les cheveux d’Adèle touchent presque sa figure.)… Ah !… (Il la prend dans ses bras.) Non, non, ne crois à rien de ce que je t’ai dit. Je t’aime comme un fou, comme un furieux. Oh ! que je ne te revoie jamais, que je meure ! Mais que je te serre encore une fois dans mes bras, contre mon cœur, Adèle ! » — Adèle (pâle et debout, montrant la pendule). « Dix heures ! (l’heure sonne). Et Clara qui vient… » — « Malheur ! » — « Je vous pardonne, Antony, oui, oui, je vous pardonne ; car il faut que vous soyez bien malheureux pour vous oublier ainsi. » — « Oh ! oui, pardon.  » — « Sois la bienvenue, Clara, je t’attendais[89]. »

Quel dramatiste, et quelle scène il avait faite ! Comme la passion d’Antony prenait son élan, juste à l’instant qu’il s’efforçait de la contenir ! Comme Adèle songeait à la fuite, de toute son âme, et à son corps défendant ! Et la lenteur des aiguilles, et la fuite trop rapide du temps !

Dumas a sacrifié cette scène. Il a reculé la confession d’Antony jusqu’à la fin de l’acte, au moment où les propos de salon et la part qu’il y a prise ont déjà presque mis à jour son secret. Non seulement la composition est plus forte et l’intérêt mieux ménagé ; mais le sens de cet acte en est modifié entièrement. Après un premier acte de passion l’auteur fait ici à la passion sa part, pour lui opposer les conditions, illusions, aspirations, obligations de la société. La scène du Hasard est comme un écho de la légende napoléonienne ; celle des Enfants trouvés met sur le théâtre les préventions et préjugés de l’aristocratie nouvelle, et la levée de boucliers de tous les Figaros impatients ou avides. S’il y a du byronisme là-dessous, on voit du moins se dresser le mur d’airain de l’opinion, obstacle alors inéluctable aux amours en marge et aux appétits en liesse. Dans le manuscrit, où la passion parle à peu près seule, Adèle, presque reconquise, pardonne à Antony et déteste vaguement le monde[90] ; dans la pièce, éperdue, elle se révolte contre la société, mais, chancelante, lui obéit. Le moment approche de l’irréparable rébellion.

Acte III. — Peu de retouches. C’est le centre du drame, un attentat dont la rapidité exige plus de décision que de préparation. Dumas a cru devoir ajouter le jeu de scène du poignard qu’Antony fiche en la table, et cette phrase lapidaire : « Elle est bonne, la lame de ce poignard »[91]. Le monologue, dont cette phrase est un fragment, s’égarait en des considérations quelconques sur la destinée. Une apologie métaphysique du suicide en a pris la place ; ce bavardage était fort à la mode, et amorçait le dénoûment. Le morceau se terminait à l’arrivée de la voiture, sur quelques mots d’angoisse empruntés au monologue du duc d’Albe, et déjà utilisés dans Christine[92]. Il a supprimé ces beautés déjà vues. Une scène a disparu, dans laquelle l’hôtesse disait à Adèle que le baron d’Hervey passait à Strasbourg pour un mari soupçonneux et un officier plus que sévère[93]. Enfin Adèle faisait sa prière du soir[94], au moment où Antony coupait la vitre avec un diamant.

Hormis ces détails, l’acte III, où Dumas avait d’abord vu l’essentiel de la pièce, prit d’emblée sa forme définitive.

Acte IV. — Le suivant a été fort remanié. On assiste à un travail de retouches, de scène en scène, et couplet par couplet. Ici encore, le drame était sur pied ; les scènes à leur place, les mots de théâtre au bon endroit. Il est manifeste que l’auteur s’est aperçu plus tard que là était la crise morale, et en même temps la portée sociale, le réalisme fécond de l’œuvre. Aussi le texte de la brochure est-il autrement dramatique et d’un intérêt plus gradué que celui du manuscrit. À présent, c’est l’acte du monde. C’est la revanche de la société. Il y règne comme une progression logique de scandale. La lutte se resserre et se précise, sans décor, entre deux paravents. L’énergie passionnelle est aux prises avec la force anonyme de l’opinion. Et voilà justement la fatalité que Dumas a suspendue, après réflexion, sur cet acte, et qui en fait la vérité poignante.

L’opinion n’est ni la morale, ni la vertu. Un philosophe ne les confond point. Mais elle représente le minimum de morale et de vertu, dont le monde a besoin pour subsister, un faisceau de conventions sociales, qui lui tiennent lieu d’un mérite plus difficile, d’autant plus impérieuses et absolues en principe que dans l’application ou par un accord tacite elles sont plus relatives et flexibles. Examinez le salon de la vicomtesse. Orientez-vous : c’est déjà le Demi-Monde. Des amants, point de maris ; mais de la dignité à souhait. Si Dumas ne l’a pas observé aussi clairement, il l’a mis sur la scène, et cela vaut mieux. Il s’est douté que dans cette société nouvelle, où les vicomtesses datent d’hier, ni l’aristocratie ni la bourgeoisie n’abdiquent les vices si doux à l’humanité, non plus que les préjugés, qui enveloppent ces douceurs. Ceux-ci sont d’autant plus forts que ceux-là sont moins élégants ; et l’amour, pris entre les uns et les autres, va franchir dans le cours de ce siècle de rudes traverses. De cette lutte engagée entre la coalition du monde et la passion irréfrénée, il a tiré, refondant et précisant cet acte, une gradation de péripéties morales qui s’enchaînent, depuis les chuchotements derrière l’éventail jusqu’au scandale décisif. Cette crise de salon est infiniment plus dramatique que tous les développements lyriques et monotones du premier jet. Les scènes y étaient à l’état d’ébauche. Il y manquait le réalisme fécondant.

Il serait superflu de suivre pied à pied le manuscrit. Le travail de Dumas apparaîtra suffisamment par le choix de quelques retouches.

La vicomtesse donne ses derniers ordres, avant le bal, à ses domestiques. Puis elle reçoit M. Eugène d’Hervilly, poète dramaticfue, qui a succédé au docteur Olivier dans ses bonnes grâces[95]. Elle ne parlait que médecine ; elle ne s’intéresse plus qu’à la seule littérature. Et elle rêve de la mettre en action ; elle minaude ; elle est hantée par les « scènes de feu »[96]. C’est la première femme qui va juger Adèle. L’autre est cette madame de Camps, « cette prude dont on heurte toujours le pied, et qui, lorsqu’on lui fait des excuses, fait semblant de ne pas comprendre, et répond : « Oui, Monsieur, pour la première contredanse[97] ». Ni ce trait, qui porte, ni la distinction de l’amour mondain et de la passion sincère n’étaient dans le manuscrit. Ce contraste psychologique personnifié par M. Eugène, qui cède à l’exaltation du romantisme et qui en fait aussi une terrible critique[98], montre à quel point Antony est hors de la page du monde et en opposition avec les impératifs catégoriques de la société moderne. L’auteur l’a marqué après coup, et bien lui en a pris : car c’est le germe même de cet acte. D’abord il ne mettait en la bouche de son confrère que de jolies impertinences, presque dignes des de Ryons et de Jalin : « Eh, sans doute, il restait dans votre cœur une place entre votive perruche et votre épagneul. Je l’ai prise. Vous nous donnez à tous trois des bonbons, des dragées et des caresses. Et nous nous trouvons heureux tous les trois[99] ». Mais tout cela n’allumait pas la lanterne.

La scène d’entrée de madame de Camps était traitée ; mais on n’y parlait que d’Adèle et fort peu d’Antony ; à peine son nom était-il prononcé. Dumas a comblé cette lacune. Adroitement, il rappelle les origines de son héros et l’acte II, acte des salons aussi. « Je serai enchantée de le voir, M. Antony ; j’aime beaucoup les problèmes. » — « Comment ? » — « Sans doute ; n’est-ce point un problème vivant au milieu de la société, qu’un homme riche dont on ne connaît ni la famille ni l’état… Sans doute ; rien n’est dramatique comme le mystérieux au théâtre ou dans un roman. Mais dans le monde ![100] » Il est visible que ce qui s’appelle le monde épie la liaison d’Adèle et d’Antony, qu’il les attend, et qu’il a toute raison de chuchoter, quand ils paraissent l’un après l’autre. Car chez la vicomtesse, qui donne des bals, et qui est du monde, se rencontrent M. Olivier, le passé, M. Eugène, le présent, et M. Frédéric, réserve de l’avenir ; ces messieurs du meilleur monde ont beaucoup d’esprit, notamment celui de ne jamais s’engager à fond et de sauver les apparences.

La scène du feuilleton est une parabase — avant la pièce à thèse. Dans le manuscrit, elle faisait horsd’œuvre ; il faut voir, dans le drame, l’habileté avec laquelle l’auteur s’en sert comme d’un moyen scénique pour atteindre Adèle par un premier coup droit. Elle demande à M. Eugène de développer ses idées. « Et vous aussi, madame, faites-y attention… Vous l’exigez, je ne suis plus responsable de l’ennui[101]. » On ne s’ennuiera pas autour d’elle, pendant cette conférence. Il s’agit des passions d’autrefois et de celles d’aujourd’hui. Oh ! qu’elles ne s’ennuient pas, les fines amies ! Pendant que M. Eugène met à nu le cœur de l’homme, madame de Camps, au nom de la société, et presque de la vertu, perce le cœur d’Adèle et fait flèche de ses allusions perfides. On sait comme Antony ramasse le gant, brave l’opinion, et jette son déli enflammé au milieu de ces futures baronnes d’Ange. « Oui, je prendrais cette femme, innocente et pure entre toutes les femmes[102] »… Toutes les femmes du monde, cela s’entend. Et la scène est ainsi marquée d’une unité singulièrement forte. Au monde bravé de se venger.

