Le Conseiller des femmes/02/04

GRAMMAIRE.

C’est une nécessité de toujours, une condition de la vie, que rendre sa pensée par des mots. Les mots sont les membres du discours, le discours c’est l’un des plus grands modes de manifestation de la vie sociale. Dire, écrire sa pensée, c’est partager avec autrui les trésors de son cœur, de son esprit, de sa raison, c’est traduire en mots tous ses actes, c’est aimer, voir, juger, raisonner.

Il y a en nous deux organes identiques, la vue des sens et la vue de l’intelligence. L’une propre aux objets extérieurs, l’autre interne et cachée qui, jugeant par analogie, va du connu à l’inconnu, voit avec la raison, compare, apprécie, décide. Par elle le logicien réduit un principe à ses plus rigoureuses conséquences, et le vulgarise pour tous en termes précis et clairs.

Raisonner c’est donc apprécier non-seulement la valeur des choses, mais aussi la valeur des mots. Or, si les parties du discours ont toutes une dénomination qui leur soit propre il faut d’abord, et avant tout, connaître leur emploi, leur signification la plus étendue ; en un mot, il faut posséder des notions exactes sur la grammaire qui est, comme on l’a dit tant de fois, l’art de parler et d’écrire correctement. Alors, des mots on peut passer aux choses et devenir logicien, après avoir appris à parler, à écrire. La grammaire et la logique se tiennent, c’est le passage des idées simples aux idées composées, l’ordre et l’enchaînement de toutes choses.

Parler et écrire avec pureté, voilà donc la première condition à remplir en éducation. Nous avons promis de traiter cette matière nous commencerons immédiatement à nous en occuper. Pour cela, nous avons cru devoir adopter la forme dialoguée comme plus convenable au sujet ; nos lectrices en jugeront.

PREMIER DIALOGUE.
De l’Orthographe.

Emma, Julie.

Vous désirez, ma chère Julie, que nous fassions ensemble un cours de grammaire ? Ce désir est trop selon mes goûts pour que je n’y souscrive pas avec empressement. Toutefois vous me chargez de l’exposition et prenez pour vous l’objection ; c’est me donner une tâche qui ne sera pas sans difficultés ; n’importe, j’essaierai de la remplir à mes risques et périls.

La grammaire est l’art de parler et d’écrire correctement ; voilà ce que vous savez aussi bien que moi.

Écrire correctement, c’est rendre toujours, et conformément aux règles, les différentes espèces de mots dont une langue se compose ; c’est orthographier avec pureté.

L’orthographe est d’usage, de son ou de dérivation : la première est due au temps et ne se justifie guère. Les mots discours, appétit, inconvénient, velours, etc. se rattachent à cette série. Ainsi, vous entendez discour, appéti, inconvenien, velour, etc. et cependant, sans raison, l’usage veut que vous écriviez : discours, appétit, etc.

Julie.

Puisque les mots d’usage n’ont pas de règle fixe, quel moyen a-t-on pour les retenir ?

Emma.

La mémoire des yeux, l’habitude, l’intelligence des mois, voilà toute la science.

Quant à l’orthographe du son, elle se borne à écrire les mots comme on les prononce. Ainsi, papa, café, bonbon, etc. s’écrivent comme ils sonnent à l’oreille.

Julie.

Bien ! mais l’orthographe de dérivation ?

Emma.

Pour celle-ci elle est toute logique et, par cette raison, très-facile à retenir. Écrire selon la dérivation, c’est conserver à un mot, qui peut être alongé, une lettre appelée lettre de famille ou familiale. Cette lettre sert à la syllabe de prolongement. Ainsi j’écris lourd avec un d, quoique le son ne me fasse entendre que lour. D, c’est la lettre de famille qui sert à faire lourd, lourdement. Il en est de même pour les mots niais, laid, lent, fusil, etc. dont je fais niaise, laide, lente, fusillade, etc.

Julie.

Votre moyen est facile, mais comment distinguer les similitudes de son, et pourquoi, par exemple, écrire jardin plutôt par in que par ain ?

Emma.

La raison en est fort simple ; de jardin je fais jardinier, jardinière, jardinage, tandis que si je l’écrivais par ain, j’aurais bien jardain, mais après il me viendrait jardainier, jardainière, jardainage, sans compter que je ne conserverais pas l’étymologie des noms. Mais en voilà assez pour aujourd’hui ; la prochaine fois nous examinerons la différente classification des mots.