Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 25p. 62-70).


CHAPITRE VII.

LA CHASSE.


Les piqueurs couraient à travers le bois pour faire lever le cerf ; les archers rivalisaient d’ardeur avec leurs longues flèches à la pointe brillante.
Le bruit courait à travers les bois, battus dans tous les sens ; les chiens pénétraient dans les taillis pour tuer les cerfs.
Ballade de Chevy Chaze, vieille édition.


La matinée du jour fixé était froide et sombre ; le temps était gris comme il l’est toujours dans la Marche écossaise. Les chiens criaient, aboyaient et glapissaient ; les chasseurs, quoique animés et joyeux par l’attente d’un jour de plaisir, tiraient sur leurs oreilles leurs mawds, ou manteaux des basses terres, et regardaient d’un œil mécontent les brouillards qui flottaient à l’horizon, tantôt menaçant de s’affaisser sur les cimes et sur les flancs des hautes montagnes, et tantôt d’aller occuper d’autres positions sous l’influence de ces bouffées de vents incertains qui, s’élevant, puis tombant aussitôt, balayaient la vallée.

Cependant, au total, comme il arrive d’ordinaire dans tous les départs de chasse, c’était un spectacle animé et joyeux. Une courte trêve semblait avoir été conclue entre les deux nations, et les paysans de l’Écosse paraissaient montrer en amis les exercices de leurs montagnes aux chevaliers accomplis et aux braves archers de la vieille Angleterre, au lieu de s’acquitter d’un service féodal peu agréable, peu honorable, surtout quand il était requis par des voisins usurpateurs. Les cavaliers se montraient tantôt à découvert à demi, tantôt complètement ; tandis que ceux-ci, forcés de déployer, au milieu de ces routes périlleuses et de ces terrains brisés, toutes les ressources de leur art, attiraient l’attention des piétons, conduisant les chiens ou battant les taillis, délogeaient les pièces de gibier qu’ils rencontraient dans les buissons. Ils tenaient toujours leurs yeux fixés sur leurs compagnons, qui, sur leurs chevaux, étaient plus faciles à distinguer, et qui se faisaient remarquer encore par la vitesse de leur course et par un mépris de tout accident possible, aussi complet que celui dont peuvent se glorifier aujourd’hui les chasseurs de Melton Mowbray ou de toute autre bande fameuse.

Les règles qui présidaient aux chasses anciennes sont pourtant aussi différentes que possible de nos usages modernes. De nos jours, on regarde un seul renard ou un pauvre lièvre comme récompensant bien la peine que se sont donnée, pendant tout un jour, quarante ou cinquante chiens, et environ autant d’hommes et de chevaux ; mais les chasses anciennes, lors même qu’elles ne se terminaient pas par une bataille, comme il arrivait souvent, présentaient toujours une bien plus grande importance et un intérêt beaucoup plus vif. S’il est un genre d’exercice qu’on puisse citer comme le plus attrayant pour la plupart des hommes, c’est à coup sûr celui de la chasse. Le pauvre souffre-douleur, qui a travaillé toute sa vie, qui a usé toute son énergie à servir ses semblables… l’homme qui a été pendant de longues années l’esclave de l’agriculture, ou, qui pis est, des manufactures… qui tous les ans ne recueille qu’une chétive mesure de grain, ou est cloué sur un pupitre par un travail monotone… tous peuvent difficilement rester insensibles à la joie générale, lorsque la chasse passe près d’eux avec les chiens et les cors, et pour un moment ils ressentent toute l’ardeur du plus hardi cavalier de la troupe. Que les personnes qui ont assisté à ce spectacle rappellent à leur imagination l’agitation et l’intérêt qu’elles ont vu se répandre dans un village au passage d’une chassée, depuis le plus vieux jusqu’au plus jeune des habitants. Alors aussi qu’on se souvienne des vers de Wordsworth :

Debout, prends ton bâton, en avant, Timothée,
Pas une âme au village à présent n’est restée ;
Le lièvre a d’Hamilton déserté le coteau,
Et la meute en émoi va courir le Skeddaw.