Il n’y manque point ; jusqu’à la fin de l’acte le scandale s’abat sur Adèle, sans merci. Ni l’obstination de ces diablesses à la consoler, ni l’opiniâtreté de son amant à la compromettre, ne lui épargnent aucun affront. S’il n’avait pas de première inspiration trouvé l’unité de la crise, l’auteur n’avait pas davantage rencontré les traits précis, le vrai des mœurs mondaines, qui manquent souvent dans le manuscrit. « Ma réputation ! Jamais ! »[103] s’écriait Adèle après la duchesse de Guise. Lisez le texte imprimé : « Mais ma réputation, mon Dieu ! Marie, vous savez si jusqu’à présent elle était pure, si une voix dans le monde avait osé lui porter atteinte… » — « Eh bien, mais voilà justement ce qu’elles ne vous pardonneront pas[104], etc. » De même pour cette réplique que Dorval lançait, affolée : « Mais je ne lui ai rien fait, à cette femme ![105] » et le début de la scène finale d’Adèle et d’Antony : «  …Je vous l’avais bien dit, qu’on ne pouvait rien cacher à ce monde qui nous entoure de tous ses liens[106]… » — Tout le dialogue s’est éclairci et détaché en saillies, quand Dumas a vu ce qu’il pouvait et devait tirer de l’acte même. C’est pourquoi il a été amené à modifier cette scène critique entre Adèle et Antony.

Il en avait esquissé le mouvement d’ensemble, et noté le motif : « c’est sa maîtresse ». D’autres mots y ont été ajoutés, qui peignent la cruauté du monde et la douleur profonde d’Adèle : «… Et ils diront : « Ah ! elle a pleuré… Mais il la consolera, lui, c’est sa maîtresse ![107] » — et d’autres aussi qui expriment le doute qui la tue : «…Vois-tu, il m’est passé là souvent une idée affreuse ; c’est que peut-être une fois, une seule fois, tu as pu te dire dans ton cœur : « Elle m’a cédé, donc elle pouvait céder à un autre[108]… » Tout le couplet d’angoisse suprême : «… Dieu et toi savez qu’une femme ne pouvait résister[109]… « — et ce cri de la femme déclassée : « Dis-moi, Antony, si demain j’étais libre, m’épouserais-tu toujours[110] ? », cela n’est venu qu’ensuite. Au reste, Antony perdait la tête et le sens du discours. Il rugissait à la cantonade, selon la manière d’Yaqoub. « Oh ! tais-toi, tais-toi, ne dis pas un mot de plus, si tu ne veux pas que je meure !… Oh ! dis-moi, que faut-il faire ? Que puis-je pour toi ? Mon sang te lavera-t-il ? Je puis mourir. Par grâce, je suis à tes pieds. Que veux-tu ? Qu’ordonnes-tu ? Je t’aime tant[111]. » Ayant, depuis longtemps qu’il remâche sa passion, atteint les bornes du « délire », cet homme fatal était plutôt incohérent. La scène et l’acte se terminaient par l’arrivée de Louis, domestique d’Antony, qui précédait de quelques instants le colonel d’Hervey. C’était un coup de théâtre, mais incomplet. Adèle n’avait pas vidé la coupe d’amertume. Dumas a modifié cette fin du IV. Il a suspendu l’intérêt ; il a poussé à bout les humiliations que dévore Adèle amoureuse et révoltée. Antony la console et la tient embrassée. La vicomtesse paraît pour annoncer que le domestique est là. Une femme restait à cette victime, une femme qui ne l’avait pas encore accablée, et qui la surprend en cette posture : et cette suprême arbitre de l’opinion, indubitablement offensée dans sa pudeur et sa délicatesse, n’est autre que la maîtresse de céans, la bonne petite amie ardente et changeante de MM. Olivier, Eugène, Frédéric et Cie. Adèle se sauve sans rien entendre. Le supplice officiel est parachevé[112], comme aussi l’acte qui fut un chemin de croix dans ce salon. De cette crise morale, de cet engagement entre la passion et la société, c’est le monde qui sort vainqueur, avec ses à peu près de vertu nécessaires.

Acte V. — Un coup de violence, comme au III Le manuscrit n’est qu’une ébauche de six pages, presque une seule scène, dramatique, passionnée, lyrique, brutale et vide. Adèle savait dès la fin du IV le retour du colonel, qu’elle n’apprend qu’au début du suivant, et de la bouche même d’Antony, dans la brochure[113]. Elle débitait un monologue quelconque, toujours fortifié des souvenirs de Sentinelli et du duc d’Albe. « Une voiture s’arrête… on frappe… on entre… Oh !… Je tremble… Fermer cette porte… non… on monte[114]. » Celui qui s’y est substitué, est un résumé de la crise ; c’est la dernière étape avant le dénoûment. Puis, Antony arrivait ; et c’était la scène unique. On en devine les éclats et le lyrisme échevelés. Il fallait renchérir sur toutes les scènes semblables de la pièce. J’en veux citer quelques fragments.

« Oh ! malheur, malheur à l’homme qui aime la femme d’un autre ! Car il a toujours un pied sur l’échafaud. » — « Antony ! » — « Oui, et depuis longtemps je me suis familiarisé avec l’idée d’un crime, que j’ai débattu froidement… » — « Achève, quoique je tremble. Va, tu peux tout me dire, et moi tout entendre. Eh bien ? » — « Si je… ( « l’assassinerais » est raturé)… » — « Ah ! vous me faites peur ; je comprends. » — « L’idée qu’on aurait pu te croire ma complice lui a sauvé la vie et à moi l’échafaud… Tu tressailles !… Ce n’est qu’un mot… Depuis longtemps, j’ai le pressentiment d’une vie courte et d’une mort sanglante[115]. »

Et il « haïssait la société[116] » ; il « méprisait les hommes[117] » ; « un seul lien l’attachait à ce monde[118] » ; il proposait à Adèle de mourir et de « sentir décroître au milieu de nos baisers les battements de nos cœurs[119] », et son « dernier cri d’agonie pouvait être des paroles d’amour[120] ». Et des : « oh ! » et des « ah ! » et des « Écoute », et des tombeaux et des malédictions ! C’était un furieux branle-bas, toutefois avec quelques notes plus douces. Adèle y était même plus femme[121], plus tendre et résignée que dans la brochure.

« Oh ! non, non, tu es toujours mon Antony, mon amour. Que veux-tu, voyons ? Ne suis-je pas à toi ? As-tu même besoin de me consulter ? Me voilà, faible, sans force contre le malheur, sans défense contre toi. Prends-moi, emporte-moi, entraîne-moi[122]. » Au moment d’être entraînée, emportée, prise, elle reconnaissait « la chambre de sa fille ». Elle trouvait de touchantes paroles… [« Tu ne peux plus qu’une chose pour moi], mon Antony, fuir. Laisse-moi seule. [Tu me (te) perds ici sans me sauver.] Dieu aura peut-être pitié de moi. Il m’offrira peut-être quelque moyen de salut. Mais Dieu m’abandonnera s’il nous voit ensemble ; car être ensemble est encore un crime[123] … »

Elle était plus chrétienne aussi ; et je dois noter qu’Antony ne lui disait pas : « Satan en rirait, tu es folle… Non, non, tu es à moi comme l’homme est au malheur[124]. » Dumas s’était contenté, au moment où le colonel heurtait, de refaire la scène de la « porte » d’Henri III[125] Et cela se terminait primitivement ainsi :

« …Au nom du ciel, à tes genoux, va-t’en ! (Se relevant tout à coup avec effroi)… Silence… on ouvre… on entre… Malheur ! Grâce, mon Dieu, grâce ! Oh ! ne va pas à cette fenêtre, on peut te voir… sors… Il est temps encore. Ou cache-toi… ici… Oh ! non, c’est la chambre de ma fille… Va, va, sors… Il n’est plus temps… on monte l’escalier… C’est sa voix… C’est lui. » — Antony (se jetant à la porte qu’il ferme) : « Ciel et terre ! « — « Ah ! ah ! » — « Cette porte ne pourra résister… Mon Dieu, mon Dieu ! Comment la sauver ? » (Il la prend dans ses bras.) — Adèle (se dégageant): « Laisse-moi… Laisse… (se jetant à genoux)… Pardon ! (se traînant vers la porte)… Pardon, Frédéric ! » (On n’entend rien, ils écoutent tous deux avec transes. On entend le bruit de la clef qui tourne dans la serrure ; Antony prend son poignard et se jette au-devant.) « Eh bien, donc ! » — Adèle (se relève et le prenant au cou) : « Par pitié… par pitié, Antony, tue-moi !… Cette porte !… Ah ! tu n’en auras bientôt plus le temps. » — « Eh bien, prie. » (Une voix au dehors) « Ouvrez, madame, ouvrez, je sais que vous n’êtes pas… » (Adèle élevant ses bras au-dessus de la tête d’Antony) : « Dieu bon, Dieu miséricordieux… Pardonne, pardonne-moi ! » (Un coup plus violent enfonce la porte ; Adèle jette deux cris, le premier d’effroi, le second de douleur. Antony ouvre les bras qui la soutenaient. Elle tombe. Le colonel se précipite dans la chambre.) — Le colonel. « Malheureux ! morte ! » Antony (jetant son poignard aux pieds du colonel) : « Elle me résistait, je l’ai assassinée[126] ! »

