Le Conseiller des femmes/03/02

Texte établi par Eugénie Niboyet (3p. 37-41).

GEORGES.


S’il est des hommes dont l’existence entière est consacrée au bonheur de l’humanité, il en est d’autres qui ne cessent de lui nuire que lorsque la vie les abandonne. Dans un petit village des Basses-Pyrennées, vivait un de ces êtres abjects, dont l’ame méchante et envieuse souffre du bonheur d’autrui. Georges était son nom ; tout le monde le fuyait et jamais une main amie n’avait serré sa main, jamais les portes des chaumières ne s’ouvraient pour lui : aussi son caractère violent s’était-il fait de la haine une religion ; le sourire n’effleurait ses lèvres que lorsqu’il entrevoyait la possibilité de déverser sur ses semblables le fiel de son cœur.

Or, un jour sa joie fut grande, il y avait une vie à flétrir, une fosse à creuser, une famille à plonger dans un abîme de douleur et de désespoir.

Rose, la jolie et gentille Rose, allait unir son sort à celui de Julien son ami d’enfance ; tout faisait présager pour eux un avenir de félicité parfaite ; un mauvais génie sourit ; Georges était là.

Rose c’était l’orgueil du village, la perdre était pour Georges se venger de tous. Pour arriver à ses fins, il se servit des moyens les plus lâches : fit naître la jalousie dans le cœur de Julien, et attendit le jour de l’hymen pour porter le dernier coup à sa victime.

Dès le matin, les simples villageois ont revêtu leurs habits de fête, les parens sont réunis, les jeunes filles entourent la fiancée, et tous attendent joyeux l’heure de la cérémonie.

De son côté, Georges fait ses préparatifs ; lui aussi est joyeux, car il est sûr de réussir : une longue habitude du mal lui a appris à frapper juste, et ses inventions ont toute l’apparence de la réalité, il sait que Julien, naturellement soupçonneux et jaloux, croira facilement son amie coupable et il attend de la violence de son ressentiment un éclat déshonorant pour Rose et sa famille.

L’heure tant désirée approche, tous sont heureux, Julien seul est triste et rêveur, quelle en est la cause ? Nul ne le sait que le satanique Georges. Les amis de Julien le questionnent, il ne répond pas ; Rose elle-même essaye en vain de faire naître un sourire, il reste morne et silencieux. Le moment est venu, le cortège se met en marche ; mais du milieu de la foule une voix demande Julien ; il se présente, un inconnu lui remet une lettre, Julien s’empresse de l’ouvrir. Personne ne sut ce qu’elle contenait, mais on assure que le fiancé devint furieux à sa lecture, que de ses grands yeux noirs jaillirent des éclairs de fureur, et que de ses lèvres contractées, s’échappèrent ces mots : Rose tu m’as trahi, malédiction sur toi !

Puis il disparut et ne revint jamais…

Quelques villageois aperçurent bien, cachée derrière un arbre, la hideuse figure de Georges qui grimaçait un sourire de satisfaction ; mais personne ne le soupçonna, tout le monde crut Rose coupable et on l’abandonna. Sa mère seule, sa bonne et vieille mère murmura des paroles de consolation ; elle seule soutint Rose mourante au retour à la chaumière, où pas une main amie ne vint essuyer leurs pleurs.

Depuis ce jour Rose triste et malade, renferma sa peine dans son ame ; elle voulait éviter à sa mère la plus cruelle de toutes les douleurs, celle de voir souffrir un être aimé.

Durant la journée, elle se livrait avec activité à ses travaux habituels ; la nuit, seule avec sa douleur, elle donnait un libre cours à ses larmes, alors le passé se retraçait à sa pensée, avec ses innocentes joies, ses plaisirs purs et ses rêves de bonheur, pour la plonger dans une douleur plus amère.

Bientôt sa santé s’affaiblit, ses forces diminuèrent, son courage l’abandonna. Sa mère l’entoura de soins affectueux, elle appela le docteur du village ; mais les secours de l’art furent impuissans, devant cette violente maladie du cœur ; le mal triompha, Rose mourut.

Elle fut enterrée dans le petit jardin de la chaumière et chaque jour sa bonne mère arrosait les fleurs qui ornaient sa modeste tombe.

La justice céleste la vengea de tous les maux qu’elle avait soufferts ; les remords vinrent enfin assaillir le cœur de Georges. Sans cesse poursuivi par de sombres visions, sa vie n’était plus qu’un continuel passage de craintes et de terreurs ; une fièvre violente minait sa vie et aliénait sa raison. Dans les accès de délire qui le saisissaient chaque jour, il répétait les noms de Rose et de Julien ; cette particularité éveilla les soupçons et l’on découvrit bientôt, que lui seul, par ses manœuvres adroites, avait causé la mort de l’une, et détruit le bonheur de l’autre.

Alors il devint pour tous un objet d’horreur ; accablé de maux de tout genre, poursuivi par le mépris et la haine de ses voisins, il fut forcé de fuir.

Quelques années après, par une froide nuit d’hiver, un homme traversait le village d’un pas chancelant ; la misère et la maladie avaient courbé son corps encore jeune ; de sourds gémissemens s’échappaient de sa poitrine oppressée ; il se traîna avec peine jusqu’au tombeau de la jeune fiancée, et dit : Rose tu es vengée !

C’est presque toujours à une première éducation mal dirigée que l’on doit attribuer le développement de tels caractères ; une mère peut, par ses leçons, si non changer entièrement, du moins modifier les mauvaises inclinations de son enfant ; mais elle doit y travailler de bonne heure, alors que le jeune cœur reçoit facilement les impressions qu’on veut lui donner ; plus tard ces défauts deviendront des vices, et il ne sera plus temps de les déraciner, lorsque honni, chassé, il aura pris en haîne ses semblables et ne vivra plus que pour leur nuire.

Jusqu’à ce jour, beaucoup de femmes du peuple, élevées elles mêmes sans aucun soin, ont été incapables d’inculper à leurs enfans des préceptes de saine morale ; mais maintenant qu’on travaille au développement des facultés de la classe pauvre, la société ne sera plus, osons l’espérer, froissée par de tels caractères.

Marie.
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