Le Conseiller des femmes/01/04

SÉANCE DE MNÉMOTECHNIE,
PAR M. AIMÉ PARIS.

Nous avons assisté à la séance mnémotechnique tenue par M. Aimé Paris, dans la salle du grand théâtre, et, comme tout le monde, nous avons été étonnées de l’habileté avec laquelle ce professeur a exposé d’abord, la théorie de sa méthode, justifiée bientôt par l’application.

Nous ignorons quels sont les moyens ingénieux employés pour fixer la mémoire, ce que nous ne pouvons révoquer en doute, c’est que ces moyens existent. Comment en effet M. Aimé Paris pourrait-il reproduire, par ordre, après un examen rapide, les différentes phrases qui lui sont envoyées sur bulletins, de tous les points de la salle, s’il n’avait de vers lui un moyen inconnu, un levier puissant ? Sans doute on doit faire la part des facultés de M. Paris, et du développement qu’il a pu donner aux organes de sa mémoire en les occupant toujours, mais cela ne suffit pas. M. Paris a des moyens naturels et des moyens acquis, l’emploi qu’il tire de ces derniers constitue toute sa mnémotechnie. Ce sont des agens secrets qui, mis en action, donnent à la mémoire souvenir du passé et le font revivre pour elle. On nie ces agens, mais d’abord nier ce n’est pas prouver, et parce que certains nieront la lumière, ce sera-t-il une raison de croire qu’il fait nuit ?

Marchant dans une voie avant eux inconnue, les novateurs ont toujours eu le tort, bien grand, de n’être pas compris de tout le monde, est-ce leur faute ? Le progrès répondra pour nous. Seulement, il nous semble que les intelligences étant inégales, la même limite ne peut leur être assignée non plus que la même place. Galilée et Colomb ont-ils été d’abord compris, et devrions-nous au premier d’avoir apprécié le mouvement de la terre, au second d’avoir découvert un monde tout entier, si quelques esprits avancés n’eussent eu foi à leurs inspirations.

Il fut un temps où nul n’était prophète dans son pays et chacun sait que Papin et Fultou ne purent trouver à faire dans la France, leur patrie, l’application de leurs ingénieuses découvertes, les bateaux à vapeur et le gaz hydrogène. En serait-il encore de la même manière ? Nous ne le pensons pas ; d’ailleurs, et pour revenir à M. Paris, nous ne voyons pas, en ce qui le concerne, qu’il y ait lieu à douter de ce qu’il avance pour quiconque veut juger avec impartialité. Qu’il y ait de l’enthousiasme traduit en exagération dans quelques-unes de ses phrases, cela s’explique tout naturellement. M. Paris est aujourd’hui sa méthode incarnée, il en parle d’après les services qu’elle lui a rendus, et sous ce rapport on comprend qu’il ait lieu d’être satisfait. Toutefois, en admettant que peu de personnes puissent tirer autant d’avantages que lui de la méthode mnémotechnique. Nous croyons aux heureux résultats qu’elle peut donner. En ce qui nous concerne et sans autres agens que quelques similitudes de noms, nous avons souvent rattaché les plus grands faits aux plus petites circonstances, et reconnu que par certaines combinaisons de mots fort simples, souvent bizarres dans leur isolement, on peut rappeler à son souvenir un événement important que la mémoire rendrait avec peine sans un agent provocateur. La mémoire est semblable à un champ, pour produire elle ne demande qu’à être cultivée ! C’est de cette culture que M. Paris s’est occupé. Tenons-lui compte de ses efforts, et puisqu’il est bien reconnu que beaucoup de gens vivent, en fait d’esprit, sur les fonds étrangers, sachons gré à M. Paris qui leur donne le moyen d’accroître leurs revenus !

Eugénie Niboyet.
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