Comparez la brochure. Depuis la crise du IV, Adèle plie sous le déterminisme de l’adultère. Le cinquième acte en est l’expression matérielle et scénique, dès les premiers mots : « Qu’est-ce donc que cette fatalité…[127] ? » jusqu’au coup de poignard, qui n’est pas un coup de folie, mais la seule conclusion souhaitable pour elle, et qu’elle implore après avoir franchi, comme un calvaire, toute la série des conséquences pitoyables et sociales. Compromise dans le monde, devant sa seule amie indulgente, aux yeux de sa domestique, et bientôt de son mari, elle meurt. Cette démence est la raison même. « Oh ! malheureuse ! Où en suis-je venue ? Où m’as-tu conduite ? Et il n’a fallu que trois mois pour cela[128] !… » Elle cède enfin, non plus à la morale relative du monde, mais à la morale de la société, faute de laquelle la France nouvelle est menacée dans ses fondamentales conventions. À partir de Diane de Lys il faudra dire : dans ses lois.

On voit le travail auquel s’est livré Dumas et en quel sens il a fait effort. Antony, à sa naissance, ne le rassure point. C’est un drame de jalousie, lyrique, violent, pathétique, et fragile. Et par suite monotone dans le paroxysme. D’une main vigoureuse l’auteur a resserré les péripéties d’une autre pièce, qui dura quatre années, qui s’acheva sans effusion de sang ni de larmes, après que son imagination avait ébauché, préparé celle-ci. À Mélanie dyspeptique Adèle, passionnément adultère malgré soi, doit la naissance. Celui qui avait crayonné la duchesse de Guise et Saint-Mégrin était tout prêt à frapper les mêmes coups de théâtre et enfoncerla même porte d’un dénoûment analogue. Après avoir exécuté Antony aussi fougueusement que le drame central d’Henri III et sa Cour, il s’est remis à son œuvre et l’a refaite. Il avait eu l’intuition de génie.

Alors il a engagé Antony en une lutte réelle avec le monde — non pas ce je ne sais quoi, qui n’est qu’un mot, sous lequel les lyriques romantiques entendent toutes platitudes et niaiseries, — mais l’hégémonie des temps modernes, l’opinion, qui remplace la tradition dans une société à son aurore. Antony sacrifie Adèle à cette puissance ; il la tue pour ce préjugé.

IV

ADÈLE ET ANTONY.

Il la tue[129]. M. Maurice Souriau estime que la pièce ne finit pas[130]. Ce critique est sanguinaire. Il lui faut au moins les dénoûments de Mérimée. À la vérité, Adèle morte, le drame meurt avec elle. Car, en dépit du titre, il s’incarne en elle. Elle en est la raison d’être, passionnelle, morale. Et peu à peu elle tire à elle l’intérêt de l’œuvre, comme Pauline dans Polyeucte. La femme nous touche plus que ces fous sublimes ou absurdes. Car en elle se perpétue la tradition des sociétés.

Avec Adèle paraît sur notre théâtre la femme moderne. C’est J.- J. Weiss qui nota le premier, je pense, que la morale qui se dégage de cette œuvre immorale fait songer au Supplice d’une femme[131]. Il eût pu marquer davantage que les douleurs, angoisses, déshonneur et mort d’Adèle forment une suite de causes et d’effets logiques, qui découlent d’un nouvel état social et légal, duquel le théâtre contemporain va naître. Et nous verrons les femmes, la femme, et non pas seulement Adèle, absorber de nouveau sur ce théâtre les premiers rôles. Celle-ci est la protagoniste et l’aïeule.

Je ne crains pas de dire qu’elle est plus vraie qu’Antony, étant beaucoup moins romantique. Le réalisme y a plus de part. Elle est pâle par convention ; mais ils le sont tous. « La pâleur, a dit Dumas, est pour ces personnages un des premiers besoins du drame moderne[132]. » À peine romanesque : elle croit aux pressentiments et voit beaucoup de[choses dans le mot : adieu. Rien de plus. Elle a « les yeux tristes et la bouche sévère »[133] : on se souvient que Mélanie était fille de Minerve. À vrai dire, elle est bien la fille des soldats de l’Empire, faible femme auprès de ces héros, mais qui a des sens et de l’imagination. C’est par les sensations que l’amour entre en sa fantaisie. Elle a vu Antony, debout, les bras croisés, pâle et triste aussi. Elle a subi « la fascination de ses yeux et le charme de sa voix[134] ». Madame Guichard, la veuve Guichard, l’amoureuse de M. Alphonse, subira ce charme et cette fascination. Adèle avait aimé Antony, avant d’épouser le colonel, non pas seulement d’un amour de tête, mais pleinement, quoique virtuellement, et prête à « palpiter » entre ses bras. Et c’est une femme très douce ; les mères de ces femmes-là étaient tendres aux grognards revenus de loin. Elle a cela dans le sang : la force l’émeut. L’accident du troisième acte la remplit d’indignation et de délice. Elle se distingue par là de celles qui l’ont suivie, et dont les pires seront sensuelles et froides, romanesques sans imagination, terribles ennuyées, dures à l’homme qui les détient.

Adèle ne s’ennuie pas. Elle a de l’imagination, mais juste assez pour embellir la fête des sens et accepter la vie. Moins isolée, et si elle n’avait affaire à un Antony, elle serait une bonne mère dans une existence familiale. Elle aime sa fille : elle s’efforce d’aimer son mari ; elle le respecte et l’estime au moins. Elle sait son devoir de femme, et ses devoirs de femme du monde, et, en leur nom, elle se condamne elle-même au cinquième acte. Un époux moins absent, plus délié, et qui aurait eu la main plus légère, en eût fait une épouse accomplie. Il la laisse seule, elle est faible ; elle est une victime de sa chair et des salons. Moins chien battu, moins concentrée et puritaine que Kitty Bell, elle est infiniment plus femme, de son milieu et de son temps.

Désormais, c’est la question de l’adultère qui se pose avec fracas, dans le décor approprié. Antony n’est pas le dernier acte d’une tragédie qui ne finit point[135] ; mais le premier acte d’un drame qui commence. Dumas qui, comme tous les romantiques, n’en a qu’une obscure conscience, n’a pas tout dit dans sa pièce. Mais les Lettres à Mélanie nous permettent de supposer[136], on s’en souvient, qu’Adèle a pu donner un enfant à Antony, et que cet enfant fut une fille. Cette fille, née d’une baronne, deviendra comtesse de Lys, et, issue d’un bâtard, sera baronne d’Ange ou princesse de Bagdad. C’est l’origine d’une redoutable lignée. Adèle ne laissait pas d’estimer son mari. Mais prenez garde que ce siècle débute, et que les romantiques, chantres bourgeois qui divinisent la femme bourgeoise, n’ont pas encore produit leur plein effet ; que la céleste créature, ainsi chantée et divinisée, va prendre cet encens pour un culte et son personnage de déesse au sérieux ; et que le jour où Dandin, enfin éclairé par les caprices de l’idole, entreprendra de réagir, il ne sera plus que Dandin et viendra trop tard dans un siècle déjà trop vieux. Et puis, Adèle est chrétienne, moins dans la pièce que dans le manuscrit ; mais elle l’est, elle prie Dieu, et meurt avec résignation. Les autres ni ne prieront ni ne mourront — volontairement du moins. Car la religion, selon le mot de Vigny, « s’en est allée en plaisanterie, fondue avec le sel attique dans le creuset des philosophes[137] ». À bientôt le pistolet, le commissaire, et le joli jeu de la loi. Ce sont de beaux dénoûments en perspective, à mesure que l’intérêt social va se faire place sur le théâtre et la question du mariage se discuter plus à fond et plus explicitement. Les dramaturges, dont la femme adultère est la souveraine providence, salueront en Adèle le prototype.

Le rôle d’Antony est plus fantastique. Ou mieux, il est double ; il y a deux hommes en lui, tous deux mis au point du goût public. Ai-je besoin de redire que le plus lyrique n’est pas le j)lus original ? C’est un frère jumeau de Didier, en bottes molles, et qui évoque moins des sentiments que des lectures à la mode : très inférieur, quoique plus théâtral, à chacun des types littéraires qu’il reflète et traduit à la grosse. Il réunit en soi tout le chapitre des imitations exotiques ; il est, à lui seul, Hamlet, Fiesque, Franz, Werther, Lara, le giaour, à la bonne franquette. Il brandit tous ses souvenirs. Il porte à la force du poignet tout un musée de grands hommes. De ces âmes sonores il est un écho populaire. La jeune France volcanique et incandescente[138], échauffée des mêmes réminiscences, en pensa délirer. On ne s’étonne point qu’elle se soit arraché les lambeaux de l’habit vert de Dumas[139]. Saintes reliques ! Loi du talion ! Ainsi fut partagé le pourpoint d’Hamlet par Schiller, Gœthe, Byron qu’on admirait avec enthousiasme, sans trop approfondir. Dumas n’approfondit pas davantage. Il invoque le ciel et Satan, malgré le doute qui le dévore. Il se fait un vocabulaire et un formulaire d’énergumène. « Honte au lieu de sang[140] ! » Et ces vulgaires adaptations vont aux nues. Il faut se délier de ces succès explosifs, à mitraille. Pendant quelque temps encore, ses personnages les plus vigoureux seront en proie à ces accès du mal littéraire saxon. Passe pour Catherine Howard ; mais Buridan, le capitaine Buridan n’en est pas indemne[141] !