Mais comparez ces sons inspirateurs au vacarme de tout une population féodale se livrant à un tel exercice, d’une population dont la vie, au lieu de s’écouler dans les travaux monotones des professions modernes, a été continuellement agitée par les hasards de la guerre et par ceux de la chasse, peu différents entre eux ; et vous supposerez naturellement que l’élan se communique comme un incendie dévorant les bruyères arides. Une ancienne partie de chasse, sauf la nature du carnage, ressemblait presque à une bataille moderne, lorsque l’engagement a lieu sur un terrain inégal et varié dans sa surface. Tout un district versait ses habitants, qui formaient un anneau d’une grande étendue ; puis, avançant et rétrécissant leur cercle par degrés, ils chassaient devant eux toute espèce de gibier. Ces animaux, lorsqu’ils s’élançaient d’un taillis ou d’un marécage, étaient attaqués à coups de flèches, de javelines, et d’autres projectiles dont les chasseurs étaient armés ; tandis que d’autres étaient poursuivis et déchirés par d’énormes chiens, ou plus souvent mis aux abois quand les personnages les plus importants qui honoraient la chasse de leur présence réclamaient pour eux-mêmes le plaisir de porter le coup mortel, voulant courir le danger personnel qui résulte toujours d’un combat à mort, même avec le daim timide lorsqu’il est réduit à la dernière extrémité, et qu’il n’a plus de ressource que dans le courage du désespoir.

La quantité de gibier qu’on trouva en cette occasion dans la vallée de Douglas fut considérable ; car, comme nous l’avons déjà remarqué, il y avait long-temps qu’une grande chasse n’avait été faite par les Douglas eux-mêmes, dont les infortunes avaient commencé, quelques années auparavant, avec celles de leur pays. La garnison anglaise ne s’était pas jusqu’alors jugée en nombre et en forces suffisantes pour exercer ces grands privilèges féodaux. Cependant le gibier s’était considérablement multiplié. Les cerfs, les taureaux sauvages, les sangliers s’étaient établis au pied des montagnes, et faisaient de fréquentes irruptions dans la partie basse de la vallée. Cette partie ressemblait beaucoup à une oasis entourée de bois taillis et de marécages, de landes et de rochers, montrant des traces manifestes de la domination humaine, à laquelle les animaux sauvages s’efforcent toujours d’échapper.

Tandis que les chasseurs traversaient la plaine pour gagner le bois, il régnait toujours parmi eux une stimulante incertitude : on se demandait quelle espèce de gibier on allait rencontrer ; et les tireurs, avec leurs arcs tendus d’avance, leurs javelines mises en arrêt, leurs bons chevaux bien contenus par la bride et toujours aiguillonnés de manière à partir soudain, observaient attentivement les pièces qui allaient s’élancer du couvert. Ils se trouvaient toujours prêts à l’attaque, soit qu’un sanglier, un loup, un taureau sauvage, ou toute autre espèce de gibier, vînt à leur passer sous les yeux.

Le loup, le plus nuisible des animaux de proie, ne présentait cependant pas toujours la résistance intéressante que les chasseurs s’attendaient à rencontrer ; il s’enfuyait ordinairement au loin, quelquefois à plusieurs milles, avant de trouver assez de courage pour attaquer ses ennemis, et ; quoique redoutable alors, quoique donnant la mort aux chiens et aux hommes par ses terribles morsures, parfois cependant on le méprisait plutôt à cause de sa lâcheté. Le sanglier, au contraire, était un animal beaucoup plus irascible et plus courageux.

Les taureaux sauvages, les plus formidables de tous les habitants des antiques forêts calédoniennes, étaient l’objet le plus intéressant de l’expédition pour les cavaliers anglais[1]. Les fanfares des cors de chasse, le retentissement du galop des chevaux, les mugissements et les hurlements furieux des bestiaux de la montagne, les soupirs du cerf pressé par les chiens haletants, et les cris sauvages, les cris de triomphe des hommes, formaient un vacarme qui s’étendait bien au delà du théâtre de la chasse, et semblait menacer tous les habitants de la vallée jusque dans les plus profondes retraites.

Pendant le cours de la chasse, souvent lorsqu’on s’attendait à voir partir un sanglier, c’était un taureau sauvage qui s’élançait, renversant les jeunes arbres, brisant les branches dans sa course, et en général renversant tous les obstacles qui lui étaient opposés par les chasseurs. Sir John de Walton fut le seul des chevaliers présents qui, sans être secondé par personne, réussit à terrasser un de ces terribles animaux. Comme un tauréador espagnol, il abattit et tua de sa lance un taureau furieux ; deux de ces animaux plus jeunes, mais déjà d’une certaine grandeur, et trois femelles, périrent aussi accablés sous le nombre des flèches, des javelines et d’autres projectiles que leur lancèrent les archers et les piqueurs ; mais beaucoup d’autres, en dépit de tous les efforts tentés pour arrêter leur fuite, gagnèrent leur sombre retraite au pied de la montagne de Cairntable, les flancs tout déchirés des marques de l’inimitié des hommes.

