Le Conseiller des femmes/03/04

SALON LYONNAIS.

Le musée de Lyon offre cette année une collection de tableaux fort remarquables. Nous aurons à mentionner particulièrement ceux de MM. Guichard, Diday, Fonville, Guindrand et Gros Claude, comme ayant donné les meilleures compositions.

M. GUICHARD.

La Mauvaise Pensée, tableau parfaitement peint, est d’une main heureuse et hardie. Un homme, en costume du moyen-âge, médite un crime ; le front appuyé sur la main gauche, il fixe d’un regard qui effraie ; dans sa main droite est un poignard ; derrière lui un génie satanique, une figure de cuivre, un démon incarné lui sourit et le protège de son bras infernal. Il y a dans cette tête d’homme, qu’une mauvaise pensée domine, toute la fureur et le délire du crime. On ne voit pas la victime, et cependant on sent que c’est au cœur qu’il va la frapper ; son œil, son bras en ont marqué la place. On en a froid.

Ce tableau pèche un peu par le dessin, mais il est si beau de couleur, le ton des chairs est si naturel, la vie circule si bien partout, qu’on doit passer sur quelques incorrections. M. Guichard est élève de la nouvelle école française ; il fait du romantisme en peinture comme Victor Hugo en littérature. Nous lui prédisons de bons et honorables succès. Son genre tient de celui du Titien et de celui de Ingres, deux maîtres dignes d’un tel élève.

LE RÊVE D’AMOUR.

Nous voudrions dire du Rêve d’Amour autant de bien que de la Mauvaise Pensée, mais en vérité nous ne le pourrions sans trahir notre conscience. Ce tableau ne se comprend pas d’abord : c’est un grand travail ; mais l’ensemble en est énigmatique. Il y a de beaux tons, de lascives images, qui dorment, qui rêvent, qui froncent le sourcil ; mais que veut dire cela ? Une maîtresse s’endort, dit-on, auprès de son amant, et celui-ci est surpris par le sultan, propriétaire de la belle, c’est bien ce que semblerait indiquer le poignard de ce personnage. Toutefois il nous semble que pour l’outrage qu’on lui fait il n’a pas assez de colère. Ainsi nous trouvons que la Cadine dort avec trop de calme, que le jeune militaire n’a pas l’air de ramasser le cimeterre, et que le sultan n’est pas assez sultan. Il y a aussi des incorrections de dessin dans ce tableau. M. Guichard a pris pour modèle une femme peu gracieuse ; son buste est mauvais, et sa tête d’ailleurs très-belle n’a rien de distingué dans les traits. N’importe, il y a dans tout cela une inspiration de grand maître. Toutes les têtes mises en bustes dans des cadres seraient admirables à voir, et nous croyons que les premiers sujets tiendraient à honneur de les avoir faites. Au total, M. Guichard a eu du bonheur autant que du talent. Il commence une belle carrière, il saura la fournir ; la gloire l’attend.

Eugénie Niboyet.