La popularité d’Antony n’aurait point dépassé les cénacles, s’il n’avait été qu’un composé du lyrisme étranger. Il est proprement le Figaro de 1830 : et c’est une autre affaire. L’imagination de Dumas lui a, cette fois, tenu lieu d’observation. Il a deviné, en lui-même premièrement, et aussi dans l’atmosphère où il vivait, l’individu qui s’évertue dans ce xixe siècle siècle débutant ; il a créé le type de l’action, musclé, phraseur, ivre de mots, avide de jouir, impatient des obstacles, des traditions et des conventions, à qui toute supériorité porte ombrage, et déjà mécontent de tout en cet état social où tout lui est ouvert. Faites sauter le masque : l’homme paraît, le canon du type moderne. Didier est rêveur et chante la romance ; cette inertie poétique n’est pas le fait d’Antony. Il entre dans son époque, botté, la cravache en main, et résolu à tourner au profit de ses exigences, qui ne sont pas modestes, les plus immédiates conséquences des « grands principes ».

Il est fils de la Révolution, c’est-à-dire d’on ne sait pas qui, du hasard. De cette naissance obscure il souffre dans son orgueil d’individu lésé[142]. Il sent (il le croit du moins) qu’il y a en lui l’étoffe d’un personnage. Richard Darlington ne se refroidira point sur ce sentiment ; et Halifax aura la même intrépidité d’opinion, reprenant à son compte les paroles du barbier-tribun[143]. Antony supporte mal son anonymat ; plus passionné que sensible, et plus orgueilleux que passionné, s’il recherche sa mère, c’est pour se faire un état civil, et parce que cette énigme originelle le gêne pour parvenir. Déjà percent quelques ridicules de parvenu : faute de pouvoir étonner le monde par sa naissance, il a recours à la singularité du costume[144] ; il se fait une tête, comme les « Jeune France » à la première de Hernani. L’excentricité sent son fils de bourgeois et son petit génie.

Au reste, toujours prêt à l’action et bondissant. Tous moyens lui sont bons. Il arrête les chevaux emportés ; il casse les vitres ; il est gaillard et énergique à toute réquisition. Il ne dément pas la race de l’Horatius Coclès du Tyrol. Musset a beau plaisanter[145] : il a toute sorte d’esprit, saut celui d’Hercule. Antony compte d’abord sur cet esprit-là. Il y a dans son amour une frénésie de possession, un déchaînement des sens, et une superbe de l’animal conquérant, une gloire de l’assaut, qui ne se repaît ni de dilettantisme ni d’analyse. L’imagination française ne répugne pas à ces triomphes ; et je pense que ce ne fut pas la moindre cause de l’enthousiasme qui salua Antony, même aux loges de balcon[146]. Aux yeux de Dumas, c’était la plus belle victoire de l’individualisme[147].

Antony a d’autres mérites, et aussi d’autres illusions, qui sont propres à notre siècle. Il a étudié les arts, les langues, la science ; il est jeune, et il a « tout étudié, tout appris[148] ». Le Fils naturel ne le lui cédera point. Pour avoir lu Rousseau et ses imitateurs allemands ou anglais entre quinze et vingt-cinq ans, ces héros encyclopédiques pensent tout savoir. Ce n’est pas le moins grave danger de leur orgueil. Cette foi en l’omniscience et en leur supériorité intellectuelle aboutit à la misanthropie des déclassés. Antony n’est pas loin de Giboyer[149]. Encore n’apprend-il pas pour le plaisir de comprendre, ou pour celui plus relevé d’être utile aux autres hommes. Il y cherche une arme ; il veut contraindre « les préjugés à céder devant l’éducation[150] » (comme si instruction et éducation étaient une même chose), forcer les portes du monde, pénétrer dans le temple. Cela aussi trahit son parvenu, et dénote un prurit d’aristocratie. Jeune bourgeois, montrez patte blanche : il y a de la fièvre de M. Jourdain dans votre cas. Et vous vous étonnez, courtisant les femmes et convoitant les filles, qu’on vous demande des nouvelles de votre famille ?… Vous vous estimez avantageusement, il est vrai. Cela peut mener loin, surtout quand on y joint quelque autre chose. Mais est-ce assez de penser bien de soi et mal des autres, pour vaincre la fortune ? « Dons naturels, dites-vous, ou sciences acquises, tout s’effaça devant la tache de ma naissance[151]. » Que vous êtes bien le produit de Figaro, quarante ans après le grand branle-bas ! Mais, à votre tour, qu’avez-vous fait pour avoir un nom ?

Etudié ? La belle affaire ! Vous courez les bals, sans doute pour produire vos études. Vous fréquentez la haute compagnie, où l’on vous reçoit déjà comme un homme rare et même singulier. Il vous faut autre chose. Il vous faut tout. Parce que vous n’avez pas de famille, vous vous croyez un grand génie. Il est visible que vous vivez à une époque de transition et de fiction. Travaillez, mettez au jour votre bagage de science et d’art ; soyez original autrement que par vos exclamations et la coupe de l’habit. Vous m’affirmez que vous êtes un prodige ; je vous crois sur parole : mais tâchez donc que la société vous juge tel sur des preuves. Qui prétend à l’indépendance, jeune homme, il fait sagement de l’acquérir. La Révolution, qui a proclamé les droits de l’individu, n’a pas oublié le droit au travail. Mais surtout elle n’a pas établi que tout citoyen qui professerait avoir du génie serait universellement salué et adoré aux frais des salons — et des maris. Et à ce propos, qui donc subvient à votre existence énigmatique ? Le monde, contre qui vous fulminez, se le demande ; et vous n’y songez guère. Au lieu de tourner une part de vos blasphèmes « contre cet homme chargé, je ne sais par qui, de vous jeter tous les ans de quoi vivre un an[152]… », et de vous précipiter à ses genoux pour connaître vos parents et savoir « ce que vous pouvez attendre et espérer d’eux[153] », n’espérez, n’attendez rien que de vous-même, et laissez, si vous pouvez, les femmes d’autrui en paix. C’était bien la peine de la faire, cette Révolution, d’où vous êtes issu, si, à peine libre, vous exaltez votre personnalité dans la déclamation et dans le vice. Figaro était un factotum ; vous êtes un déclassé, demi-savant, demi-aristocrate, un parvenu à mi-chemin.

Votre folie n’est donc, en son fond, qu’égoïsme et qu’orgueil. Vous êtes un individu à côté, même en amour : et cela flatte votre amour-propre. Orgueil, égoïsme, ce sera la marque de tous vos descendants, ambitieux, passionnés, adultères, « petits animaux folâtres[154] », et qui auront le culte de leur moi. Ils aimeront, eux aussi, les femmes mariées, parce qu’il y a un mari, et qu’ils les tiendront pour de grandes dames : ils les compromettront, comme vous, pour les avoir à leur discrétion. Ils s’élèveront, à votre exemple, contre les préjugés, parce qu’il est plus aisé de pérorer que de s’abstenir, et que la blague vous donne, à peu de frais, un air d’homme supérieur, surtout auprès des bonnes créatures qui ne demandent qu’à rire un peu. Ils riront, individualistes, effrontés, féroces, lutteurs, jusqu’à la convulsion dernière qu’ils auront rarement souhaitée. Il leur manquera d’ordinaire cette indéniable faculté, qui est la vôtre, de ressentir et d’exprimer la passion au paroxysme, et de s’abandonner à l’ivresse des mots : car les beaux temps de l’imagination seront passés. Ils seront moins fous peut-être ; et peut-être ne seront-ils pas moins inconscients, nés d’une liaison coupable et d’une révolte contre l’opinion du monde nouveau, dans le feu du premier drame social, Antony.

