Le Cadet de Colobrières
Revue des Deux Mondes, période initialetome 13 (p. 9-33).
◄  03
05  ►
LES


COUVENS DE PARIS.





PREMIER RÉCIT.
LE CADET DE COLOBRIÈRES.





QUATRIÈME PARTIE.[1]

Le couvent de Notre-Dame de la Miséricorde n’était point une de ces pieuses retraites fondées pour des personnes royales et enrichies de leurs dons. Une demoiselle dévote et un pauvre prêtre en commencèrent les constructions vers le milieu du XVIIe siècle, et les achevèrent avec le secours de la Providence et les aumônes des fidèles. C’était, à la vérité, la reine Anne d’Autriche qui avait posé la première pierre de l’église ; mais sa munificence s’était bornée au don de quelques ornemens d’autel, et la maison de Paris était presque aussi mal rentée que les autres maisons de l’ordre, lequel, quoiqu’il ne fût pas un ordre mendiant, était un des plus pauvres de la chrétienté. Les biens du monastère ne s’étaient guère accrus avec le temps, et l’humble troupeau que gouvernait la mère Angélique ne vivait pas dans la grasse oisiveté à laquelle on se laissait aller chez les bénédictines, les visitandines et autres communautés dotées par d’opulens bienfaiteurs. Les religieuses de la Miséricorde restaient moins de temps au chœur que dans la salle de travail ; elles faisaient de merveilleux ouvrages à l’aiguille et créaient sur le métier des chefs-d’œuvre auprès desquels ceux de la Lydienne Arachné auraient paru d’imparfaites ébauches. Leur vie se passait à confectionner ces délicates broderies, ces magnifiques dentelles dont se paraient les dames de la cour, et que les grands seigneurs d’autrefois portaient en jabot et en manchettes. Il y avait tel falbalas auquel ces ouvrières cloîtrées travaillaient pendant un an, et qui sortait de leurs pieuses mains pour orner le jupon court d’une danseuse ; il y avait telle paire de manchettes dont les jeunes novices achevaient à peine l’impalpable réseau, lorsque quelque petit-maître les oubliait sur la toilette d’une marquise ou les déchirait dans une orgie.

En quittant le parloir, la mère Angélique emmena Mlle de Colobrières à travers une longue galerie sombre, sur les côtés de laquelle s’ouvraient une vingtaine de petites portes. C’était le dortoir des religieuses. Au centre, il y avait une grande horloge surmontée d’une croix. Quelques toiles sans cadre, barbouillées d’horribles peintures, décoraient les murs ; les saints qu’elles représentaient semblaient faire sentinelle à chaque porte et prêter l’oreille au mouvement de l’horloge, dont l’aiguille marquait toutes les secondes de leur éternité. Un froid glacial suintait pour ainsi dire des lambris et pénétrait l’ame comme le corps. La pauvre Anastasie sentit se renouveler l’impression qu’elle avait éprouvée en passant la porte de clôture ; elle s’arrêta en frissonnant, et dit d’une voix faible : — Quelle obscurité ! quel silence ! On dirait qu’il n’y a personne dans cette maison !

La supérieure sourit et leva un doigt vers l’horloge, qui, presque au même instant, sonna midi. Les douze coups retentissaient encore, lorsqu’un joyeux bourdonnement s’éleva dans l’intérieur du couvent ; des voix enfantines se mêlaient à des voix plus graves, et leur babil animé se faisait entendre jusque dans le dortoir.

— Voilà nos pensionnaires qui entrent en récréation, dit la mère Angélique ; mes chères petites brebis folâtrent dans le préau, et leur gaieté se répand dans toute la maison. Vous ne les rencontrerez guère qu’à l’église, ma chère fille ; mais vous pourrez les voir rire et s’amuser par la fenêtre du dortoir de novices ; c’est un divertissement que je vous permettrai quelquefois.

— Merci, ma chère mère, répondit Anastasie, qui commençait à comprendre qu’au couvent les distractions les plus insignifiantes ne sont pas à dédaigner.

C’était aussi l’heure à laquelle les religieuses prenaient leur récréation. Elles étaient réunies dans une salle qu’on appelait la promenade d’hiver, et qui s’ouvrait sur le jardin. Cette pièce était encore plus simplement décorée que le parloir de la supérieure ; l’ameublement, qui déjà avait servi à plusieurs générations de recluses, se composait d’une longue table massive et de quelques bancs de bois de chêne disposés contre les murs. Une espèce de chaire marquait la place réservée de la supérieure ; mais ce siège particulier n’était ni plus douillet ni plus commode que les bancs des religieuses, et l’on ne devait pas reposer mollement sur ce solide tabouret, qui pourtant représentait un trône, le trône d’une souveraine absolue dans son étroit empire. Des rideaux de toile claire garnissaient les fenêtres et laissaient apercevoir le jardin. De ce côté-là, non plus, la perspective n’était pas extrêmement riante ; les murs, dont la hauteur dépassait celle des maisons voisines, formaient une enceinte régulière, au centre de laquelle un bassin d’eau verdâtre figurait une fontaine. Deux allées de tilleuls tortus et rabougris s’allongeaient parallèlement jusqu’au fond du jardin, semblables à deux rangées de balais renversés, et il n’y avait pas un seul brin de verdure dans le grand espace carré qu’on appelait le parterre. De loin en loin, contre le mur de clôture, il y avait des espèces de niches en rocaille, ornées de statuettes en piètre et de guirlandes de coquillages ; c’étaient des oratoires élevés par les religieuses, et qu’elles paraient au printemps des languissantes fleurs qui s’épanouissaient dans leur jardin.

Lorsque la mère Angélique parut, suivie de Mlle de Colobrières, à l’entrée de la promenade d’hiver, toutes les conversations cessèrent, tous les regards se tournèrent vers la nouvelle venue avec un curieux empressement, et la communauté attendit, debout, dans un respectueux silence, les paroles de la supérieure. Celle-ci s’avança lentement jusqu’à sa place ; son beau visage avait une expression de sévère douceur, d’austère sérénité, dont l’ascendant était irrésistible. On voyait qu’elle avait conscience de la domination absolue qu’elle exerçait également sur ces esprits timides ou résolus, sur ces âmes abattues ou exaltées, satisfaites ou souffrantes, sur toutes ces natures assouplies et domptées, du moins en apparence, par la religion.

— Mes chères sœurs, dit-elle d’une voix grave et douce, voici la nouvelle ouaille que le Seigneur joint à son troupeau. Comme ma sœur selon le monde, comme ma fille spirituelle, je la recommande à votre affection et à vos prières.

Aussitôt toutes les religieuses environnèrent Anastasie. Il y avait quelque chose de singulièrement ingénu dans les témoignages de leur amitié, et les formules de compliment qu’elles employaient ne ressemblaient guère à celles en usage dans le monde.

— Mon doux Jésus, que je suis aise ! dit l’une des jeunes religieuses ; c’est près de moi que sera votre place au réfectoire, ma chère sœur. Aimez-vous le fruit ?

— Oui, ma sœur, répondit Anastasie étonnée de la question.

— Cela se trouve à merveille ! reprit vivement la religieuse ; avec la permission de notre mère, je me retranche chaque jour le dessert afin de me corriger, par cette petite mortification, du péché de gourmandise auquel je suis sujette ; c’est vous, ma chère sœur, qui mangerez mes pommes.

— Le jour où vous prendrez le voile, quelle jubilation pour nous, mon enfant ! dit une vieille professe en touchant de ses longs doigts jaunes la robe d’indienne de Mlle de Colobrières ; mais, tant que vous porterez la livrée du siècle, je n’oserai me réjouir encore : vous ne serez pas tout-à-fait à nous.

— Que le temps de votre probation va nous paraître long ! ajouta une autre religieuse. Il y a deux portes au noviciat, comme disait toujours la mère Perpétue, notre ancienne prieure : l’une est la grande porte du salut qui donne dans le couvent ; l’autre, la porte que le tentateur tient entr’ouverte, et par laquelle il nous invite à retourner au monde. Ma chère sœur, je réciterai tous les jours le psaume Deus noster refugium, afin que Dieu vous fasse la grâce de persévérer dans votre vocation.

— Venez, venez, ma chère sœur ; nous allons vous montrer à faire des agnus, s’écrièrent les novices en entraînant Anastasie vers la table où elles avaient étalé les images qu’elles s’amusaient à découper et à encadrer dans des broderies d’or et de soie.

Les groupes qu’avait dérangés l’arrivée de Mlle de Colobrières se formèrent de nouveau, et les nonnes recommencèrent a babiller avec cet entrain particulier aux personnes obligées chaque jour à plusieurs heures de silence. C’étaient des entretiens innocens et puérils, de petits rires discrets qui s’entre-croisaient d’un bout de la salle à l’autre. Anastasie observait avec un certain intérêt ce tableau qu’un peintre eût pris plaisir à esquisser, car il y avait là des types frappans et tels qu’on n’en rencontre que dans les cloîtres. Quelques vénérables sœurs réunies sur le même banc déploraient la disparition subite d’un gros chat noir, commensal de la maison, que depuis trois jours on n’avait pas vu au réfectoire. Elles le traitaient d’enfant prodigue, et s’indignaient gravement de son inconduite. En arrière de ces discrètes personnes, deux jeunes religieuses s’entretenaient à demi-voix. Les pauvres filles ajoutaient peut-être au plaisir de la récréation celui de converser sur les choses défendues. Plus loin les novices découpaient leurs agnus et faisaient à Anastasie quelqu’une de ces histoires qui se transmettent par tradition dans les couvens. L’une d’entre elles, une jeune fille blonde et pâle, s’était assise à l’écart près de la fenêtre. Elle lisait avec distraction un gros volume ouvert sur ses genoux, et suivait d’un mélancolique regard les passereaux qui, après avoir un moment sautillé dans le jardin, s’envolaient à lire d’aile par-dessus les murailles.

