Le Conseiller des femmes/03/01

Texte établi par Eugénie Niboyet (3p. 33-37).

DE L’AVENIR DES FEMMES.
2e article.

De toutes les idées nouvelles, surgies du monde pensant, il n’en est aucune qui ait excité plus de rumeur que celle dont le but est de démontrer à tous, le triste sort de la femme, considéré dans toutes les phases de sa vie, et dans les différentes positions sociales où le hasard de la naissance et des circonstances peuvent l’avoir placée. Essayer de tracer un tableau fidèle des abus qui se sont glissés dans nos mœurs, c’est là aux yeux du plus grand nombre, prétendre lever l’étendart de la révolte, et l’on ne saurait aborder une semblable question sans froisser mille susceptibilités, et sans entendre mille voix crier anathême.

Nous en appellerons aux hommes de cœur, aux hommes dont l’ame noble est capable de sympathiser avec une idée généreuse, et nous leur demanderont quel est celui d’entre tous qui voudrait essayer de nier qu’il y ait un malheur réel, attaché à la condition de naître femme. Ceci est une vérité si commune, qu’elle est passée en proverbe et court les rues ; c’est à tel point que la jeune mère attendant l’époque, fixée par la nature, où elle doit donner le jour à un être nouveau, fait presque toujours dans son cœur le vœu de mettre au monde un homme de plus, moins sans doute pour la gloire d’avoir un fils, que pour choisir le côté où se trouvent tous les avantages, afin de réunir le plus de chances de bonheur possible sur la tète adorée de l’enfant qui possède déjà tout son amour ; amour d’abnégation et de dévouement éternel.

Ce principe posé de l’injustice du sort à l’égard de la femme, pourquoi ne lui serait-il point permis d’en rechercher les causes ? Pourquoi lui serait-il interdit d’espérer les bienfaits de l’amélioration par le progrés ? Quel est l’homme assez injuste pour lui imputer à crime la faculté de penser, quand Dieu lui-même la lui a départie ? Et pourquoi enfin ne pourrait-elle exprimer hautement cette pensée, lorsqu’elle se sent pénétrée d’une conviction intime et profonde ?

N’est-il pas pitoyable que, dans une nation aussi avancée que la nôtre dans la civilisation, la femme soit encore aussi loin en arrière !

Qu’a-t-on fait pour le développement de ses facultés, jusqu’à ce jour ? S’est-on donné la peine de discuter pour elle un plan d’éducation ? Que lui apprend-on ? Où se trouve la part active qu’elle devrait prendre dans les grandes questions d’ordre social, d’intérêts généraux ? Toutes les carrières de l’industrie lui sont-elles ouvertes ? Peut-elle puiser à volonté dans les mines inépuisables de la science ? Peut-elle librement espérer d’acquérir de la gloire, en cultivant les beaux arts, en y consacrant même les plus beaux instans de sa vie ? Oh ! non !… La gloire ! elle doit la redouter, la fuir ; on la lui ferait payer trop cher ! Loin de là, on a tenu fermé pour elle le temple de la science, et l’on a mis son industrie au rabais, pour avoir d’elle meilleur compte.

Hommes de tous les siècles, vous avez été à l’égard de la femme, ce qu’un monarque absolu est pour le peuple soumis à sa loi ; vous avez baillonné son intelligence, afin qu’elle se soumît sans trop de murmures à votre oppression, et vous êtes étonnés de ce qu’un jour elle s’éveille avec la pensée de travailler à son bonheur et au vôtre, en s’occupant du développement de ses facultés intellectuelles.

Et vous-mêmes ne lui avez vous point enseigné comment on marche au progrès, vous qui avez renversé des empires, et foulé aux pieds de vieilles dynasties, vous qui avez marché sans effroi à la mort, au cri magique de Liberté !

Mais loin de nous la pensée de préconiser de tels moyens, la femme est un être de paix et de douceur, qui perdrait le charme si touchant attaché à son sexe et qui verrait disparaître tout l’intérêt qu’inspire sa faiblesse, si jamais, oubliant les desseins de Dieu sur elle, elle voulait entreprendre de lutter par la force contre la force. La femme doit convaincre par le raisonnement et la justice de son droit.

Il n’est besoin de faire partie d’aucune secte nouvelle pour exprimer de telles pensées ; et nous le déclarons hautement, nous sommes convaincues que de toutes les religions, le christianisme est l’œuvre de morale la plus parfaite, cependant il faut le dire : notre siècle est anti-religieux. Pourquoi cette disposition générale au matérialisme ? Pourquoi cette aversion si prononcée de la foule contre la religion de nos pères ? C’est que les hommes l’ont gâtée en mêlant à la divinité de ses préceptes tout le hideux cortège de turpitudes enfantées par les passions humaines.

Pourtant, malgré ses nombreux détracteurs, simple et sublime la morale de l’Évangile n’en a pas moins conservé toute sa pureté. C’est cette morale que nous choisirons pour guide, en la dépouillant toutefois de tout le fanatisme dont on l’a entouré et de toute passion haîneuse ou intolérante ; car nous respectons toutes les convictions et n’en repousserons aucune, quand elles nous paraîtront manifestées de bonne foi. Ce que nous désirons avant tout, c’est le progrès de la femme ; et pour arriver à ce but, il faut qu’elle ait liberté d’opinions, comme de pensées et de culte.

Il est peut-être utile de donner ici un aperçu de ce que nous entendons par progrès, par émancipation appliqués à notre sexe, car il est des esprits organisés de telle sorte qu’il suffit d’émettre une idée nouvelle pour les jeter dans d’étranges perplexités.

Le vœu de notre cœur est que la femme puisse à son gré, aborder la carrière de la science et de l’industrie. Nous voudrions surtout qu’on s’occupât sérieusement d’améliorer et d’étendre le plan de son éducation ; que rien enfin de ce qui s’apprend par un sens moral ne lui fût interdit, afin qu’il lui fût possible de faire un heureux et digne usage de ce qu’elle possédera de dons naturels et acquis. C’est alors qu’il sera plus facile d’harmoniser les intelligences ; et l’homme supérieur, qu’il soit magistrat, savant ou artiste, possédera véritablement une compagne, une amie de laquelle il pourra être compris en toute chose, et de qui il pourra subir l’influence sans craindre de faire le mal qu’un caprice de femme ignorante et nulle, aura souvent obtenu d’une faiblesse condamnable.

Ne vaut-il pas mieux que l’influence que la femme a exercée de tout temps, en toutes choses, soit enfin raisonnée et raisonnable.

Une puissance ouverte et franche, basée sur le mérite et l’instruction, sera toujours moins redoutable que celle qui ne relève que d’une concession momentanée, capricieuse comme le sentiment qui l’accorde. La femme, marchant au progrès, travaille non-seulement à son bonheur, mais aussi à celui de l’homme, dont l’intérêt sera toujours lié au sien.

C’est ce qui nous fait désirer qu’elle ne soit pas arrêtée dans ses sympathies, par des préjugés pour le moins abusifs, et que des obstacles, sans cesse renaissans, ne lui soient point opposés, comme autant d’entraves, par ceux-là même, qui n’ayant qu’à gagner à sa marche progressive, devraient s’appliquer à lui applanir les aspérités du chemin.

Louise Maignaud