  1. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 117 : « Antony n’est point un drame, Antony n’est point une tragédie, Antony n’est point une pièce de théâtre. Antony est une scène d’amour, de jalousie, de colère en cinq actes. »
    Cf. les vers servant d’épigraphe à l’article : Comment je devins auteur dramatique (Th., I, p. 1) :
     
     
    Je ne cacherai plus où ma plume fidèle

    A trouvé d’Antony le type et le modèle……

  2. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 120. Voir le commentaire d’Antony, et la différence du cocuage au xviie siècle et de l’adultère au xixe : « Le code civil . Bon ! que vient faire ici le code civil ? etc. » Dumas pose assez bien la question , quoiqu’à moitié. L’adultère au théâtre est désormais une question sociale, beaucoup plus que morale ; il met en discussion l’état de la femme dans la société nouvelle. Cf. notre Théâtre d’hier, Alexandre Dumas fils, § V, pp. 159-182, et Henry Becque, § III, pp. 426-427. Le théâtre contemporain évolue en ce sens. La question y est de plus en plus présentée comme sociale. Voir les Tenailles de M. Paul Hervieu ; le Partage de M. Albert Guinon.
  3. La Mère coupable, IV, sc. xiii. J. Janin observe judicieusement (Histoire de la littérature dramatique, t. VI, p. 311) « que Beaumarchais a mieux aimé tuer son joli page que de nous le montrer quand la belle comtesse a succombé ».
    Il est vrai que le même J. Janin affirme (ibid., p. 162) qu’Antony est un pastiche du Fils naturel de Diderot. Pour un critique dramatique, l’affirmation est au moins hasardeuse.
  4. Épigraphe d’Antony, cf. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 118 : « Antony, c’était moi, moins l’assassinat. Adèle, c’était elle, moins la fuite. »
  5. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 117 : « J’allai trouver un de mes amis employés au ministère : trois fois le congé, prêt à être envoyé, disparut, déchiré ou brûlé par lui. Le mari ne vint pas. » — Un jour il y eut alerte. Le capitaine demandait son changement pour Courbevoie : « Il faut le faire nommer major, mon ange. Il n’y a que ce moyen-là de nous tirer d’affaire. Courbevoie est beaucoup trop près de Paris. » Lettres inédites, 12 octobre.
  6. Mes mémoires, t. V, ch. cxviii, p. 82. Première lecture d’Henri III en petit comité chez madame W… — Voir ibid., ch. cxv, pp. 43 sqq., première rencontre ; énumération de la famille. Cf. le Testament de M. de Chauvelin, ch, i. La maison de la rue de Vaugirard, p. 13.
  7. Ces lettres ont été rachetées par Alexandre Dumas fils, son nom et celui de sa mère s’y trouvant parfois mêlés. Je me suis appuyé, pour les classer, tantôt sur les dates du cachet postal, tantôt sur les allusions à des événements connus qu’elles renferment, et même sur les sentiments qu’elles contiennent. J’ai pu ainsi, pour écrire ce chapitre, les ranger dans leur suite chronolog-ique très probable. Je donne en note les dates, quand elles y sont.
  8. Lettres inédites. « Le mercredi 6 octobre » (1830, d’après les allusions au drame) : « Je ne le trouve pas (le drame) d’une forte constitution. J’espère en tout cas que son homonyme n’aura rien de cette faiblesse. Oui, mon amour, j’y songe, à notre Antony. Ce sera un lien ignoré entre nous, qui fait que jamais nous ne deviendrons étrangers l’un à l’autre. Je parle de quinze ou vingt ans de ce jour. « — Il y songeait chez une autre Mélanie, chez qui il fréquentait dès la fin de mai 1830. Voir plus bas, p. 294, n. 4.
    Cf.
    Lettres inédites, « 12 octobre » (1830) : « Mais tout cela, quelque chose qui arrive, ne fait rien à Antony ; il faut qu’il vienne à bien, pauvre petit ».
  9. C’est le mot dont il se sert, quand il explique sous quelle inspiration il fit Antony. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 117.
  10. Lettres inédites. Ces vers sont suivis de ces lignes : « Appelle-moi fat, voilà un trait caractéristique : penser que de pareils vers valent la peine d’être lus deux fois. Ah ! de la besogne… Grand merci. (On lui apporte des dossiers à copier.) — La lettre finit par la phrase que je cite ensuite, datée de quatre heures et demie. — Comme il utilisa tout, on trouvera la première strophe reproduite dans le Mari de la Veuve (Th., III), sc. iii, p. 248.
  11. Lettres inédites.
  12. Lettres inédites., mercredi 6 octobre (1830 ; — il est parlé dans a même lettre d’« Antony copié et distribué aux acteurs »).
  13. Ibid.
  14. Mes mémoires, t. V, ch. cxv, p. 43.
  15. Edouard Pailleron, le Monde où l’on s’ennuie, III, sc. iv, p. 149.
  16. On trouve à la fin de su lellre du 6 octobre 1830 citée plus haut, pp. 289-297, le souvenir des deux dates fatales, « envers et contre tout ton Alex, du 12 sept, et du 22 » (1827 ?).
  17. Lettres inédites. Cachet postal 1827 (27 septembre).
  18. Lettres inédites. Dans la même lettre : « Sois tranquille. Je suis à la fois le moi du jour où je te baisai la main, le moi du 12 septembre ; et le moi d’aujourd’hui, cher ange, est le plus heureux de ces trois moi. » Cette lettre est évidemment du début. Il lui demande un souvenir à conserver pendant un mois d’absence forcée : son écharpe, par exemple.
  19. Lettres inédites.
  20. Lettres inédites.
  21. Lettres inédites. « Mais tu n’auras pas d’étouffements ni moi de palpitations. Nous avons besoin de vivre tous les deux maintenant. »
  22. Lettres inédites. « Que fais-tu de tes savants et de ta Minerve ? » Il s’agit du père et de la mère, nommés dans Mes mémoires.
  23. Lettres inédites. À cette époque Mélanie est à la Jarrie.
  24. Lettres inédites. Ibid., son estomac de bureaucrate va bien : le pauvre homme ! « Quatre heures. Toutes les douleurs possibles : à la besogne a succédé la besogne. Et me voilà pressé entre mes quatre heures et mon dîner. Et toi, pauvre amour, penses-tu au tien ?… »
  25. Lettres inédites.
  26. Lettres inédites. Voici dans une lettre précédente la phrase incriminée, avec le contexte « … Rappelle-toi bien, mon amie, qu’on tue un amour en le tourmentant, que la femme n’a qu’à penser à cet amour, que l’homme a en outre tous les soins matériels de la vie à remplir ; — moi surtout, mon ange, l’existence de tant de personnes se rattache aux soins qui m’occupent que dans le commencement où je t’aimais et où je craignais de ne pas cire aimé, alors je pouvais tout sacrifier au désir de l’être. Maintenant, je le suis. Eh bien, laisse tout naturellement les soins matériels de la vie reprendre leur place. Que l’amour devienne mes heures de récréation, non de travail. Rapporte-t’en à moi pour t’aimer, mais ne me tourmente pas, je t’en supplie… » La lettre où il rectifie cette phrase significative est datée du 7 juillet. Elle est de 1830 ; car on y lit : « Il faut que je passe un traité avec le Théâtre-Français. Je veux qu’il soit engagé vis-à-vis de moi. » Or un auteur joué peut seul avoir ces prétentions. Il s’agit donc de la seconde version de Christine ou plutôt d’Antony ) : car dans la même lettre on trouve des développements qui annoncent ce drame, comme nous le verrons. « … Je suis seul au monde, etc… Rassembler vite de quoi vivre seul, et abandonner mère, enfant et pays pour aller vivre partout ailleurs comme un bâtard
  27. Lettres inédites. « … Je l’ai écrit avec la plus grande régularité, même quand je ne pouvais pas écrire, même quand une goutte de sueur me tombait à chaque lettre, et que j’étais obligé d’écrire deux fois les mots pour tâcher qu’ils fussent une fois lisibles…  »
  28. Lettres inédites. 30 septembre. (1830 ?) La date de l’année semble résulter de ces mots de la même lettre : « … Tout est autour du roi dans le même état. Je lui ai fait remettre un rapport. Je ne sais pas même s’il l’a lu… On l’aime de jour en jour davantage, et l’on use même de familiarités inconvenantes. M. Dupaty lui a envoyé l’autre jour un billet de garde comme faisant partie de l’arrondissement du Palais-Royal. C’est absurde. » Il s’agit très probablement du rapport sur la Vendée, où Dumas était allé le 10 août 1830, au lendemain de l’avènement de Louis-Philippe. Ce rapport fut remis à Lafayelto qui le fit tenir au roi. Dumas fut reçu en audience au mois d’octobre 1830. Cf. Mes mémoires, t. VII ch. clxxiii, p. 150 et p. 155.
  29. Lettres inédites. « … Et ne va pas croire que c’est par amour-propre que je crois à ta fidélité. Non, attirés l’un vers l’autre, comme ; nous l’avons été, il me semble qu’une force étrangère pourra seule nous séparer, et non l’effet de notre volonté. Notre amour change de nature sans doute. Nos sensations sont autres, mais notre amour est toujours notre vie. Nos sensations sont toujours heureuses. »
  30. Il ne s’agit pas ici de fouiller la vie intime de Dumas. Cet indiscret reportage à distance est une misère de notre temps. Mais pour être édifié sur la sincérité du lyrisme dans Antony, il est nécessaire de ne pas oublier l’état du cœur de l’écrivain au moment où il écrit son drame. Les Lettres inédites et Mes mémoires nous renseignent très suffisamment.
