Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/15/04

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 401-408).


IV

L’ARTICLE


54. Les articles le, la, les, l’, du, de la, des, un, une, les prépositions sur, pour, etc., faisant partie intégrale et essentielle d’un titre :

La Nuit Vénitienne où les Noces de Laurette, comédie d’Alfred de Musset, fut représentée à l’Odéon, le 1er décembre 1830.
xxxx Le Petit Journal et le Petit Parisien sont les deux grands quotidiens politiques les plus répandus.
xxxx Le Blé qui lève, de René Bazin, est un roman plein de vie et d’intérêt.

55. Les articles de langues étrangères accompagnant un titre, également en langue étrangère :

La Rivista del Servizio minerario nel 1906 donne sur ces points, pour ladite année 1906, les renseignements suivants.

En latin, la préposition de précédant un titre dont elle fait partie prend la capitale :

La sectio I, De Commercio mentis et corporis humani, va-riisque illud explicandi modis in genere, comprend seize paragraphes. Elle pose le problème.
xxxx Bien que Wolf ait été beaucoup moins affirmatif que l’auteur de De Harmonia maxime præstabilita, comme ce dernier était malgré tout son disciple, sa thèse se confirmait…

Au cas contraire, les articles doivent toujours figurer en romain :

On trouvera la description de cet appareil dans le travail de MM. Kuch et Retschinsky, publié par les Annalen der Physik (1906, vol. XX).
xxxx M. Feudenberger a exposé dans l’Electrical World and Engineer (New-York, 25 juin 1904) le résultat de ses recherches sur l’intensité lumineuse des lampes à vapeur de mercure.

Tous les manuels typographiques, sans distinction, sont d’accord sur les règles des paragraphes 54 et 55, à l’explication desquelles certains auteurs apportent quelques développements, que nous analyserons rapidement.

Dans son Guide du Correcteur, Tassis consacre à ce sujet près d’une page, dont les exemples sont particulièrement suggestifs. Il fait d’ailleurs remarquer que la règle s’applique non seulement aux articles faisant partie indispensable de l’intitulé d’un ouvrage, mais encore à ceux qui figurent « dans un titre d’opéra, dans un titre de tableau, dans le nom d’un navire ».

Avec beaucoup plus de concision, Théotiste Lefevre, dont l’affirmation ne laisse place à aucune hésitation, écrit, à la page 48 (n° 88) du Guide du Compositeur : « On met en italique les mots le, la, les, du, de la, des, un, une, lorsqu’ils font partie indispensable d’un intitulé quelconque… ; mais le, la, les, se mettent en romain…, s’ils ne font pas partie de l’intitulé, ou s’ils sont modifiés dans leurs formes. »

Leforestier, dans son Manuel du Correcteur, dit : « Lorsque le, la, les, du, de la, des, un, une font partie intégrante et indispensable de l’intitulé d’un ouvrage, on les compose en italique ; dans le cas contraire, en romain, comme par exemple, lorsqu’ils entrent dans la traduction d’une œuvre étrangère :

« Voltaire, en écrivant la Henriade, rêvait de donner à la France une épopée semblable à l’Iliade et à l’Enéide. »

J. Dumont, E. Desormes, Émile Leclerc mentionnent brièvement la règle, sans plus s’attarder à son examen.

Henri Fournier (dont le Traité de typographie est, par certains côtés, très inférieur, comme valeur didactique et même documentaire, aux ouvrages des écrivains que nous venons de citer) passe rapidement sur les circonstances où l’emploi de l’italique est obligatoire et ne parle point du cas spécial de l’article, qui peut-être, pour lui, n’avait point donné lieu à difficulté.

Daupeley-Gouverneur consacre à cette question plusieurs pages de son volume le Compositeur et le Correcteur typographes : après avoir posé (p. 117) la règle générale énoncée au paragraphe 54, il apporte à cette obligation de telles exceptions (p. 119) qu’il ne semble plus rien rester du principe lui-même.

La théorie ne donnant que quelques exceptions, il semblait que dans la pratique aucun doute ne pourrait se produire. Malheureusement, il n’en est rien ; et l’application stricte de la règle du paragraphe 54 donne lieu à des difficultés innombrables.