À midi trois quarts, la cloche sonna ; son aigre carillon appelait les religieuses dans la salle de travail.

— Que savez-vous faire, mon enfant ? demanda la supérieure à Anastasie, tandis que la maîtresse des novices distribuait la tâche de l’après-midi.

— Pas grand’chose, ma mère, répondit la jeune fille ; j’ai appris seulement à refaire les choses usées, à réparer adroitement les habits dont l’étoffe est mûre.

— Moi aussi, je l’avais appris autrefois, dit la mère Angélique en soupirant ; les demoiselles de Colobrières n’ont jamais eu de robe neuve, et Mme la baronne, notre bonne mère, est vêtue comme la bienheureuse Madeleine de Saint-Joseph, laquelle porta pendant trente-cinq ans la même jupe.

— Bonté divine ! elle avait donc fait profession dans une maison où il n’y avait pas plus d’argent que chez nous ? observa ingénument Anastasie.

— Elle était supérieure du couvent des augustines de Madrid, répondit la mère Angélique ; c’est une maison de fondation royale qui a cent mille livres de revenus, et où les reines d’Espagne vont souvent entendre les vêpres et faire collation.

Les religieuses se mirent au travail en observant le silence. Anastasie s’assit devant un métier à broder et commença à tracer de légères guirlandes sur une cravate de mousseline des Indes. Cette occupation laissait toute liberté à son esprit, qui errait à travers mille pensées inquiètes et revenait obstinément vers des souvenirs chers et douloureux. De temps en temps, la pauvre enfant baissait la tête sur son travail et essuyait furtivement ses yeux obscurcis de larmes ; puis elle reprenait plus activement sa tâche et s’efforçait de chasser l’image qu’elle avait emportée au fond de son cœur, et qui y restait malgré ses résolutions, ses scrupules, ses remords.

À l’heure du goûter, une sœur converse passa avec une corbeille et offrit à chaque religieuse un beau morceau de pain sec. Anastasie prit le sien, le posa dans le coin de son métier, et continua à travailler à sa broderie.

— Mangez donc, ma chère sœur, lui dit à voix basse la religieuse assise à son côté, cela vous fera du bien. Le premier jour que je passai dans cette maison, j’avais comme vous le cœur serré ; quand on distribua le goûter, je me dis que c’était le pain de la pénitence, un pain amer que je devais mouiller de mes larmes, et je ne pus en prendre une seule bouchée ; le lendemain, j’avais plus d’appétit ; je le mangeai, et je vous assure que je le trouvai bien bon et bien tendre. — Du reste, la règle ne défend pas de se ragoûter par quelques petites douceurs, et s’il vous plaisait d’accepter mes pastilles au chocolat…

À ces mots, elle tira de sa large poche une espèce de drageoir, et le présenta ouvert à Anastasie.

— Merci, ma chère sœur, merci, répondit Mlle de Colobrières touchée de cette attention ; je ne suis pas accoutumée à ces petites délicatesses, et je me contente fort bien de ce bon pain blanc.

Elle rompit son pain et essaya de manger un peu ; mais ses larmes coulaient : elle se rappelait avec regret les maigres dîners qu’on servait sur la table paternelle, et le pain de seigle que pétrissait la Rousse.

— Ce n’est rien, mon enfant ; ne vous étonnez pas, reprit la religieuse, qui l’observait. Le premier repas qu’on fait dans le couvent, c’est toujours ainsi : on pleure, mais cela n’empêche pas la vocation.

Il faisait presque nuit lorsque la cloche appela les religieuses au chœur. Mlle de Colobrières les y suivit, et, sur un signe de la supérieure, elle prit place auprès de la grille, du côté des novices. C’était le premier acte de sa vie religieuse, et elle se sentit pénétrée d’une impression étrange de tristesse et de crainte en s’agenouillant pour la première fois dans le sanctuaire, au pied de cet autel où elle devait prononça ses vœux. Jamais la pensée de cet engagement redoutable ne l’avait frappée comme en ce moment ; jamais elle n’avait envisagé ainsi toute l’étendue de son sacrifiée. En vain elle essayait de s’unir aux prières des religieuses ; ses lèvres seules balbutiaient les psaumes de l’office de la Vierge ; elle ne pouvait arriver au recueillement intérieur, et malgré elle ses regards erraient sur ce qui l’environnait avec une pénible curiosité.

Le jour finissait, et le crépuscule qui tombait des fenêtres éclairait à peine l’enceinte du chœur. Les religieuses, droites dans leurs stalles, les yeux à demi fermés, leur formulaire à la main, psalmodiaient de mémoire l’office que la règle les obligeait à réciter chaque jour. À travers la grille qui séparait le chœur de l’église, on distinguait une partie de la nef, faiblement éclairée par la lampe qui brûlait devant le maître-autel. Quelques femmes dévotes, agenouillées au pied de la sainte table, disaient leurs oraisons en grelottant, et faisaient les répons aux religieuses. À l’un des angles du chœur et près de la grille s’élevait un petit autel entouré de symboles funéraires, et sur lequel brûlait un lumignon dont le pâle rayonnement faisait apercevoir l’effigie en miniature d’un corps au cercueil, enveloppé de son suaire, le front ceint de palmes et le crucifix entre les mains. Lorsque Anastasie eut aperçu cette sinistre image, elle n’en détourna plus ses regards ; c’était pour elle comme une énigme funèbre dont elle cherchait à deviner le mot. Une des novices s’aperçut de sa distraction, et lui dit à voix basse en la poussant du coude : — Faites attention, ma chère sœur ; on va se lever pour le Vexilla regis.— Et, comme Anastasie lui montra la lugubre figure et l’interrogea du regard, elle ajouta : — C’est l’image de notre saint fondateur, le père Ivan, dont nous avons le bonheur de posséder les reliques. Il est enterré là, dans l’épaisseur de la muraille.

— Dieu ! c’est un tombeau ! murmura Anastasie, frappée d’une vague épouvante et attristée de ce sombre voisinage ; mais presque au même instant elle fut distraite de cette pénible impression par quelqu’un qui venait d’entrer dans l’église et qu’elle put apercevoir à travers la grille : c’était le cadet de Colobrières. Après avoir erré toute la journée dans les rues de la grande ville avec le mélancolique ennui d’un pauvre étranger qui ne sait que devenir au milieu de ce chaos splendide et boueux, il venait, harassé de fatigue et transi de froid, se reposer dans la maison du bon Dieu, en attendant l’heure de se rendre au parloir du couvent de la Miséricorde. Anastasie fut tout à coup consolée en apercevant son frère ; elle commençait à éprouver les compensations qu’il y a dans la vie monastique et à sentir le prix infini que donne aux moindres satisfactions la répression continuelle de tous nos désirs, de toutes nos volontés, de tous nos penchans. Une douce émotion fit battre son cœur ; ses yeux, qui, dans cette journée, avaient été si souvent mouillés de larmes amères, répandirent des larmes de joie, et elle murmura avec un indicible attendrissement : — Mon cher Gaston ! c’est lui !

Peut-être Mlle de Colobrières ne fut-elle pas la seule qui s’aperçut de la présence de ce beau jeune homme. Il s’était modestement avancé parmi les femmes dévotes qui disaient leurs patenôtres devant le grand autel, et, après avoir prié debout un instant, il s’était assis le chapeau à la main, la tête un peu fléchie sur sa poitrine, dans l’attitude d’une triste méditation. C’était vraiment un charmant cavalier que Gaston de Colobrières, et il avait fort bonne mine, malgré le goût un peu arriéré de son costume. Il portait l’habit neuf que sa mère lui avait fait faire à l’époque mémorable où le baron toucha les cinq cents écus de la vente de Belveser. Le tailleur du village appelé à confectionner ce vêtement y avait consciencieusement employé toute l’étoffe achetée par la baronne ; les basques flottaient jusqu’à mi-jambe, et les revers pouvaient, au besoin, se croiser d’une épaule à l’autre. Mais la taille souple et cambrée du jeune gentilhomme donnait une façon à cette espèce de sac ; quoiqu’il ne portât point de poudre comme les gens du bel air, et que ses cheveux noirs et brillans fussent rattachés sur la nuque par un simple ruban, il n’en avait pas moins une physionomie noble et une fort belle tournure.

Après l’office, et tandis que les religieuses sortaient du chœur, Anastasie se rapprocha de la mère Angélique, et lui dit à voix basse en tournant les yeux vers la nef : — Ce jeune homme, c’est notre frère, c’est Gaston…. — Oh ! mon enfant, comme il ressemble à notre mère ! je l’ai bien reconnu ! répondit la supérieure avec attendrissement.