    Avant la fin du niois de mai 1830, Dumas avait noué une autre liaison avec une autre Mélanie, dont il eut une fille, Marie, dite Marie-Alexandre Dumas, née en 1831, devenue plus tard madame Olympe Petel. Cf. Mes mémoires, t. VI, ch. xcliii, pp. 72 sqq. Il continuait à voir la mère de son fils Alexandre, né en 1824. Une de ces lettres à Mélanie commence par ces mots : « Une heure… Je t’écris près de mon fils, qui va de mieux en mieux… » Dans une autre il est question du petit Alexandre qu’on ne pourra emmener dans une promenade dominicale, parce que son costume neuf ne sera pas prêt.
    On n’oubliera pas qu’en 1829, il s’intéressait fort à mademoiselle Virginie Bourbier de la Comédie-Française, (Voir ch. Glinel, ch.iv. p. 216.)
    Le chapitre de ses Mémoires où il conte la lecture d’Antony qu’il fit à Dorval (t. VII, ch. clxxvi, pp. 187 sqq.) ne laisse aucun doute sur le degré d’intimité où il est avec elle depuis le mot imprudent de l’actrice : « Vous faites un peu bien les femmes. » (Mes mémoires t. VI, ch. cxxxviii, p. 26.)
    Enfin dans l’une de ces lettres inédites, il semble que Mélanie W. ait été jalouse de mademoiselle Mars. Dumas, lui racontant une soirée chez Firmin de la Comédie-Française, s’empresse de lui dire : « … Si tu savais combien toutes ces femmes, avec leurs manières libres et leur danse dégagée, m’ont déplu. Je n’ai voulu danser avec aucune d’elles. Il me semblait qu’en touchant leur main je profanerais la tienne ; d’ailleurs mademoiselle Mars n’y était pas. Le souper était fort bien, garni de truffes ; la soirée eut été charmante pour ceux qui eussent été disposés de manière à s’amuser. » La pudeur ne lui coupe l’appétit aucunement. Car la fin de la lettre indique la raison profonde de ces mines pudiques. « Demain, c’est aujourd’hui. Je dormirai trois heures et trois heures dans tes bras ; cela reviendra au même. »
    Restent deux lettres, où il semble que Mélanie W… l’ait obligé à rompre avec une actrice dont elle était jalouse, et avec qui Dumas avait avoué ses relations. Est-ce Virginie Bourbier, ou Mélanie S… ou même madame Firmin ? Voici un passage de la lettre importante, datée du lundi 4 octobre. Comme dans la suivante, datée du mercredi 6 octobre, il est question des répétitions d’Antony et j’y note une allusion à la jalousie de Mélanie. Comme Dumas y glisse ce mot : « Les répétitions ne sont point à craindre, mon ange. Ainsi, qu’elles ne t’inquiètent pas », il est probable que ces deux lettres ont trait à la même personne, et que le fragment que je vais citer de la première est du 4 octobre 1830. « … Hier elle est revenue. Je venais de recevoir ta lettre. C’était un véritable palladium. Je lui en ai fait lire une partie. Il y a eu, comme tu peux le croire, des larmes en quantité, plus par crainte de son avenir à elle que par véritable amour. Bref, peut-être t’écrira-t-clle : car elle ne peut croire que tu saches tout. Elle pense que tu ignores nos relations et les lettres que je lui ai écrit (sic). Mais tu sais tout. Ainsi ne te tourmente de rien. Il a été convenu que nous n’étions plus rien l’un pour l’autre qu’amis. Cependant elle m’a quitté en larmes et en colère. N’en parlons plus. Mais il fallait te dire cela encore une fois. N’en parlons plus, dans cette lettre du moins. Je vais achever ma pièce. Elle sera engagée et contente. Tout sera donc fini… » Et un peu plus loin : « Je lui ai remis ton petit mot. Il était fiévreux, et elle a eu grand’peine à y comprendre quelque chose, mais enfin je le lui ai remis. Je ne crois pas du reste qu’il y ait en elle amour profond. Il s’évaporera en mots aigres, puis la certitude que je veillerai toujours à son sort théâtral la consolera de tout. »
    N’allons pas plus avant. Tout cela n’est pas très édifiant. Ces échanges de lettres, cette mésestime de l’ancienne maîtresse affectée devant la femme jalouse manquent de délicatesse. Il importait seulement de donner à la partie passionnelle des Lettres à Mélanie (à partir de 1828) le caractère expérimental qu’il m’a paru qu’elles ont.
  31. Lettres inédites, 3 juin 1830. Cf. Antony, II, sc. i, p. 175. « Je le vois là, triste, pâle, regardant le bal. Je fuis cette vision… »
  32. Lettres inédites.
  33. Lettres inédites.
  34. Lettres inédites.
  35. Barberine.
  36. Lettres inédites.
  37. Le poète des Femmes savantes, le philosophe galant du Monde où l’on s’ennuie.
  38. Lettres inédites.
  39. C’est la conclusion d’une lettre sombre de pessimisme, et qui se termine par « mille millions de baisers, et des caresses sans nombre et sans fin. Adieu, ma Méianie, dans dix minutes, je serai près de toi. » Oui, la question du repas, de l’appétit revient souvent à la fin de ses dissertations philosophiques, mais l’autre immédiatement après. « Adieu, mon ange, la faim me presse ; je me sauve et je serai chez toi à sept heures moins un quart. » Ailleurs : « pardon du blanc qui reste (sur le papier), mais ma mère me poursuit en criant : « Tes œufs sont cuits, Dumas ! Tes œufs vont être durs ! » Et le moyen de résisier à une logique aussi pressante ? Adieu, adieu encore, mon ange… »
  40. Cf. Mes mémoires, t. IV, ch. xciv, p. 78. « En 1823 et 1824, la mode était à la maladie de poitrine ; tout le monde était poitrinaire, les poètes surtout ; il était de bon ton de cracher le sang à chaque émotion un peu vive, et de mourir avant trente ans. Il va sans dire que nous avions, Adolphe (de Leuven) et moi, tous deux jeunes, longs et maigres, cette prétention. »
  41. Lettres inédites. Cachet postal, 21 septembre 1827.
  42. Il faut d’ailleurs reconnaître que ce doute, qui l’obsède, revêt parfois une forme assez utilitaire. « … Jouissons du bonheur des vivants avant d’aller envier le repos des morts. Ah ! leur couche est bien froide, Mélanie, pour qu’il y reste une étincelle de vie et d’amour… Oh ! n’attendons pas ce moment pour dormir dans les bras l’un de Pautre ; tu n’aurais qu’à t’étre trompée… » Et si ce doute refroidit l’âme croyante de Mélanie, alors il n’est pas plus athée qu’il ne sied. « … Car je ne suis pas athée, quoi que tu en dises ; je ne le deviendrai jamais, puisque l’athée est celui qui ne croit en rien, et que, si je cessais de croire en Dieu, je croirais encore en toi ». Au fond, son athéisme n’est qu’un beau geste, le poing tendu vers Dieu, et qui ne tient pas contre le plaisir de faire un madrigal. Voir plus bas, p. 317. Il reproduit textuellement ce madrigal dans le manuscrit original d’Antony.
  43. La nuit de mai, Alfred de Musset.
  44. Mes mémoires, t. I, ch. xxiv. p. 271. Cf. t. II, ch. xxxi, p. 27. Cf. t. ix, ch. ccxxxi, p. 133.
  45. Lettres inédites.
  46. Même lettre. Il y prend des précautions… « Ne crois rien de ce que te dira ta mère. Je te dirais presque : Ne crois rien, tes yeux dussent-ils voir, tes oreilles dussent-elles entendre… »
  47. Voir notre Génie et Métier, ch. viii. Les manuscrits originaux de Diane de Lys et du Demi-Monde, pp. 256 sqq.
  48. Lettres inédites. Il rencontre d’assez jolies choses. « Il y a un certain plaisir à être heureux d’un coup d’œil, d’un regard au milieu d’indifférents. Ce sont deux personnes qui auraient trouvé moyen d’allumer du feu dans une carrière de neige, et jouiraient, au milieu du froid, d’une température douce. » Il a même des mots. « Encore une distraction, cher amour… Tu ne m’as pas remis ta lettre, et j’ai été obligé de me coucher veuf. »
  49. Le Misanthrope, IV, sc. iii.
  50. Lettres inédites. Cf. Antony, V, sc. iii, p. 222. « … Si un cœur dévoué, si une existence d’homme tout entière que je jette à tes pieds… te suffisent, dis oui… Je t’arrache à ta famille, à ta patrie… Eh bien, je serai pour toi et famille et patrie… En changeant de nom. nul ne saura qui nous sommes pendant notre vie, nul ne saura qui nous avons été, après notre mort. Nous vivrons isolés, tu seras mon bien, mon Dieu, ma vie… Viens, viens, et nous oublierons les autres pour ne nous souvenir que de nous. »
  51. Le Demi-Monde, II, sc. iii, p. 80.
  52. Lettres inédites. Cf. Henri III et sa Cour, I, sc. v, p. 134. Saint-Mégrin à la duchesse de Guise : « Ah ! madame, on n’aime pas comme j’aime pour ne pas être aimé ».
  53. Même lettre. Cf. Antony, II, sc. iii, iv et v, pp. 177-190. Antony dit (II, sc. v, p. 186) : « Les autres hommes dit moins, lorsqu’un événement brise leurs espérances, ils ont un frère, un père, une mère !… etc. » Alexandre écrit à Mélanie, 7 juillet 1830 (lettre déjà citée) : « … Je suis seul au monde : pas un parent sur qui je puisse m’appuyer pour lui demander un service ; quand je me manque à moi, tout manque non seulement à moi, mais à ma mère d’un côté et à mon fils de l’autre. Tout ce qui est bonheur pour un autre est peine pour moi
  54. Mes mémoires, t. VII, ch. clxxv, p. 180.
  55. Lettre inédites. Cf. Antony, II, sc. v, pp. 187 sqq.
  56. Même lettre. Voir plus bas, p. 316.
  57. Lettres inédites. Cf. Antony. IV. sc. i. p. 204.
  58. Lettres inédites, mercredi 6 octobre. Il s’agit des répétitions à la Comédie-Française qui n’aboutirent point.
  59. Ce manuscrit se compose de 46 pages, papier écolier, grand format, reliées en un cahier, une double page servant de couverture. Sur la première feuille est écrit le titre.
    ANTONY
    DRAME EN CINQ ACTE
    en prose.
    PREMIER ACTE.