Une grande partie de la matinée se passa de cette manière, jusqu’à ce qu’un air de cor particulier, donné par le chef de la chasse, annonçât qu’il n’avait pas oublié l’excellente coutume du repas, qui, en pareille occasion, était préparé sur une échelle proportionnée à la multitude réunie pour participer au divertissement.

Une fanfare propre à la circonstance réunit donc tous les chasseurs dans une clairière du bois, où tout le monde trouva place pour s’asseoir à l’aise sur l’herbe verte. Les pièces de gibier qu’on avait abattues devaient, lorsqu’elles seraient rôties et grillées, suffire à tous les appétits, et tous les subalternes s’occupèrent immédiatement de cette besogne ; tandis que des tonneaux et des barils, qu’on trouva sur place et qui furent habilement ouverts, versèrent en abondance le vin de Gascogne et l’ale forte, au gré de ceux qui venaient leur rendre visite.

Les chevaliers, à qui leur rang ne permettait pas de s’asseoir parmi la multitude, formèrent un cercle à part, et furent servis par leurs écuyers et leurs pages, ceux-ci ne considérant point de pareilles fonctions domestiques comme basses ou dégradantes, mais comme faisant partie de leur éducation. Au nombre des personnages de marque qui s’assirent en cette occasion à la table du pavillon, comme on appelait cet endroit, à cause d’un dôme de verdure qui l’ombrageait, étaient sir John de Walton, sir Aymer de Valence, et plusieurs révérends frères consacrés au service de Sainte-Brigitte : ces derniers, quoique ecclésiastiques écossais, furent traités avec le respect convenable par les soldats anglais. Deux ou trois gros fermiers du pays, montrant, peut-être par prudence, toute la déférence désirable à l’égard des chevaliers, s’assirent à l’extrémité de la table, et autant d’archers anglais, particulièrement estimés de leurs chefs, furent invités, suivant l’expression moderne, à l’honneur de dîner avec eux.

Sir John de Walton occupait le haut bout de la table. Ses yeux, quoiqu’ils semblassent ne rien regarder positivement, s’arrêtaient successivement sur toutes les physionomies des hôtes qui formaient un cercle autour de lui. À la vérité, il lui eût été difficile de dire sur quels motifs il avait fondé ses invitations, et même il paraissait ne pas pouvoir s’imaginer, à l’égard d’un ou de deux des convives, quelle raison lui procurait l’honneur de leur présence.

Un individu surtout attira les regards de sir Walton : il avait l’air d’un formidable homme d’armes, quoiqu’il semblât que la fortune n’eût pas depuis long-temps souri à ses entreprises. Il était grand et bien membré, d’une physionomie extrêmement rude, et la couleur de sa peau, qu’on apercevait à travers les trous nombreux de ses vêtements, indiquait qu’il avait eu à endurer toutes les vicissitudes d’une vie de proscrit ; que, peut-être, il avait, pour nous servir de la phrase consacrée, épousé la cause de Robin Bruce, en d’autres termes, qu’il s’était réfugié dans les marais avec la troupe des insurgés. Assurément une pareille idée vint se présenter à l’esprit du gouverneur. Cependant la froideur apparente et l’absence complète de toute crainte avec laquelle l’étranger était assis à la table d’un officier anglais, où il était absolument en son pouvoir, ne paraissaient guère conciliables avec un pareil pressentiment. De Walton et quelques unes des personnes qui l’entouraient avaient remarqué pendant toute la matinée ce cavalier en haillons, qui n’avait de remarquable dans son costume qu’une vieille cotte de mailles, et dans son armure qu’une lourde pertuisane rouillée, longue de huit pieds environ : ils l’avaient vu déployer un talent de chasseur bien supérieur à celui de toutes les autres personnes de la compagnie. Le gouverneur, après avoir regardé ce personnage suspect jusqu’à ce qu’il lui eût fait comprendre l’attention toute particulière dont il était l’objet, remplit un gobelet de vin choisi, et le pria, comme un des meilleurs élèves de sire Tristrem qui eussent accompagné la chasse du jour, de lui faire raison avec un breuvage supérieur à celui dont la multitude se désaltérait.

« Je suppose, sire chevalier, ajouta de Walton, que, pour répondre à mon défi le verre à la main, vous voudrez bien attendre qu’on ait rempli le vôtre avec du vin de Gascogne qui a mûri dans le propre domaine du roi, qui a été pressé pour ses lèvres, et qui en conséquence est propre à être bu à la santé et à la prospérité de Sa Majesté. — Une moitié de l’île de la Grande-Bretagne, » répliqua le chasseur avec le plus grand calme, « sera de l’opinion de Votre Honneur ; mais comme j’appartiens à l’autre moitié, le vin le plus précieux de la Gascogne ne pourrait me faire boire à cette santé. »

Un murmure de désapprobation parcourut le cercle des guerriers présents ; les prêtres baissèrent la tête, devinrent d’une pâleur mortelle, et marmottèrent leur Pater noster.