Un quart d’heure plus tard, Gaston se présenta à la grille du parloir. — Mon frère ! mon cher frère, enfin nous voilà réunis ! s’écria Anastasie, comme si elle le retrouvait après une longue absence. La mère Angélique lui tendit silencieusement la main à travers les barreaux, et se prit à le considérer en soupirant ; la pensée que ce fier jeune homme songeait à se faire moine l’étonnait et la contristait ; elle comprenait vaguement que sa vocation devait avoir d’autres motifs qu’une piété exaltée, et que les passions humaines y avaient plus de part que l’amour divin. Gaston, de son côté, la regardait avec une inexprimable tristesse ; il se souvenait de cette sœur aînée ; il était encore un enfant lorsqu’elle était dans la première fleur de sa jeunesse. Pourtant il se rappelait la fraîche beauté, les grâces riantes de ce visage qu’il revoyait maintenant si pâle et si grave sous son voile noir. Une larme roula sous sa paupière ; il pressa de ses lèvres la main froide et blanche de la religieuse en lui disant : — Hélas ! ma sœur, c’est le destin des femmes de notre famille de s’enfermer dans le cloître. Anastasie aussi est venue vous y rejoindre….

La mère Angélique fit un léger mouvement de tête, et répondit simplement : — Elle fera sa probation ; puis la volonté de Dieu décidera ; mais vous, mon frère, vous, monsieur le chevalier, êtes-vous certain de votre vocation pour la vie religieuse ? Avez-vous la ferme résolution de prendre l’habit de saint François ?

— Je ne sais si c’est là ma vocation, répondit tristement le cadet de Colobrières ; je sens seulement dans mon ame un extrême désir de renoncer au monde, de me sceller, pour ainsi dire, d’avance sous la pierre d’un tombeau, afin de fuir les afflictions et les douleurs que l’on trouve sur cette terre…. Hélas ! je veux mourir….

— Pas encore, mon frère ; il faut attendre, dit gravement la mère Angélique ; vous ne commencerez votre noviciat que lorsque vous aurez essayé quelque temps la vie du monde. Une pauvre fille ne peut pas tenter cette espèce de probation ; mais un homme doit lutter d’abord contre la mauvaise fortune, contre lui-même. Quand on a vingt-cinq ans, une figure comme la vôtre, et qu’on s’appelle le chevalier de Colobrières, on ne s’en va pas tout droit au couvent des capucins ; on frappe d’abord à d’autres portes.

— Oh ! mon frère, tout cela, je n’aurais pas osé le dire, mais je le pensais, ajouta Anastasie. Il faut réfléchir encore avant de prendre l’habit.

— Et en attendant, monsieur le chevalier, donnez-vous la peine de vous asseoir, reprit la mère Angélique d’un air presque enjoué. J’ai compté que vous voudriez bien accepter le souper que vous offre notre pauvre couvent.

Une sœur converse achevait d’arranger le couvert, et, sans violer la clôture, Gaston allait réellement souper avec la supérieure du monastère de la Miséricorde. Un large guichet pratiqué dans la grille, et qu’on ouvrait en ces sortes d’occasions, permettait de placer la moitié de la table dans la partie extérieure du parloir ; de cette manière, les recluses n’étaient séparées de leurs hôtes que par le noir grillage qui divisait cette espèce de terrain neutre placé entre le cloître et le monde. Le couvert était dressé avec cette propreté méticuleuse et parfaite qui est le luxe des maisons religieuses, et le cadet de Colobrières fut traité selon les traditions de l’hospitalité monastique. La sœur converse mit devant lui une bouteille de vin vieux, une volaille succulente et plusieurs plats de friandises ; puis elle arrangea symétriquement, à l’autre bout de la table, du pain, de l’eau, une assiette de pommes et une boîte de fruits secs.

— Soupez, chevalier ; nous autres, nous allons faire collation, dit gaiement la mère Angélique en se mettant à table après avoir récité tout haut le Benedicite. Alors un quatrième convive s’approcha familièrement pour prendre sa part du repas ; c’était Lambin, lequel posa son museau pointu au bord de la table, et tourna en soupirant son œil de dragon sur Anastasie, tandis que la jeune fille avançait la main et le flattait à travers les barreaux de la grille.

Il n’y avait ni poêle ni cheminée dans le parloir ; mais le froid extérieur ne pénétrait point à travers les épaisses murailles de cette salle, dont la température était réchauffée d’ailleurs par une espèce de brasero que la sœur converse avait placé sous la table. D’épais rideaux étaient tirés devant les fenêtres, et l’atmosphère était imprégnée d’un léger arôme, semblable à l’odeur d’encens qu’on respire dans les églises. Le premier aspect de cet intérieur monacal était sévère et triste ; mais les yeux s’y accoutumaient bientôt, et le calme, le silence de ces lieux, agissant sur les sens, jetaient l’ame dans un mélancolique bien-être. Gaston éprouva cette influence ; les inquiétudes de son esprit s’apaisèrent, les sentimens les plus vifs de son cœur s’émoussèrent en quelque sorte, et pour la première fois depuis long-temps il se sentit vivre sans effort et sans souffrance. Après souper, il s’appuya pensif contre la grille qui le séparait de ses sœurs, et il leur dit sérieusement : — Que ne sommes-nous encore au temps du bienheureux Robert d’Arbrisselles ! Si, aujourd’hui comme alors, les religieux et les religieuses d’un même institut pouvaient vivre en communauté spirituelle et temporelle, priant dans la même église, habitant la même maison, je n’hésiterais pas, je viendrais m’enfermer avec vous, mes sœurs : l’on est bien ici…

— Oui, quand on n’a d’autre pensée que son salut, répondit la mère Angélique, quand on suit les voies du Seigneur sans jeter jamais un regard en arrière, et que l’on est entièrement détaché des choses de la terre ; mais celui qui n’est pas sans haine comme sans amour pour le monde ne doit pas venir avec nous. Monsieur le chevalier, ne parlons plus de votre vocation ; songeons plutôt aux moyens de tous établir pour quelques mois dans cette Babel que je ne connais pas, mais dont je me figure les périlleux détours, les affreux précipices. D’abord nous allons calculer vos petites ressources.

— Je suis riche, madame, répondit Gaston en souriant et en tirant de sa poche la bourse et l’espèce d’écrin que lui avait remis la baronne. Comme les serrures de l’auberge où je suis descendu m’ont paru fort peu solides, j’ai, par précaution, emporté sur moi toute ma fortune.

— Nous la garderons ici ; c’est plus sûr encore, dit la mère Angélique. Je vais enfermer l’argent et les joyaux dans la caisse de la communauté.

À ces mots, elle se leva, et ouvrit, avec une clé qu’elle tira de sa poche, les doubles serrures d’une armoire pratiquée dans l’épaisseur de la muraille. Anastasie, ayant tourné machinalement la tête de ce côté, éprouva à peu près le même étonnement qu’Agathe de Colobrières lorsqu’elle avait aperçu jadis les écus de six francs et les louis d’or qui s’échappaient à flots de la valise entr’ouverte de Pierre Maragnon. — Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, que de richesses !

— C’est le trésor de notre pauvre couvent, répondit la mère Angélique avec un sourire satisfait ; c’est l’argent que nous amassons pour le partager avec les maisons de l’ordre où l’on ne sait pas travailler comme dans la nôtre. La famille de Notre-Dame de la Miséricorde est nombreuse et nécessiteuse. Celles qui y sont admises prennent l’engagement de travailler toute leur vie pour le prochain. Outre les trois vœux de religion, elles en font un quatrième, celui de recevoir toutes les filles de qualité qui, ne pouvant s’établir dans le monde et n’ayant pas même une dot suffisante pour entrer dans un autre couvent, viennent se réfugier à la Miséricorde. Il s’en présente beaucoup, mon enfant, et il faut faire subsister cet innocent troupeau. La sainte Providence et le travail de nos chères sœurs y pourvoient. Selon l’esprit de la règle, leur vie est mêlée d’action et de contemplation ; elles passent chaque jour une heure dans le chœur, et le reste du temps elles l’emploient à confectionner les parures mondaines dont vous voyez ici le prix ; l’intention sanctifie l’œuvre, et le démon ne se réjouit pas lorsque la vanité du siècle fournit le pain quotidien aux servantes de Dieu.

— Mais, ma chère mère, dit Anastasie, pourquoi ne travaille-t-on pas ainsi dans toutes les maisons de l’ordre ?

— Parce qu’il y a des monastères où l’on mène la vie de contemplation de préférence à la vie d’action, répondit simplement la mère Angélique ; il y a plusieurs voies qui mènent au salut : sainte Marthe et sainte Marie sont allées également au ciel.

Huit heures sonnèrent en ce moment. La supérieure se leva.

— La récréation du soir est finie, dit-elle ; voilà nos sœurs qui vont à l’oraison. Ma fille, donnez le bonsoir à votre frère.

— Hélas ! déjà ! murmura le cadet de Colobrières.

— Bonsoir, mon frère, bonsoir, Lambin, dit Anastasie en étendant ses deux mains frêles à travers la grille. Adieu… et à demain, Gaston ; ma chère mère vous donne la permission de revenir.

— Oui, tous les jours, ajouta la mère Angélique ; que Dieu vous garde, mon cher enfant !

La présence du cadet de Colobrières avait un moment consolé Anastasie ; mais dès qu’il se fut éloigné, dès qu’elle se retrouva dans ce long corridor sombre peuplé de figures de saintes qui semblaient se dresser sur son passage, en lui montrant les attributs de leur martyre, elle retomba dans une horrible tristesse.

L’oraison du soir ne durait guère qu’un quart d’heure. Dès qu’elle fut dite, les religieuses se retirèrent en silence dans leurs cellules. Anastasie monta au quartier des novices, et entra avec elles dans leur dortoir. Une sœur converse ouvrit la porte de la dernière cellule, alluma la lampe de fer accrochée au mur, salua Mlle de Colobrières d’un Ave Maria, et la laissa seule dans ce réduit.