Dans quelles circonstances, l’article, quel qu’il soit d’ailleurs, « fait-il partie indispensable d’un intitulé quelconque » ? Si l’on peut affirmer, sans crainte possible d’erreur, que pour telle raison un article a été « modifié dans sa forme », et, conséquemment, qu’il ne doit point être composé en italique :

Ce vers est extrait du (au lieu de le) Légataire universel ;
xxxx Nous citons des passages des (au lieu de les) Plaideurs, des Femmes savantes et des Précieuses Ridicules ;
xxxx Un article du (au lieu de le) Temps vient d’appeler l’attention du public sur les événements du Maroc ;


à l’aide de quelle règle pourra-t-on, dans l’exemple qui suit, reconnaître avec non moins de certitude que tel autre article, figure dans le texte simplement pour raison d’euphonie :

Le départ de l’Adonis a été retardé par le mauvais temps ; on annonce pour demain l’arrivée de l’Éclair.

De tous temps, le lecteur français fut un enfant gâté dont les moindres caprices parurent des lois. Non seulement l’écrivain doit exprimer ses idées de la façon qui convient le mieux au but poursuivi, mais encore il doit travailler ses mots et ses phrases : au choix des uns, à la coordination des autres, à l’art de les faire tous valoir, il lui faut consacrer ses facultés entières. Il ne suffit point que le vêtement plaise, il faut aussi, et surtout, qu’il séduise au profit des sentiments, des opinions qu’il revêt. Les Anciens attachaient une haute importance à l’harmonie ; sur ce point, on ne saurait prétendre que les Modernes leur sont inférieurs : car, dans leurs écrits, dont la clarté, la précision et la noblesse ne sont pas les moindres ornements, par l’euphonie et le nombre ils ont su user des sons les plus doux, les plus souples et les plus agréables à l’oreille.

On ne s’étonnera donc point de voir appliqué ici à certains articles ce qualificatif — inattendu de quelques lecteurs — d’euphonique.

N’est-ce pas en effet pour que sa phrase soit plus harmonieuse, ou, plutôt — pour répéter encore les mêmes termes — n’est-ce point par simple raison d’euphonie, qu’un romancier écrira :

Ici le lit était large, profond, et sir Toby décida que l’on vo-guerait malgré l’obscurité afin d’atteindre l’Armand-Béhic la nuit même.

Désireux d’arrondir une période savamment échafaudée, un critique littéraire empruntera l’aide facile d’un déterminatif :

C’est le pessimisme absolu que M. Cousin réfutait brillamment en 1851 dans le Journal des Savants.

Sans plus de façons, un écrivain renommé imitera cet exemple :

On loue dans les Oraisons funèbres de Bossuet ou dans les Sermons de Bourdaloue ce qu’on louerait aussi bien dans le Discours sur la Couronne ou dans les Verrines… (Brunetière.)

Dans la hâte fiévreuse d’une rédaction de faits divers, un journaliste griffonne :

Des cambrioleurs se sont introduits par effraction dans le Musée départemental des antiquités et se sont retirés en emportant quatre émaux de Limoges : Jésus au jardin des Oliviers, le Baiser de Judas, la Flagellation et l’Ecce Homo.

Les mots sont particulièrement choisis, la coordination des termes est parfaite, et — le lecteur voudra bien le croire — la phrase est claire, noble (?), harmonieuse : il n’y manque rien, peut-on dire.

Hélas, si ! quelque chose manque, et ce quelque chose — la précision des intitulés — fera le désespoir du compositeur… et du correcteur.

Constructeurs et armateurs ont-ils dénommé leur paquebot Armand-Béhic, ou, adjoignant à ce nom un article, l’Armand-Béhic ? — Au contraire, les exigences de l’harmonie, la nécessité d’obtenir une phrase souple, agréable à l’oreille, le génie de notre langue ont-ils seuls imposé au romancier ce déterminatif ?

Sur le cartouche, l’artiste émailleur avait-il inscrit : la Flagellation, le Baiser de Judas, l’Ecce Homo, ou simplement Flagellation, Baiser de Judas, Ecce Homo ?

