Le Conseiller des femmes/03/03

MUSIQUE.
CONCERTS DE M. BROD ET DE Mme GORDONI.

Depuis quelques années le goût de la bonne musique s’est développé à Lyon dans une progression rapide dont nous nous réjouissons.

La musique a une action puissante sur l’imagination ; elle l’attendrit ou l’exalte, lui fait froid ou l’enflamme ; aussi de tout temps a-t-elle conduit les hommes aux plus hauts sentimens religieux, au dévouement le plus sublime, et les victimes du culte ou celles de l’épée, lui ont dû souvent leur enthousiaste abnégation.

Traduction des sensations de l’ame, pour être vraie, la musique doit toujours être imitative et s’harmoniser avec le sens des mots de manière à leur servir d’interprète ou de symbole. Les mœurs d’un peuple, ses goûts, sa nature, lui donnent un cachet particulier, et l’on peut dire qu’elle est l’expression, en sons, du langage de l’humanité.

M. Brod, premier hautbois de l’Académie Royale, dans le premier concert qu’il a donné au palais St-Pierre, a justifié notre opinion en imitant, avec son inimitable talent, toutes les scènes de la vie pastorale. Jamais plus doux sons n’avaient frappé notre oreille, jamais notre cœur n’avait été plus délicieusement ému. Quelle pureté d’exécution, quelle grâce de modulations ! qu’il y a de tendresse et de larmes dans cette voix plaintive d’un instrument ! Aussi dans cette antique chapelle St-Pierre, si riche de pieuses sculptures, on eût dit que tout reprenait une nouvelle vie, et que, anges et saints, se détachaient du mur pour prêter au concert une oreille attentive. Que d’harmonie dans ces attitudes d’extase et de prière, que de sentiment dans cette joie religieuse que M. Brod semblait augmenter ! que de douces émotions, surtout, ont été senties par l’auditoire qui nous semblait, par sa physionomie, un monde à part, tout d’expression et d’intelligence.

Remercions M. Brod de tant d’émotions, remercions M. Hainl et son beau talent, et nous femmes, surtout, remercions Mmes Montgolfier et Derancourt, qui ont si puissamment contribué aux plaisirs de la soirée. Nous aurons à revenir sur leur compte, car nous sentons qu’un mot pour elles, ne suffit ni à leur gloire, ni à notre justice !

Nous regrettons que l’espace de notre feuille nous limite aujourd’hui au point de nous empêcher de dire toute notre pensée sur la cantatrice italienne, Mme Gordoni. C’est un bon mezzo contr’alto. Elle pause bien sa voix, a de belles notes, une bonne méthode, mais pas de souplesse. Son chant est sec, et sa voix qui doit être fort bien placée dans les morceaux d’ensemble, perd beaucoup de charme à être entendue seule. Est-ce, peut être, que Mme Gordoni a besoin d’une plus vaste salle pour développer tous ses moyens, cela se peut. M. Forgas, jeune débutant qui donne des espérances, dit trop rapidement le récitatif, nous l’engageons à donner plus de temps à ses études.

M. Donjon, si justement nommé le Tulou lyonnais, a donné beaucoup de prix à la soirée. M. Bender a tenu le piano en homme de talent.

Dans un prochain numéro nous rendrons compte du dernier concert de M. Brod.

Eugénie Niboyet.
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