    Il se termine un peu avant la fin de la 46e page par ces mots : « Fini le mercredi 9 juin à midi.

    Premier manuscrit d’Antony.
    ALEX. DUMAS.

    L’écriture est rapide, très lisible, parfois renversée, pas du tout l’écriture ronde des romans, mais celle des Lettres à Mélanie, sans ponctuation, avec des fautes d’orthographe nombreuses. Très peu de ratures, et peu considérables. (Cf. notre Génie et Métier. Manuscrits originaux d’Alexandre Dumas fils, pp. 243 sqq.) — Aux pages 13 et 40 sont consignées en travers de la marge, de la main de Dumas, deux adresses : Grenier, rue Bourbon, No 11, et M. de Mersanne, boulevard des Italiens, No 2, galerie de l’Opéra. (Voir le Baron de Marsanne, abonné du Constitutionnel, acte IV, sc. vi, p. 209.) Les actes sont numérotés, mais non les scènes. En revanche les jeux de scène sont indiqués avec minutie, sauf le coup de couteau du dénoûment. On distingue les reprises du travail aux modifications de récriture. L’acte V a été enlevé en trois séances. Enfin, dans ce premier manuscrit, la scène de l’auberge se passe aux environs de Valenciennes. Et voici la distribution des personnages, assez différente de la brochure :

    Le colonel baron d’Hervey.

    Adèle d’Hervey, sa femme.

    Clara, sœur de la baronne d’Hervey.

    Antony.

    La vicomtesse d’Osmond.

    Olivier Delaunay, jeune médecin.

    Frédéric Destein, lieutenant.

    Une aubergiste.

    Paul, domestique d’Antony.

    (Il avait oublié Eugène d’Hervilly et Madame de Camps, qu’il écrit Decamps dans le manuscrit.)
  60. Mes mémoires, t. VII, ch. clxxv, p. 180.
  61. Antony, IV, sc. vii, p. 213.
  62. Manuscrit original, I, sc. i.
  63. Les scènes ne sont ni indiquées ni numérotées, le plus souvent.
  64. Manuscrit original, I, p. 8. Cf. Antony, I, sc. v, pp. 169 et 170.
  65. A. de Musset u repris la scène en s’amusant. Cf. Il ne faut jurer de rien, I, sc. i, p. 347 ?. « Ah ! mon Dieu ! Un mort qui m’arrive !  »
  66. Notons que ces retouches sont parfois trop hâtives. Le médecin Olivier dit à Adèle (I, sc. v, p. 169) : « Les termes scientifiques vous effrayeront peut-être ? — Oh ! non, non, pourvu que je sache… Vous comprenez, il m’a sauvé la vie… c’est tout simple. — Oui, sans doute, madame… Eh bien, le timon, en l’atteignant, a causé une forte contusion au côté droit de la poitrine. La violence du coup a amené l’évanouissement. J’ai opéré aussitôt une saignée abondante… et maintenant, du repos et de la tranquillité feront le reste… »
    Les termes scientifiques, ou à peu près, sont restés dans le manuscrit : « Le timon, en l’atteignant, a causé une forte contusion ou équimose (sic) au côté droit de la poitrine… La violence du coup a amené l’évanouissement. J’ai opéré à l’instant une saignée abondante, pour empêcher la congestion du sang au poumon. » (Manuscrit original, I, p. 7.)
  67. Manuscrit original, I, pp. 9 sqq. Cf. Antony, I, sc. vi, pp. 172-173.
  68. L’Ami des femmes.
  69. Antony I, sc. vi, p. 173.
  70. Antony I, sc. vi, p. 173. Cf. II, sc. iv, p. 185. « Demandez à un cadavre combien de fois il a vécu. » Cela n’était pas venu du premier jet. En corsant la pièce, Dumas a parfois outré l’expression pour marquer avec force le contraste entre l’opinion du monde et la passion individualiste.
  71. Antony I, sc. vi, p. 173.
  72. Manuscrit original, II, p. 13.
  73. Antony, II, sc. v, p. 186
  74. Manuscrit original, II. pp. 14 et 15. Cf. Antony, II, sc. v, pp. 186-187. Voir plus haut (p. 301, n. 2), où il est dit que ce madrigal se trouve textuellement à la fin d’un couplet, par lequel il se défend d’être athée dans une Lettre à Melanie.
  75. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcviii, p. 104. « La répétition s’acheva. Alfred de Vigny était présent, et me donna quelques bons conseils. J’avais lait d’Antony un athée ; il me fit effacer cette nuance du rôle. »
  76. Manuscrit original, II, bas de la p. 15.
  77. Antony. II, sc. iii. pp. 177 sqq.
  78. Antony. II, sc. iv, pp. 180 sqq.
  79. Manuscrit original, II, p. 17. Ni ces propos scientifiques, ni même le système de Gall, ni la chiromancie ne sont absents de l’œuvre de Dumas fils. Dès Diane de Lys, II, sc. ix, p. 270, on lit : " Oui, j’ai un ami qui a appliqué aux mains le système que Gall a trouvé pour la tête…  »
  80. Manuscrit original, II, p. 17.
  81. Il s’y disait encore : Adèle. — « La vicomtesse est vraiment née quatre siècles trop tard ; c’est la véritable damoiselle du moyen âge, prête à guérir avec des simples et à panser avec son écharpe les blessures que son chevalier aurait reçues en la proclamant la plus belle. » — Antony. « C’est qu’au fait, c’était une merveilleuse chose pour le blessé que de se voir renaître à la vie sous la protection de la femme aimée, de demander la guérison au breuvage préparé et offert par sa main, de sentir cicatriser sa blessure sous l’écharpc portée par elle… (Voir Lettres inédites à Mélanie. Au début de la liaison, pendant une absence d’un mois que doit faire la bien-aimée, il lui demande à conserver un souvenir d’elle, une écharpe, comme Saint-Mégrin ou les héros de Walter Scott), et liée avec des cheveux d’elle… Oh ! alors, je conçois qu’on ne déchire pas l’appareil… » — La Vicomtesse. « Eh mais, il me semble qu’il s’est trompé de siècle aussi. » — Antony. « Non, j’y aurais été trop querelleur. » — La Vicomtesse. « Et dans le nôtre vous n’êtes que misanthrope. » (Manuscrit original, II, p. 17.)
  82. Manuscrit original, II, p. 18
  83. Il a repris ce moyen dans Richard Darlington, I, tabl. ii, sc. V, pp. 59 sqq. Émile Augier en a tiré parti dans Maître Guérin, IV, sc. vi, p. 153.
  84. Polyeucte, V, sc. iii.
  85. Les héros et les héroïnes de Dumas sont sensibles d’abord aux caresses de la voix. MM. Meilhac et Halévy s’en sont amusés. Cf. la Petite Marquise, I, sc. i, p. 2 : « Oh ! cette voix surtout, cette voix !… » et I, sc. iv, p. 19 : « Sérieusement, monsieur, est-ce qu’il ne vous serait pas possible de me dire cela avec une autre voix ? »
  86. De même, la réputation de ces héroïnes, celle de la duchesse de Guise et celle d’Adèle (c’est d’ailleurs un trait des mœurs de la société nouvelle, où la femme mettra dans sa réputation sa dignité) a réjoui les mêmes auteurs. Cf. la Belle Hélène, II, sc. iv, p. 53. « Eh bien, alors ? » — « Mais ma réputation…  » — « Ah ! nous retombons dans le marivaudage. »
  87. Cf. Henri III et sa Cour, III, sc. iii, p. 168.
  88. Cf. Diane de Lys, III, sc. viii, p. 315.
  89. Manuscrit original, II, p. 20.
  90. Manuscrit original, II, p. 20. « Je vous pardonne, Antony… Oui, oui, je vous pardonne ; car il faut que vous soyez bien malheureux pour vous oublier ainsi. » Cf. p. 321.
  91. Antony, III, sc. iii, p. 196. C’est une préparation, pour les yeux, du meurtre final.
  92. Voir plus haut, p. 89.
  93. Manuscrit original, III, p. 27. Il insistait sur le caractère inflexible du colonel. Il lui suffira de l’indiquer (Antony, III, sc. vi, p. 200) : « Il me semble entendre sa voix, sa figure sévère » pour nous faire comprendre tout le danger qui pèse sur l’acte V.
  94. Ayant supprimé plus haut le couplet d’athéisme, il n’avait plus de raison de conserver ce jeu de scène inutile et choquant. Voici la mise en scène primitive (Manuscrit original, III, pp. 18 et 19) : « À peine est-elle entrée qu’Antony parait sur le balcon, derrière la fenêtre, coupe la vitre avec un diamant, passe son bras, ouvre l’espagnolette, entre, pâle, et marchant lentement va mettre les verrous à la porte par laquelle est sortie l’hôtesse, revient à la porte du cabinet, regarde.
    ANTONY.


