Le Conseiller des femmes/01/02

DE L’AVENIR DES FEMMES.


C’est vainement que de moroses censeurs, de froids et routiniers moralistes déprécient avec chagrin l’Europe moderne : une civilisation progressive se dessine admirablement dans le 19me siècle ; et le temps actuel sera cité dans l’avenir comme une époque de transition sur laquelle, il est vrai, pèse l’anarchie des idées en morale comme en religion et en politique, mais de laquelle surgira une amélioration notable, nous osons l’espérer. En vain le passé se dresse à nos regards, tout fier encore de sa vieille expérience : ce ne sont plus que de pauvres lambeaux, que les hommes d’autrefois prétendent disputer à la génération nouvelle ; toutes les croyances sont affaiblies et cependant croire et espérer sont les besoins impérieux de l’ame. Tous nos efforts maintenant doivent donc tendre à reconstruire. L’essor est donné ; la femme doit être instruite pour le bonheur de tous. Il est temps qu’elle élève une voix courageuse contre les abus dont, jusqu’à ce jour, on accabla sa faiblesse. Je sais combien de telles idées vont provoquer de sarcasmes ; il faut bien l’avouer : c’est une tâche difficile qu’accepte celle qui s’impose l’obligation de prendre l’initiative dans une question que le temps seul pourra résoudre à son avantage ; il faut plus que du courage pour jeter ainsi son timide nom de femme à la face d’une railleuse province qui, presque toujours, n’a qu’un sourire de dédain pour une idée nouvelle ; oui, je le répète, il faut plus que du courage pour entreprendre une lutte avec un préjugé aussi vieux que le monde, préjugé révoltant d’autant que l’homme est plus avancé dans la civilisation, mais qui n’en a pas moins traversé les siècles, parce qu’il est basé sur cette loi puissante qui régit l’univers, loi qui donne droit au plus fort et qui ferait douter de l’existence de Dieu, si Dieu n’avait écrit l’espoir dans le cœur du sexe, qu’il a créé le plus faible, et enrichi son intelligence de mille dons précieux ; il faut pour oser plaider une telle cause, avoir un noble but en perspective et porter à un haut degré, dans son ame, l’amour de l’humanité.

Cependant, animée par de tels motifs, on doit marcher avec calme, et dire toute sa pensée, sans crainte, parceque, s’il arrivait qu’on dût rester incomprise, du plus grand nombre, il est impossible qu’on ne recueille quelque sympathie pour une opinion énoncée avec franchise, pour une idée religieuse ou morale professée de bonne foi.

Dans ce journal, consacré à l’instruction des femmes, la fille du peuple, surtout, sera l’objet de notre constante sollicitude ; c’est elle qui a le plus grand besoin d’être éclairée ; car, c’est elle, parmi toutes les femmes, qui court le plus de dangers, étant la créature le plus misérablement traitée par nos institutions sociales. Nous plaiderons aussi sa cause auprès des femmes de la classe privilégiée, afin, que voulant bien mettre de côté les distinctions de rang et de fortune, elles aient de l’amour et des soins à donner à cet autre classe intéressante de la société. La femme peut beaucoup et par son intelligence, et par la douceur de sa voix ; qu’elle sache donc enfin tourner au profit de son sexe les avantages qu’elle a reçus de la nature ; qu’elle médite et comprenne cette grande vérité : la femme ne sera véritablement forte que lorsqu’elle sera, de bonne foi, l’amie de son sexe ; c’est la première vertu de l’homme qu’elle doit chercher à imiter, si elle ne veut point demeurer éternellement son esclave. L’esprit de corps lui manque ; de cette cause naissent sa dépendance et son asservissement. Le défaut d’harmonie entre les femmes sera toujours fatal à leurs progrès. Pourquoi leur règne est-il de si courte durée ? C’est qu’il n’a pour base qu’un sentiment éphémère, une passion d’homme, folle et capricieuse comme tous les désirs humains.

Tout le monde connaît ce mot d’une femme célèbre : « L’amour n’est qu’un épisode dans la vie de l’homme ; c’est la vie entière de la femme. » et nous pourrions ajouter que lorsque la femme moissonnera dans le champ que l’homme s’est exclusivement réservé ; lorsque, par exemple, elle abordera sérieusement la science, qu’elle cultivera tous les arts ; lorsque, avec plus de liberté, elle aura, comme l’homme, mille intérêts divers pour occuper son imagination active ; lorsqu’elle ne se fera plus gloire de son asservissement, en lançant l’épigramme sur celles qui osent élever leur pensée au-delà du pot-au-feu et de la tapisserie ; lorsque les femmes auront échangé leur existence de colifichets contre une existence composée d’élémens plus solides ; lorsqu’elles seront plus instruites enfin, l’amour aussi ne sera plus qu’un épisode dans leur vie ; elles ne traîneront plus une existence aussi décolorée que flétrie, après la perte inévitable des illusions du jeune âge ; et l’on ne dira plus que, pour rester pure, la femme a besoin d’être asservie. Lorsque, avec plus de lumières, elle aura acquis plus de liberté, le crime de la séduction sera moins répandu, il fera moins de victimes et les mœurs y gagneront ; car, plus la femme sera éclairée, mieux elle saura se défendre ; qu’une juste indignation lui donne le courage d’imprimer un sceau d’infamie sur le front du méprisable Lovelace, de l’immoral don Juan, véritables types de tant d’hommes du monde qui ne marchent, la tête si haute, dans le vice, que parce qu’ils se sont réservé l’impunité que la femme leur assure, en jetant elle-même, la première pierre à sa compagne déchue. Il faut qu’un jour, s’avançant à grands pas dans le monde, le progrès vienne démontrer, à tous, qu’il est d’une injustice révoltante de faire peser tout le poids d’une faute sur le sexe le moins coupable ; à la femme est réservée cette tâche ; elle est partie intéressée : qu’elle soutienne ses droits ; sa cause est trop juste pour qu’elle ne triomphe pas, dans un prochain avenir, de quelques préjugés surannés qui doivent tomber devant une coalition pacifique, comme, autrefois, les tours féodales de la Bastille tombèrent devant un peuple armé pour la conquête de ses droits.

Louise Maignaud.
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