Ne peut-on soutenir avec quelque raison que la phrase de M. Brunetière contient certaines inexactitudes… de composition typographique ? En parlant des oraisons funèbres ou des sermons, il semble bien qu’ici il faut songer non pas au livre, au recueil contenant l’ensemble, la majeure partie des discours de Bossuet et des prônes de Bourdaloue, mais seulement au texte, aux phrases elles-mêmes de ces oraisons funèbres et de ces sermons : l’emploi de l’italique ne saurait donc se justifier. — D’autre part, dans le texte grec original du titre, le mot Discours n’est pas mentionné, et ici encore l’usage de l’italique ne peut s’expliquer.

Quelques écrivains typographiques ont évidemment recommandé de ne mettre le, la, les, etc., en italique, que lorsque les mots le vaisseau, le volume, le journal, la revue, l’ouvrage, la statue, ou la dénomination appropriée, précèdent le nom du vaisseau, de la revue, du journal, etc.

D’autres, pour éviter cette anomalie d’un déterminatif tantôt composé en romain, et tantôt en italique, anomalie que rien, aux yeux du lecteur, ne semble justifier, ont simplement proposé de supprimer l’article, notamment quand il accompagne un nom de navire, « attendu que sur les vaisseaux eux-mêmes cet article n’est pas indiqué : Vengeur, Bruix, Dumont-d’Urville ».

Malheureusement, ni l’un ni l’autre de ces artifices ne peut obvier aux inconvénients qui viennent d’être signalés.

Tout au contraire même, le premier sera une source nouvelle d’irrégularités. Il n’est point besoin de discuter longuement pour reconnaître que rarement le nom propre est accompagné, en apposition, du nom commun de catégorie ou d’espèce de l’objet désigné. L’exception deviendrait la règle au détriment du précepte, et le lecteur ne comprendrait pas davantage l’emploi de l’italique dans un cas, dans tel autre l’emploi du romain : pour lui, la faute existerait toujours. — Si la besogne du compositeur se trouvait simplifiée, elle le serait fréquemment au détriment de l’exactitude, le déterminatif pouvant fort bien, malgré l’absence du nom, faire partie intégrante et indispensable de l’intitulé.

D’ailleurs, quel romancier, quel savant, quel littérateur s’astreindra à répéter, en une sorte de ritournelle, cette antienne : « le paquebot la Touraine », « le journal Journal des Savants », etc. ? Le lecteur serait vite excédé d’un style semblable dont les qualités n’auraient plus rien de celles rappelées plus haut. L’emploi du déterminatif euphonique rend à l’écrivain trop de services pour penser qu’il songera de gaieté de cœur à se priver volontairement de cette ressource, de cette ficelle — disons le mot — lui permettant de faire entendre à l’oreille du lecteur les sons « les plus doux, les plus souples et les plus agréables. »

Quant à laisser au typographe ou même au correcteur le soin de procéder à la suppression de l’article dans les conditions où quelques-uns l’ont proposée, il ne faut point être grand clerc pour reconnaître que le consentement des auteurs ne serait pas toujours accordé, quel que fût le bien-fondé de la suppression.

Il faut bien le dire au reste : certains auteurs ne sont pas mieux documentés que le compositeur pour connaître à coup sûr les cas où l’article « fait partie indispensable de l’intitulé ». À certains, dès lors, il ne paraîtra pas plus difficile d’écrire inexactement Champagne, Touraine, que de griffonner le Bruix, le Vengeur, etc.

Comment, dès lors, au milieu de toutes ces distinctions, de toutes ces subtilités, de ces arguties même, le compositeur parviendra-t-il à se faire une opinion exacte ?

Le modeste bagage littéraire, ou scientifique qu’il a péniblement acquis n’a pu lui apprendre que Journal des Savants, Journal de Physique théorique et appliquée n’avaient jamais été précédés d’un article, alors que l’Électricien, l’Électricité à la portée de tout le monde, la Nature de tous temps avaient été déterminés.

À peine a-t-il remarqué les intitulés pourtant populaires, le Petit Journal, le Petit Parisien, l’Écho de Paris, le Radical, l’Intransigeant, précédés d’un déterminatif, cependant que d’autres en-tête portent brièvement Journal des Débats politiques et littéraires, Lyon républicain, Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, Phare de la Loire.

