Le Conseiller des femmes/01/01

À nos Lectrices.


Dans un siècle de progrès où le droit et l’action de tous sont à l’ordre du jour, nous croyons, en fondant un journal spécialement destiné aux femmes, travailler à une œuvre d’organisation — selon les vues de Dieu et selon les besoins de l’époque ; car si de droit et de fait, la femme est, dans l’ordre naturel et numérique, la moitié de l’humanité, il nous semble juste et nécessaire qu’elle prenne sa part du mouvement ascendant imprimé à notre civilisation.

Alors que les peuples, dominés par une soif insatiable de conquêtes, faisaient de la vie une longue lutte, une guerre à mort, il était naturel que la femme, douée de sentimens pacifiques et concilians, se renfermât dans le cercle de la vie étroite et passive de la famille ; mais aujourd’hui que la raison du plus fort cède la place à la raison du plus sage, elle peut donner essor à son activité, et l’utiliser au bien de la génération qui s’avance. Jusqu’ici étrangère aux intérêts généraux, elle s’est humblement résignée au silence absolu, dont les préjugés lui faisaient une loi ; et si, de loin en loin, quelques unes ont tenté de se mettre en relief, elles ont presque toujours payé par d’amers regrets, les suffrages que quelques esprits avancés leur prodiguaient… Dans un tel état de choses, si les femmes n’ont pas été à la hauteur de leur siècle, si elles se sont traînées à la remorque, ce n’est pas elles qu’il faut accuser, mais bien une société dont les prétentions ont eu, trop long-temps, force de loi. Grâces en soient rendues, cependant, aux hommes de conscience et de justice, les erreurs s’en vont, et notre siècle ne dit plus anathême aux femmes qui veulent sortir de la route commune, en vue de faire quelque bien. Chacune peut maintenant exercer son action moralisante. Sans-doute, toutes ne sont pas destinées à travailler, d’une manière générale, au développement des masses, mais toutes ont des liens de famille, et c’est là, surtout, que leurs devoirs doivent être rigoureusement remplis ; il faut en convenir, si l’éducation intellectuelle de l’homme ne laisse rien à désirer, sous plus d’un rapport son éducation morale est incomplète, inachevée, surtout en ce qui touche à la vie familiale, aux relations intimes, si douces quand on les entoure de bons procédés, de mutuels égards.

Selon nous, la partie morale de l’éducation est, plus particulièrement, du domaine de la femme ; et comme une nation se distingue bien plus par ses mœurs que par ses lois, les différentes phases sociales, où les femmes ont exercé quelque empire, ont toujours eu la priorité, témoin le moyen âge, de chevaleresque et glorieuse mémoire, où, après la divinité, la dame recevait de son chevalier un culte religieux et pur. Courage, dévouement, fidélité, tout était dû à ses inspirations : et quand pour gage de ses sermens, le chevalier invoquait son nom, nul ne le soupçonnait capable de félonie. Ce temps n’est plus, et depuis sa déchéance, bien des progrès ont été inscrits sur le livre des nations… Les hommes ont marché, mais seuls, et il y a eu dans l’humanité diversité de sentimens et de pensées… Est-ce ainsi que Dieu veut l’harmonie des sexes ? Nous ne le pensons pas… La vie est une route qu’il faut faire à deux, et pour la trouver douce il faut, d’abord, s’entraider, se comprendre.

Pour cela, il est donc rigoureux que, sans changer sa nature et ses mœurs, la femme s’occupe, plus qu’elle ne l’a fait, des intérêts de tous et de chacun. Sévère, en ce qui la concerne, qu’elle puisse, épouse, mère, amie prêcher d’exemple et persuader bien plus qu’imposer.

Pour nous, en toutes circonstances, nous signalerons dans l’intérêt de la morale, ce qui nous semblera utile, désirant surtout que la femme puisse progresser assez, pour pouvoir, dans les diverses circonstances de la vie, prendre sa raison pour guide de ses actions. Nous ne voulons pas qu’elle dépouille le caractère de douceur et de bienveillance, sans lequel elle cesse d’intéresser et de plaire, mais plutôt qu’elle tourne à son profit, les avantages que Dieu lui a donnés, et que sans cesser d’être femme, elle propose un but utile à ses moindres actions, et cherche, avec nous, le grand remède aux grands maux de l’humanité. Tel est notre vœu ; telle sera la direction dans laquelle nous marcherons maintenant et toujours !

Eugénie Niboyet.