Les cellules étaient arrangées avec la même simplicité que le reste de la maison : un prie-Dieu, une table, une chaise, un lit sans rideaux et quelques images placardées contre la muraille composaient tout le mobilier, lequel rappelait jusqu’à un certain point la chambrette qu’Anastasie occupait chez son père, et où avait dormi une nui ! Mlle Maragnon. La triste jeune fille leva machinalement les yeux pour chercher le chardon de sinople, les chérubins aux ailes éployées qui jadis lui souriaient à son réveil, et, en apercevant les solives noires qui barraient le plafond et les images qui grimaçaient contre la muraille, elle se prit à pleurer amèrement, et à se rappeler, avec des transports de douleur, le toit lézardé du château paternel. Il lui semblait qu’une distance que sa pensée ne pouvait mesurer séparait Colobrières des lieux où on l’avait amenée, et qu’elle vivait dans un autre hémisphère, sur une terre que n’éclairaient pas les mêmes astres. Par un naïf mouvement, elle courut à la fenêtre, et regarda le ciel. Le vent avait dissipé les nuages, l’atmosphère était pure, les étoiles scintillaient comme de sombres diamans, et, brillante entre toutes, la constellation d’Orion jetait ses feux tremblans dans le noir azur des espaces infinis. Anastasie reconnut avec une sorte de transport le signe radieux vers lequel elle avait si souvent élevé ses regards lorsqu’elle se promenait le soir sur la plate-forme du château. Il lui sembla qu’un rayon de ces tranquilles clartés descendait sur elle, et répandait dans son ame affligée une consolante sérénité. Elle referma doucement sa fenêtre, et fit lentement le tour de sa cellule, comme pour se familiariser avec tous les objets qu’elle renfermait. Sa lampe à la main, elle visita le prie-Dieu : il était vide ; seulement on avait posé sur la tablette un sablier et le formulaire de prières à l’usage de la communauté. La table était nue comme l’intérieur du prie-Dieu, et l’étroite couchette recouverte d’un drap blanc rappelait le lit funèbre où reposait l’image du saint fondateur de la maison. En poursuivant ses investigations, Mlle de Colobrières éleva sa lampe à la hauteur des images collées contre la muraille, et elle aperçut alors sur les lambris blanchis à la chaux des caractères tracés avec une pointe. Il était malaisé de déchiffrer le sens de ces lettres inégales et à demi effacées ; pourtant Anastasie lut un nom, le nom profane d’Hector, et, un peu plus loin . ces paroles du livre de Job : « Les forces de mon ame sont épuisées ; mes jours sont écoulés, et il ne me reste plus qu’à descendre dans le tombeau. On me voulait faire espérer que la nuit où je suis se changerait en divines clartés, et que je verrais la lumière après les ténèbres ; mais, si j’ai quelque chose à attendre, c’est de descendre bientôt dans le sein de la mort et de me reposer dans les ténèbres éternelles. »

Anastasie mit la lampe sur le prie-Dieu et s’assit au pied du lit, les yeux fixés sur ces lignes qu’une novice, la dernière peut-être qui avait occupé la cellule, avait laissées sur ces froids lambris. Rien ne complétait le sens de cette inscription ; il n’était resté aucune autre trace de celle dont la main écrivit ces lamentables paroles. Elle avait passé là comme une voyageuse qui s’en va pour faire place à une autre, sans laisser seulement son nom dans le logis banal. Mlle de Colobrières songea long-temps à cette inconnue, qui lui avait légué comme un souvenir ces pensées de mort ; puis, accablée de fatigue, engourdie par le froid, elle s’étendit en frissonnant sur son lit et s’endormit d’un lourd sommeil.

Le jour ne paraissait pas encore lorsqu’un faible bruit réveilla Anastasie ; c’était la supérieure qui entrait doucement dans la cellule. D’une main elle tenait sa lampe, de l’autre elle portait la robe et le scapulaire de l’ordre. La blanche clarté de la lampe rayonnait sur son visage, dont la douce gravité était mêlée d’une ombre de tristesse. Elle était si belle ainsi, que la jeune fille, réveillée en sursaut, crut voir une sainte apparition, la figure d’une bienheureuse s’approcher de son lit.

— Ma chère fille, dit la religieuse en lui montrant la robe gris-maur, voici votre nouveau vêtement. Je ne juge pas à propos que vous preniez solennellement le voile. Cette cérémonie est un premier engagement pour lequel vous n’êtes pas prête encore. En échangeant simplement votre habillement séculier contre la robe de l’ordre, vous n’êtes que postulante, et vous demeurez dans la condition des personnes du siècle que nous admettons à faire chez nous une retraite spirituelle.

— Hélas ! ma mère, répondit Anastasie avec un soupir, est-ce que je puis jamais retourner au monde !

— Après une année d’épreuves, nous verrons, mon enfant, répondit la mère Angélique ; jusque-là, vous ne prendrez point de nom de religion ; vous serez toujours mademoiselle de Colobrières.

— Ma mère, vous le savez, aucune fille de notre maison n’a gardé ce nom jusqu’à sa mort, observa Anastasie d’un ton mélancolique.

— Non pas même notre tante Agathe, fit la supérieure avec un soupir ; celle-là, l’on a vu comme elle avait la vocation ! Que serait devenue cette pauvre ame, si la Providence n’eût veillé à son salut ?

— Oh ! ma chère mère, s’écria Anastasie avec un singulier étonnement ; vous approuvez donc le mariage de notre tante avec Pierre Maragnon ?

— Oui, ma fille, je l’approuve, répondit la mère Angélique ; il vaut mieux mille fois qu’elle soit restée dans le monde en devenant la femme d’un roturier, que d’être entrée dans le cloître pour faire une mauvaise religieuse.

— Est-ce qu’il peut y avoir de mauvaises religieuses ? murmura Anastasie en levant involontairement les yeux vers les lugubres versets tracés sur la muraille.

— Oui, ma fille, il y en a, répondit la supérieure ; j’ai eu la douleur de voir, même dans cette maison, des religieuses qui détestaient intérieurement leurs vœux, et encouraient, par ces révoltes secrètes, la damnation éternelle. Aussi n’est-ce qu’après une longue épreuve que j’admets les novices à faire profession. Après la vêture, je surveille plus attentivement encore leur vocation, et, si je m’aperçois de la moindre tiédeur, j’ajourne leurs derniers vœux. Le Seigneur a béni mon intention ; il n’y a plus maintenant, parmi nous, de ces ames désespérées, et toutes nos sœurs avancent sans efforts dans la voie du salut.

— Quelquefois, ma chère mère, l’on a vu des novices ne pas persévérer dans leur vocation religieuse, dit Anastasie avec hésitation ; l’on en a vu qui ne trouvaient pas ici les consolations et le repos qu’elles attendaient.

— Il est vrai, ma fille ; celles-là, je leur montre la porte de clôture encore ouverte ; il faut qu’elles retournent au monde qu’elles regrettent. Hélas ! quand elles ne peuvent pas…

— Quand elles ne peuvent pas ? répéta Anastasie.

— Elles meurent, répondit tristement la mère Angélique.

— Et la novice qui avant moi demeurait dans cette cellule, elle est morte, ma mère ? reprit Mlle de Colobrières.

— Qui vous a dit cela, mon enfant ? demanda la supérieure étonnée ; qui vous a parlé de cette pauvre fille ?

Anastasie montra du doigt la muraille et fit signe à la mère Angélique de lire ce qui était écrit à côté de l’image de Notre-Dame-des-Douleurs. La supérieure déchiffra lentement ces caractères mal formés ; à mesure qu’elle en comprenait le sens, ses yeux s’obscurcissaient de larmes. Quand elle eut fini de lire, elle revint près d’Anastasie et lui dit simplement : — Elle s’appelait dans le monde Mlle de Lansac ; elle était orpheline et sans fortune. Un jeune homme riche et de grande naissance l’aima et voulut l’épouser ; mais il avait un père qui menaça de le déshériter s’il persistait dans ce projet de mariage, lequel devint ainsi réellement impossible, car Mlle de Lansac était elle-même de trop bonne maison pour passer par-dessus l’affront d’un tel refus. Comme toutes les filles de qualité qui n’ont point de dot pour entrer au couvent, elle vint ici. Malheureusement cette maison où elle fut accueillie dans sa détresse ne put pas être pour elle un refuge contre les peines intérieures qu’elle y avait apportées. Elle languit deux ans dans des alternatives de ferveur et de dégoût, de désespoir et de tranquillité, puis elle mourut.

Ce simple récit émut profondément Anastasie. Il y avait dans la destinée de Mlle de Lansac et sa propre situation une douloureuse similitude ; elle se releva baignée de larmes et répéta au fond de son cœur les paroles de Job : « Le tombeau sera ma demeure, et je reposerai dans les ténèbres éternelles… »

En ce moment, l’horloge du parloir sonna cinq heures, et presque en même temps la cloche se fit entendre.

— C’est le premier coup de la messe, dit la mère Angélique ; habillez-vous, ma fille ; il faut descendre au chœur.