    « Elle prie… attendons.

    (Une pause.) Il regarde encore, ouvre brusquement la porte du cabinet. On entend un cri. La toile tombe. »

    Les scènes d’auberge sont fréquentes chez Dumas, ses personnages étant très vagabonds. Voir notamment Angèle, Kean, Halifax, une Fille du Régent, la Guerre des femmes et passim.

  95. Cela était énoncé de façon démonstrative dans le Manuscrit original, IV, p. 32. « Mais le fait est qu’elle ne dit plus un mot de médecine et que Broussais, Dichat, Gall et M. Delaunay sont tout à fait abandonnés pour Shakespeare, Goethe, Schiller et vous. »
  96. Antony, IV, sc. i, p. 203.
  97. Antony, ibid.
  98. Antony, IV, sc. i, p. 204. « Moi aussi, madame, j’ai cherché partout cet amour délirant dont vous parlez… etc. »
  99. Manuscrit original, IV, p. 31.
  100. Antony, IV, sc. ii, pp. 206 et 207.
  101. Antony, IV, sc. vi, p. 210.
  102. Antony, IV, sc. vi, p. 212.
  103. Manuscrit original, IV, p. 37.
  104. Antony, IV, sc. vii, p. 214.
  105. Antony, IV, sc. vii, p. 214. Cf. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcix, p. 112.
  106. Antony, IV, sc. viii, p. 215.
  107. Antony, IV, sc. viii, p. 216.
  108. Antony, IV, sc. viii, p. 217.
  109. Antony, IV, sc. viii, p. 217.
  110. Antony, IV, sc. viii, p. 217.
  111. Manuscrit original, IV, p. 39.
  112. Cette gradation de l’acte IV a été résumée dans le monologue d’Adèle, entièrement refait, au début de l’acte suivant (V, sc. ii, p. 219). Il commence ainsi : « Ah ! me voilà donc seule enfin ! » pour aboutir à cette conclusion : « Une amie encore, une seule au monde, croyait à mon innocence, et me consolait… Elle me trouve dans ses bras »…
  113. Antony, V, sc. iii, p. 222.
  114. Manuscrit original. Voir p. 40. Voir plus haut, p. 322, n. 3.
  115. Manuscrit original, V, p. 41.
  116. Manuscrit original, V, p. 43. Avant de s’engager en ce développement fou, il dit à son Adèle : « Eh bien, Adèle, écoute, écoute, et pèse bien toutes mes paroles ».
  117. Manuscrit original. Ibid.
  118. Manuscrit original. Ibid.
  119. Manuscrit original. Ibid. On remarquera que Dumas a repris plusieurs de ces traits dans la brochure, mais adoucis et mieux reliés ensemble.
  120. Manuscrit original. Ibid.
  121. Manuscrit original, p. 42 : « Et qui peut me dire qu’un jour cette France que tu abandonnes, cette société que tu quittes ne te manqueront pas ? Tu auras tout perdu pour moi, et qu’auras-tu en échange ? Une femme sans nom que tu mépriseras du jour où tu cesseras de l’aimer. » — « Ô blasphème ! » — « Car, vois-tu, je ne serai pas belle longtemps. La douleur creusera mes joues, mes pleurs brûleront mes yeux »… Dumas, toujours avisé, a ramassé ce dernier trait, qui est la femme même, et l’a replacé dans la brochure (I, sc. IV, p. 168). « Dans ta pensée, j’étais belle…, etc. »
  122. Manuscrit original, V, p. 42.
  123. Manuscrit original, V, p. 44. Les phrases entre crochets sont celles que Dumas a repiquées dans la brochure.
  124. Antony, V, sc. III, p. 224.
  125. Henri III, V, sc. II, pp. 195 sqq.
  126. Manuscrit original. V, pp. 44 et 45.
  127. Antony, V, sc. ii, p. 219.
  128. Antony, V, sc. iii, p. 223.
  129. Voir Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcix, p. 114 : « Elle me résistait, je l’ai assassinée ! Et il jette son poignard aux pieds du mari. On poussait de tels cris de terreur, d’effroi, de douleur dans la salle, que peut-être le tiers des spectateurs entendit ces mots, complément obligé de la pièce, qui, sans eux, n’offre plus qu’une simple intrigue d’adultère dénouée par un simple assassinat. »
  130. De la convention dans la tragédie classique et dans le drameromantique. Deuxième partie, ch. v, p. 136.
    Cf. le dénoûment de le Rouge et le Noir, chronique de 1830 (1831), de Stendhal. Il y a des traits communs entre Antony et Julien Sorel, et surtout entre celui-ci et Richard Darlington. Stendhal a noté finement l’influence de Napoléon sur ces imaginations. C’est en lisant le Mémorial de Sainte-Hélène que Julien Sorel a senti croître en lui le désir d’être quelqu’un. De même, il croit être quelqu’un, c’est-à-dire un héros, quand il veut tuer madame de Rénal. Lui aussi, il a le grain de folie.
  131. Le théâtre et les moeurs, p. 63. Remarquons la contradiction de J.-J. Weiss : « La pièce a beau être anti-sociale, par une secrète logique de son développement interne elle se revêt à la fin de moralité ». La logique n’est pas secrète, la pièce n’est pas anti-sociale. Antony défie la société : la société triomphe. Adèle oublie son devoir de femme mariée : elle meurt et cède à l’opinion.
  132. Mes mémoires, t. VII, ch. clxxv, p. 177.
  133. Antony, IV, sc. i, p. 204.
  134. Antony, I, sc. ii, p. 165.
  135. Voir Maurice Souriau, op. cit., p. 136.
  136. Voir plus haut, p. 288, n. 2.
  137. Quitte pour la peur, sc. xii, p. 251. Voir toute la tirade. On ne s’étonnera pas que ce soit de Vigny qui ait écrit la page à écrire sur le mariage en 1833, dans son unique chef-d’œuvre de théâtre.
  138. Voir Théophile Gautier, Histoire du romantisme, pp. 167-168.
  139. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcix, p. 114.
  140. Antony, IV, sc. vi, p. 212.
  141. Catherine Howard, III, tabl. v. sc. i, p. 275 : « Qui viendra maintenant me parler de crime et de vertu ? À moi que la fièvre dévore, à moi qui vais où le tourbillon m’entraîne, où Dieu veut que j’aille, poussée par un souffle invisible, comme la poussière de la terre, comme le nuage du ciel ?… »
  142. Il admire en lui-même le mot d’Hamlet : « Il vaudrait mieux que ma mère ne m’eût pas mis au monde ». Hamlet, III. sc. i, p. 247. Mais il commente aussi la philosophie de Figaro : « … Il est probable que j’arriverai comme les autres, après un certain nombre de pas, au terme d’un voyage, dont j’ignore le but, sans avoir deviné si la vie est une plaisanterie bouffonne ou une création sublime »… (Antony, II, sc. iv, p. 181.)
  143. « Quant à la noblesse, c’est autre chose, attendu que, comme je n’ai jamais connu mon père ni ma mère, j’ai autant de chances pour être gentilhomme que pour ne l’être pas. » (Halifax, Th., VIII. — I, sc. vii, p. 31.) Voir tout le reste du rôle, et principalement, I, sc. viii, p. 37.
  144. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcviii, p. 104 : « Il devait y iivoir, vu l’excentricité du personnage, quelque chose de particulier d ;ins la mise de la cravate, dans la forme du gilet, dans la coupe de l’habit, et dans la taille du pantalon. J’avais, d’ailleurs, donné là-dessus mes idées à Bocage…  »
  145. Voir plus haut, p. 312, note 2. — On pourrait établir un parallèle dans les règles, entre Octave de la Confession d’un enfant du siècle et Antony. Tous deux sont fous et torturent une malheureuse femme ; tous deux s’acharnent, mais l’un à la possession, et l’autre à l’analyse. Nés dans une même atmosphère d’imagination, ils diffèrent d’abord par le tempérament.
  146. Théophile Gautier, Histoire du romantisme, p. 167.
  147. Voir les Morts vont vite, t. II, Alfred de Musset, pp. 85 sqq., où il est manifeste que Dumas est dans un continuel étonnement en présence du cas psychologique de Musset. Cf. Mes mémoires, t. VII, ch. clxxv, pp. 182-186, où il s’étonne tout autant des communions spirituelles de Vigny avec Dorval, et des « petites élévations ».
  148. Antony, II, sc. v, p. 187.
  149. Tout le théâtre va être plein d’hommes de génie : Scribe, Émile Augier, Alexandre Dumas fils nous en montreront de toutes les manières, peintres, chimistes, agronomes, médecins, politiques, fils d’Antony. Voir une Chaîne, un beau Mariage, les Effrontés, le Fils de Giboyer, le Fils naturel, la Question d’argent… sans compter les colonels (Maître Guérin), et les ingénieurs, passim. Voir plus bas Chatterton et Kean, pp. 353 sqq.
  150. Antony, II, sc. v, p. 187.
  151. Ibid.
  152. Antony, II, sc. v, p. 186.
  153. Ibid.
  154. Monologue de Figaro, déjà cité.