Le Conseiller des femmes/02/02

SUR LA NÉCESSITÉ
D’UN NOUVEAU PLAN D’ÉDUCATION.

On a beaucoup et diversement écrit sur l’éducation. On a parcouru toutes ses phases et recherché, pour les défauts de chaque âge, des moyens de correction. Toutefois, il faut l’avouer, sur un point aussi capital, il y a plus de théorie que de pratique, plus de mots que de choses, et, comme le dit Helvétius : « L’homme est vieux, mais encore enfant. » Éduquer ce n’est pas seulement instruire, c’est aussi, et surtout, développer nos facultés morales.

L’on ne juge des choses qu’avec les yeux de l’intelligence, et, là où l’éducation n’est pas développée, l’intelligence ne sait plus comparer, apprécier ; elle manque de guide, la raison d’autorité, la morale de puissance. C’est à ce défaut de développement des facultés humaines que sont dus les erreurs et les préjugés des nations.

L’éducation épure et modifie les êtres intelligens ; le plus ou moins de résultat est dû aux moyens employés. De là vient que les femmes, en général douées d’une intelligence précoce, sont cependant le plus souvent inhabiles à se conduire par leur propre jugement. Élevées à peu comparer, elles ne savent juger des choses avec profondeur ; leur conversation, même, manque d’ordre, de concision, de logique ; et pourtant, toutes les facultés leur sont données en germe à un haut degré, mais on ne sait pas les diriger, les développer ; on jette au hasard quelques principes généraux et l’on croit avoir bien et dignement travaillé. Jusqu’à nous, dans quel ordre les idées ont-elles été présentées aux femmes ? Quel soin a-t-on mis à les coordonner ? Quels frais a-t-on faits pour leur rendre toutes choses faciles ? Enseignées de la même manière, par les mêmes moyens, sans égard aux ressemblances ou dissemblances, c’est au même moule que toutes les natures ont été jetées, comme s’il pouvait y avoir conformité d’effets, là où il n’y a pas unité de causes. Pour nous, tout en tenant compte de l’intention, nous condamnons le principe, parce qu’il nous est douloureux de voir que peu de femmes encore ont senti les besoins de leur siècle, et de leur sexe. Nous savons qu’il en est de très-supérieures qui tirent parti des contrastes et les harmonisent par une utile et prudente sagesse ; mais nous n’avons en vue que l’ensemble, et ne saurions tirer des conséquences générales de quelques faits particuliers qui semblent, au contraire, justifier nos récriminations. Attachées au progrès, en toutes choses, c’est à substituer le bien au mal que nous consacrerons notre vie, heureuses si nos efforts sont toujours couronnés de succès, et si nous pouvons, pour prix de notre zèle, mériter l’approbation des femmes en général, et de nos lectrices en particulier.

Il arrive assez ordinairement en éducation, que pour vouloir éviter un mal, on tombe dans un pire. C’est le cas des mères, qui pour tenir leurs filles en garde contre les séductions des hommes les leur représentent comme des êtres immoraux, et les élèvent comme si jamais il ne devait exister entre les sexes aucun rapport, aucune sympathie. Ne vaudrait-il pas mieux, puisque, dans l’ordre moral comme dans l’ordre naturel, la jeune fille est appelée à devenir épouse et mère, lui faire connaître l’importance des devoirs que ces titres imposent, au lieu de perdre, à fausser son jugement, un temps qui ne revient jamais ? L’humanité est un tout composé de parties distinctes, mais homogènes et malléables pour qui sait les harmoniser. Égaux en droits, devant Dieu, l’homme et la femme doivent se rendre mutuellement doux et facile le chemin de la vie. Loin de séparer ce qui doit être uni, et sans mêler des éducations qui doivent être distinctes, tâchons d’épurer assez la morale, pour qu’en naissant, les enfans n’apprennent pas à se craindre, mais plutôt à se tendre une main amie. Ce n’est pas en jetant anathême à l’imprudent que la passion égare, qu’on dominera son caractère. Le mépris fait germer dans le cœur de l’homme plus de vices que la nature n’y en a mis. Quelle que soit donc la place qui nous est assignée, tâchons d’en tirer le meilleur parti possible dans l’intérêt général ; ne faisons à personne ce que nous ne voudrions pas qui nous fut fait, et donnons nos soins à ce que l’éducation obtienne le plus haut degré possible d’extension et de développement, afin que toutes les classes puissent en profiter, et puiser dans les principes d’une morale épurée cet esprit d’ordre, de paix et de bonne union, sans lequel il n’est pas de bonheur possible.

Dans un prochain numéro, nous traiterons de l’éducation générale des femmes, des avantages qui en résultent, et de la nécessité de s’occuper activement des intérêts qui s’y rattachent pour toutes les classes de la société. Avant tout, nous voulons être justes et ne jamais oublier qu’il est une part de l’humanité, dont l’autre doit être l’appui tutélaire !

Eugénie Niboyet.
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