Le Ballet nouvellement dansé à Fontainebleau par les dames d’amour


Le Ballet nouvellement dansé à Fontainebleau par les Dames d’amour. Ensemble leurs complaintes addressées aux courtisanes de Venus à Paris.

1625



Le Ballet nouvellement dansé à Fontaine-Bleau par les Dames d’amour. Ensemble leurs complaintes addres­sées aux courtisanes de Venus à Paris.
À Paris.
M. DC. XX. V.
In-8.

Le sejour de Fontainebeleau1 a esté favorable aux uns et perilleux aux autres, notamment aux dames d’amour, lesquelles plus que jamais ont appris la cadence de M. du Vergé2.

La dame Catherine de la Tour, comme la première et la plus renommée de toute l’academie du dieu d’Amour, a esté, selon sa dignité, receue à la danse avec le plus d’honneur : c’est elle qui a frayé la cadence du bal. C’est pourquoy qu’autant qu’elle avoit poivré des champions de ladite academie, elle a esté recompensée de ces salaires ; à quoy de bons garçons, forts et roides, ne se sont point espargnez le peu qu’il leur restoit de forces : de telle sorte que dix poignées leur ont faict perdre le plancher des vaches pour leur apprendre de dancer par haut le triory de Bretagne.

La dame Guillemette, autrefois gouvernante des allées de la feue royne Marguerite3, fut conduite au bal par la petite Jeanne des Fossez de Sainct-Germain-des-Prez, et toutes deux, après la declaration par eux faicte par devant le Gros Guillaume de tous les bienfaicts et gratifications qu’elles ont faictes aux bons compagnons, dont un ample registre en a esté dressé, dont il demeurera une immortelle memoire à ceux qui ont combattu sous leur cornette, ont esté les secondes qui ont eu sceances au bal, lesquelles, après toutes leurs dances, ont esté frottées de deux cens coups d’estrivières.

La bourgeoise de la grosse tour du fauxbourg Sainct-Jacques4, qui, au subject que le regiment des gardes avoit quitté sa boutique, avoit esté contraincte de venir avec son academie trouver la cour à Fontainebeleau. Elle ne fut si tost arrivée que la reputation de son nom fut partout espandue entre les bons compagnons.

L’on ne manqua de la faire semoner au bal, et pour ce faire la petite Claire eut la charge de la prier avec toute sa compagnie ; ce qu’elle ne refusa, d’autant que, pour l’amour de ses compagnes, elle n’avoit garde d’y manquer. De sa bande estoient les dames de la fleur du Marais5, Guignoschat, de la Taille et la gentille Belinotte, et plusieurs autres que je ne sçay par les noms, toutes lesquelles, par une assez belle promptitude au bal, estant montées chacune sur un poulain, elles dancèrent d’une telle façon, qu’après l’on a esté contrainct de les frotter depuis la teste jusqu’aux pieds, et, leur peau estant si dure que le grand nombre de frottoirs desquels l’on se servoit s’usoit en un instant, que l’on a esté contrainct de les refrotter des serviettes de M. du Vergé6.

Cette assemblée ne se peut faire sans apporter de la jalousie à celles qui n’en avoient esté averties, car la dame Tiennette, blanchisseuse suivant la cour, qui a succedé à la place de la grosse Martine, faisant rencontre de la petite Marie, luy demanda d’où elle venoit. Ce fut alors que l’ordre qui s’estoit tenu au bal fut bien deschiffré. La grosse Martine, bien qu’elle eust trois pieds et demy de galles sur le col, ne laissa pas d’estre grandement faschée de ce qu’elle n’en avoit pas esté advertie, à cause de sa grande prestance et du rang qu’elle tient parmy leurs compagnies à cause de son antiquité aux academies ; mais, pour la contenter, la belle Louise de la Motte luy dit : Tiennette, ne vous faschez point, il y en a encore assez pour vous et pour vostre compagnie ; je m’asseure que l’on vous aura reservé quelque chose. Incontinent elles se mirent en chemin pour aller au lieu désigné pour le bal, où, estant arrivées, trouvèrent cinq bons garçons, frais et bien dispos, pour leur apprendre les Canaries7 ; mais elles furent bien estonées quand il fallut decouvrir le fesson, et toutes quatre furent servies bien d’autre monnoye que n’avoient esté les autres ; car il n’y avoit pas bien longtemps que l’un de ces bons garçons avoit gaigné le mal de Naple d’une de la bande, quy lui avoit contrainct de faire le voyage de Bavière, ce qui fut la seule cause que l’on ne reserva plus rien du bal. L’on employa le tout sur entr’elles, et pour leurs derniers mets survint un gros valet d’estable qui avoit une paire d’estrivières toutes neufves, qui les esprouva de chacune vingt et quatre coups, de telle sorte que ces pauvres drovites, se voyant accommodées de la façon, baillèrent au diable la rencontre de la dame Marie et toute la dance.