« Étranger, répliqua de Walton, vous voyez que vos paroles indignent toute la compagnie. — C’est fort possible, » repartit l’homme avec le même ton bourru, « et cependant il peut se faire qu’il n’y ait pas de mal dans les paroles que j’ai prononcées. — Songez-vous que c’est à moi que vous parlez, répliqua de Walton. — Oui, gouverneur. — Et avez-vous réfléchi à ce que pourrait vous attirer une semblable insolence ? — Je n’ignore nullement ce que je pourrais avoir à craindre, si le sauf-conduit et la parole d’honneur que vous m’avez donnés en m’invitant à cette chasse méritaient moins de confiance. Mais je suis votre hôte, je viens de manger les mets servis sur votre table, et de vider en partie votre coupe qui est remplie de fort bon vin, en vérité… aussi maintenant ne redouterais-je pas le plus terrible infidèle s’il s’agissait d’en venir aux coups, et moins encore un chevalier anglais. Je vous dirai en outre, sire chevalier, que vous n’estimez pas à sa juste valeur le vin que nous venons de sabler. Le fumet exquis et le contenu de votre coupe me donnent, en advienne ce qui pourra, le courage de vous informer d’une circonstance ou deux qu’une sobriété froide et circonspecte m’aurait empêché de vous communiquer dans un moment comme celui-ci. Vous désirez sans doute savoir qui je suis ? Mon nom de baptême est Michel, mon surnom est Turnbull. Ainsi s’appelle un clan redoutable, à la réputation duquel j’ai bien contribué pour ma part, soit dans les parties de chasse, soit dans les champs de bataille. Je demeure au bas de la montagne de Rubieslaw, près des belles ondes du Theviot. Vous êtes surpris que je sache chasser les bestiaux sauvages, moi qui me suis exercé dès mon enfance à les poursuivre dans les forêts solitaires de Jed et de South-Dean, et qui en ai tué un plus grand nombre de ma main que vous n’en avez vu, vous et tous les Anglais de votre armée, y compris même les superbes exploits de la journée. »

L’habitant de la frontière fit une pareille déclaration avec cette espèce de froideur insultante qui dominait dans toutes ses manières. Son effronterie ne manqua pas de produire un effet violent sur sir John de Walton, qui s’écria soudain : « Aux armes ! aux armes ! assurez-vous de ce traître, de cet espion ! Holà ! pages et archers, William, Anthony, Bend-the-Bow et Greenleaf, saisissez ce traître, et attachez-le avec vos cordes d’arc et vos laisses à chiens ; attachez-le, vous dis-je, et serrez si fort que le sang lui sorte de dessous les ongles. — Voilà ce qui s’appelle parler, » dit Turnbull avec une espèce de gros rire. « Si j’étais aussi sûr d’être entendu par une vingtaine d’hommes que je pourrais nommer, nous ne disputerions pas long-temps les honneurs de la journée. »

Les Anglais entourèrent le chasseur en grand nombre, mais ne mirent pas la main sur lui, personne ne voulant être le premier à rompre la paix si nécessaire à la circonstance.

« Dis-moi, lui demanda de Walton, traître que tu es ! pourquoi tu te trouves ici ? — Uniquement et simplement, répondit l’habitant de la forêt de Jed, afin de pouvoir livrer à Douglas le château de ses ancêtres, et te payer ce que nous te devons, sire Anglais, en réduisant au silence ce gosier à l’aide duquel tu fais un pareil tapage. »