Sans doute, il ignore que sur la plupart des bâtiments de notre marine de guerre et des avions de notre flotte aérienne, est simplement inscrit, sans quelque déterminatif que ce soit, le nom du personnage sous la protection duquel il a plu à notre grand-maître amiral de les placer : Charlemagne, Victor-Hugo, Amiral-Baudin, Adjudant-Vincenot ; car maintes fois il a composé, avec une exactitude de désignation qui ne laissait rien à désirer, ces noms de paquebots si connus, la Touraine, la Champagne, la Guadeloupe.

Il sait seulement que les journaux ont simplifié et mis uniformément l’article toujours en romain, ce qui n’est pas parfait, puisqu’il peut se rencontrer des titres renfermant deux articles : l’Univers et le Monde, par exemple ; alors que, pour être réellement correct, il eût fallu renverser la proposition et mettre l’article en italique : cet article, neuf fois sur dix au moins, étant compris dans le titre du journal : le Journal, le Soleil, la Lanterne, etc.

De ce court aperçu, il faut déduire que deux tendances existent : la première paraît reposer sur des subtilités ; la seconde semble plus pratique et correspond mieux au sentiment général : peu d’arguments sont en effet invoqués contre elle, et c’est en vain que l’on cherche ce qui nuirait au sens de la phrase ou violerait quelque règle grammaticale dans les exemples suivants :

Lisez le Génie du Christianisme.
Victor Hugo écrivit les Misérables.
On donne ce soir la Flûte enchantée.
On répète les Deux Orphelines.
Un abonné de la Liberté.
Dans les flots s’abîma le Vengeur.
Le Renard et les Raisins, de La Fontaine.

Ce n’est qu’exceptionnellement et pour les raisons données ci-dessus au paragraphe 55 que le typographe composera :

On donne aux Français l’Andromaque de Racine. On chante à l’Opéra le Sapho, de Gounod. Les Novosti, la Fanfulla, le Times, le Berliner.

56. Les règles essentielles suivantes paraissent résumer la question :

a) Les mots le, la, les précédant le nom d’un journal, d’un volume, d’une pièce de théâtre, etc. (faisant généralement partie intégrante du titre), doivent être composés en italique.

b) Exceptionnellement, ces mêmes mots sont mis en romain, par exemple, lorsqu’ils entrent dans la traduction d’une œuvre étrangère ou dans un intitulé dont notoirement l’article a été proscrit par l’auteur[1].

c) Les mots du, des, employés dans le texte comme articles contractés et substitués par la tournure de la phrase aux mots de le, de la, de les, seront écrits en romain :

Ce vers est extrait du Légataire universel, de Régnard.
xxxx Nous citons des passages des Plaideurs, des Femmes savantes et des Précieuses Ridicules.

d) Ces articles contractés se composent cependant en italique quand ils font partie intégrante du titre, ce qui est généralement facile à distinguer : ces expressions n’ont cet emploi que lorsque les ouvrages sont cités comme sources, précédés directement du nom de l’auteur ou mis entre parenthèses :

Montesquieu, De l’esprit des lois.
xxxx Codron soutient cette même thèse (Des affinités de la Flore européenne).

e) Si le titre d’un ouvrage commence par les mots de, du, des, de la, sur, pour, un, une, etc., il faut composer ces mots en italique avec capitale, parce qu’ils sont partie essentielle et inséparable du titre.

En écrivant son œuvre magistrale De Paris à Pékin, l’auteur ne s’imaginait pas…
xxxx Sur les traces de Franklin est une de ces études grâce auxquelles on comprend le mieux…

f) Au contraire — à moins qu’ils ne soient le premier mot d’une phrase — aussi bien dans le cours du texte que dans les sources ou au cours d’une énumération d’ouvrages les articles le, la, les conserveront l bas de casse, parce que ces articles ne font en réalité partie du titre que pour la régularité de l’expression, et que notamment dans le texte L capitale paraîtrait une sorte d’affectation.



  1. Plus simplement, on pourrait dire : « Mettez les articles le, la, les, précédant le nom d’un ouvrage français, toujours en italique ; s’il se rencontre des exceptions, le correcteur les indiquera. »