Elles eurent un tel crève-cœur de cette exercice que d’un même pas elles ont abandonné Fontaine-Bleau, et sont venues chercher leur bonne fortune dans les fossés des Vignes, lez Paris, hormis la grosse Tiennette, qui tient son academie dans les Saussayes, derrière Sainct-Victor.

Voilà la façon du bal qui s’est dancé de nouveau à Fontaine-Bleau par les dames d’amour, duquel, pour en faire recit à leurs compagnes, voicy la teneur de leur lettre :

Complainte des Courtisannes d’amour sur leur bannis­sement de la suitte de la Cour. Addressée aux Champions de la Cornette de Venus à Paris.

Nos très chères sœurs, puisque maintenant la fortune a tourné le dos à nos favorables entreprises, et que tous nos desseins sont rompus au sujet des deffences qui nous sont faictes de ne plus habiter dans les bois pour faire hommage de nos très humbles services aux valeureux champions qui ordinairement combattent sous l’etendart de nostre mère Venus.

Que disons-nous ? non pas seulement dans les bois, mais qui plus est en aucuns lieux du monde, souz peine d’encourir des chastimens justes de nos perseverances si nous voulons continuer nos premières vies.

Helas ! ce qui plus nous fasche, c’est qu’après le commandement de l’un des plus sages princes de ce temps, qui a commandé à Monsieur le grand prevost de nous faire faire l’exercice, non pas de militaire, mais celui que Jean Guillaume faict faire quelques fois à celles de nos academies, et qui le plus souvent sont dans le grand et le petit Chastelet, et par trop de paresse se laissent manger aux pulces, de telle sorte que l’on est contrainct de leur faire prendre l’air pour deux heures et chasser de dessus leurs epaules ces bestioles qui par trop les importunoient.

Telles promenades nous sont survenues, bien que nous n’eussions en aucune façon la volonté de ce faire. Toutes fois, cela ne nous seroit encore rien, n’estoit qu’à present nous sommes frustrées de jouyr de la presence et des contentemens que nous jouissions de ceux qui nous faisoient l’honneur de nous visiter.

C’est, nos très chères sœurs, de cette triste et infortunée adventure qui nous est arrivée de quoy, pour le present, nous pouvons vous faire participantes, tant pour vous suplier de nous estre secourables en cette disgrace, et aussi pour vous servir d’exemple et leçon pour vous garantir d’un tel naufrage, d’autant que vous estes en des lieux dans lesquels quantité de surveillans peuvent vous donner l’assaut journellement, et le plus souvent, faute de bailler la croix à quelques commissaires8, de peur que le diable les emporte, ils seront en vos endroicts pires que des chiens, car après avoir vidé vos places ils pourront facilement les faire purger souz les piliers des halles.

Tout cela est sans mettre en ligne de compte un grand nombre de serviteurs et valetz de chambre, qui peuvent, sçachant nostre infortune, aller souvent ployer vos toilettes et empaqueter vos robes et cotillons.

L’esperance que nous avons que vous aurez compassion de nous faict que très humblement toutes en general vous prions de nous assister pendant nostre exil, et ce faisant obligerez celles qui seront à jamais

Vos très humbles sœurs.
L. C. d’Amour.urs.