Alors Mlle de Colobrières revêtit la robe de bure grise et le long scapulaire blanc ; elle tordit les longues tresses de sa chevelure et les enferma sous un béguin, puis elle mit la guimpe et le voile. Ce costume austère donnait à son visage une ineffable beauté : l’on eût dit sainte Thérèse dans la mélancolique ferveur de sa première vocation, lorsque, retenue encore par le monde, mais aspirant déjà au ciel, elle priait prosternée dans son oratoire, en fermant son oreille aux nocturnes sérénades des jeunes cavaliers d’Avila. La mère Angélique attacha elle-même le crucifix sur la poitrine de la jeune novice, ensuite elle lui dit : — Ma chère fille, vous allez recommencer aujourd’hui tout ce que vous avez fait hier ; ici toutes les journées se ressemblent exactement, et vous pourrez connaître d’avance l’emploi de votre vie jusqu’à sa dernière heure.

Le cadet de Colobrières allait chaque soir passer une heure au parloir du couvent de la Miséricorde ; le reste du temps, il vivait fort désœuvré, ne sachant comment employer ses longues journées. D’abord il avait essayé de se distraire et même de se divertir un peu ; mais il ne savait vraiment en quoi consistaient les plaisirs de la grande ville, et il se bornait à se promener dans les rues en examinant la devanture de toutes les boutiques, comme un pauvre provincial qu’il était. Tout concourait à augmenter son ennui : l’on était encore en plein hiver ; le ciel couvert de nuages immobiles distillait une pluie continuelle dans l’atmosphère enveloppée de brouillards. Gaston faisait de tristes promenades sur les pavés glissans, à travers la foule effarée qui le coudoyait, et au milieu de laquelle il aurait en vain cherché un visage ami. Lambin aussi était triste quand il suivait son maître à travers ce labyrinthe de rues, et plus d’une fois les passans mal avisés, qui lui marchaient sur la patte, éprouvèrent les effets de sa mauvaise humeur silencieuse.

Bientôt le cadet de Colobrières se lassa de ces courses sans but ; il ne sortit plus de la journée, et attendit dans sa chambre l’heure de se rendre au couvent. Dès le lendemain de son arrivée à Paris, il avait, sur la recommandation de la mère Angélique, transporté son domicile chez une femme dévote qui tenait une espèce d’hôtel garni dans la rue de la Parcheminerie. Quelques étudians en droit et en médecine, jeunes gens de bonne vie et mœurs, remplis de science et fort légers d’argent, étaient les commensaux de cette maison ; mais Gaston était trop timide et trop sauvage pour se lier avec eux, et toutes les relations se bornaient à un salut lorsqu’on se rencontrait dans l’escalier.

Le logement du jeune gentilhomme consistait en une chambre unique située au quatrième étage, et dont l’ameublement était pour le moins aussi délabré que celui de la chambre qu’il occupait dans le château paternel. C’était pourtant un autre genre de vétusté : à Colobrières les débris de l’ancien mobilier offraient encore quelques traces des splendeurs passées ; l’on voyait que c’était le temps qui d’un ongle impitoyable avait gratté les lambris dorés et mis en lambeaux les riches tentures ; dans la maison de la rue de la Parcheminerie, il n’y avait au contraire que de vieux meubles neufs, et c’étaient évidemment les mains peu soigneuses de trois ou quatre générations d’étudians qui les avaient diaprés de taches et rayés d’innombrables déchirures. Le lit en bois peint était garni de rideaux trop courts d’une demi-aune, et zébrés dans toute leur longueur d’une multitude de reprises. Un fauteuil boiteux, et à travers l’étoffe trouée duquel ressortaient des poignées de bourre, était placé en face d’une table recouverte d’un cuir jadis noir, mais qui avait pris à la longue une nuance fauve, tigrée de larges taches d’encre ; deux chaises de paille sur lesquelles il fallait s’asseoir avec précaution accompagnaient le fauteuil. Au-dessus de la cheminée, il y avait un miroir d’assez belle grandeur, mais d’un ton si verdâtre, que ceux qui s’y regardaient reculaient d’abord à l’aspect de leur propre figure, laquelle leur apparaissait livide comme celle du Lazare au jour de sa résurrection. Le chambranle était orné, par compensation, d’une pendule de cuivre doré ; mais, comme elle s’était malheureusement dérangée, on avait enlevé le mouvement et il ne restait plus que le cartouche. À la vérité, la maîtresse du logis avait averti Gaston de cet accident, l’assurant qu’il serait réparé dans le plus bref délai possible ; mais, comme depuis quinze ans elle disait la même chose à chaque nouveau commensal, il n’y avait pas d’apparence que le cadet de Colobrières entendit jamais sonner l’heure dans sa chambre. Une commode, dont les tiroirs ne fermaient plus depuis un temps immémorial, et une natte qui servait de lit à Lambin, complétaient le mobilier.

Les papiers peints qui décorent maintenant les plus humbles mansardes étaient encore, à cette époque, une espèce de luxe, et les murs de cet appartement de garçon avaient été primitivement badigeonnés d’une couleur d’ocre jaune de l’effet le plus hardi, mais dont le ton un peu vif avait graduellement tourné au nankin pâle. Les étudians qui s’étaient succédé dans la chambre avaient embelli ce fond uni d’une foule d’arabesques tracées au charbon, de sentences et de devises de leur composition, et de rimes françaises ou latines, fruits de leurs poétiques loisirs. Pendant les journées pluvieuses, le pauvre Gaston, enfermé dans sa chambre, lisait en manière de passe-temps ces fleurs de rhétorique toutes fraîches écloses de l’imagination des écoliers ses prédécesseurs. C’étaient pour la plupart d’amoureuses inspirations, des madrigaux à d’adorables inconnues, ou bien des élégies à une infidèle. À travers toutes ces niaiseries, il y avait parfois des mots sentis, des élans de passion, des choses douloureuses et vraies qui avaient un écho dans le cœur de Gaston, ce cœur malade que l’absence ne pouvait guérir.

Il n’est pas impossible de vivre dans la solitude quand on est environné des grands spectacles de la nature, quand on a devant soi les vastes horizons du ciel et de la mer. Les voix humaines se taisent alors, mais nous entendons d’autres voix qui parlent à notre ame. Ces bruits qui s’élèvent autour de nous peuplent les lieux les plus déserts ; nous ne sommes point seuls sur le rivage que le flot baigne avec un mélancolique murmure, ni sur la cime des montagnes continuellement frappées des âpres caresses du vent, ni dans la forêt sombre où chantent les oiseaux, ni sur la plage aride dont le silence n’est troublé que par les vagues harmonies qui résonnent dans l’air. Mais la solitude au milieu de la foule contriste et épouvante notre cœur ; nous errons éperdus à travers ce désert effrayant où bourdonnent des voix inconnues, où des murs vivans arrêtent de tous côtés nos regards. Le cadet de Colobrières sentit bientôt ce douloureux isolement. Dès qu’il eut satisfait au premier mouvement de curiosité qui l’avait porté à regarder autour de lui pour reconnaître en quel lieu il allait vivre, il détourna la vue et retomba plus profondément encore dans le morne ennui où il périssait. Ses jours s’écoulaient dans des alternatives de résolution violente ou de complet abattement : tantôt il aspirait à l’activité, aux périls d’une profession où il pourrait exposer chaque jour sa vie, et il aurait voulu se faire soldat ; tantôt il tournait ses regards vers le cloître, et se demandait s’il ne vaudrait pas mieux s’y enfermer tout de suite pour achever bientôt d’y mourir. Il n’y avait qu’une heure dans la journée dont il ne sentit pas douloureusement s’écouler chaque minute : c’était celle qu’il passait le soir au couvent de la Miséricorde, près de ses sœurs. L’une était heureuse dans son austère condition ; l’autre semblait résignée. Il y avait d’ailleurs dans l’ame de la mère Angélique une force mêlée de douceur et de sérénité qui se communiquait à ceux qui l’approchaient. Son influence rendait à Gaston le calme et le courage ; en sa présence, il ne se sentait plus si malheureux, et malgré sa pénétration elle put croire que, comme la plupart des jeunes gens, il se laissait aller au courant de la vie, sans prévision du but auquel il arriverait. Pourtant elle ne le laissait jamais seul au parloir avec Anastasie ; elle redoutait peut-être pour tous deux des épanchemens de mutuelles confidences dans lesquelles leurs cœurs se seraient exaltés. Sans connaître précisément la situation de leur ame, elle soupçonnait que des souvenirs chers et douloureux les préoccupaient, et elle voulait leur ôter la dangereuse consolation de s’y abandonner ensemble. C’était tout ce qu’elle pouvait prévoir d’ailleurs.

Souvent Anastasie parlait de sa mère, et se rappelait ceux qu’elle avait laissés dans le monde ; mais elle ne prononça pas une seule fois le nom d’Éléonore, et Gaston imita cette réserve : il ne fut jamais question des Maragnon en présence de la mère Angélique. Quelquefois la jeune novice entretenait son frère de la vie tout à la fois active et calme qu’on menait dans le couvent.

— C’est surprenant, lui disait-elle, nous accomplissons chaque jour la même tâche, nous prenons les mêmes récréations, nous récitons les mêmes prières, enfin nous recommençons toujours les mêmes choses, et pourtant le temps passe vite dans cette monotonie. Ici vivre long-temps ou mourir bientôt paraît une affaire indifférente.

Une fois cependant, la supérieure ayant un moment quitté le parloir, Gaston se rapprocha de la grille auprès de laquelle Mlle de Colobrières était assise, et, appuyant son visage contre les barreaux, il lui dit à voix basse :

— Ma chère Anastasie, hélas ! est-il bien vrai que celles qui habitent cette sainte maison ne se souviennent plus du monde, qu’elles n’y éprouvent ni chagrins ni regrets ?

— J’y serais morte déjà, si la piété, l’affection, l’angélique vertu de ma chère mère ne m’eût soutenue ! répondit sourdement la jeune fille.