En même temps, s’apercevant que les archers se rassemblaient derrière lui pour mettre les ordres de leur chef à exécution aussitôt qu’ils seraient réitérés, le chasseur se retourna brusquement vers ceux qui semblaient vouloir l’empoigner à l’improviste ; et les forçant par cette évolution soudaine à reculer d’un pas, il reprit : « Oui, John de Walton, mon but en venant ici était de te mettre à mort comme un homme que je trouve en possession du château et des domaines de mon maître, plus digne chevalier que toi ; mais je ne sais pourquoi j’ai hésité : peut-être la raison en est-elle que tu m’as donné à manger quand je mourais de faim depuis vingt-quatre heures. Je n’ai donc pas eu le cœur de te payer, comme je l’aurais pu faire, la récompense qui t’était due. Quitte ce lieu et cette contrée, et profite de l’avertissement d’un ennemi. Tu t’es constitué le mortel adversaire de ce peuple, et parmi ce peuple sont des gens qu’on n’a jamais pu insulter ni défier impunément. Ne prends pas le soin de me faire chercher ; ce serait peine inutile : je te rencontrerai un autre jour qui viendra au gré de mon désir, et non au tien. Ne pousse pas tes perquisitions jusqu’à la cruauté pour découvrir comment je t’ai trompé, car il est impossible que tu le saches jamais. Après cet avis tout amical, regarde-moi bien, puis dis-moi adieu ; car, quoique nous devions nous revoir un jour, il se passera bien du temps avant que ce jour arrive. »

De Walton gardait le silence, espérant que son captif, car il ne pensait pas qu’il eût moyen de s’échapper, pourrait, dans son humeur communicative, laisser échapper quelques nouveaux renseignements sur son compte, et il ne désirait nullement précipiter la lutte qui défait probablement terminer une scène semblable, ne se doutant pas, pendant ce temps, de l’avantage qu’il donnait à l’audacieux chasseur.

En effet, comme Turnbull achevait sa dernière phrase, il s’élança tout-à-coup en arrière, et sortit du cercle qui l’environnait ; avant qu’on pût s’imaginer quel était son dessein, il avait déjà disparu à travers les bois.

« Arrêtez-le ! arrêtez-le, s’écria de Walton ; il faut absolument nous rendre maîtres de ce coquin, à moins qu’il ne soit entré sous terre. »

La chose ne paraissait pas absolument invraisemblable, car près de l’endroit d’où Turnbull s’était élancé se trouvait un ravin profond, dans lequel il se précipita, descendant à l’aide de branches, de racines et de broussailles, jusqu’à ce qu’il fût arrivé au fond, d’où il put gagner les bois et s’échapper ensuite, mettant tout-à-fait en défaut les paysans mêmes qui connaissaient le mieux les localités.



  1. Ces taureaux sont aussi représentés comme très formidables par Hector Boétius, qui ajoute sur leur compte : « Dans cette forêt (à savoir la forêt Calédonienne), on rencontrait quelquefois des taureaux blancs avec des crinières crépues et frisées comme celles des lions ; et quoiqu’ils ressemblassent pour le reste du corps à leurs pareils que l’homme a rendus domestiques, ils étaient plus sauvages que tous les autres animaux, et haïssaient tellement la société et la compagnie des humains, qu’ils n’entraient jamais dans les forêts ni sur les pâturages où ils reconnaissaient soit le pied, soit la main de l’homme, et il se passait bien du temps avant qu’ils mangeassent les herbes qu’il avait touchées ou maniées. Ces taureaux étaient si sauvages qu’on ne pouvait les prendre qu’à force de ruses, et si impatients de la liberté après avoir été pris, qu’ils mouraient presque toujours comme de douleur. Aussitôt qu’un homme se hasardait à attaquer ces animaux, ils s’élançaient sur lui avec une telle impétuosité qu’ils le renversaient à terre, sans s’effrayer des chiens, des lances, ou de toute autre arme plus funeste. (Boétius, Chron. Écoss., vol. I, page 39.)
    Les animaux sauvages de cette espèce, qui ne sont plus aujourd’hui connus que dans un manoir de l’Angleterre, celui de Chillingham-Castle, dans le Northumberland, existaient encore de mémoire d’homme dans trois endroits d’Écosse : savoir, à Drumlaurig, à Cumbernauld et dans le parc du château d’Hamilton ; et, à l’exception de ce dernier lieu, je crois qu’ils ont été détruits partout à cause de leur férocité. Mais, quoique ceux des temps modernes fussent remarquables par leur couleur blanche, avec des museaux noirs, et qu’ils eussent aussi une crinière noire, longue de trois ou quatre pouces, ils ne ressemblaient nullement à la terrible description que nous en donnent les anciens auteurs : d’où quelques naturalistes ont conclu que ces animaux appartiennent probablement à des espèces différentes, quoiqu’ils aient en général les mêmes habitudes et dépendent de la même race. Les os qu’on trouve dans les prairies d’Écosse appartiennent certainement à des animaux plus gros que ceux de Chillingham, dont le poids dépasse rarement 1,120 livres, la pesanteur moyenne variant de 840 à 1,120. Certaines classes de nos lecteurs nous accuseraient de négligence si nous ne remarquions ici que la viande de ces animaux est d’une saveur excellente et parfaitement marbrée. (Note anglaise.)