Le Conseiller des femmes/01/03

SŒUR MADELEINE.

Il était un berger, veillant avec amour
Sur des agneaux chéris qui l’aimaient à leur tour.
Il les désaltérait dans une eau claire et saine,
Les baignait à la source et blanchissait leur laine ;
De serpolet, de thym, parfumait leur repas ;
Des plus faibles encor guidait les premiers pas.

Mme Desbordes-Valmore.

Lorsqu’il advient, dans la vie, de ces momens d’abattement et de douleur, où l’ame attristée se révolte contre toute distraction, j’ai souvent éprouvé que les souvenirs d’enfance se présentent en foule, exempts d’amertumes et de déceptions, apportant comme un baume aux cruelles blessures du cœur.

Elles sont si fraîches et si pures les émotions du jeune âge, alors que tant d’illusions délicieuses bercent l’existence et font croire au bonheur, que l’on éprouve une douce consolation à se reporter vers ce passé calme et serein.

Entre tous mes souvenirs, il en est un bien digne d’être consigné dans le Conseiller des Femmes. Nulle ne le lira sans attendrissement et sans éprouver un vif sentiment d’admiration pour le pieux objet qui le rappelle.

Madeleine est son nom ; elle n’a point prononcé de vœux, ne tient à aucun ordre ; mais l’intérêt qu’inspire son œuvre la fait saluer, de tous, du nom de sœur.

Je veux que mon récit vous apprenne à connaître cette bonne et excellente fille ; je veux que vous puissiez la citer à vos enfans comme un exemple de charité pure et évangélique, comme un modèle de dévouement.

Si vous saviez combien elle est simple et modeste, vous l’aimeriez comme je l’aime, moi qui l’ai vue faire abnégation d’elle-même, pour ne s’occuper que des êtres auxquels elle se dévoue.

Sœur Madeleine habite le Pont de Beauvoisin, côté de France. Réduite à un revenu annuel de six cents francs, elle trouve, avec cette somme, le moyen de faire du bien, et préserve du malheur un grand nombre d’enfans confiés à ses soins vigilans et désintéressés.

Le Pont de Beauvoisin est une très-petite ville, où il y a peu de gens riches et beaucoup de misère ; les hommes n’ont que de bien faibles ressources pour gagner leur vie ; car il n’y a aucune industrie spéciale qui assure un salaire journalier au père de famille, aucune manufacture où il puisse, selon ses forces et son talent, travailler pour subvenir aux besoins de ses enfans. La ligne des douaniers établie sur la frontière est étendue, mais les places en sont presque toutes données à de vieux militaires, en sorte que les gens du pays en sont frustrés. La misère se fait sentir doublement à cause du grand nombre d’enfans qu’il y a dans chaque famille ; il n’est pas rare d’en voir dix, et même douze, appartenir à la même mère.

Affligée de tant de misère, Madeleine conçut le généreux projet de se charger de tous les enfans pauvres de la ville, de les élever, de leur apprendre à confectionner de petits ouvrages qui les missent à même d’amasser quelque argent. Son projet, une fois arrêté, elle le mit à exécution, la bonne sœur ! Elle loua une salle vaste et saine ; elle y fit placer des tables et des bancs, et depuis ce jour, elle va chaque matin, frappant de porte en porte, chercher ces pauvres petites créatures qui arrivent, le sourire sur les lèvres et la joie au cœur, exprimer leur amour et leur reconnaissance à leur bienfaitrice.

Lorsque sa ronde est achevée, elle reprend le chemin du logis, conduisant les plus faibles par la main, et veillant sur les autres ; tous marchent avec ordre et sans bruit, heureux qu’ils sont d’obtenir l’approbation de leur maîtresse. Arrivés dans la grande classe, ils se mettent à l’ouvrage et témoignent par leur application la crainte qu’ils ont de fâcher leur bienfaitrice.

Lorsque vient l’heure du déjeûner. C’est encore sœur Madeleine qui se charge d’y pourvoir, c’est elle qui distribue de bonnes et grosses soupes ; c’est elle qui, l’hiver, donne des sabots à qui n’en a pas, un habit chaud à qui est mal vêtu ; et elle fait cela avec tant d’affection, elle sait si bien le langage qui convient à ces jeunes cœurs, que toujours ces riantes et fraîches figures la remercient de la voix et du regard. Il faut qu’elle assiste aux récréations, car sans elle les enfans n’éprouvent point de joie ; tout les attriste et les inquiète, tant ils comprennent qu’ils ont besoin de sa protection, de son appui.

La sœur leur inculque de bonne heure des principes religieux : « Croyez à la bonté de Dieu ! Aimez-vous les uns les autres ! leur répète-t-elle sans cesse, vous serez justes et vertueux. »

La matinée est employée à lire et à écrire, et l’après-midi, consacrée à divers ouvrages. Puis, le soir, Madeleine recommence sa promenade, rendant chaque enfant à sa mère, et recevant, en échange, les bénédictions de l’une, les caresses de l’autre.

Que le sommeil doit être doux après un tel emploi du temps, qu’il doit être calme et exempt de mauvais rêves ! Bonne sœur dors en paix ! Dieu t’aime, il veille sur toi, sur les tiens !

Cependant un jour vint où toutes ses ressources furent épuisées, où le dénuement le plus complet vint l’accabler. Elle répandit des larmes amères, sœur Madeleine, car ses enfans allaient souffrir, ils allaient de nouveau être livrés à eux-mêmes et privés de ses soins. Elle n’osait plus réclamer l’assistance des dames de la ville ; elles avaient déjà tant et si souvent donné, qu’elle craignait un refus. Ô mon Dieu ! mon Dieu, secourez-moi, s’écriait-elle dans son désespoir, faites que je puisse encore les élever et leur apprendre à vous servir. Et Dieu l’entendit et l’exauça : une dame étrangère, qui se trouvait au Pont, lui offrit une forte somme qui l’aida à continuer son œuvre, jusqu’au moment où elle recevait habituellement ses petites rentes.

Je recueillis ces renseignemens pendant le court séjour que nous fîmes au Pont, ma mère et moi, au milieu de l’été, 1826.

Je pourrais vous entretenir encore long-temps de sœur Madeleine, mais vous la connaissez maintenant, et si j’ai réussi à vous la faire aimer, ma tâche est remplie !

J’espère que celles de mes lectrices que leurs maux ou leurs plaisirs appellent aux eaux d’Aix et qui s’y rendent par cette route, se souviendront que sœur Madeleine existe toujours, qu’elle continue son œuvre bienfaisante et qu’elles pourront facilement visiter son établissement. L’enfant qui parle à peine leur indiquera sa demeure, le vieillard les y conduira, et tous témoigneront de leur reconnaissance éternelle et de leur zèle à la servir. Oh ! puissent les femmes conserver comme moi le souvenir de la modeste sœur ! et lorsqu’elles auront à souffrir du monde et de ses erreurs, qu’il leur apparaisse comme les rayons du soleil après un mauvais jour ! qu’il ramène le calme dans leur ame, et que, comme moi, elles répètent : Que Dieu te protège, bonne sœur Madeleine !!

Marie.
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