— Juste ciel ! ma pauvre sœur, que dites-vous ? s’écria Gaston.

— Pourtant, je ne veux pas retourner au monde, reprit Mlle de Colobrières avec exaltation ; quand je me trouve trop malheureuse ici, je songe à ce qui s’est passé là-bas… mon frère, ils sont mariés maintenant !

— Oui, il faut rester ! murmura Gaston d’une voix étouffée, il faut rester ici, car ils retourneront à Belveser !

La mère Angélique revint en ce moment, et reprit l’entretien sans paraître s’apercevoir que des larmes roulaient sous les paupières baissées d’Anastasie, et que le cadet de Colobrières était fort pâle.

Pâques approchait, et, pendant la semaine sainte, personne n’était admis au parloir de la supérieure ; la communauté des filles de la Miséricorde entrait alors en retraite, et embrassait la vie de contemplation ; la salle de travail était fermée, et des exercices de piété remplissaient toutes les heures de la journée. Cette séparation momentanée acheva d’accabler Gaston ; il tomba malade d’ennui et de chagrin. Personne autour de lui ne pouvait s’apercevoir de ses souffrances, et il les supporta avec l’apathique résignation des âmes véritablement désespérées. Chaque matin, la servante qui faisait sa chambre le trouvait levé et assis devant sa fenêtre, les yeux machinalement tournés vers la maison voisine, qui dominait celle où il demeurait de la hauteur de ses six étages, et lui interceptait tout à la fois l’air et le soleil. La maritorne en jupon de siamoise se hâtait d’arranger le lit, de rapprocher les tisons qui brûlaient bout à bout sur une poignée de cendres ; puis elle jetait un regard oblique sur le pauvre jeune homme, dont elle observait avec un secret dédain les sobres habitudes, et lui criait d’une voix enrouée : — Monsieur prendra-t-il sa tasse de lait ce matin, et faut-il aussi monter pour lui une flûte de six blancs ?

— Oui, je vous serai bien obligé, répondait Gaston sans tourner la tête.

Un moment après, l’affreuse chambrière revenait avec le déjeuner, et, avant de le poser sur la table, elle allongeait sa main rapace pour prendre les gros sous que le cadet de Colobrières avait déposés d’avance sur la cheminée. Ensuite elle jetait un regard de travers à Lambin, qui se hérissait à son aspect, saluait Gaston de la formule banale : N’y a-t-il plus rien pour votre service ? Et, sans attendre sa réponse, s’en allait en grommelant : — Qui sait lequel des deux mange ce gros déjeuner ? Sur ma foi, je crois que c’est le chien.

Et elle ne se trompait pas. La maîtresse du logis, qui était une femme dévote, stricte à remplir ses devoirs et d’une exacte politesse, monta un matin pour s’informer de la santé de son locataire. Comme il assura qu’il se portait bien, elle ne demanda pas mieux que de le croire, et s’en alla de ce pas à l’église dire ses patenôtres.

La semaine sainte s’écoula ainsi. Le beau jour de Pâques, Gaston se leva un peu ranimé par la pensée que le soir il irait au couvent de la Miséricorde, et qu’il trouverait Anastasie et la mère Angélique au parloir. Il était douteux pourtant que les forces ne lui manquassent pas pour arriver jusque-la ; la fièvre avait pâli ses joues, et il se soutenait à peine sur ses jambes affaiblies. Lorsque la servante eut achevé de ranger sa chambre, il traîna son fauteuil devant la fenêtre ouverte, et s’accouda sur le balcon, les yeux levés vers la ligne d’azur que lui laissaient entrevoir les hautes maisons de la rue de la Parcheminerie. Une tiède bouffée de vent passa sur son visage et fit frissonner une chétive pluie qui croissait au balcon d’une fenêtre voisine. Il comprit que le joyeux printemps était de retour, et que le soleil, dont il ne pouvait apercevoir le disque radieux, brillait sur les toits noirs de la moderne Babylone. Alors son imagination le ramena vers le doux pays où toute l’année fleurissent les roses ; il se rappela les haies vertes à l’abri desquelles s’épanouissaient déjà les délicates anémones, les pâles marguerites ; il se rappela les bosquets sauvages de l’Enclos du Chevrier. Il suivait par la pensée, à travers ces frais paysages, une blonde jeune fille, qui tantôt franchissait d’un pas agile les roches abruptes, tantôt s’asseyait pensive au bord du sentier, sur le tronc renversé d’un saule, ou bien remontait vers la Roche du Capucin, et penchait son blanc visage sur les eaux indolentes de la source.

Un léger coup frappé à la porte troubla cette longue rêverie. Lambin releva la tête et dressa ses oreilles d’un air effaré, et le cadet de Colobrières dit sans se retourner : — Qui est-ce ? qui va là ?

— C’est moi, répondit la Rousse en entrant, son chapeau de feutre noir sur la tête, un petit paquet à la main, et ses gros souliers de cuir crottés jusqu’au courde-pied.

— Comment ! c’est toi ? fit Gaston stupéfait.

La pauvre fille était pâle d’émotion et de joie ; elle laissa tomber son petit paquet, et prit une chaise en disant :

— Je vais m’asseoir, sauf votre respect, monsieur le chevalier ; les jambes me manquent. Ah ! c’est que j’ai marché… j’ai marché…

— Et que viens-tu faire ici, mon enfant ? interrompit Gaston inquiet et touché de la voir arriver ainsi.

— Je viens vous donner des nouvelles de M. le baron et de Mme la baronne, répondit-elle ; tout le monde au château se porte bien, grâce au ciel, sauf les oiseaux de Mlle Anastasie, qui sont un peu languissans depuis son départ. Je voulais lui en apporter un ou deux dans une cage, ça lui aurait fait plaisir peut-être de les revoir ; mais Tonin ne m’a pas conseillé de m’en charger.

— Je le crois bien ! dit Gaston. Et tu as fait la route à pied ?

— Oui, en me promenant, répondit la Rousse ; je suis partie il y a trois semaines, le beau jour de Saint-Joseph.

— Et c’est avec la permission de ma mère que tu as entrepris ce voyage ? demanda encore le cadet de Colobrières.

— Je n’ai rien dit à Mme la baronne ; elle m’aurait peut-être empêchée de venir, répondit-elle avec quelque embarras. Je n’ai fait part de mon idée à personne, excepté à Tonin, qui a bien essayé de m’en détourner ; mais il n’a pas pu, le pauvre homme !

— Mais, reprit Gaston, tu devais savoir que mon père et ma bonne mère m’ont écrit pour me donner de leurs nouvelles. Moi aussi j’ai envoyé deux lettres, et tu n’avais pas grand motif d’entreprendre un si long voyage… deux cent quarante lieues à pied…

— J’en aurais fait mille pour vous revoir, monsieur le chevalier ! répondit impétueusement la Rousse.

À ce mot, le cadet de Colobrières commença à entrevoir la vérité. L’honnête garçon rougit légèrement, et détourna la vue avec la sauvage frayeur du bel Hippolyte en butte aux amoureuses fureurs de sa marâtre.

— Je m’attendais bien à ce que vous me fissiez quelques reproches, continua la Rousse d’un ton plus calme et avec une certaine tristesse. Vous êtes un peu fâché contre moi, parce que je suis venue vous trouver sans votre permission ; mais, voyez-vous, je ne pouvais plus vivre là-bas, sachant de quelle manière vous étiez ici. M. le baron nous a lu tout haut la lettre où vous parlez des rues de Paris et du mauvais temps, et de votre chambre où vous êtes seul avec Lambin. Nous pleurions, parce que nous comprenions qu’il y avait là-dessous bien du chagrin et de l’ennui. Cela ne me sortait plus de la tête, et, le même soir, je dis à Tonin : Il faut que j’aille trouver notre jeune maître ; j’aurai soin de lui et il ne sera plus seul, je lui tiendrai compagnie. Quant au voyage, ça ne m’inquiète guère ; ce n’est pas comme s’il fallait passer la mer : on va par terre d’ici à Paris. Je n’ai pas besoin de carrosse ni de cheval ; mes jambes m’y porteront. Alors j’ai fait mes petits arrangemens : il y a eu sept ans la dernière veille de Noël que je suis au service de Mme la baronne ; j’ai trois écus de gages sur lesquels je ne dépense pas grand’chose. À la fin de l’année, il me restait toujours une dizaine de livres que je prêtais à mon parrain meste Tiste ; le brave homme m’a rendu la moitié de cet argent ; j’ai fait de mes meilleures hardes le paquet que voilà, et je me suis mise en route. Tonin m’avait avertie que Paris est une ville si grande, si grande, qu’autant vaudrait chercher une aiguille à coudre dans une meule de foin que d’aller demander quelqu’un de porte en porte ; mais M. le baron sait bien l’adresse qu’il a mise sur sa lettre : je l’ai prié de me la dire, et j’ai retenu le nom de la rue, le numéro de la maison. En demandant mon chemin, je suis venue ici tout droit. Oh ! monsieur le chevalier, ne soyez plus fâché… Voyez ce pauvre Lambin, comme il est aise de me revoir ! il grogne de joie depuis que je suis entrée… Allez ! j’ai bien fait de venir !… Considérez comme vous êtes mal servi ! votre lit est fait à coups de poing, et il y a de la poussière partout… et puis, je vous trouve un peu paie et amaigri. — Tiens ! moi aussi je suis pâle, ajouta-t-elle en apercevant son visage dans la glace. Jésus ! est-ce que c’est l’ai de Paris qui nous rend comme ça ?