Regrets des Courtisannes d’amour sur leur
bannissement de la Cour
.

Plorez, nos tristes yeux, si par de justes larmes
Vous pensez soulager tant de tourmens secrets ;
Nous sçavons que les pleurs c’est le propre des femmes,
Mais la force d’un prince cause tous nos regrets.
Plorez, nos tristes yeux, pour toute recompence
De tant d’honnetetés ; debordez en vos pleurs,
Voyez tous nos pensers, et que plus rien ne pense
Que de nous distiller parmy tant de douleurs,
Douleur que nous sentons, douleur insupportable
Qui nous fera mourir cent mille fois le jour.
Las ! que ne mourons-nous ? Il n’est pas raisonnable
D’endurer tant de mal pour avoir tant d’amour.
Nos cœurs, que le regret maintenant passionne9,
N’auront pas d’autre bien que d’aimer constamment ;
Mais cette ame legère à cette heure nous donne
Pour un extrême amour un extrême tourment.
Adieu doncques la cour, adieu nos chères vies,
Adieu tous courtisans, adieu nos petits œils,
Adieu nos seuls espoirs, adieu nos doux accueils,
Adieu les doux appas de l’amoureuse envie.




1. C’est le séjour assez long que fit la cour à Fontainebleau et qui donna lieu à l’une des pièces publiées dans notre t. 3, p. 217. Elle nous avoit déjà édifié sur les scandales qui le signalèrent, et que Louis XIII, en roi chaste, réprima par la fustigation préalable et par l’expulsion des filles qui avoient suivi la cour.

2. C’est-à-dire ont été fouettées de verges. C’étoit le châtiment des filles publiques jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. La Gourdan fut ainsi condamnée à la fustigation en plein carrefour des Petits-Carreaux, près duquel elle demeuroit. V. Corresp. secrète de Métra, t. 2, p. 168, 195.

3. Le parc de la reine Marguerite au faubourg Saint-Germain, longeant le quai Malaquais. V. le t. 1, p. 219, et le t. 4, p. 174–175.

4. Sans doute la tour de la commanderie de Saint-Jean-de-Latran, place Cambrai. L’enclos dont elle faisoit partie étoit lieu d’asile, et par conséquent encombré d’une foule de gens sans aveu, dont le trop-plein refluoit sur les environs. Lorsqu’on la démolit, il y a deux ans, le quartier sur lequel elle planoit n’étoit pas mieux peuplé. V. notre livre Paris démoli, 2e édit., introd., p. l.

5. On sait que les courtisanes y abondoient. V. une lettre de Gui Patin, 1er octobre 1666. Marigny, dans son poème du Pain béni, nous donne le commissaire Vavasseur comme étant

Des lieux publics grand ecumeur,
Adorateur de ces donzelles
Qui ne sont ni chastes ni belles,
Et qui, sans grace et sans attraits,
Vivent des péchés du Marais.

6. C’étoit le mot consacré pour dire des verges. De là vient sans doute qu’en argot une canne de jonc s’appelle encore une serviette.

7. « Sorte d’ancienne danse, dit Compan, que l’on croyoit venir des îles Canaries, ou qui, selon d’autres, venoit d’un ballet ou mascarade dont les danseurs étoient habillés en rois de Mauritanie ou sauvages. » (Dict. de danse, p. 41.) Cette danse, avec toutes ses passades et reculades, est décrite dans l’orchésographie de Thoinot Arbeau. « Et notez, y lisons-nous, que lesdits passages sont gaillards, et néanmoins étranges, bizarres, et ressentant fort le sauvage. »

8. « Ô Dieu ! quel desordre ! est-il dit dans les Caquets de l’Accouchée (V. notre édit., p. 37)… À quoy servent… tant de commissaires de Chastelet ? À prendre pension des garces, des maquerelles, etc. » Le commissaire Vavasseur, nommé dans l’une des notes précédentes, étoit de ceux-là.

9. C’est le plus ancien emploi que nous connoissions de ce mot, condamné plus tard par Vaugelas, mais qui n’en a pas moins fait fortune.