— Eh ! non, mon enfant, répondit en souriant le cadet de Colobrières. J’ai eu ces jours derniers un peu de malaise, c’est ce qui m’a pâli ; et toi, c’est cette glace verte qui te donne un teint si blême.

— Vous avez été malade ? s’écria la Rousse en considérant avec inquiétude les traits altérés de Gaston.

— Je suis mieux, je suis bien, répondit-il ; ma pauvre Madeleine, ne parlons pas de cela. — Puis il ajouta avec quelque embarras : C’est de toi maintenant qu’il faut avoir souci. Comment allons-nous faire ?… Tu ne seras pas si bien ici qu’au château de Colobrières, et tu regretteras bientôt de l’avoir quitté.

— Moi ! s’écria-t-elle, jamais ! dans ces derniers temps, j’y étais trop malheureuse ; pourtant M. le baron et Mme la baronne avaient bien des bontés pour moi. Depuis le départ de Mlle Anastasie, j’accompagnais toujours Mme la baronne ; l’après-midi, elle me gardait auprès d’elle sur la plate-forme, tandis que M. le baron faisait sa partie de boules avec Tonin ; souvent, le soir, je venais filer à côté de la table, et, le dimanche, je regardais jouer aux cartes ; mais tout cela augmentait mon ennui. Je rôdais aux environs du château en regardant de tous côtés comme pour vous chercher, et, quand je venais à penser que vous étiez parti pour toujours, je me prenais à fondre en larmes. Chaque fois que je passais devant votre chambre, j’avais comme un frisson : la vue de tous les endroits où je vous rencontrais d’habitude me faisait le même effet ; je ne pouvais plus m’y souffrir, je me désespérais nuit et jour. Vous dites que je ne me trouverai pas si bien ici ! Ah ! monsieur le chevalier, vous ne savez pas comme j’ai pleuré là-bas !

— Je comprends, murmura le cadet de Colobrières avec un soupir. Il venait de comprendre en effet cette passion que la Rousse lui analysait à sa manière, et qu’elle ne s’avouait peut-être pas entièrement à elle-même. Cette espèce de découverte le contrista. Quoique Madeleine fût une assez belle fille, malgré ses cheveux roux et son teint blafard, il n’était nullement charmé d’avoir fait sa conquête, et elle ne lui inspirait qu’une certaine compassion mêlée de scrupules inquiets. Il se prit à réfléchir sur ce qu’il allait faire de la Rousse ; la situation était embarrassante ; dans sa position, il n’avait que faire d’une servante, et il n’était guère facile de lui trouver et de lui proposer une autre condition. Il y avait urgence cependant, il fallait s’assurer d’un asile convenable, et la décider à s’y laisser conduire sur-le-champ ; Gaston songea naturellement au couvent de la Miséricorde.

— Le contentement m’a déjà ôté la fatigue, dit la jeune fille en se levant ; voyons, monsieur le chevalier, qu’avez-vous à me commander ?

— Rien du tout, répondit Gaston, je n’ai rien à te faire faire ; prends cette tasse de lait, ce petit pain, et déjeune.

— Je n’ai pas faim ; la joie m’a coupé l’appétit, dit-elle en soupirant et en tournant vers le cadet de Colobrières sa prunelle verdâtre animée d’une ardeur languissante.

— Écoute, la Rousse, reprit-il alors avec une douceur mêlée d’autorité, tu ne peux rester ici : je n’ai ni le moyen ni la volonté de te garder avec moi ; mais je sais un endroit où tu vivras commodément…

— Vous me renvoyez !… s’écria douloureusement la pauvre fille.

— Un endroit où je vais tous les jours, continua Gaston.

— Et où je pourrai vous voir ? interrompit-elle encore.

— Un endroit où tu retrouveras ma sœur Anastasie, reprit-il en éludant la question. Elle sera contente de te revoir.

— Sainte Vierge ! vous voulez que j’aille au couvent ! fit la Rousse consternée, mais un peu consolée cependant par la pensée que Gaston ne l’obligeait pas à s’en aller tout-à-fait.

— Certainement ; il faut que je t’y conduise dès ce soir, répondit le cadet de Colobrières. En attendant, nous allons entendre la messe là, tout proche, à l’église de Saint-Séverin ; puis tu iras, si cela t’amuse, te promener un peu avec Lambin pour voir la ville.

Comme elle paraissait intérieurement désespérée, et qu’il était évident que le respect seul l’empêchait d’éclater en sanglots et de se révolter, Gaston entreprit de la convaincre ; il lui parla long-temps, tantôt avec autorité, tantôt avec douceur, et enfin parvint à la décider. Elle plia, et se résigna à entrer comme sœur converse au couvent de la Miséricorde.

Le soir, Gaston arriva au parloir avec la Rousse. Ni lui ni sa sœur ne s’étaient doutés de l’espèce de délation dont elle s’était rendue coupable, et qui avait eu une si grande influence sur les déterminations de leur père. Anastasie l’accueillit avec joie, et fut fort touchée de la marque de dévouement qu’elle venait de donner à Gaston. La mère Angélique consentit sans difficulté à la recevoir dans le couvent, et, avant de la remettre aux mains de la sœur converse qui devait l’introduire dans la maison, on la garda un moment au parloir. Anastasie l’interrogea minutieusement sur ce qui s’était passé au château et dans tout le pays depuis son départ, elle demanda des nouvelles de tous les villageois qu’elle voyait le dimanche à la messe, et s’informa tel évènemens survenus dans toutes les familles ; mais ce ne fut qu’au dernier instant, lorsque la Rousse allait quitter le parloir, quelle lui dit avec une émotion contenue, presque en tremblant : — Et ma cousine, Mlle Éléonore Marognon, peux-tu me donner aussi de ses nouvelles ?

— Elle est à Belveser, répondit laconiquement la Rousse.

— Ah ! murmura Anastasie d’une voix plus faible ; elle y est revenue après le mariage…

— Quel mariage ? fit la Rousse étonnée.

— Le sien, répondit Mlle de Colobrières.

— Elle n’est pas mariée, dit la jeune servante.

— Elle n’est pas mariée !… répéta Gaston en regardant sa sœur. Tous deux avaient pâli à ce mot ; mais aucune autre marque d’émotion ne trahit la surprise et la joie dont cette nouvelle inattendue pénétrait leur ame. Anastasie garda le silence, et Gaston dit seulement avec une apparence de sang-froid : — Voyons, tâche de nous apprendre ce qui s’est passé là-bas, et pourquoi le mariage de ma cousine a été différé…

— Elle devait donc se marier ? dit la Rousse d’un ton bref ; on l’ignorait dans le pays. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est encore fille ; je n’en sais pas davantage.

— Vous pouvez vous retirer, mon enfant, dit la mère Angélique en lui montrant la porte où l’attendait une sœur converse.

Dès ce jour, le cadet de Colobrières et sa sœur souffrirent un autre supplice. Une douloureuse impression succéda promptement à la joie que les paroles de la Rousse avaient laissée dans ces âmes souffrantes ; elles tombèrent dans des anxiétés cruelles, car elles étaient réduites à trembler et à frémir dans l’attente d’un événement qu’elles avaient cru accompli. Gaston rentra dans sa mansarde, plus triste, plus rongé de soucis, plus malheureux que jamais, et Mlle de Colobrières demeura en proie aux amères inquiétudes, aux tourmens d’une imagination exaltée par des souvenirs qu’attisaient le calme extérieur, l’immobilité de la vie claustrale.

La règle, cette puissance occulte et inflexible, eut bientôt plié le naturel violent et passionné de la Rousse ; les sœurs converses étaient étroitement soumises, quoiqu’elles ne fissent que des vœux simples ; les anciennes surveillaient les novices dans leurs humbles fonctions, et les dirigeaient avec cet admirable esprit qui est le lien et la force des congrégations religieuses. Les habitudes austères de la vie monastique n’établissant aucun rapport entre les sœurs converses et le reste de la communauté, la Rousse ne rencontrait guère Mlle de Colobrières que dans le chœur, pendant la messe conventuelle que les converses entendaient tous les jours ; quant au cadet de Colobrières, elle ne l’avait pas entrevu une seule fois, ni dans le couvent, ni dans la rue, où elle n’allait que rarement et toujours en compagnie d’une sœur dont la vigilance était bien connue.

Quelques semaines se passèrent ainsi. Un soir, la supérieure, au lieu de se retirer, comme de coutume, dans sa cellule après l’oraison, passa au quartier des novices et vint retrouver Anastasie. La jeune fille avait déjà quitté son voile, et ses beaux cheveux dénoués flottaient sur sa robe de bure comme un riche manteau de soie.

— Vous voilà comme sainte Madeleine, dit la mère Angélique en passant la main sur cette chevelure onduleuse et noire comme la nuit ; il n’y a pas de parure mondaine aussi belle que ce voile donné par le bon Dieu.

— Bientôt, ma mère, je dois m’en dépouiller, répondit Anastasie avec un mélancolique sourire ; en un moment, il sera tombé sous les ciseaux…

La mère Angélique hocha la tête en soupirant, et reprit d’un ton plus grave : — Ma fille, j’ai reçu aujourd’hui une lettre qui vous est adressée. Selon mon devoir, je l’ai décachetée et je l’ai lue d’abord…. Elle est de votre cousine, Mlle Maragnon, et je peux vous la remettre ; la voici….

— Oh ! ma chère mère, c’est Éléonore qui m’écrit ! murmura Mlle de Colobrières toute tremblante et en hésitant à prendre la lettre ; sans doute, elle m’annonce une nouvelle…. Hélas ! qu’ai-je besoin d’apprendre ce qui se passe dans le monde ?…

— Voulez-vous que je lise moi-même, mon enfant ? dit doucement la supérieure.

Elle ouvrit la lettre et lut :


Au château de Belveser, ce 20 mai 17…

« MA BIEN-AIMEE COUSINE,

« Depuis quelque temps déjà, je suis retournée dans cette chère solitude vers laquelle mon cœur est revenu mille fois pendant mon absence, et où je croyais venir vous rejoindre ; mais, au lieu du bonheur que j’espérais, je n’ai trouvé qu’un affreux chagrin. Oh ! ma chère cousine, est-il possible que vous soyez partie ainsi, sans laisser un souvenir, un adieu pour votre Éléonore ? Je n’ai pu me résigner à cette entière séparation ; je me suis informée, et j’ai appris que vous étiez à Paris, au grand couvent de la Miséricorde. Aussitôt, Anastasie, j’ai formé une résolution que vous allez connaître ; vous verrez si mon amitié est fidèle, je vais vous en donner une sûre preuve. Mais d’abord je dois vous raconter ce qui s’est passé après le triste jour où je vous fis mes adieux à la Roche du Capucin.

« En vous quittant, je montai en voiture toute pleurante, et je m’éloignai de Belsever avec des déchiremens de cœur, des regrets que je ne saurais vous exprimer. Pendant toute la route, j’essayai inutilement de vaincre ce chagrin ; je soupirais sans cesse et j’avais le cœur si gonflé de larmes, qu’à chaque instant j’étouffais et me sentais prête à éclater en sanglots. Ma bonne mère était inquiète ; Mlle Irène disait que j’avais des vapeurs, et me donnait la migraine à force de me faire respirer son flacon de sels et de m’entretenir des magnifiques présens de noces dont mon oncle Maragnon lui avait déjà montré la liste.

« Quand nous arrivâmes à Marseille, j’étais tout-à-fait malade ; je m’attendais à être mariée tout de suite, et cette pensée me causait des angoisses inexprimables. Heureusement je fus aussitôt soulagée de ce souci ; mon oncle vint au-devant de nous avec un visage contrarié, et nous annonça qu’une affaire de la dernière importance avait obligé Dominique à partir subitement pour Barcelone, où il serait forcé de demeurer peut-être une quinzaine de jours. Je l’embrassai de bon cœur à cette nouvelle et me trouvai allégée d’un grand souci. J’eus donc quinze jours pour me tranquilliser et me reconnaître, et puis encore quinze autres jours, et puis un nouveau retard d’une semaine, si bien que le carême arriva avant le retour de mon prétendu, et que forcément mon mariage se trouva différé.

« Je fis bien des réflexions dans ce laps de temps, je pris bien des résolutions ; mais je n’osais m’en ouvrir à ma mère, et encore moins à mon oncle ou à Mlle Irène. Ma mère m’aurait demandé les raisons que j’avais pour différer cet engagement, et en vérité je n’aurais pu en donner aucune. Mon oncle aurait traité ces idées d’enfantillages, de caprices, et Mlle Irène n’eût pas manqué de me répéter sentencieusement ce qu’elle m’a dit vingt fois déjà de son air le plus capable : Quand le cœur d’une jeune fille ne se prononce pour personne, elle doit se laisser marier au gré de ses parens.

« Au milieu de ces perplexités, le ciel m’inspira une idée, une bonne idée, qui tout à coup me tranquillisa. Alors, au lieu de craindre le retour de Dominique, je l’attendis avec une sorte d’impatience, et, quand il arriva, j’allai au-devant de lui avec un visage content. Ma mère était ravie ainsi que mon oncle. Dominique parut surpris de cet accueil et n’en témoigna pas beaucoup de joie ; mais je ne lui en voulais point du tout de sa froideur et de sa tristesse, j’en avais au contraire une espèce de reconnaissance qui m’affermissait dans mon dessein. Après souper, tandis qu’on était à la partie, je pris familièrement la main de mon cousin et l’entraînai sur le balcon, où je savais que personne ne pourrait nous entendre. — Mon cher Dominique, lui dis-je avec amitié et en le tutoyant, ce qui ne m’était pas arrivé depuis long-temps, mon cher Dominique, tu sais qu’on veut que tu m’épouses après Pâques. Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de différer, de différer encore long-temps, une année, par exemple ? Nous aurions ainsi le temps de nous accoutumer à cette idée de mariage qui nous contrarie à présent. — Ma bonne Éléonore, me répondit-il, je ferai tout ce que tu voudras. — Eh bien ! lui dis-je alors, déclare à ton père que tu veux faire d’abord un voyage dans le Levant ; il en a été question déjà, et l’on devait envoyer un commis de la maison à ta place. — Oui, mon père entendra peut-être à cela, fit Dominique en réfléchissant ; il s’agit de monter une maison à Brousse, et ma présence là-bas fera mieux que celle d’un agent. Puis il ajouta avec un soupir : — Mais, ma pauvre enfant, il ne faudra pas moins que ta destinée s’accomplisse, et la mienne aussi… — C’est égal, lui dis-je, ce ne sera pas tout de suite du moins… Alors il me prit la main et continua d’un ton pénétré : — Tu ne vois pas clair, enfant, dans le fond de ton cœur ; que le ciel te garde dans cette ignorance ! Moi je sais ce qui se passe dans le mien ; je sais qu’il aspire à un bonheur impossible. Jamais je ne conçus la moindre espérance, jamais je n’ai essayé de réaliser des vœux chimériques ; je me suis résigné. Puisses-tu faire comme moi ! J’agirai pourtant comme tu le désires. À ces mots, il quitta le balcon. Le même soir, il parla si bien à mon oncle de la nécessité de ce voyage à Brousse, et de la convenance qu’il y aurait à différer d’une année notre mariage, que tout fut arrangé. Huit jours plus tard il partit, et nous retournâmes à Belveser. Hélas ! cousine, j’appris alors que vous aviez quitté Colobrières, que vous étiez au couvent, et que vous aviez résolu de prendre le voile. Aussitôt il me vint comme une inspiration…

« Voyez-vous, cousine, je suis une jeune fille dont l’éducation n’est point du tout achevée ; ma pauvre mère, ayant perdu tous ses autres enfans, m’a élevée avec des faiblesses infinies ; je suis un véritable enfant gâté, et, comme dit Mlle Irène, on n’a point du tout cultivé en moi les dons de la nature. Heureusement, il est temps encore de parfaire cette éducation manquée. C’est ce que j’ai dit à ma mère en la suppliant de me mettre pour une année au couvent de la Miséricorde. J’ai une foule de défauts dont je me corrigerai dans cette sainte maison : j’y perdrai l’habitude de faire ma volonté ; les bons exemples me rendront humble, soumise, patiente, et je serai si contente de vivre près de vous, que tous les devoirs me-sembleront faciles. Ma bonne mère a un peu résisté d’abord, mais je lui ai donné de si bonnes raisons, qu’elle s’y est enfin rendue. Comme il était décidé que je la quitterais aussitôt après mon mariage, pour entreprendre un long voyage à l’étranger, l’idée de cette séparation ne l’a point trop affligée, et, enfin, elle a consenti à tout ce que je désirais. Il est décidé que j’entrerai comme pensionnaire dans votre couvent ; c’est mon oncle lui-même qui me conduira à Paris. Ma mère, qui se plaît beaucoup à la campagne, et qui a fait entreprendre de grands travaux, passera toute cette année à Belveser avec Mlle Irène.

« Oh ! ma chère Anastasie, je vais donc enfin vous revoir ! Mon pauvre cœur tressaille à cette pensée, et j’éprouve autant de joie que j’ai eu de douleur à vous quitter.

« Savez-vous, cousine, ce que m’a dit l’autre jour mon oncle Maragnon ? C’est que je vous aime tant que je suis capable de prendre le voile pour passer ma vie près de vous !

« Adieu, mon amie et ma sœur ; vous dont l’ame est si paisible et si sainte, vous qui peut-être ne laissez plus qu’une petite place dans votre cœur aux affections terrestres, aimez-moi un peu cependant, et priez Dieu pour votre Éléonore. »

Anastasie avait écouté cette lecture avec un inexprimable saisissement, une sorte de joie douloureuse qui pénétrait son ame et faisait couler de ses yeux des larmes silencieuses.

— Eh bien ! ma fille ? lui dit la mère Angélique en l’interrogeant du regard.

— Ah ! ma mère, répondit-elle, je serai heureuse de revoir Éléonore ; mais la pauvre enfant ne se figure pas la vie qu’on mène ici… Elle ne sait pas que les pensionnaires sont séparées des novices, et qu’elle ne me verra guère que dans le chœur. Je redoute d’ailleurs pour elle les petites privations auxquelles tout le monde est soumis ici… Elle a été élevée avec tant de délicatesse et dans une maison si opulente… Pourra-t-elle s’habituer à la discipline de la classe et au pain sec ?…

— Je suis certaine qu’elle se trouvera fort bien ici, répondit gravement la mère Angélique. Il est évident qu’elle a pour le mariage une vocation forcée ; l’on verra ce que cela deviendra plus tard. Ma chère fille, je vous permets de lui écrire que nous l’attendons.


Mme CHARLES REYBAUD.

  1. Voyez les livraisons du 15 novembre, des 1er et 15 décembre 1845.